Chapitre 7-3
Nous nous assîmes à une table dont Angèle était en train de débarrasser. Pendant qu'elle s'activait à retirer les assiettes, Desya la fixait d'un regard charmeur. Ses joues se teintèrent de rouge. Elle releva la tête et adressa un petit regard furtif à Desya puis un sourire timide avant de détourner les yeux, mal à l'aise. Quand elle disparut, j'interrogeai immédiatement Olsen.
— Que fabriquez-vous avec Angèle ?
Le jeune homme tourna sa tête vers moi. Une lueur incrédule passa à ce moment au fond de ses yeux.
— Je sors de prison, je peux bien prendre un peu de plaisir.
Il contint un petit rire de mépris avant d'ajouter :
— Mais vous ne pouvez pas comprendre, vous êtes une none.
Je redressai mes épaules, m'interdisant de faiblir.
— Et je suis bien contente d'en être une face à un homme comme vous.
J'allais ajouter autre chose pour remettre la discussion sur la bonne voie, mais Desya me coupa la parole :
— Sérieusement, vous n'avez jamais goûté au sexe de votre vie ?
Le fantôme d'un sourire passa sur ses lèvres. Je m'empourprai. Avec un coup d'œil par-dessus son épaule, je m'assurai que personne ne nous entendait puis je revins sur lui en m'empressant de changer de sujet :
— Poursuivons l'entretien commencé avec Manuela.
J'ouvris le dossier un peu trop brusquement pour remplir le rapport demandé par le juge et interrogeai Olsen :
— Comment se sont passées vos premières heures au Marcus Café ?
Je relevai mes yeux sur lui. Le jeune homme se cala au fond de son siège en gardant le silence. Son comportement détaché m'agaçait.
— Desya, vous vous pénalisez tout seul. Je peux ne rien marquer dans ce dossier, mais vous devrez en assumer les conséquences.
Olsen inclina la tête et disciplina soigneusement ses traits. Mes mots ne paraissaient pas lui faire grand-chose. Sur un ton présomptueux, il répondit :
— La ville verse à votre association d'importantes subventions au vu des bons résultats que vous avez avec la population d'East Harlem. Le programme pilote dont je suis actuellement le cobaye représente combien ? 80%, 90% sur vos chiffres de cette année ? Pour faire court, Bluebell, si je coule, votre association coule aussi, car j'aurais planté toutes vos statistiques. Sans résultats, vous n'avez plus de budget. J'ai fait Columbia, pas une formation de serveur.
Mon regard cilla. Je collai mon dos contre mon siège pour réfléchir un instant. Intérieurement, je brûlais de colère. J'imaginai une Bluebell en train de tout casser en haut, dans ma tête. La vaisselle les cadres, les bibelots... C'était comme ça qu'il voulait me voir : déstabiliser. Mon silence lui procurait un plaisir pervers, je le voyais bien. Dans un immense effort, je me ressaisis.
— Les chiffres ne m'intéressent pas, nous parlons là d'être humain. Pour être honnête, oui, l'association a besoin de subvention pour aider les personnes qui en ont le plus besoin, comme vous.
— Comme moi ? répéta-t-il en levant un sourcil.
Olsen soupira, regarda autour avant de revenir sur moi.
— Répondez à mes questions et je répondrai aux vôtres, Bluebell. C'est la nouvelle règle du jeu.
Je répliquai pleine de hargne :
— Non, ça ne se passe pas comme ça ! On ne joue pas, là, Desya.
Olsen fit comme s'il n'avait pas entendu mes derniers mots et insista :
— Alors, je me trompe ou un homme ne vous a jamais touché ?
Je déglutis. L'atmosphère parut soudain vibrée d'une tension insoutenable. Une sensation bizarre se creusa dans le bas de mon ventre. Desya attendait ma réponse sans me lâcher du regard. Un éclat étrange traversa ses prunelles. Il humecta ses lèvres.
— Non, personne ne m'a jamais touché, murmurai-je, vaincue.
Les mots restèrent suspendus entre nous l'espace d'un instant. Pour la première fois, Desya parut déstabiliser. Je baissai ma tête sur le dossier puis me raclai la gorge avant de répéter ma question avec plus d'assurance :
— Comment se sont passées ces premières heures au restaurant ?
Les yeux toujours baissés sur la feuille, je priai pour qu'Olsen arrête de me torturer :
— Plus difficile que je ne l'aurai pensé.
En entendant sa réponse, j'expirai discrètement. Il continua :
— Les clients me parlent espagnol. J'ai l'impression que c'est à moi de m'adapter à eux et ça ne me plait pas. Ils ne s'autoriseraient pas ça ailleurs, dans un autre quartier de la ville.
— Desya, vous devez comprendre qu'East Harlem a une histoire. Il est important que vous la découvriez et qui sait ? Peut-être que celle-ci vous surprendra. Ouvrez les yeux.
Le jeune homme grimaça, pas convaincu par mes propos.
— Vous voyez en moi un ignorant, mais vous vous trompez.
— Non, murmurai-je, je vous vois comme un survivant.
Desya s'attendait à tout sauf à entendre ces paroles sortir de ma bouche. Troublé, il détourna ses yeux des miens. À cet instant, l'image de l'homme impitoyable s'effaça. Je ne voyais plus qu'un enfant triste et perdu en face de moi. Sa détresse me retourna l'âme. J'allais continuer mes questions quand Tony Hernandez s'invita à notre table en toisant Desya. Je savais qu'il venait pour me parler de sa mère. Il s'adressa à moi en espagnol pour exclure Olsen de la conversation.
— Bonjour, Blue. Désolé de te déranger, je voulais savoir où en était le dossier de relogement pour ma mère.
Je le rassurai :
— Il a été déposé en mairie, il faut maintenant être patient.
La patience n'était pas le point fort de Tony. À trente-deux ans, il avait déjà un casier judiciaire bien chargé. J'avais essayé à mainte reprise de l'aider, mais il retombait sans cesse dans les trafics divers et ses travers. Chef de gang, il ne se promenait jamais dans East Harlem sans une équipe autour de lui. Ici, tout le monde le connaissait. Même s'il me respectait, une part de lui me maudissait, car je me battais comme une lionne pour arracher de ses griffes les gamins qui s'approchaient un peu trop près de lui.
— Blue, ça fera bientôt un an. Ma mère à besoin d'un nouveau logement. Tu as des contacts, pourquoi ne les utilises-tu pas pour nous aider ?
Le poing de Tony posé sur la table se resserra. Je répondis d'une voix calme et la plus sûre possible :
— Il y a une liste d'attente. Malheureusement, je ne peux pas faire plus. Je vais voir ta mère chaque semaine et lui apporte ce dont elle a besoin. Elle a même une femme de ménage qui vient l'aider. Beaucoup de gens ont besoin d'être relogés. Elle n'est pas prioritaire pour l'instant.
Tony frappa son poing sur la table puis pointa son doigt vers moi.
— Putain, je me fou des autres, je...
— Hé, mec, dégage ton cul d'ici.
Je me tournai vers Desya en lui faisant les gros yeux.
— Ça va, il n'y a pas de soucis.
Ce n'était pas le moment qu'Olsen s'interpose entre nous. Je savais gérer ce genre de situation. J'y étais confronté chaque jour. Je n'avais pas peur de Tony ni de sa bande. Je revins sur mon interlocuteur qui fixait d'un regard noir Desya, les narines dilatées par la colère.
— Mêle-toi de ce qui te regarde, l'américain, sinon je m'occupe de ta petite gueule.
Olsen lui fit la faveur d'un sourire cynique avant de répondre :
— Je rêve de m'occuper de la tienne, de l'écraser sous mon pied.
Je sentis dans sa voix sa détermination rageuse. Avant qu'une bagarre éclate dans le restaurant, je rappelai à l'ordre les deux hommes.
— Calmez-vous ! Desya, laissez-moi régler mes affaires toute seule et toi Tony, merci de me laisser terminer mon travail. Si tu as quelque chose à me dire, prends rendez-vous. Ton comportement ne fera pas avancer les choses plus vite.
Shelby arriva à ce moment et attira l'attention de mon voisin :
— Bonjour, Tony, ça fait un moment.
L'homme se replia sur lui-même et regarda ailleurs. La sœur de Paolo faisait toujours cet effet-là. Personne ne voulait avoir des problèmes avec son frère, un agent de probation qui avait les flics dans sa poche.
— Je prendrais rendez-vous, lança Tony en se levant de table.
Il jeta au passage un regard menaçant à Desya qui le salua, un sourire malfaisant sur le visage. Une haine féroce venait de naître entre les deux hommes. Si Olsen avait pu, il se serait jeté sur lui pour le massacrer.
— Tout va bien ? me demanda Shelby quand Tony s'éloigna.
Debout, à côté de moi, elle me fixait d'un air inquiet. Je passai une main dans mes cheveux et hochai la tête.
— Oui, l'état de sa mère l'inquiète. Ce n'est rien.
Mon amie tourna la tête en direction de Desya puis posa une main sur sa hanche pour paraître le plus à son avantage.
— Bonjour, je suis Shelby, l'amie de Blue.
— J'avais compris, répliqua le jeune homme d'une voix cassante.
Choquée, Shelby cligna des yeux avant de se tourner de nouveau vers moi et de grogner entre ses dents :
— Waouh, cet homme est d'une chaleur humaine étonnante. Tu vas t'amuser.
Avec un sourire forcé, je répondis :
— Je te présente DesyaOlsen
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