Chapitre I

— Thalieeeeeeee !!!!!

Maman s'énerve. Pas évident de s'extraire du lit quand on s'est couché à pas d'heure pendant deux mois. Hier était le dernier soir où je couchais ici. Ça me fait drôle. Jusqu'ici, j'ai toujours dormi à la maison, à part des nuits chez les copines ou chez Aurélien, mon petit ami. Je me donne le temps de retaper la couette. Pas comme mes sœurs qui laissent leur bordel derrière elles.

— Thalieeeee ! Petit déj !

— Je descends !

Des voix me parviennent du rez-de-chaussée : bizarre, puisque ma mère est censée être seule. Mon père et les filles sont déjà partis ; qui au boulot, qui au lycée. Lisa entre en terminale après une première laborieuse et Joy redouble sa troisième . Pas intellos pour deux sous: à mon image.

Éjecter mon pyjama et passer sous la douche ne me prend pas plus d'un quart d'heure. Par contre, la tenue pour le voyage pose problème. Le jean et le tee shirt élus la veille m'arrachent une moue dégoûtée. J'ouvre l'armoire et une pile de fringues me dégringolent dessus. Idem pour le tiroir de la commode qui se coince quand je veux attraper slip et soutif. Zut et crotte ! À croire que tous les éléments sont réunis pour me faire rater mon train. Du rez-de-chaussée, ma mère re-gueule :

— Thalieeeeeeee !!!!

Plus le loisir de tergiverser. Je saute dans mes sapes premier choix et enfile par-dessus un sweat de coton gris à capuche. Me voilà dans l'escalier, puis dans la cuisine. Je vois Aurélien tranquillement attablé devant un bol fumant et des tartines.

« Toi ! fais-je. On ne s'est pas dit au revoir hier ?

— Si, mais je voulais te revoir encore.

Il a un sourire craquant. « Trop jeune pour toi, prétend mon père. Un manuel, en plus.

Ça me fait sortir de mes gonds à chaque fois. Je rétorque :

— Et toi ? tu n'en es pas un, peut-être ?

— Ce n'est pas pareil, j'ai un métier dans les mains tandis que ton copain est mécano dans un garage.

Je sais. Aurélien a lâché ses études en troisième et a un an de moins que moi. Et alors ? je ne compte pas l'épouser demain, ni jamais, peut-être. Pour l'instant, il me va. Un mec gentil, beau. Des cheveux blonds, bouclés, rien à voir avec mes tifs raides, des cils longs qui chatouillent ma joue quand on s'embrasse. Nous avons presque fait le grand saut. Presque, pas tout à fait. « Pour la Noël », lui ai-je promis pour me consoler de mon départ.

— T'es sûre ? Tu avais dit « cet été ».

— Possible. Je ne me sentais pas prête. Dans quatre mois, je le serai.

Le serai-je ? Bah, je verrai bien ; ce n'est pas crucial. L'important est d'arriver à l'heure à la gare.

« Tu es tout mimi, dis-je, un peu attendrie tout de même.

Petit pincement au cœur, surtout qu'il se lève et m'enlace, sous l'œil mouillé de Maman. Elle n'a pas à l'égard d'Aurélien les mêmes préventions que Papa.

« Thalie, ton café ! me rappelle-t-elle après nous avoir accordé un délai raisonnable.

— Ah ! oui ! C'est vrai.

Le goût de moka chasse celui des lèvres d'Aurélien. Lui, continue à me regarder comme si j'étais la huitième merveille du monde. Pourtant, je ne suis pas terrible : brune, petite, bien en chair – pour bosser dans la viande, ça vaut mieux – signe distinctif : néant. Il te voit avec les yeux du cœur, a coutume d'insinuer cette grande saucisse de Lisa.

« Tu ne vas pas avoir froid sans blouson ? s'inquiète Aurélien.

Ça va, j'ai déjà une mère, inutile d'en rajouter. «Mais non, dis-je en remontant le zip de mon sweat. On est qu'en septembre.

Mes bagages sont déjà dans le coffre de la New Beetle de Maman. Après avoir chaussé mes Converses et donné une ultime caresse au chat, je sors, suivi d'Aurélien. Une légère brume ourle les toits gris de Brive ; l'air plus frais signale l'imminence de l'automne. Je le respire à pleins poumons, histoire de contrecarrer la pollution de la Capitale, puis je m'engouffre dans la bagnole dont je claque la portière. « Ne m'oublie pas », forme les lèvres d'Aurélien. Prise de remords, j'actionne la commande électrique.

« T'es dingue ! fais-je. Comme si je pouvais !

Il se penche, me mange la bouche. Ma mère, assise au volant, a détourné pudiquement la tête. Aurélien relève la sienne à regret et me contemple avec des yeux noyés.

« À plus ! dis-je en remontant la vitre. On se phone.

Je suis honteuse de ne pas être plus émue. Une fille normale pleurerait comme un veau en quittant son chéri. Comparaison malheureuse, car au lieu du visage bouleversé d'Aurélien, une superbe escalope se dessine devant mes yeux.



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