Chapitre 49 : la ville froide
Lorsque plus aucune valise ne se présente, on se décide enfin à sortir. Là, on traverse un long couloir et, juste avant d'ouvrir une porte double qui, on le sait, fera apparaître la chute de notre bonheur, on se blottit dans les bras de l'autre étroitement. On se fiche qu'on nous regarde avec dégoût, on se fiche de gêner le passage, on se fiche de tout. On garde juste une dernière fois la joie de notre liberté en s'accrochant l'un à l'autre.
Bientôt, ce moment doit s'arrêter. On le sait. On reste pourtant encore quelques secondes de plus, avant de se lâcher et d'apparaître face à nos familles.
Haeli avance vers la sienne tandis que je suis déjà devant Tao. Je le regarde droit dans les yeux, un air de défis dans le regard ; il répond à l'éclat dans mes pupilles et on se dévisage sans un mot.
– C'était bien Miami ?
– Génial.
Il laisse échapper un soupire rieur, agacé. Je comptais bien le fixer encore un peu, lorsque j'entends un son claquant provenant de l'endroit où est ma poupée. Je tourne vivement la tête vers lui et remarque son visage détourné pendant que la main de son père termine son mouvement. Mon sang ne fait qu'un tour. Comment ose-t-il frapper Haeli ?! Je veux intervenir mais Tao me retient par le poignet.
– Lâche moi !
– N'aggrave pas ta situation, Shun.
– Oui mais... !
Je serre ma mâchoire, étant forcé d'admettre que je suis bel et bien impuissant face à ce genre de chose.
Mon regard croise accidentellement celui de Monsieur Song et ce dernier avance rapidement vers moi tandis que sa femme tente de le retenir. Je vois son poing se lever vers mon visage. Je peux l'éviter ; j'ai connu des droites bien plus rapides donc la contrer ne serait pas un problème. Néanmoins, je reste immobile et j'attends.
Ses phalanges viennent s'écraser sur ma joue et j'admets que je ne m'attendais pas à une telle poigne. Cependant celles de Tao sont bien plus fermes et destructices. J'aurais la lèvre fendu à la limite.
– Comment as-tu osé entraîner mon fils dans une chose pareille ?! Je t'ai accueilli chez moi, sous mon toit, à ma table ! Je t'ai ouvert ma porte et tu m'as promis droit dans les yeux que tu veillerais sur Haeli ! C'était de l'hypocrisie tout ça ?! Et si je n'avais pas assez d'argent pour ramener mon fils, comment est-ce que je l'aurais fait rentrer ?! Sale égoïste, tu embarques Haeli dans ta vie de délinquant, tu le forces à te suivre jusqu'à l'autre bout des États-Unis ! Et je n'ose même pas imaginer toutes les autres choses que tu as du lui faire ! Sais-tu au moins à quel point je me suis inquiété ?! Sais-tu ce qu'un père a pu ressentir durant des jours à cause de la disparition de son fils ?! Hein ?! As-tu la moindre idée de ce que ça fait de penser perdre quelqu'un ?! Je te parles ! Réponds moi ! Qu'est-ce que tu as à dire pour ta défense, Shun ?!!
Je maintenais un visage le plus neutre possible, tentant de ne pas vriller, tentant de ne pas regarder Haeli se faire entraîner de force par sa mère, tentant de fuir son regard rempli de larmes, tentant de ne pas pleurer également. J'entrouve mes lèvres, cherchant quoi rétorquer. N'importe quoi est le bien venu. Je voudrais que mon cerveau soit assez développé pour savoir exactement quoi dire pour atténuer la situation, pour réparer les choses ; néanmoins je ne suis qu'un cancre faible d'esprit qui ne sait qu'aimer abondamment un génie des sentiments.
– Je suis désolé.
Ma réponse est insatisfaisante. Je le sais, je le sens. Monsieur Song m'observe encore un temps, peut-être cherchant lui aussi quoi dire, avant de fermer son visage et de tourner les talons. Il ne part pas tout de suite, restant dos à moi, le temps d'articuler :
– Ne t'approche plus jamais de Haeli.
Il s'en va. Tao et moi faisons de même.
Nous marchons silencieusement vers sa voiture. À chaque pas, je ne peux m'empêcher de me dire :"j'ai froid". Cette pensée si innocente en apparence, me déchire le cœur à un point où je sais qu'à la moindre tentative d'utiliser ma voix pour je ne sais quoi, j'éclaterai en sanglot. Ce bonheur que j'ai ressenti à Miami était tellement ardent et pur que la sensation de l'air gelé me tue ; elle me rappelle que je ne goûterai probablement pas à la joie sincère avant longtemps.
J'ouvre la portière et m'engouffre dans la voiture. Tao fait de même. Je laisse tomber ma tête sur l'appui et maintiens un visage neutre, les yeux rivés dans le vide. J'essaye de ne penser à rien. Mon frère, lui, ne démarre étrangement pas. J'entends le bruit sourd de mains qui serrent un volant en cuir, avant qu'il ne m'attrape par la nuque pour me tirer furtivement vers son épaule.
Mon front vient heurter sa chaire et, à son contact, je ne peux le retenir de déverser toutes les larmes de mon corps.
Ses doigts se glissent dans mes cheveux et j'entoure son buste de mes bras afin de le sentir un peu plus proche. Je m'accroche à lui tel le gamin que j'étais lorsqu'il m'a abandonné pendant toutes ces années. J'enfouie mon visage dans son cou en continuant de pleurer bruyamment.
– Ne refais plus jamais ça, Shun.
Je n'imagine même pas à quel point il a dû s'inquiéter pendant tout ce temps. Je m'en veux de l'avoir fait tant souffrir, je m'en veux pour ne pas avoir été assez fort pour endurer notre dispute, je m'en veux d'être immature au point de prendre la fuite à la moindre complication.
– Pardon... marmonné-je entre deux sanglots.
– Non. Je n'aurais pas dû te dire des choses aussi affreuses. J'ai dépassé les bornes et mes mots sont allés bien au delà de ma pensée. Ton père était quelqu'un de bien, n'en doute jamais, d'accord ? Je ne peux pas t'en vouloir d'avoir des idées aussi sombres après tout ce que tu as vécu et je n'aurais jamais dû lever la main sur toi. Jamais.
– Gēge je... merci de t'occuper de moi... je sais que je suis vraiment un enfant difficile et en plus j'ai des mauvaises notes alors je... !
– Ne dis pas ça. C'est normal, c'est dans mon devoir de t'élever et si tu es aussi tourmenté, c'est de ma faute. Je devrais mieux m'occuper de toi. Et puis je sais que le niveau dans ce genre d'école est élevé, tout ces gosses de riches ont des professeurs particuliers et moi je ne suis même pas capable de t'en payer un. Si je travaillais plus dur alors peut-être que...
– Non !...
Je me redresse doucement, essuyant mes joues en reniflant et hoquetant légèrement, afin de le regarder droit dans les yeux.
– Je n'ai pas fait beaucoup d'efforts ces derniers temps. Si je travaille juste un peu plus, je pourrais mieux réussir.
Il me regarde un moment, peut-être un peu surpris, avant de laisser échapper un léger rire. Il ébouriffe mes cheveux et repose ses mains sur son volant.
– Ne me fais pas de promesses que tu ne pourras pas tenir !
– Tu sais très bien que je ne promets jamais rien...
Il démarre en pouffant de rire tandis que je détourne la tête vers la fenêtre. Je veux d'abord observer le paysage, mais décide de fermer les yeux afin d'en imaginer un moins douloureux.
Cette ville est vraiment... affreuse.
Mon cœur est légèrement moins lourd. Néanmoins, je sens le poids intense des mots du père de Haeli surplomber mon corps. J'essaye de me rassurer en me disant que c'était peut-être juste des paroles en l'air, que peut-être qu'il avait réagit à chaud et qu'il ne m'ordonnait pas réellement de ne plus revoir son fils. Cependant, je ne peux m'empêcher de sentir ce goût amer dans le fond de ma gorge, cette sipidité tranchante qui me rappelle constamment que je ne goûterai pas à mon bonheur avant un bon bout de temps.
***
Aujourd'hui, on est le quatre février et ça fait maintenant deux semaines que je n'ai aucune nouvelles de Haeli.
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À suivre...
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J'espère que ce chapitre vous aura plu ^^
Désolé pour le temps qu'il a mis à sortir, je suis entrain de travailler sur une nouvelle histoire donc j'avais beaucoup à faire...
En attendant le prochain, portez vous bien <33
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