A/N : Pareil que le précédent, ce OS en deux parties était déjà publié sur mon autre recueil, et faisait suite à la suggestion de Cochlo3000. Bonne lecture~

Il ne savait pas vraiment ce qui l'avait poussé à rentrer dans ce bar en particulier, de tous ceux à sa disposition. Peut-être à cause de l'ambiance calme et distinguée qui s'échappait de l'enseigne, aux volutes élégantes couleur charbon et or, et de la façade aux vitres légèrement fumées, qui sait.

Un carillon avait retentit lorsqu'il avait poussé la double porte vitrée, et une senteur torréfiée lui était parvenue presque aussitôt, loin d'être étouffante pour autant, avec quelques effluves d'alcool ici et là. Le bar était décoré dans des tons sombres et sobres, en partant du parquet en chêne noir, en passant par les chaises et tables en fer de la même couleur, et en finissant par le bar en bois, d'une couleur un peu plus claire que le sol.

Des lumières éparpillaient leurs lueurs chaudes et tamisées sur l'ensemble de la salle, et des plantes éparses apportaient une touche de fraîcheur discrète et bienvenue. Quelques clients se trouvaient installés ici et là, dans un calme serein comme il n'en avait que rarement connu dans les autres bars qu'il avait visités.

L'arôme du café et de l'alcool emplissaient ses narines, et il se sentit immédiatement transporté dans un tout autre monde, loin du chaos qu'était sa vie au quotidien. Ici, il sentait que le sang sur ses mains et les atrocités dans ses yeux n'étaient plus qu'un lointain souvenir.

Lentement, presque comme s'il avait peur que la magie du lieu ne s'estompe s'il faisait le pas de trop, il s'avança en direction du comptoir, regardant sur les ardoises couvertes d'écritures à la craie ce que l'établissement proposait.

Alors que la perspective d'un verre de vin était tout ce qui l'avait amené à entrer dans ce bar, il décida à la dernière seconde de changer d'avis. Alors qu'un homme à la chevelure grisonnante et à la moustache vertueuse venait l'accueillir et lui demander ce qu'il désirait, il opta finalement pour un café.

Le serveur lui indiqua alors qu'il pouvait s'asseoir à l'une des tables libres, et que sa commande lui serait directement apportée. Le jeune homme jeta son dévolu sur une place à l'écart des autres, dans un coin tranquille le long de la vitrine teintée de noir donnant sur la rue.

Là, il se débarrassa de sa veste et de son chapeau sur la chaise qui lui faisait face, s'asseyant sur l'autre en poussant un soupir de soulagement. En regardant sa montre, il remarqua qu'il était à présent un peu plus d'une heure et demie du matin. Il avait l'habitude de travailler de nuit, avec son boulot au sein de la Mafia, mais il était beaucoup plus épuisé qu'il ne l'était d'ordinaire. Et pourtant, il avait même terminé beaucoup plus tôt que d'habitude aujourd'hui.

Heureusement, à peine cette pensée émise dans son esprit qu'il eut l'agréable surprise de voir, du coin de l'œil, quelqu'un arriver dans sa direction avec un plateau dans les mains. Cependant, à la place du serveur de tout à l'heure, qu'il s'était attendu à voir, une toute autre personne lui faisait actuellement face.

Une fille, qui ne devait pas avoir plus de son âge, avec un magnifique sourire. Si beau qu'il sentit ses joues devenir légèrement rouges, tellement il ne s'attendait pas à une telle expression de la part de l'inconnue, ni même à de telles pensées venant de lui-même. Il devait très certainement être beaucoup plus fatigué qu'il ne le pensait au début...

La serveuse était habillée d'un noir élégant, avec une veste, une cravate et une jupe, qui arrivait un peu plus au-dessus de ses genoux vêtus d'un collant, accompagnés d'une chemise blanche et de chaussures sombres. Ses cheveux étaient attachés, de sorte à ce que rien n'obstrue sa vision lorsqu'elle servait ses clients.

-Et voici votre café! dit-elle alors avec un doux sourire, qui irradiait de joie. Merci d'avoir patienté!

-M... Merci...

Il n'eut pas la possibilité d'ajouter quoi que ce soit d'autre, trop occupé à essayer de maîtriser le rougissement de ses joues pour ce faire. Fort heureusement, les lumières orangées des plafonniers n'étaient pas assez puissantes pour trahir sa soudaine faiblesse.

-Oh! C'est à vous?

Le jeune homme reporta son attention sur la serveuse, qui pointait du doigt la chaise en face de lui, où ses affaires étaient posées. Sans comprendre, il hocha la tête de haut en bas, un sourcil levé.

-Il est magnifique! s'extasia alors la fille. Je suis certaine qu'il doit vous aller comme un gant, vous avez un excellent goût vestimentaire si je puis me permettre!

Il mit quelques secondes de plus à se rendre compte qu'elle parlait de son chapeau. Était-elle sérieuse, ou bien se moquait-elle de lui comme le faisait si bien un certain collègue insupportable, aux tendances suicidaires tout aussi ennuyantes?

A voir les étoiles qui brillaient dans les yeux de la serveuse, alors qu'elle serrait le plateau contre elle en se penchant pour avoir la chance de mieux apercevoir son chapeau, il pouvait affirmer sans sourciller que la contemplation de la femme était authentique.

Et cette réalisation le fit rougir de plus belle, tant et si bien qu'il était persuadé que son visage devait être de la même couleur que ses cheveux à l'heure actuelle. Il la remercia encore une fois, se maudissant pour ne pas trouver quoi dire à cette fille sans risquer de paraître soit aigri soit ridicule.

-Je m'appelle Kumiko, au fait. Je suis la gérante de ce bar.

Les yeux du jeune homme s'agrandirent alors à l'entente de cette phrase, fixant à présent la dite Kumiko sans bouger. Gérante de cet endroit? Aussi jeune? N'était-ce donc pas l'homme de tout à l'heure qui remplissait ce rôle?

La jeune femme rigola légèrement.

-Je sais, c'est difficile à croire n'est-ce pas? Tout le monde a la même réaction que vous si cela peut vous rassurer en quoi que ce soit.

-... en effet, je ne m'attendais pas à ce que ce soit vous... Votre collègue là-bas est donc votre employé en réalité, si je comprends bien?

-Exact! confirma-t-elle avec un sourire. Il s'appelle Kobayashi.

Elle s'apprêtait à ajouter quelque chose d'autre lorsqu'un client l'interpella, qui avait manifestement besoin de ses services. Elle se retourna donc vers le jeune homme aux cheveux roux avec un sourire d'excuse.

-Ah, désolée... Le devoir m'appelle on dirait! Prenez votre temps pour boire votre café, si vous avez besoin de quoi que ce soit n'hésitez pas à demander... Monsieur...?

-Nakahara. Nakahara Chuuya.

Le sourire de la serveuse ne bougea pas d'un millimètre alors qu'elle se tournait et alla continuer son travail, non s'en s'être légèrement inclinée en guise de salut. Il la regarda pendant quelques secondes de plus, alors qu'elle riait à ce que lui disaient deux autres clients aux yeux légèrement embrumés, sans nul doute à cause de l'alcool.

Elle avait vraiment un magnifique sourire, pensa-t-il en prenant une gorgée de son café afin de se distraire de ces pensées. Il remarqua, ce faisait, qu'un minuscule emballage se trouvait à côté de sa tasse, qu'il ouvrit avec curiosité.

Un morceau de chocolat noir était dedans, qu'il mangea volontiers en le laissant fondre sous sa langue. Profitant de la légère amertume qui s'en dégageait.

-------------------------------------

Il ne s'attendait très certainement pas à revenir dans cet endroit un jour ou l'autre. Et encore moins quelques jours plus tard à peine.

Ce n'était pas tant à cause du café qu'il avait bu qu'il avait réitéré sa visite, mais plutôt à cause de l'atmosphère calme et apaisante qui régnait dans cet établissement. Et ce n'était absolument pas à cause d'autres facteurs, pensa-t-il en s'asseyant à la même table que la dernière fois, tout en regardant une certaine serveuse se presser à servir les autres rares clients, un plateau à la main et un sourire sur ses lèvres.

Cette fois-ci, c'était un verre rempli d'un liquide rouge foncé qui lui fut présenté, alors que la serveuse lui souhaitait la bienvenue. Il eut la surprise de constater que celle-ci se souvenait de lui depuis la dernière fois qu'il était venu.

-J'ai une très bonne mémoire, dit-elle avec un sourire. Et j'ai tout de suite reconnu votre chapeau.

Encore une fois, quelques paroles de cette jeune femme suffirent à illuminer ses joues de rouge. Il n'opposa aucune sorte de résistance lorsque celle-ci lui demanda l'autorisation de s'asseoir à sa table, ce qu'elle fit alors avec joie, déposant son plateau sur la surface métallique et laissant un soupir lui échapper.

-Vous êtes fatiguée? demanda alors Chuuya sans savoir pourquoi.

-Ahah, un peu oui, répondit-elle avec un sourire coupable en se cachant la bouche de sa main, manquant de laisser un bâillement lui échapper. Je suis pourtant habituée à travailler de nuit... Et pourtant je n'arrête pas de bailler depuis plusieurs heures. Peut-être parce qu'il n'y a pas beaucoup d'agitation cette nuit, qui sait.

En effet, rares étaient les clients ce soir-là. Mais ce n'était pas pour lui déplaire. Non seulement grâce au calme que cela causait, mais également grâce à la disponibilité de son interlocutrice qu'elle impliquait...

Ce qui le fit fermer les yeux de gêne. Bon sang, il n'allait pas se mettre à faire comme Dazai, à baver après la première fille venue!

-Vous aussi vous travaillez tard le soir, si j'ai bien compris? Ce n'est pas trop dur?

Il reporta son attention sur la serveuse, qui avait déposé ses coudes sur la table en fer noir avant de venir mettre son menton dans ses mains, le regardant d'un air curieux et innocent, attendant la réponse à sa question.

Question qui eut le mérite de le faire revenir à la réalité. Son travail? Bien sûr qu'il était difficile. Mais il ne pouvait pas révéler de quoi il en retournait exactement à cette inconnue, de peur qu'il ne dise trop d'information dessus. Moins elle en savait, mieux c'était.

-C'est... compliqué, en effet... répondit-il en restant volontairement évasif.

-Vous aimez votre métier?

Il sentit ses yeux s'écarquiller légèrement. Jamais il ne s'était posé une telle question auparavant, tellement il était désormais normal pour lui de vivre dans ce monde obscur et sinistre qu'était celui de la Mafia. S'il aimait tuer, torturer et exécuter? Pas vraiment, s'il devait être honnête.

-Plus ou moins.

Kumiko le regarda pendant quelques longues secondes, l'étudiant en silence comme pour obtenir les réponses à ses questions rien qu'en l'observant. Son sourire revint l'instant suivant, comme si de rien n'était.

-Je vois. Si vous aviez la possibilité de changer de voie, le feriez-vous?

-Non, fut la réponse qu'il apporta sans hésiter. Je ne pourrais pas quitter ce que je fais actuellement, même si je le voulais.

Il jouait avec le feu, il en était conscient. Mais il était toujours aussi évasif dans ses réponses, alors personne ne se doutera de rien, n'est-ce pas?

-Et si vous aviez le pouvoir de couper tout contact avec votre travail, sans aucune conséquence ni quoi que ce soit d'autre? Comme si vous ne l'aviez jamais exercé, en somme?

Il resta immobile, ne sachant absolument pas quoi répondre à cette énième question. Quel genre d'interrogation étrange était-ce, au juste? Lui, couper tout contact avec la Mafia sans craindre qu'on ne vienne lui faire payer pour avoir déserté?

Il fut coupé dans ses pensées par le rire de Kumiko. Il ignorait combien de temps il avait passé à ne rien dire et à rester assis là, perdu dans ses pensées.

-Ne vous en faites pas, je pose souvent des questions sans queue ni tête. Vous n'aviez pas l'air vraiment heureux en parlant de votre travail, alors j'ai pensé que vous ne l'aimiez pas... N'en tenez pas rigueur, je ne voulais pas vous offenser!

La tension qui s'était abattue sur lui sans qu'il ne sache ni pourquoi ni quand s'évapora en un clin d'œil. L'espace d'un instant, il avait eut la désagréable impression que la jeune femme savait lire dans les pensées. Le sourire qu'elle lui envoya suffit à le rassurer, et il se surprit lui-même à lui renvoyer son sourire, bien qu'il doive en réalité ressembler davantage à une grimace qu'à tout autre chose.

Cette fois, ce fut l'employé de Kumiko qui appela cette dernière, mettant un terme à leur conversation précédente. Avec des excuses, la jeune femme se leva de sa chaise, répétant les mêmes choses à Chuuya concernant ses services.

Il regarda un instant de plus la serveuse s'éloigner, avant de se tourner vers son verre rempli d'un vin à la robe sombre et aux arômes aiguicheurs, un léger sourire aux lèvres. Il regretta cependant son choix de boisson cette fois-ci, préférant mille fois plus la saveur du café de la dernière fois à celle de l'alcool... Sans oublier le chocolat qui allait de pair, bien entendu.

Kumiko, de son côté, atteignit finalement le comptoir d'où venait de l'appeler son collègue. Elle passa derrière le bar, déposant son plateau dessus sans un bruit. Maintenant dos à la salle où se trouvaient ses clients, son sourire tomba subitement, remplacé par une expression neutre en quelques instants seulement.

-Alors? demanda son collègue à voix basse, faisant mine d'astiquer un verre déjà impeccable.

-C'est bien lui, répondit-elle sur le même ton, toute trace de légèreté balayée comme une feuille morte prise dans un souffle de vent. Ça s'annonce plutôt bien, j'ai l'intention de le faire parler un peu plus. On verra comment ça évolue.

Puis, comme si de rien n'était, son sourire revint alors qu'un nouveau client entrait dans le bar, annoncé par le son du carillon.

-Bonsoir, bienvenue! En quoi puis-je vous aider?

A suivre...