Chapitre 11-1

Bluebell

Tout le monde ou presque était assis sur des chaises, en cercle. Le temps de parole allait commencer. Je regardai la chaise vide en face de moi, Desya était en retard. Cynthia leva la main pour demander la parole, je la lui donnais :

— Blue, j'ai réussi à avoir un rendez-vous avec les services de l'immigration. Ils vont étudier une nouvelle fois ma demande grâce aux papiers que tu as rajoutés dans le dossier.

Cette nouvelle me remplit de joie. Les autres membres du groupe applaudirent en signe de soutien. Ici, la victoire d'une personne était la victoire de nous tous. Bernardo la félicita de faire les démarches dans les règles contrairement à lui, qui vivait depuis plus de vingt ans illégalement sur le sol américain.

— Ce n'est pas une vie de se cacher tous les jours, finit par ajouter Bernardo qui savait de quoi il parlait.

La fatigue se lisait sur son visage. Ce jeu du chat et de la souris, il n'en pouvait plus. Cet homme était venu ici à la recherche du rêve américain sans imaginer un jour que le rêve se transformerait en cauchemar.

Soudain ça frappa à la porte. Desya apparut dans la pièce. Il salua tout le monde avec un bref bonjour puis parti s'asseoir en face de moi.

— Je vous présente Desya Olsen. Cela fait un peu plus d'une semaine qu'il est à East Harlem et il intègre le groupe pour quelques mois.

Les sept paires d'yeux l'observaient avec méfiance. C'était la première fois qu'une personne non originaire d'Amérique latine s'immisçait parmi nous. Tous voulaient savoir, mais seul Desya pouvait répondre à leur question. Personne ne pouvait le forcer à se dévoiler ni parler à sa place.

— Bienvenue, Desya, dirent les membres du groupe, en chœur.

Le jeune homme tentait de faire bonne figure et répondit avec un faux sourire. Une énergie inquiétante, indéfinissable émanait de lui. Aucun des membres n'avait intégré ce groupe de parole de leur propre volonté. C'était en général une décision de justice ou un passage obligatoire pour être aidé par une organisation dans leur démarche administrative et sociale.

Contrairement aux autres, la mauvaise volonté de Desya était visible et il n'essayait pas de cacher son humeur massacrante. Sentant l'atmosphère changer, je décidais de vite commencer ce temps d'accueil.

— Je suis heureuse de tous vous retrouver. J'aimerais que nous parlions de la vie à East Harlem. Est-il difficile pour vous de vivre avec un salaire nettement plus bas que le salaire moyen en raison de votre statut mal reconnu dans ce pays ?

Bernardo fut le premier à répondre :

— Pour moi, c'est une double peine. Déjà, on ne gagne pas le salaire moyen d'un Américain, mais en plus nous devons dépenser deux fois plus pour vivre correctement. Être pauvre coûte cher.

J'interrogeai le reste du groupe du regard. Pépé approuva les dires de Bernardo :

— Nous n'avons pas beaucoup d'aide. Par exemple pour faire les courses, je dois tout acheter à l'unité. Je ne peux pas me permettre d'acheter un pack d'eau ni un pack d'éponges pour nettoyer la vaisselle. À la fin du mois, j'aurais dépensé plus que le citoyen ayant un salaire plus élevé que moi.

Le débat se poursuivit entre les membres du groupe. Ils avaient besoin de libérer leur parole, de crier à l'injustice, d'échanger sur leurs problèmes quotidiens. Tous travaillaient sept jours sur sept pour joindre les deux bouts.

— Parce que nous sommes des latinos américains, nous devrons toujours nous battre deux fois plus que les autres, travailler deux fois plus. Pourquoi d'une rue à l'autre le monde semble-t-il différent ? Pourquoi les gens ont-ils peur de se mélanger à nous ?

Bernardo n'était pas d'accord avec Cynthia.

— Et toi ? Ne me dis pas que tu veux te mélanger à eux. Nous ne pouvons pas reprocher à tout le monde ces conditions dans lesquelles nous vivons. Il est important aussi de nous intégrer. Si j'avais ton âge, je partirais d'East Harlem, je vivrais comme une Américaine. C'est moi, qui me suis mis mes propres chaînes aux pieds en restant ici. Je regrette, oui si vous saviez à quel point je regrette.

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