Chapitre IV
J'ai dormi d'une traite. Le ciel est désespérément gris : rien à voir avec le grand soleil cévenol. Je m'y ferai. Après tout, c'est moi qui ai voulu venir. Mon blues de la veille s'est atténué. Une bonne douche, un café et je serai d'attaque. Les yeux encore embrumés, j'empoigne ma trousse de toilette, un gant et une serviette, et me dirige vers la salle de bain ; enfin, ce qui en tient lieu. Un carré de douche exigu, un lavabo minimaliste et c'est tout : rien pour accrocher ou ranger ses affaires. À la guerre comme à la guerre ! J'oublie la baignoire jacuzzi et les rangements multiples de Brive pour passer sous le jet. En dépit du boucan d'enfer de la tuyauterie, je savoure le plaisir de sentir l'eau tiède me dégouliner sur le corps. Dommage de ne pouvoir m'éterniser, mais être en retard le premier jour la foutrait mal.
Zut ! La serviette apportée est trop petite. Elle ne dissimule mes fesses qu'en partie et le nœud au niveau de ma poitrine – avantageuse, il faut le reconnaître – menace à tout moment de se défaire. J'aurais dû prendre mon peignoir. Je retourne dans ma chambre le chercher. Après une fouille frénétique, je dois me rendre à l'évidence, ma sortie de bain est restée en Corrèze. N'importe quelle fille normalement constituée s'habillerait aussi sec ; moi pas. Je suis habituée à prendre mon petit dej dans le confort moelleux de l'éponge. Un tantinet maniaque, la Thalie. Aussi, je ressors, toujours entortillée dans mon timbre-poste et vais gratter à la porte de ma coloc. Je ne l'ai pas entendu rentrer, mais elle doit être là.
« Bérénice ! fais-je à travers la cloison. Tu n'aurais pas un peignoir à me prêter ?
Pas de réponse. Bon, elle roupille. En la réveillant, je lui rendrai service. Je pousse la porte et... en reste comme deux ronds de flan. Au lieu de Bérénice, Vince est étalé en travers du lit. Son torse est, comme je le pensais, entièrement couvert de tatouages : de la base du cou au ceinturon. Dieu merci, il a gardé son jean. Surprendre ce type en caleçon serait à la limite du supportable.
— Où est Bérénice ? demandé-je, rougissant malgré moi.
Je resserre autour de moi ma mini serviette, priant pour qu'elle ne choie pas à mes pieds. Aucune envie d'offrir à Vince un strip gratos.
— Je n'en sais rien, répond-il. Comme l'autre chambre n'était plus dispo, elle m'a prêté la sienne pour cette nuit.
Il a croisé les bras derrière sa nuque et me contemple avec une expression goguenarde. J'ai péniblement conscience du fait que le tissu humidifié souligne chaque partie de mon corps. Je n'ose pas tirer sur le bas de peur de défaire le nœud et de me retrouver à poil devant ce mec.
— Tu devrais aller t'habiller, ajoute-t-il ; tu vas prendre froid.
Les mêmes mots qu'Aurélien, mais sur un ton railleur, dénué de sollicitude. Je me retiens de lui balancer « Pour que je me retourne et que tu aies une vue imprenable sur mon cul ? » Comme s'il avait lu dans mes pensées, il dit : « Rassure-toi, je ne materai pas tes miches. Je ne suis pas du genre voyeur.
Je me retourne lentement et effectue une sortie la plus digne possible. Arrivée sur le seuil, je ne résiste pas à jeter un coup d'œil en arrière. Vince se trouve à présent à plat-ventre. Je vois son dos tatoué de la nuque rasée au bas des reins. Mon regard s'attarde plus que de raison sur son fessier étroitement moulé dans le denim. Ce type a beau être détestable, il est bien foutu.
Bérénice choisit ce moment pour entrer. Le savant édifice de ses mèches a pris du gîte et des traînées de mascara cernent de noir le dessous de ses yeux. « T'es encore là ? demande-t-elle, s'adressant à Vince.
Il se redresse nonchalamment pour tourner la tête dans sa direction. « Comme tu vois. Je faisais un brin de causette avec Thalie.
— Je vois. Vous avez fait plus ample connaissance.
Elle m'englobe d'un regard amusé. « Ce n'est pas ce que tu crois, protesté-je. Je cherchais un peignoir et j'ai découvert ce mec...Vince, dans ton pieu.
— Cool, miss. Vince n'est pas ma propriété exclusive.
Veut-elle dire par là qu'elle couche avec lui à l'occasion ? Bah ! Je m'en fiche, de toute façon.
— Heureusement ! approuve Vince en se remettant sur le dos. Je détesterais ça.
— Thalie a un petit copain, dit Bérénice.
Je la foudroie du regard. Pourquoi me trahit-elle ainsi ? « Ah ! oui ? fait Vince.
Il me dévisage avec une attention nouvelle. Je passe du statut de thon à celui de nana potable, capable d'intéresser un mec. « Parfaitement, dis-je. Et nous sommes très bien ensemble.
Ai-je rêvé sa grimace de dépit ? Ce mec voudrait toutes les filles à ses pieds. Bérénice a décroché un vêtement d'une patère et me l'a tendu : « Tiens, tu peux le garder, j'en ai d'autres.
Vince me tient toujours dans sa ligne de mire. Il s'attend peut-être à ce que je me déloque pour enfiler le peignoir. « Merci, dis-je à Bérénice.
Je ne lui en veux pas d'avoir cafté. Grâce à elle, les choses sont claires entre Vince et moi. Du moins, je l'espère.
— Maintenant, dégage ! fait Bérénice en secouant son pote par l'épaule. Je veux dormir un peu avant de bosser.
Il grogne. J'en profite pour filer dans ma chambre où je saute dans les premières fringues venues. Pas de risque que ce mec me revoie en petite tenue. Les hoquets caractéristiques de la cafetière électrique me proviennent d'à côté. Zut et crotte ! ce type s'incruste. Boire mon café du matin avec lui est bien la dernière chose que je souhaite. J'aimerais lui dire de se barrer, mais je ne suis pas chez moi. Lui, si, à en juger par son comportement de propriétaire. Où crèche-t-il quand il ne squatte pas la piaule des autres ? T'es pas folle ? Tu ne devrais même pas te poser la question.
Il est installé en toute décontraction, une jambe croisée sur l'autre et la clope au bec. Deux tasses, un paquet de biscottes et un ravier de beurre sont posés sur le comptoir. « Tu le veux comment, ton jus ? demande Vince avec une amabilité suspecte.
— Avec du lait et deux sucres, s'il te plaît.
Les bouffées écœurantes qu'il me souffle dans le pif me retournent l'estomac. C'était bien la peine d'aérer la pièce hier soir pour me faire enfumer de la sorte. « Tu ne peux pas éteindre ça ?demandé-je.
— À vos ordres, chef !
Il écrase sa clope sur sa soucoupe et empoigne la cafetière. Je note au passage ses longs doigts. « Des extrémités de pianiste », dirait ma sœur Joy qui a martyrisé nos oreilles pendant cinq ans. Au moins ses mains ont-elles échappé au tatouage. Les entrelacs de feuilles mélangés à des signes cabalistiques débutent aux poignets, s'étalent sur les épaules, la poitrine et l'amorce de l'abdomen. En a-t-il aussi sur la zigounette ? Stop, Thalie ! Que vas-tu chercher ?
— Dommage que tu te sois rhabillée, observe-t-il en me servant.
— Il faut savoir ce que tu veux.
— Je voulais dire : rhabillée comme ça. Tu es mieux sans rien.
Le petit grillé fait floc dans mon bol. Quel culot ! Ce mec ne manque pas d'air. Faute de pouvoir lui balancer mon café dans la tronche, je susurre :
— Tu n'aimes pas mes sapes ?
— Non. Elles sont passe-muraille. Ce pull ras le cou, par exemple...il est ringard.
Ringard, le pur cachemire offert par Aurélien à mon dernier anniversaire ? « Cadeau de mon petit copain, dis-je.
Je suis heureuse de le souligner, de lui montrer qu'il existe des garçons polis, corrects : l'inverse de lui.
— Ton petit copain, c'est vrai, fait-il de cette voix traînante qui me porte sur les nerfs. Eh bien ! Il n'a aucun goût.
— Il a des goûts classiques. Tout le monde n'aime pas le tape à l'œil.
— Si tu entends par tape à l'œil le style actuel de Bérénice ; là, je suis d'accord. Pour moi, une fille doit être féminine, sexy, mais pas vulgaire. Toi, tu passes inaperçue : une petite souris grise.
La moutarde me monte au nez. Pourquoi est-ce que je perds mon temps à discuter avec ce macho ? En attendant l'heure tourne. « Mon look me convient, répliqué-je, histoire de lui river son clou. Et à l'école où je vais étudier, on est strict sur la tenue.
Son fameux sourire narquois reparaît sur ses lèvres. « Ah ! oui ! l'École de la boucherie. Pas un métier de gonzesse, ça.
Je croyais ce type d'homme des cavernes en voie de disparition, du moins dans ma génération. Je proteste :
— — Eh bien si ! Depuis que la viande arrive sur des rails, plus besoin d'avoir les muscles de Rambo pour la transporter.
— Tu parles comme Cédric, soupire Vince. Lui aussi est à L'EPB.
Cédric à l'EPB ? Incroyable. Avec ses mèches hérissées, ses tatouages, ses piercings ? En même temps, apprendre que nous allons suivre le même cursus me rassure. « J'en suis ravie, fais-je avec un peu trop d'enthousiasme. Mais pourquoi n'a-t-il rien dit hier ?
— Il ne le savait pas encore. Et moi, tu ne me demandes pas quelles études je fais ?
— Lettres, non ?
— Oui, Classiques : à la Sorbonne, mais je glande surtout avec mes potes. Il y a une teuf ce soir au quartier latin. Bérénice et Cédric y seront. Tu peux venir, si tu veux.
Maman pousserait des cris d'orfraie : « Une fête avec une bande de punks ! Ma petite fille, tu es sur une mauvaise pente.
— Non, merci. Je ne suis pas à Paris pour faire la fête. En plus, je ne connaîtrai personne.
— On fait vite connaissance.
— Laisse tomber ! fait la voix de Bérénice. Elle ne viendra pas.
Son somme n'a pas duré longtemps. Elle a essuyé le dessous de ses yeux et redressé ses tifs avec du gel. Est-ce à cause de son ton péremptoire ? J'ai envie de la contredire. Et puis, après tout, pourquoi me faire chier à cent sous de l'heure ici quand les autres s'en paieront une tranche ? Je ne risque rien, on ne va ni me violer, ni me forcer à fumer un joint. La présence de Cédric constitue une sécurité.
— Si, je viendrai, déclaré-je, sans regarder Vince. Ce phallocrate prétentieux serait bien capable de croire que je viens exprès pour lui.
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