Chapitre 25-3

Il était dix-huit heures passées. J'attendais Desya en bas de son immeuble depuis presque trois quarts d'heure sous une pluie battante. De temps en temps, la porte s'ouvrait pour laisser entrer ou sortir les habitants, mais je restai dehors, le dos contre le mur, perdu dans mon désespoir. L'eau dégoulinait sur mes cheveux, mon visage. Transie de froid, les vêtements trempés, je ne sentais plus mon corps ni la douleur qui me broyait les entrailles.

— Blue ?

La voix étonnée de Desya me ranima. J'ignorai l'heure qu'il était et depuis combien de temps je l'attendais. Je relevai mon visage vers lui. Ses yeux s'agrandirent de stupeur quand il vit l'état dans lequel je me trouvais.

— Bon sang, tu vas tomber malade ! Qu'est-ce qui te prend ? Cela ne va pas de rester dehors avec un temps pareil !

Maintenant inquiet, il enleva rapidement sa veste qu'il avait ramenée au-dessus de sa tête, pour se protéger de la pluie, puis la plaça autour de mes épaules. À son contact, je le repoussai d'un geste rageur, le regard empli de haine. Desya eut un mouvement de recul avant de se figer avec effroi. Je le toisai d'un air dégoûté.

— Putain, Blue ! Dis-moi ce qui se passe. Viens, entrons à l'intérieur.

Je haussai le ton pour me faire entendre au-dessus du bruit de la pluie :

— J'ai vu Charlotte. Elle est passée me voir au travail. Je sais tout !

Mes paroles eurent l'effet d'une gifle. Son visage se décomposa, son corps se tendit.

— Tu sais qu'à ce moment, je n'étais pas sûr de ce que je voulais. Je n'étais pas sûr de...

— Donc cela doit tout justifier ?

Les muscles de sa mâchoire se crispèrent.

— Je n'ai pas couché avec elle ! s'emporta-t-il. Je n'ai pas pu. Mais ça, bien sûr, elle ne te l'a pas dit ! J'ai failli, seulement, c'est toi que je voulais ce soir-là. Je l'ai repoussée et lui ai demandé de partir. Je n'ai pas couché avec elle.

Son regard devenait de plus en plus noir. Écœurée par ses paroles, je n'eus pas de mal à le soutenir. La rage et le mépris se mélangeaient en moi.

— Parce que tu as une conscience, c'est ça ? La même conscience qui t'a poussé à me séduire pour que je sois de ton côté lorsque le juge prendrait sa décision. Cette même conscience qui me ment depuis des mois ? Oui, Charlotte était heureuse de venir me rapporter le plan tordu que tu as monté avec ton oncle.

Une profonde détresse s'installa au fond de ses prunelles. Raide, la respiration hachée, il tenta de s'expliquer :

— J'ai fait des choses dont je ne suis pas fier, avoua-t-il d'une voix coupable. Oui, c'était le plan de départ. Mais putain, Blue, tu sais qu'après, tout a changé ! Je pensais ne pas avoir le choix.

Mes mains tremblaient violemment. Ma fureur enflait à mesure que je l'écoutais. D'un pas ferme et résolu, il franchit la distance qui nous séparait et m'agrippa le bras. Je me dégageai comme si son contact me brûlait.

— Tu as joué avec moi, avec mes sentiments. Et pour ce qui est de Charlotte, tu savais très bien ce que tu faisais. Arrête de tout mettre sur ton humeur du moment. Quoiqu'il ait pu se passer ce soir-là, avec elle, tu n'as aucune excuse.

— Je suis revenu pour toi ! gronda Desya entre ses dents. Je t'en supplie, rappelle-toi nos retrouvailles. Rappelle-toi comment j'étais heureux d'être à nouveau près de toi.

L'eau ruisselait sur son visage, le rendant encore plus impuissant, plus vulnérable qu'il ne l'était déjà. Je répondis presque en hurlant :

— Quand bien même ! Je ne voulais pas que ce premier baiser, que ma première fois soit basée sur un mensonge. Tu n'avais pas à te servir de moi, à m'utiliser. Je suis un être humain, pas une chose. Il n'y a aucun mensonge que je préfère à la vérité. Aucun !

Perdue dans cet océan de souffrance, j'arrêtai de parler. Il y avait quelque chose qu'il voulait me dire, mais il n'y arrivait pas. À la place, il répondit :

— Je tiens à toi, Blue.

Je tiens à toi. Après tous ces mois ensemble, tout ce que nous avions vécu, je n'avais droit qu'à ces pauvres mots. Son regard me suppliait de le croire. Il voulut s'approcher de moi, mais avec un geste de la main, je lui interdis de faire un pas dans ma direction. Mes larmes se mélangeaient à la pluie.

— Tu seras toujours un maudit corbeau, rugis-je, animé par la haine. Brûle, brûle, brûle !

— Blue, ne fais pas ça, me suppliait maintenant Desya.

Je secouai la tête.

— Ce n'est pas un au revoir, c'est un adieu. Repars dans ton monde et restes-y !

Mes mots lui firent l'effet d'un coup de massue. Il ferma les yeux pour contenir son émotion et inspira profondément.

— Jusqu'à maintenant, je pensais avoir commis une grave erreur de stratégie en tombant amoureux de toi. En réalité, tu es la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie. C'était vrai. Tout était vrai. Ne l'oublie jamais. C'est toi, mon empire.

Il venait enfin de me dire ce que je voulais entendre depuis des semaines, mais comment le croire à présent ? Je rassemblai le peu de dignité qu'il me restait et m'en allait sans me retourner. Le jeu était terminé. Nous avions tous les deux perdu. Je compris à cet instant que même le bonheur avait un prix à payer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top