Chapitre 5-2

Bluebell

Ma montre indiquait seize heures trente. Desya n'avait pas assisté au cours de yoga avec les autres membres de l'association. Bizarrement, son absence ne me surprit pas. Il ne mettait aucune bonne volonté dans ce programme destiné à faire de lui un homme libre.

Tout le monde était parti, il ne restait plus que moi dans les locaux. Mes deux autres collègues étaient sur le terrain afin d'aider les personnes en difficulté et à Harlem, il y en avait beaucoup. Au moment de ranger le dernier dossier dans le meuble, derrière mon bureau, j'entendis frapper à la porte. Je traversai la pièce et trouvai Desya sur le palier.

— Où étiez-vous ?

Olsen adossa son épaule dans l'encart de la porte en me fixant d'un regard froid.

— Je rentre ou bien vous me laissez dehors ?

Je levai les yeux au ciel puis balayai l'air avec un revers de la main.

— Rentrez !

Desya marcha jusqu'au milieu de la grande pièce.

— Pourquoi n'êtes-vous pas venu au cours de yoga ?

Il prit un air incrédule qui, chez lui, servait à masquer son sarcasme.

— J'avais mal au dos et puis j'étais occupé avec Diego.

Je le rejoignis en croisant les bras sur ma poitrine. L'air sceptique je lui demandai :

— Alors, ça veut dire que vous acceptez ce travail ?

Desya haussa les épaules.

— En fait, je n'ai pas vraiment le choix. Je commence demain à dix heures.

— C'est bien, c'est une bonne nouvelle.

Je sentis la tension me quitter. Olsen acceptait enfin mon aide. C'était un début.

— J'aurais pu vous dire tout ça au téléphone, mais je n'ai pas votre numéro.

Je me mis à regarder un peu partout autour de moi avant de revenir sur lui :

— Et bien, je ne le donne pas. Si vous avez besoin de me joindre, vous pouvez appeler au bureau.

Un petit rire mauvais s'échappa de lui.

— Bluebell, vous n'êtes pratiquement jamais ici.

— Mes collègues peuvent me faire suivre les messages.

Au milieu de ce silence pesant, j'ajoutai :

— J'ai le vôtre. S'il y a une urgence ou autre, soyez certain que je vous appellerai.

— Très bien. Sachez que je ne suis pas du genre à harceler les femmes. En général, c'est plutôt l'inverse.

Son visage se fendit d'un large sourire irrésistible, le plus hypnotique qui soit. Même si cette vérité me dérangeait, je devais admettre que cet homme avait quelque chose de particulier qui me faisait me sentir mal à l'aise.

Je détournai brusquement les yeux et poursuivis :

— Je devais vous voir de toute façon. Le juge m'a transmis deux demandes de visite pour ce week-end.

Je passai devant Olsen pour me diriger vers mon bureau. Il me suivit.

J'ouvris son dossier et consultai une note agrafée à un document.

— Deux autorisations qui concernent votre oncle, Frederick et une certaine...Charlotte Baker.

À l'annonce de ce nom, le jeune homme se raidit. Son regard s'affuta. Nouveau silence.

— Desya, cette femme qui est-ce ? demandai-je à mi-voix pour ne pas le brusquer.

Il releva son visage et murmura dans une grande colère :

— Mon ex. J'ai appris qu'elle s'était mariée il y a trois ans lorsque j'étais encore derrière les barreaux. Baker c'est son nom de jeune fille.

Toute sa personne exhalait une immense rancune. Je compris que cette femme lui avait brisé le cœur. Desya Olsen avait finalement un cœur.

— Je suis désolée pour vous, dis-je d'une voix triste et sincère.

— Ne le soyez pas. Elle n'en vaut pas la peine.

Il se retourna, dos à moi, comme pour mieux réfléchir. Bien sûr qu'il avait envie de la revoir, car il avait tenu à elle autrefois et qu'il avait besoin de lui dire vraiment au revoir.

— Voulez-vous un conseil ? osai-je demander timidement.

— Non ! grogna-t-il. Et puis, que savez-vous des relations entre deux personnes ?

Le jeune homme se retourna pour me faire de nouveau face. Il enfouit ses mains dans les poches et inclina la tête.

— Vous êtes une none. Vous avez donné votre confiance et tout le reste à un Dieu qui n'en a que faire de vous.

Figée, je clignai des yeux, stupéfaite devant tant d'agressivité. Bien qu'il était détestable et que j'avais envie de lui hurler que cette Charlotte avait eu raison de le quitter, je restai à ma place en choisissant la manière la plus diplomate pour poursuivre cette conversation :

— Je vais quand même vous le donner : mettez les choses à plat. Vous ne pouvez pas avancer tant que vous ne lui aurez pas dit à quel point vous vous êtes senti trahi.

Avant de ranger le dossier, je signai les deux formulaires de visites.

— Votre oncle et votre ex devront venir vous voir, ici, à Est Harlem, hors de votre domicile. Une personne tierce sera là pour vous surveiller de loin afin de vous laisser parler librement. Vos conversations resteront privées. Nous vous faisons confiance.

Desya se mordit la lèvre puis hocha la tête. Je poursuivis :

— Frederick viendra vous voir à cette adresse, demain, en fin d'après-midi.

Les yeux toujours baissés sur mon bureau, il demanda sur un ton brusque :

— Donc, vous serez là, demain ?

— Non ! Ce week-end je ne travaille pas. Manuela se chargera de la visite avec votre oncle. C'est elle aussi qui passera dans la journée vous voir au restaurant afin de faire un rapport au juge.

Olsen releva brutalement la tête. Ses prunelles me foudroyèrent :

— Hors de question, je ne la connais pas.

— Elle est très gentille. Je ne peux pas être toujours là.

— Débrouillez-vous !

Olsen secoua la tête avant de se gratter l'arête du nez avec son doigt. Il inspira profondément pour se reprendre :

— S'il vous plaît.

Son regard intense se planta dans le mien. Il avait l'air désespéré, comme si je le trahissais. L'espace d'un instant, j'hésitais.

— Desya, l'entretien est terminé. À partir de maintenant, Manuela prend le relai.

Le jeune homme se redressa, le regard rempli de noirceur. Je le trouvai plus effrayant que jamais. Il tourna les talons et partis d'un pas vif en direction de la sortie. Quand il claqua la porte derrière lui, je sentis les murs trembler.

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