Chapitre 47 : destruction (partie 2)
La violence physique et morale devint mon nouveau compagnon.
On me frappait sans arrêt. Peut-être pour me faire payer pour toutes les fois où je jouais les héros. Peut-être pour être sûr de me détruire complètement. Peut-être par dégoût de ma différence ethnique. Je n'en savais trop rien mais une chose était sûre : j'étais complètement perdu.
Les professeurs qui nous faisaient classe n'aidaient en rien. Ils me réprimandaient publiquement sur mes fautes de prononciation ou d'orthographes, me voyaient comme un cancre qui ne faisait aucun effort et se bagarrait tout le temps. Moi. Moi, le génie que j'étais pour être presque polyglotte à seulement douze ans. Moi, l'ange que j'étais pour m'être entêté toute ma misérable existence à défendre mes camarades. Moi, Haon Shun-li Wang, qui était sensible, attentionné, intelligent et tolérant.
Voilà qui j'avais été. Voilà qui ils détruisaient.
Dans un monde où l'on vit grâce aux regards des autres. Dans un monde où seul les autres peuvent nous prouver qu'on existe. Dans un monde où les autres ont beaucoup trop de pouvoir sur nous que nous-même.
Dans ce monde, je n'avais plus personne pour me rappeler qui j'étais. Alors je suis devenus qui ils voulaient que je sois.
De la colère. Voici le dernier sentiment qui a bouillonné en moi pour éteindre tous les autres et chacunes de mes vertus. La nuit, je pleurais en hurlant. Je détruisais mon corps, mon âme et ma voix en explosant chaque sentiment que j'avais accumulé dans ma vie.
Entre les murs froids de ma cellule qu'ils appelaient chambre, je détestais tout le monde.
Je ne pleurais pas la mort de mon père. Je la détestais. Je ne pleurais pas l'absence de mon frère. Je la détestais. Je ne pleurais pas mon impuissance face aux autres, je la détestais.
Octobre de mes treize ans, je faisais ma première fugue. Je courais dans les rues gelées un manteau par dessus ma chemise de nuit et je ne m'arrêtais uniquement lorsque je ne pouvais plus avancer. On me rattrapait. Je criais pour ne pas rentrer. On me réprimandait. Je criais pour ne pas les entendre. On m'enfermait dans ma chambre, je criais pour m'endormir.
C'est durant cette période que j'ai rencontré Jun.
Un soir où il faisait particulièrement froid (pour cause, on était en décembre), j'étais sorti de l'orphelinat et avais emprunté un autre chemin afin de ne pas me faire rattraper trop tôt. J'avais pris une ruelle mal éclairée, cherchant un endroit où aller. Je me convainquais que je n'avais pas peur en serrant fermement mon couteau suisse, le poing dans ma poche.
Quelqu'un me plaqua violemment contre un mur en m'étouffant de sa main pour que je ne fasse aucun son. Il commença à parcourir impatiemment mon corps avec ses doigts tandis que je me débattais comme je pouvais. Il devait chercher quelque chose. Peut-être m'avait-il confondu avec un autre enfant qui lui avait volé un objet. Ou bien peut-être qu'il voulait juste vérifier si je n'avais pas d'armes ou autre. Du moins, c'était ce que je pensais jusqu'au moment où il se mit à défaire le lacet de mon pantalon.
Je me figeai, n'arrivant pas à réaliser ce qu'il allait se passer. Enfin, ce qui se serait passé si un prince sur son cheval blanc n'étais pas arrivé pour le pousser au sol violemment. Il se releva et je me retournai pour voir leur combat. Mon sauveur le frappait sans arrêt tandis que l'autre peinait à se protéger. Mes yeux se remplirent d'admiration jusqu'à ce qu'une sirène de police ne se fasse entendre, les faisant s'immobiliser un instant.
L'agresseur profita de ce moment pour fuir et le chevalier dépoussièra ses habits. Il tourna les yeux vers moi et je baissai le regard pour partir en dehors de la ruelle.
– T'es un prostitué ?
Je m'arrêtai et me tournai vers lui, une profonde rage déformant mon visage.
– Quoi ?!
– En te baladant dans ce quartier à cette heure, les détraqués du coin te vois comme tel.
– Que... mais je suis même pas majeur !
– Et alors ? J'ai vu des dizaines de parents déposer leur enfant ici pour qu'ils travaillent avec leur corps. Ce type a du penser que tu étais l'un d'entre eux. Alors dis moi, t'es un prostitué ?
Ma mâchoire se serra de rage et je cherchais déjà un moyen de le tuer. Il s'approcha de moi et me regarda de haut.
– Comment tu t'appelles, petit ?
– Haon Shun-lee Wang.
– Très bien. Shun, écoute moi bien. Soit tu rentres chez toi tout de suite, soit tu te fais violer sur le champs, soit tu viens avec moi.
Je ne répondis rien.
– Je vois. Allons manger, hm ?
Il commença à avancer. Je ne le suivis pas.
– Magne toi, Shun !
Je courus vers lui.
Et c'est ainsi que je rencontrai Jun. Il était gentil et attentionné mais ne me traitait pas non plus comme un enfant. Petit à petit, je rencontrai les autres et on forma tous un groupe de personnes différentes les unes aux autres et rapprochées par un sentiment commun : la haine.
Néanmoins, tout en la laissant évacuer, on la transformait en joie et en peur selon les conneries qu'on faisait. Rentrer dans une supérette pour sortir en achetant un bonbon alors que nos vestes étaient remplies d'innombrables choses, jeter des œufs sur les maisons de types qui nous avaient embêté un soir, s'infiltrer dans un lycée pour faire des cache-cache géants, ou encore rouler à toute vitesse en moto vers trois heure du matin.
Parfois, je ne restais que la nuit avec eux et rentrais au petit matin pour ne pas qu'on remarque mon absence ; et parfois je ne rentrai que lorsqu'on avait plus rien à manger. Ça pouvait durer jusqu'à trois jours. Lorsque je revenais, on me réprimandait et m'enfermait dans ma chambre le soir durant une semaine.
J'avais dis à Jun que je me faisais harceler à l'orphelinat et il avait essayé de m'apprendre à me battre. Je faisais des progrès. Vraiment. Pourtant, dès que je reposais un pied à Albert Brighton, tout le courage que j'avais accumulé s'estompait pour laisser place à une peur infondée. On m'avait détruit au point où je me sentais comme une proie vulnérable face à une meute de loups. Je détestais cette sensation. Mais je n'y pouvais rien.
C'est seulement lorsque j'ai compris qu'il n'y avait rien à faire contre mon anxiété face à autrui, que j'ai commencé à fumer.
Jun et la bande m'ont payé mes premiers piercings, m'ont fait fumer ma première clope et ont assistés à ma première cuite. Je m'éclatais avec eux et plus que d'essayer d'aller mieux, je fuyais mon mal-être. Vous savez, ce sentiment de ne pas savoir d'où on vient, qui on est réellement et où aller. Je le ressentais en permanence, me rendant fou.
Quatorze ans fut l'âge de ma première tentative de suicide. C'était durant une de ces semaines où l'on m'avait enfermé pour avoir fugué trop longtemps. Il a suffit d'une nuit, d'un moment de solitude, d'une crise d'angoisse et d'une lame pour que ma tête explose de désirs morbides.
Je me suis réveillé quelques jours plus tard à l'hôpital. On m'a crié dessus et j'ai agis comme si de rien n'était. On m'a ramené à mon enfer et à mes bourreaux et la torture pouvait recommencer.
Le jour de l'anniversaire de mes quinze ans, alors que j'avais prévu de passer la nuit avec mes amis, on est venu me chercher. Le directeur de l'orphelinat m'a dis de faire mes valises. Je n'ai pas compris. Je ne pouvais pas comprendre. Je suis sorti de l'établissement, un sac lourd et déchiré entre mes doigts et il était là.
Adossé à une voiture en plutôt bon état, un gâteau dans une boîte posé sur le toit et un cadeau entre ses mains, Tao était là. J'étais en colère. Non pas contre lui, mais contre moi. Car à la vue de mon grand-frère toute la haine que j'avais accumulé les quatre années de son absence, avait disparu. Tout comme lorsqu'il prenait du temps à venir me chercher en primaire, tout comme lorsqu'il me laissait seul dans ce motel.
Je me détestais pour ne pas pouvoir lui en vouloir plus longtemps. Et alors, je ne pus rien faire d'autre que de me jeter dans ses bras. J'ai tellement pleuré ce jour-là que j'ai à peine pus le regarder dans les yeux quand il m'a invité au restaurant pour fêter mon anniversaire.
Pourquoi vous ai-je raconté ma pathétique vie ? Eh bien prenons cela comme un arrêt sur l'image. Vous voyez, si mon bonheur se trouve au sommet d'une montagne, alors Haeli a créé des marches pour m'aider à l'escalader.
Notre séjour est la dernière qui m'a permis de toucher la pointe du bout du doigt. Néanmoins, elle était fragile, et alors j'ai tribuché. Ainsi, j'ai mis pause juste avant que je ne tombe. Durant cette pause, je vous ai raconté mon histoire afin d'éterniser ce moment de bonheur.
Sauf qu'à l'instant où j'enlèverai cet arrêt, je n'aurais d'autre choix que de dégringoler jusqu'à la base de cette montagne. Alors préparez vous à me voir rouler sur cette pente glissante sans aucun moyen de freiner cette chute.
Préparez vous à me voir souffrir. Encore.
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À suivre...
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J'espère que la petite (longue) histoire de Shun vous aura plû ^^
J'ai essayé de la rendre la moins ennuyeuse possible et j'ai même hésité à ne pas la faire du tout mais j'ai fini par me dire que vous aviez le droit de connaître le passé de Shun en entier et dans les moindre détails
En attendant la suite, portez vous bien <33
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