Chapitre 4-2

Une fois seule avec Desya, je me levai de mon tabouret et l'emmenai à l'extérieur, devant la devanture du restaurant.

Les lèvres pincées, j'allais lui dire le fond de ma pensée, mais il fut plus rapide que moi :

— Bluebell, laissez-moi jusqu'à demain pour trouver un autre job. Si j'échoue, j'accepterai de travailler ici.

Je croisai les bras et demandai sur un ton appuyé.

— Pourquoi ?

— Pourquoi quoi ?

Ses prunelles ténébreuses ne me lâchaient pas.

— Pourquoi ne voulez-vous pas travailler dans ce restaurant ?

Son silence répondit à sa place. Une colère sourde monta en moi.

— C'est parce que Diego est Hispanique et que le restaurant aussi ? Je me trompe, Desya ?

Ma question ne l'ébranla pas, bien au contraire. Il se rapprocha de moi, se pencha et baissa sa voix :

— Il y a certaines choses qui ne peuvent pas changer. Oui, ça me dérange de travailler pour un type comme lui. Personne ne soulève le problème des Hispaniques dans ce pays. Les journaux passent leur temps à féliciter les entrepreneurs latinos qui viennent d'ouvrir leur restaurant ou monter leur entreprise. Il ne faut pas s'étonner que nous, les blancs, nous nous élevons contre ce système. Moi, j'ose dire tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas.

Ses paroles me pétrifièrent. Je fis un pas en arrière, les traits décomposés. Sonnée, j'essayai d'absorber ce que je venais d'entendre sans y parvenir. Je fronçai les sourcils :

— Desya, comment pouvez-vous espérer un jour être heureux ? Vous avez besoin d'aide. Personne ne vient au monde en appartenant à une race. Vous avez grandi avec comme référence l'anthropologie raciale alors qu'en vérité, elle n'existe pas. Enfin, classer des êtres humains sur la base de critère physique c'est insensé.

Olsen ne put retenir un petit reniflement de mépris avant de faire demi-tour puis de revenir vers moi. Il inclina la tête.

— Votre définition du bonheur est bien, mais ce n'est que des paroles. Personne ne le voit ni le touche. C'est...comme l'amour.

Je notai cette brève pause. Desya avait prononcé ces derniers mots avec une telle nostalgie que c'en était presque douloureux pour moi de les entendre. Montre-lui, me murmura une voix dans ma tête.

— Vous me demandez du temps, très bien, mais donnez-m'en aussi. Je veux votre entière attention quand nous serons ensembles et si possible, sans aucune remarque déplaisante.

Un sourire imperceptiblement insolent se dessina à la commissure de ses lèvres. Ses yeux me parcoururent avant de revenir s'accrocher à mes prunelles. C'est là que je sentis une tension électrique s'installer entre nous, une tension que jamais je n'avais ressentie jusqu'à présent. Mon regard cilla et je retins mon souffle devant sa beauté froide si attractive. Sentant que je me perdais dans les abîmes les plus noirs, je remontai ma main sur ma poitrine pour attraper la petite croix accrochée à ma chaîne. Olsen abaissa ses yeux sur mon poing fermé avant de répondre dans un demi-murmure :

— OK. J'attends en contrepartie une totale honnêteté de votre part vu que nous allons passer pas mal de temps ensemble. Je vous conseille de ne pas jouer avec ma confiance, je ne la donne qu'une seule fois.

Desya s'avança près de moi pour plonger un peu plus son regard noir, intense, dans le mien. Mon souffle se coupa. J'avais la nette sensation d'être attirée dans le pire des pièges. Cet homme dégageait une hyper sensualité dérangeante. Le pire des poisons. Cet instant sembla durer une éternité. Je réussis à détacher mes yeux des siens et à articuler presque normalement :

— Rendez-vous à l'association à quinze heures trente. Le vendredi c'est cours de yoga pour tout le monde avec une intervenante bénévole.

Je fouillai dans mon sac et sortis un petit calepin où je notai rapidement le numéro de Diego. J'arrachai le bout de papier et le tendis à Desya. Il le prit en hochant doucement la tête puis tourna les talons. En s'éloignant, il laissa flotter derrière lui, un parfum inquiétant.

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