Chapitre 2-1
BLUEBELL
Je retrouvai June et Shelby dans une cour à l'arrière d'un café sur Park Avenue pour notre rendez-vous quotidien du jeudi. C'était la fin de l'après-midi et j'avais vraiment besoin d'une pause. Je me sentais épuisée. Comme une automate, à moitié sonnée, je m'assis autour de la table sous le regard impatient des deux jeunes femmes. Malgré les chaises et les tables branlantes de ce petit restaurant, le Marcus Café était un endroit très fréquenté d'Harlem. Les murs à l'intérieur comme à l'extérieur étaient décorés par des graffitis hauts en couleur nous rappelant l'importance de la musique latine dans ce quartier à la culture hispanique.
June fronça les sourcils :
— C'est quoi cette mine, Blue ?
Shelby, inquiète, posa son téléphone à côté de son cocktail de fruit. Comme son frère, il était facile de lire dans ses yeux verts. Elle passa une main dans ses longs cheveux bouclés avant de m'encourager avec un petit signe de tête. Je décidai de répondre à June par une autre question pour éviter de parler de ma matinée surréaliste.
— Comment ça va à la boutique ?
Toutes les deux travaillaient dans la même enseigne de luxe de prêt-à-porter dans l'Upper East Side.
— Non, non, toi d'abord, insista ma cousine. Qui a pu te mettre dans cet état ? Enfin, regarde-toi, tu es toute crispée.
June et Shelby me connaissaient par cœur, impossible de faire semblant avec elles. Je croisai les bras sur la table et retraçai les grandes lignes de ma journée avec Paolo et son nouvel ami. Au fil des minutes le regard des deux jeunes femmes s'agrandissait.
— Pourquoi mon frère t'a mis ce type dans les pattes ? s'exclama Shelby, les yeux exorbités. C'est insensé ! Les suprémacistes blancs ce n'est pas de ton ressort.
Je repoussai une mèche derrière mon oreille. Angèle, une employée du Marcus, m'apporta mon café à ce moment-là. Je pris une petite gorgée avant de répondre avec une légère grimace :
— La décision vient d'en haut. Olsen est en libération conditionnelle et doit suivre un programme pilote de réinsertion, loin de son milieu naturel. Les spécialistes pensent qu'une personne à l'idéologie extrémiste, raciste peut changer et se réinsérer dans la société s'il subit un lavage de cerveau en bonne et due forme. Si nous obtenons des résultats alors ce programme sera étendu à plus grande échelle dans le pays.
June agita son index.
— C'est hors de question que des néonazis s'installent par ici. Les autorités veulent déclencher une guerre civile ou quoi ? Regarde autour de nous, il n'y a que des Latino-Américains dans ce quartier.
— Et les parents de ce Olsen ? Eux aussi, ils sont impliqués dans ce programme ? demanda Shelby.
Mon estomac se retourna en entendant son nom.
— Ses parents sont morts dans un accident de la route quand il avait quatorze ans. C'est son oncle, un certain Frederick Olsen, richissime homme d'affaires qui s'est occupé de lui après l'accident.
June ouvrit la bouche, mais je répondis à sa question avant qu'elle ne me la pose.
— Oui, d'après les dires de Paolo, lui aussi est un extrémiste. Il fait partie du groupuscule des "Crows". Un mouvement néonazi invisible, mais très bien organisé jusqu'au plus haut sommet de l'État.
— Juste un sal facho, comme son neveu ! marmonna June.
Je pris une grande inspiration :
— Écoutez, j'ai pris la décision de m'investir dans cette mission. Peut-être que j'arriverai à...je ne sais pas. À emplir son cœur d'amour.
Les deux jeunes femmes essayèrent d'adopter une expression compatissante, sans succès. Shelby m'avertit la première :
— Ces gens-là ne changent jamais, Blue. Ils sont manipulés dans cette idéologie dès leur plus jeune âge.
— D'ailleurs, j'en suis sûr que ce mec te déteste par-dessus tout, renchérit June.
Consciente qu'elles avaient raison, je posai mes coudes sur la table et pris ma tête entre mes deux mains, désemparée.
— Bon, et maintenant, allons voir à quoi ressemble ce petit connard.
— June ! m'exclamai-je. Ne jure pas devant moi.
— Oups, ça m'a échappé.
Ma cousine faussement désolée souleva ses épaules et commença à tapoter sur son téléphone avec Shelby au-dessus de son épaule. Je repris une gorgée de mon café puis offris mon visage au soleil. Les yeux clos le vide s'installait dans mon esprit. Malheureusement, cette soudaine tranquillité ne dura pas longtemps. Les cris des filles me ramenèrent aussitôt à la réalité.
— Merde, et le pire c'est que ce type est beau comme un Dieu ! s'exclama June.
Je rouvris les paupières, les cils battants. Shelby arracha le téléphone des mains de ma cousine et me le tendit. Je secouai la tête. Je n'avais aucune envie de voir une photo d'Olsen. Mon amie, l'air sérieux, commença la lecture de l'article.
— Il n'est pas mentionné s'il est célibataire, fit remarquer ma cousine.
Un sourire vicieux s'afficha sur son visage. À la différence de ma sœur et moi, son visage était un peu plus rond ce qui lui allait bien. Je soulevai un sourcil et déclarai en prenant soin de détacher chaque mot :
— June, les hommes comme Desya Olsen ne s'intéressent pas aux femmes hispaniques, au teint hâlé. J'ai eu accès à son dossier, ce n'est pas un enfant de chœur.
Un frisson de dégoût accompagna mes paroles. June se pinça les lèvres en relevant les yeux de son téléphone.
— Mais Blue, es-tu sûr que ça va aller ? s'inquiéta Shelby.
Non, pensai-je en mon for intérieur. Je redressai mes épaules en tâchant d'adopter un sourire convaincant :
— Je vais gérer tout ça et essayer de ne pas faire de différence entre Desya et les autres habitants de ce quartier. Après tout, nous devons pardonner. C'est dans la bible.
June leva les yeux au ciel. Avant qu'elle n'ait le temps de me lancer une pique, j'avalai une dernière gorgée de mon café et indiquai que je devais filer retrouver Paolo dans le bureau du juge.
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