Chapitre 29 : Gayshun
Après une heure de fouille, on amène tout au milieu d'un grand espace vide où seul le béton et les murs absents servent de décor. Nous regardons le tas désespérément. Pouvons nous réellement en faire quelque chose ? Kenta tape alors dans ses mains et crie :
– Let's go !
On se met donc à organiser tant bien que mal notre "campement". Des caisses, bûches d'arbre et planche de bois sont arrangés bout à bout pour former un cercle ; des papiers journaux sur lesquels sont étalées des couettes poussiéreuses se trouvent en face de nos chaises de fortunes ; un drap accroché à deux portes manteaux usés nous sert de paravent ; et, enfin, un grand feu, au centre, illumine et réchauffe l'air. S'étant tous aglutinés autour des flammes, on a recommencé à discuter chaleureusement et tout nos doutes se sont envolés.
Moi, assis sur un drap au sol, adossé à une caisse, je partage une couverture avec Jun. Ma tête est posée sur son épaule, dû à ma fatigue grandissante tandis qu'il donne des directives concernant le souper. Ils ont récupérée une casserole de l'incendie qui est simplement cabossée, ont fait bouillir de l'eau avec en la mettant au dessus du feu, y ont ajouté des nouilles à demi cramé, des pommes de terres, des carottes, des champignons ainsi que du céleri volés à la maison préalablement saccagée ; et ont assaisonné le tout avec je-ne-sais-quoi.
Puis, ils ont servis dans des bols sauvés des flammes et les ont distribués. Nous voilà donc tous avec notre dîner brûlant et fumant entre les mains. Affamé, j'engloutis la soupe sans trop prendre conscience de son goût ou d'autre chose qu'il faut remarquer lorsque l'on mange et, trop vite, je termine avant tout le monde. Merde... j'aurais dû savourer, j'ai encore faim maintenant. Je pose mon bol au sol et tente de me concentrer sur autrechose, enviant les autres qui prennent leur temps pour manger.
– Ça va, Gayshun ?
– Hm.
Je ne prête pas trop attention à la provocation de Jun, je n'en ai ni la force, ni l'énergie– ni même l'envie. Il me tend alors son bol en me présentant sa cuillère. Interrogé, je relève la tête.
– T'as encore faim, non ?
Sans trop réfléchir, je prend en bouche ce qu'il me propose. Grave... grave erreur. Il se redresse d'un coup et hurle :
– Les gars ! Notre Shunie a faim !
Ils se ruent alors tous vers moi et se mettent à me goinfrer. À chaque fois que je prends une bouchée dans le bol d'un, un autre vient pour m'en donner une autre, et avant que je n'ai le temps de vider mes joues, elles sont déjà remplies de nouveau. Et refuser est tout simplement impossible puisque dès que je tourne la tête, ils me la saisissent pour la remettre face à eux. Ce calvaire s'arrêta uniquement lorsque leurs bols à tous furent vidés.
– Vous... tenté-je de parler en avalant péniblement la dernière bouchée, vous auriez dû en garder pour vous...
– Et te laisser affamé ? interroge Carlos. Non merci !
– Notre petit bébé ne peux pas rester le ventre vide ! s'exclame Fiodor.
– Si on ne peux même pas nourrir notre Shunie chéri à sa faim lorsqu'il est là, alors on n'est pas digne d'être ses parents ! renchérit Kenta.
Je les fixe un long moment, les yeux brillants, avant de plonger ma tête dans mes bras. Tout compte fait, il n'y a qu'au lycée qu'on me voit comme un adulte.
– Ooh ! Pleure pas, Shunie !
– Haha, un vrai bébé celui-là !
– Donnez lui un peu d'affection et le voilà qui chiale !
Jun m'ébourrife les cheveux en riant pendant qu'ils continuent à se foutre de ma gueule.
Chacun se remet ensuite à sa place et on reste de longues et agréables minutes dans le silence à observer le feu crépiter, y lançant une bûche de temps à autre pour le maintenir en vie. Puis, on entend un faible frondonnement mélodieux provenant de Kenta avant que Carlos ne se mette à marmonner les paroles. Alexei, jusque là silencieux, claque ensuite des doigts en rythme et on se met tous à faire de même. Michael se lève alors et se met à chanter franchement.
– When Israël was in Égypte Land...
– Let my People go... répondons-nous en chœur.
– Opressed so hard they could not stand...
– Let my people go!
Ainsi, on le laisse instinctivement mener pendant qu'on s'occupe des Back en claquant tous des doigts. Certains battent la pulsation avec leur pied, d'autres en frappant des mains.
– So the God seyeth: go down, moses... Way down in Egypt Land... Tell all pharaohs...
– To let my people go!
Kenta imite alors le son du piano ce qui nous fait tous exploser de rire. Carlos se lève et mine de jouer de saxophone en agitant ses doigts au rythme des sons qu'il sort de ses lèvres pincées. Et, ainsi, on forme un vrai orchestre en continuant la chanson dans une bonne humeur indescriptible.
Ça faisait tellement longtemps qu'on n'avait pas été tous réunis dans cet endroit que j'en avais oublié pourquoi je les aime tant. Oui, ils sont ma deuxième famille, mon deuxième foyer et mon premier refuge. Peu importe les galères qu'on a traversé et qu'on traverse encore, on reste toujours soudés, s'entraidant sans poser de questions. Alors... de quoi avais-je peur l'autre jour lorsqu'ils ont rencontrés Haeli ?
À la suite de ce concert, on se couche tant bien que mal près du feu, afin de dormir étant donné l'heure tardive. Allongé, on discute de tout et de rien en riant joyeusement. L'atmosphère est idéal, il ne fait pas trop froid et on a bien mangé (enfin moi). Que demander de plus ?
– Les gars... commencé-je, vous vous souvenez de Haeli ? Le gamin qui était avec moi l'autre jour...
Ils répondent tous par l'affirmative.
– Eh ben... je sors avec lui.
Un long silence s'installe.
– Et je l'aime sincèrement.
Même blanc. Argh... est-ce que j'ai fais le mauvais choix en le leur avouant ? C'est tout simplement... trop gênant.
– Non... jure ! s'exclame sarcastiquement Kenta.
– Que... tu étais au courant ?!
– Ça se voyait à des kilomètres, ducon ! Tu étais tellement protecteur et attentionné avec lui.
– Je... l'avais remarqué aussi, marmonne Tian.
– Moi je savais pas du tout ! intervient Carlos.
Ils répondent alors tous "moi non plus" chacun leur tour.
– Que Tian s'en aperçoive, c'est normal, il est trop intelligent. Mais que même moi qui suis toujours à côté de la plaque, je le fasse, c'est que c'était vraiment remarquable ! Comment vous avez tous fait pour passer à côté de ça ?! Vous êtes tous trop con ma parole ! Et sans compter le fait que Jun passe son temps à ajouter "gay" devant "Shun", c'était littéralement évident !
Je lance un regard noir à Jun qui fait mine de ne pas l'apercevoir en détournant la tête.
– Tu sais très bien que Jun passe son temps à faire ce genre de blague ! C'est tout sauf évident de savoir qu'il le disait sérieusement ! clame Michael.
Il y a un blanc qui dure quelques secondes avant que Fiodor ne crie :
– Ah mais c'est pour ça que tu ne voulais pas nous accompagner aux putes !
Et merde... je sens une longue et bruyante conversation arriver.
– Mais fallait nous dire ! La prochaine fois on commandera des gars pour te tenir compagnie, Shunie, dit Carlos.
– Ça... ne m'intéresse pas.
– Il est en couple, connard, t'as oublié ?! s'écrit Kenta.
– 'Me traite pas de connard, je vais t'en mettre une pas deux !
– Pfft ! Monsieur le chien enragé veut jouer les durs... je te rappelle que je suis le premier à avoir remarquer la sexualité de notre Shunie chéri !
– Ouais bah... c'est parce que... parce que...
– Hm ?
– Parce que y'a que les gays qui reconnaissent les gays ! hurle soudainement notre russe.
Kenta ne répond rien. En temps normal cette grande gueule aurait hurlé des insultes et l'aurait remballé... alors pourquoi est-ce qu'il le fixe avec les yeux aussi effarés ? Ne me dites pas que...
– C... comment est-ce que tu sais ?
H... hein ?! Kenta aussi est...
– D... de quoi tu parles ? J'ai dis ça pour rire tu sais...
– Ah... alors tu n'étais pas au courant... pour moi ?
Jun soupire bruyamment et se lève pour lancer une bûche dans le feu.
– T'es vraiment pas futé, bébé, dit-il calmement en s'adressant à Kenta.
– "Bébé" ?! répété-je, sous le choc.
Les deux japonais se fixent longuement avant d'éclater de rire.
– Et ouais... je sors avec Kenta depuis pas mal de temps déjà.
– Deux, trois années... un truc comme ça, ajoute ce dernier.
– T... Trois ans ?! s'indigne Carlos.
Et c'est que maintenant qu'ils nous le disent ?
– Mais alors... pourquoi vous voulez tout le temps aller au temple des gonzesses ?
C'est vrai ça. De un ils sont certainement attirés par les hommes mais le font quand même avec des femmes ; et de deux, ils sont en couple. Je serais totalement hors de moi si Haeli faisait des trucs à gauche, à droite avec des meufs !
– Comment vous dire... ? hésite Jun. Vous savez, lorsqu'on va "au temple", chacun prend sa chambre et après des putes viennent nous rejoindre. Eh bien nous... personne ne vient.
– Oh... donc vous ne faites rien pendant toute la nuit ?
– On... va dire ça.
Il y a quelque chose qui cloche. Mais je n'arrive pas à mettre la main dessus.
– Mais alors pourquoi j'entends tout le temps des gémissements aigus quand je passe à côté de ta chambre, Jun ? clame Carlos.
Les yeux écarquillés, le japonais ne disait rien. Ne me dites pas... qu'il trompe Kenta ! Ou si ça se trouve...
Vivement, je tourne la tête vers le nain, qui ne dit rien depuis un moment déjà. La tête plongée dans ses bras, il est rouge comme une tomate. Je crois avoir compris.
– Oh putain. C'est Kenta qui hurle comme ça !
Tout le monde se tait une minute avant qu'on explose tous de rire. Enfin tous sauf Jun qui se retient et Kenta qui est complètement embarrassé.
– Bordel, Jun t'es trop con ! Je t'avais dis de ne rien dire !
– Je n'ai rien dis, bébé, ils ont deviné tout seul.
– Arrête de m'appeler comme ça, ça m'énerve !
– D'accord, Kenta, calme toi, tu veux ? rétorque Jun en riant.
– Mais... arrête !
– De quoi tu parles, bébé ?
– Arrête de t'amuser ! Ça te fais rire qu'ils sachent tous nos affaires ?!
C'est tellement étrange de voir Kenta perdre ses moyens. Je vais décidément l'embêter avec ça toute sa vie ! Mais avant ça, je devrai discuter un peu avec Jun. Je pense qu'il est le seul à pouvoir m'expliquer correctement comment Haeli et moi pouvons faire "ça" sans que ça lui fasse mal. Enfin... pour l'instant il est presque quatre heure du matin et j'ai cours à huit heure demain. Donc je devrais peut-être aller me coucher.
Les laissant se chamailler et s'amuser, je m'allonge sur les couvertures mises au sol en me couvrant avec une couette et m'endors paisiblement.
Un peu plus tard je suis réveillé par des appels légers de Jun qui me secoue gentiment. Merde. C'est déjà le matin ? Je suis vraiment fatigué. C'est horrible. En plus il fait encore plus froid qu'il y a quelques heures... et j'ai faim. À contrecœur, je me redresse péniblement en me tenant la tête. C'est franchement con de ma part d'avoir bu hier soir. Jun me recoiffe délicatement pendant que j'essaie de me motiver pour ne pas sécher cette journée. Les autres dorment encore comme des marmottes. Je les envie tellement...
– Debout, Shunie, je t'accompagne.
Sans répondre quoique ce soit à cela, j'exécute ses ordres et nous voilà partis en direction de nos motos, laissés un peu plus loin de notre squat depuis la veille. Toujours un peu endormi, je m'apprête à monter sur mon véhicule, mais Jun m'arrête et m'oblige à me mettre derrière lui plutôt. Ça m'arrange, je ne suis pas en état de conduire.
Lorsque je n'avais pas encore de moto, j'avais l'habitude de monter avec lui. Et dans ces situations, me prenant pour un gros dur, je m'accrochais à l'arrière du véhicule. Mais, pour une raison quelconque, enfin certainement à cause de la fatigue, j'enroule mes bras autour de sa taille et repose ma tête contre son dos. Bordel, pourquoi ma virilité s'en va lorsque je suis épuisé ?
Arrivé devant le lycée, étrangement en avance, je salue mon chauffeur et m'engouffre dans le bâtiment. Là, je me rends aux toilettes et me rince le visage afin de me rafraîchir. Puis, je me regarde dans la glace et remarque avec horreur que je n'ai ni sac... ni uniforme ! Putain, t'es vraiment trop con, Wang Shun !
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J'espère que ce chapitre vous aura plu ^^
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