Chapitre 4 : Dojin

Aujourd'hui je me suis levé, comme chaque matin depuis ma "rupture" avec Haeli, au plus mal. Je déteste devoir affronter la réalité. Donc je passe mon temps à imaginer. J'imagine des scénarios dans lesquels Haeli et moi sommes amis ou même plus. Des situations irréalisables où il vient me voir pour me dire qu'il me pardonne. Bien sûr, dans ces "rêves" je parviens à m'excuser correctement. Ils m'apportent une chaleur et une joie plus éphémère qu'un papillon avant que je ne réalise que ce ne sont que des songes.

À trop passé de temps hors de la réalité, on finit par en oublier l'intérêt. On choisit la facilité. Le monde parallèle qu'on crée, dont nous sommes le maître, est tellement mieu. Connaitre les répliques de chaque personne qu'on y ajoute, ne pas avoir peur de dire des choses qu'on oserait jamais prononcer à voix haute, imaginer un amour partagé dont on ne mérite pas l'existence. Toutes ces choses font que ce monde est bien meilleur. Il n'en manque que les sensations indescriptibles du réel.

Mais bien évidemment, rien est simple. Je dois m'y arracher et vivre dans cette réalité morne et triste où personne ne m'apprécie. J'arrive donc devant ma salle de cours. Et, après avoir soufflé un bon coup, j'y entre. Sans surprise, tous les yeux se braquent sur moi, sauf ceux de Haeli. Un rictus se dessine sur mon visage tandis que mon cœur se froisse tel une pauvre feuille qu'on écrase. Décidément, tu adores faire l'inverse de tous.

Je m'assieds à ma place habituelle et pose ma tête sur la paume de ma main en te regardant. Je ne peux détacher mon regard de toi. Même s'il s'agit uniquement de ton dos ou de ton profil, le seul fait de te voir m'emplit de joie. Tu n'es qu'à quelques mètres de moi et pourtant je suis à des années-lumière de ton cœur. Si j'avais réalisé plus tôt la chance que j'avais d'être aimé par un être tel que toi, aurais-je agis différemment ?

– Tu vas faire quoi ?! s'écrie Angela, une fille à deux tables de moi.

C'est une petite blonde aux yeux bleus. Ce genre de fille hyperactive qui prend beaucoup de place mais s'est se faire discrète. Pour tout vous dire, je ne la connais pas vraiment mais, comme toutes les personnes de la classe, elle me déteste donc je n'ai pas d'autre choix que de faire de même.

– Chut ! lui ordonne Dojin se trouvant devant elle.

Elle se penche alors vers lui, un sourire aux lèvres. Intrigué, je tends l'oreille.

– Tu vas vraiment faire ta déclaration à Haeli ?! lui demande-t-elle, en parlant plus bas.

– Ou... oui. Ça fait maintenant trois ans que je l'aime donc je devrais prendre les devants et puis, qui sait, peut-être qu'il est également intéressé par moi...

J'arrête de les écouter, agacé.
C'est quoi ces conneries encore ?! Tch ! Il pense sérieusement avoir une chance avec Haeli ?! Je veux dire... Song Haeli ?! Mon Song Haeli ?! Il n'y a aucune éventualité pour qu'ils se mettent ensemble ! Haeli est amoureux de moi ! Et uniquement de moi ! Me dire cela me rappelle alors les paroles qu'il a prononcé hier. Il me déteste.

Il y a donc une possibilité qu'il ait tourné la page et développé des sentiments pour Dojin. Cette seule idée me fait me crisper de frustration. Je ferais tout mon possible pour ruiner leur couple. Non, je ferais tout mon possible pour empêcher qu'il ne se forme.

Ainsi, je me mets à surveiller Haeli de près durant la récréation. Aucun signe de Dojin. Néanmoins à la fin de cette dernière, au moment de revenir en cours, je le vois chuchoter rapidement quelque chose dans le creu de l'oreille de ma poupée. Je suis d'abord angoissé qu'il ait eu le temps de la faire. Mais je comprends très vite qu'il n'a rien dit d'intéressant à ce moment là, en vu de la réaction quasi impassible de Haeli.

Je passe alors les deux heures à réfléchir à ce que cet enfoiré a pu lui dire. Haeli a simplement acquiescé après ces paroles. Donc ça doit certainement être une question. Mais quelle genre de demande se fait aussi... rapidement ? À la fin de la deuxième heure, j'ai trouvé ma réponse. Enfin, sa question.

Une fois la sonnerie annonçant l'heure du déjeuné retentie, je sors de la classe et attends devant. Dojin en sort quelques minutes plus tard et emprunte le couloir droit suivit du gauche. Ils ne le mennent non pas à la cours où on va majoritairement afin de prendre notre déjeuner mais débouchent dans le jardin arrière de l'établissement. Autrement dit, un endroits parfaitement isolé... idéal pour une demande importante.

Haeli sort à son tour. Je veux l'interpeller afin de l'empêcher de le rejoindre mais vois alors qu'il prend le couloir de gauche, soit l'opposé. Je comprend donc qu'il se rend aux toilettes. À présent, tous les élèves ont quittés la salle, le professeur y compris et les couloirs sont vides. J'aperçois Haeli sortir des locaux.

Je me dirige donc vers lui. Et, à la place de le pousser comme à mon habitude quand je le croise, je lui barre la route. Visiblement en colère, il lève les yeux vers moi.

– J'aimerais passer, m'informe-t-il.

– M'en fous.

Il soupire d'exaspération.

– Qu'est-ce que tu veux encore ? Je suis pressé.

– Tu n'iras nulle part.

– On m'attend, Wang Shun, je ne peux pas m'attarder avec toi.

– C'est pas mon problème, tu n'iras pas le rejoindre.

– Et pourquoi ?

– Parce que je l'ai décidé.

– Arrête de faire l'enfant et donne moi une raison valable.

– C'en est une.

Il lève les yeux au ciel avant d'avancer dans le but de me contourner.

– Fait un pas de plus et je ferais de ta vie un enfer.

– Comme si tu n'avais pas déjà commencé.

Je ne réponds rien. Haeli observe son portable, nerveux.

– Écoute, on reprendra cette conversation plus tard, j'ai besoin de...

Brusquement, je le prends comme un sac de pomme de terre et le pose sur mon épaule avant de marcher vers la cours. Haeli se "débat" ( il a vraiment la force d'un Minimoys ) en vain. Puis, je l'emmène sur le toit après avoir monté d'innombrables marches avant de le poser enfin, me mettant entre la porte et lui. Et voici la recette pour créer une poupée en colère. C'est juste... trop mignon.

– Tu... tu es... vraiment... agaçant !! m'informe-t-il, tentant de canaliser sa colère. Je ne comprends rien à tes actions ni à ce que tu attends de moi, tu agis tout le temps bizarrement. Et... sans aucune raison ! Je ne sais pas pourquoi tu fais tout ça mais tu ne penses pas qu'il serait temps d'arrêter ?! Est-ce que ça t'amuse de me voir dans cet état ?! Je... je déteste m'énerver, je déteste être en colère, je déteste pleurer et je déteste... détester quelqu'un ! Et pourtant, en moins de deux mois, tu aies parvenu à me faire faire toutes les choses que je hais ! Tu es content maintenant ?!

– Non.

– Qu'est-ce que tu veux de plus alors ?!

Toi. Je te veux toi.

– Tu le sais déjà.

– Visiblement pas !

– Je veux te voir excité.

– Que... quoi ? m'interroge-t-il, un air perdu sur son visage.

– Apparement tes joues ne fonctionnent plus. Devrais-je m'intéresser à quelque chose de plus... gros ? dis-je en descendant mon regard, un sourire narquois aux lèvres.

– Et après c'est moi le pervers...

– Détrompe toi je...

Une sonnerie provenant de son téléphone m'interromp. Haeli le sort donc de sa poche, et le nom affiché me fait grimacer. J'arrache donc son portable de ses mains avant qu'il n'eut le temps de répondre.

– Shun ! Rends le moi ! s'énerve-t-il en tentant de le récupérer.

– Hum... non, lui répondé-je, amusé, en maintenant l'appareil en hauteur.

Haeli se met donc sur la pointe des pieds pour essayer de l'attraper. Mais, voyant qu'il n'y parvient pas, il commence à sauter maladroitement ce qui m'arrache un ricanement tant sa mignonnerie me charme.

– Arrête ça ! Ça ne me fait pas rire !

– Fais moi un sourire et je te le rendrais.

– Bordel ! T'en as pas assez de dire des choses aussi agaçantes ?!

– Oh ! Serait-ce la première fois que Bouclette dit un gros mot ? m'étonné-je faussement. Pour la peine, tu devras en faire deux.

– T'auras beau m'en demander des centaines, je ne t'en adresserais aucun !

– Tch ! Dans ce cas tu n'auras pas ton...

En reculant afin de l'empêcher de l'attraper, je me cogne contre la poignée de la porte (de la sortie du toit ) ce qui me fait gémir de douleur. Cette maladresse honteuse me permet néanmoins d'entendre la plus belle harmonie de note qu'il puisse exister sur cette Terre : le rire de Haeli. Il est discret et moqueur, et pourtant j'en suis flatté. Savoir que je procure du bonheur à cet être si parfait fait fondre mon sourire tant mon éblouissement est fort. Et, automatiquement, je ne peux m'empêcher de dire :

– Tu es adorable.

Haeli, qui est parvenu à récupérer son téléphone durant mon instant d'inattention, détourne les yeux ( ne riant déjà plus ).

– Hier je te dégoûtais, lache-t-il en me poussant légèrement afin de sortir.

Je suis tellement ravagé par la fin de notre relation que j'en ai oublié pourquoi je lui ai dis toutes ces horribles choses. Je dois m'éloigner de lui. Alors pourquoi ne puis-je m'empêcher de vouloir interagir avec lui ? Et si... et si je change tout ? Et si j'arrête avec cette philosophe stupide contre les promesses ? Pourrais-je enfin rendre mes rêves réalités ?

C'est décidé, aujourd'hui même je mettrai fin à nos différents et nous repartirons là où nous nous étions arrêtés. Je sors une cigarette et, adossé contre la porte du toit, je la fume en pensant inévitablement à ma poupée aux bouclettes noires. Ainsi, l'heure du déjeuner s'est presque achevée. Il reste une dizaine de minutes avant la reprise des cours.

Ça sera largement suffisant pour que je répare les choses avec Haeli. Je me précipite donc dans les escaliers et les dévale avec hâte. Puis, je longe le bâtiment et les couloirs en fantasmant, malgré moi, sur toutes les choses que je pourrais faire avec lui une fois qu'on se sera expliqué. Je suis sur le point d'entrer dans la salle de classe, sachant que Haeli arrive toujours en avance, quand je surprends une conversation. Malgré la porte close, je parviens à distinguer parfaitement ce qu'il se dit.

– On pourrait essayer, dit une voix ressemblant à celle de Haeli.

– V...Vraiment ?! s'enthousiasme une autre qui me semble appartenir à Dojin.

Pas besoin d'être un génie pour comprendre ce qu'il vient de se passer. Je laisse tomber ma tête sur le mur, la gorge serrée et la poitrine douloureuse. Je pensais vraiment que tu n'avais jamais cessé de m'aimer. Non, je m'obstinais à le penser. Depuis le début, je t'ai déjà perdu.

J'ouvre la porte avec fracas et, comme je m'y attends, Dojin et Haeli se trouve dans cette pièce. Ils s'enlacent timidement mais avec une joie écœurante.

– Faites ça ailleurs, les pédales, ordonné-je froidement en me dirigeant vers ma place.

Haeli se défait de l'étreinte de Dojin, visiblement embarrassé.

– Ne fait pas attention à lui, le rassure ce dernier en caressant ses cheveux.

– Mais...

– À partir de maintenant, c'est juste toi et moi. D'accord, mon ange ?

Haeli acquiesce adorablement.
Et, quelques minutes plus tard, le reste de la classe arrive et s'installe. Nos deux amoureux font de même. Vous vous demandez certainement à quoi ressemble celui qui est parvenu à capturer le cœur de Haeli. Laissez moi vous en faire une brève description. Un mexicain d'un mètre quatre-vingt cinq environ, les yeux bleus et les cheveux noirs. Il est populaire pour sa gentillesse et sa bienveillance envers tout le monde mais également pour la richesse de sa famille.

En bref, c'est l'homme parfait pour la poupée parfaite. Tu as décroché le jackpot Bouclette !
Quel beau couple vous formez ! Quelle belle histoire d'amour vous ferez ! Et tout ça, juste sous mes yeux. J'ai beau observer le ciel depuis la fenêtre, l'image d'eux refuse de s'effacer de mon esprit. Et, sans que je ne m'en rende compte, une profonde haine avait remplacé l'amour que je porte à ma poupée. Tu viens de signer ton arrêt de mort, Song Haeli.
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Fin du chapitre 4

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