Chapitre 4-1

Bluebell

Je pénétrai dans le restaurant encore vide à cette heure-ci de la matinée. Diego dressait les tables pendant qu'Emma et Angèle, les deux serveuses s'activaient au bar. Avec un signe de tête, Diego me demandait de l'attendre au comptoir.

— Salut, Blue. Heureuse de te voir, dit Emma en me servant un verre de jus d'orange.

Son sourire était à lui seul un véritable soleil capable de réchauffer n'importe quel cœur. Proche de la quarantaine, Emma était maintenant une femme épanouie. Je dis maintenant, car c'était une des premières femmes que j'avais aidées il y avait six ans. Elle avait poussé les portes de l'association dans un état déplorable. Personne ne pouvait croire aujourd'hui qu'à une certaine période de sa vie, cette femme si énergique, au cheveu de couleur acajou, impeccablement tiré en arrière, avait été autrefois plus que l'ombre d'elle-même.

— Je suis heureuse de te voir moi aussi. Comment va ta fille ?

Emma arrêta ce qu'elle était en train de faire pour me parler un instant de Betty. Je sentais dans sa voix toute l'admiration, la fierté qu'elle avait pour elle.

— Tu te rends compte qu'elle aura trois ans dans deux mois, c'est dingue ! Le temps passe tellement vite.

Je souris sincèrement et approuvai lentement de la tête. Mes yeux se baladèrent ensuite dans la salle de ce restaurant à l'ambiance cosy et colorée. Le Marcus Café était l'endroit parfait pour vivre une immersion totale dans l'univers Latino. De la musique à la décoration, tout était pensé dans les moindres détails.

— Angèle, va mettre le pain sur les tables, s'il te plaît.

La jeune serveuse, plus réservée, obéit à Diego avant de disparaître dans la cuisine. Puis il se tourna vers Emma qui comprit qu'elle devait nous laisser parler un instant.

— À quelle heure doit arriver mon nouvel employé ?

Je regardai la grosse horloge accrochée au mur en face de moi puis répondis :

— Dans une vingtaine de minutes. Je t'ai dit comment il s'appelait ?

Diego s'assit sur le tabouret, à côté de moi en soupirant profondément :

— Desya Olsen.

À son ton, je devinai qu'il avait déjà fait sa petite recherche sur lui.

— Je sais que je te demande beaucoup.

Il afficha un sourire réconfortant.

— Je veux juste que ça ne s'ébruite pas. Embauché un type avec un passé pareil ce n'est pas bon pour les affaires. Mais pour toi, je prends le risque. Tu verras, j'en ferai un véritable mexicain. Il parlera même plus espagnol que n'importe qui ici, à East Harlem.

Ses paroles m'arrachèrent un petit rire bref. Le nœud dans mon estomac se dénoua.

— Merci, Diego.

À cet instant, la porte du restaurant s'ouvrit. Desya était en avance.

Des cernes violacés marquaient le visage du jeune homme. Je remarquai cependant que sa tenue était impeccable. Son tee-shirt et son pantalon noir étaient repassés et son parfum enivrant flottait dans l'air.

Debout, entre nous, les mains dans les poches, Desya salua d'un rapide signe de tête Diego avant de tourner sa tête vers moi et de m'interroger de son regard dur et pénétrant.

— Je vous présente Diego Sanchez, le patron de ce restaurant. Si je vous ai demandé de venir ici, c'est qu'il accepte de vous embaucher durant votre liberté conditionnelle.

Comme je m'y attendais, cette nouvelle ne lui fit pas plaisir. Son nez se retroussa tandis que sa mâchoire se resserra d'un cran. Il tourna son visage en direction du patron.

— Merci, mais je préfère trouver un travail ailleurs.

Je me retenais d'exploser.

— ça va être compliqué, Desya. Votre bracelet électronique diminue pas mal le chant de votre recherche d'emploi. Je connais très bien, Diego. Il fait partie de la famille et c'est un patron à l'écoute de ses employés.

— Je n'ai pas fait de longues études pour devenir serveur dans un restaurant de pitas et de burritos.

Son ton ne me plut pas beaucoup. Excédée par son comportement exécrable, je durcis ma voix et l'avertis :

— Je vous déconseille de partir sur ce terrain.

— Alors sur lequel voulez-vous que nous jouions ?

Il y avait dans sa voix et dans ses yeux un certain sarcasme.

— Je vous rappelle que ce n'est pas moi qui porte un bracelet électronique à la cheville. Trouver un travail est la première étape que demande le juge. D'ailleurs, il attend mon coup de fil.

Un semblant de sourire lui souleva le coin des lèvres. Nous nous regardâmes de longues secondes durant lesquelles j'examinai la perfection de son visage puis détournai mes yeux, irritée. En plus des soucis que me causait Olsen, je devais gérer la fatigue, le stress et mes autres missions, car oui, à cause de lui, je prenais du temps que j'aurais pu consacrer à mes autres protégés. À cet instant, j'avais envie de tout arrêter, de laisser tomber cette mission.

Sentant la situation m'échapper, Diego décida d'intervenir :

— Que voulez-vous, Desya ? Saboter votre avenir ? Blue vous offre cet emploi sur un plateau. Simplifiez-lui les choses. À part elle, qui s'est déjà battu comme ça pour vous ?

Je sentis les yeux du jeune homme se détacher de moi pour se tourner vers Diego.

— J'aimerais m'entretenir seul avec mademoiselle Rojas.

Une menace contenue vibrait dans sa voix. Diego me jeta un rapide coup d'œil. Je hochai la tête.

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