La ville était encore plus belle de nuit à mes yeux.
Le jour, la glace omniprésente était éclairée par un soleil blanc et presque froid, mais dès que ce dernier se couchait, des torches plus chaleureuse et la lumière plus douce de la lune faisaient scintiller les bâtiments d'une façon plus délicate, élégante.

L'eau qui courait dans les différents canaux était d'un noir d'encre, tranchant encore plus que d'ordinaire avec le sol immaculé, traçant des lignes audacieuses à travers la cité polaire.

Je n'étais absolument pas dans mon élément, et je n'étais clairement pas habitué au climat, mais depuis que mon rhume s'était apaisé et qu'on m'avait prêté un manteau digne de ce nom, je parvenais à apprécier l'endroit.
Les palais de la Nation du feu et leurs paravents de papier me paraissaient bien fragiles face aux constructions imposantes qui m'entouraient, mais au lieu de me sentir oppressé, la solidité de la ville m'apaisait assez.
Elle avait survécu à une attaque massive de la marine du feu, elle survivrait encore un millénaire s'il le fallait, reculée par rapport au reste du monde, immuable. Pour quelqu'un comme moi, habitué à voir les choses partir en fumée et à tout considérer comme éphémère, ça avait quelque chose de fascinant.

Je me sentais assez humble au milieu du peuple de l'eau. Ici, être un dragon ne signifiait pas grand chose, être un maître du feu était même un handicap. Je me sentais tout petit, pour la première fois depuis longtemps, et même si ça m'avait un peu dérangé au début, je sentais que cela n'avait pas un effet totalement négatif sur moi.
Ici, et avec le Général Hyunseok mort et enterré, je me rendais réellement compte de ce que j'étais devenu sans ma douleur, ma colère et mes rivalités. Et laisser retomber pour de bon ces émotions négatives était tellement reposant.

Une voix maintenant familière m'arracha à ma contemplation :

- Tu aimes la vue ?

Je tournai légèrement la tête vers Taehyung qui vint se poster sans se presser à côté de moi, laissant une de ses mains gantées traîner sur la balustrade du petit pont où je m'étais arrêté.

- Beaucoup.

Il posa les yeux sur mon manteau. Ou plutôt le sien, puisqu'il avait eu pitié de mes tremblements et m'avait confié certains des vieux vêtements qui traînaient encore dans l'armoire de sa chambre, chez ses parents.
C'était chez ces derniers que Seokjin et moi séjournions, tandis que la famille Jung était plutôt allée s'installer dans la grande maison vide de Jimin.
Il y aurait sans doute eu de la place pour nous, mais Seokjin et moi ne voulions pas laisser Taehyung seul de son côté.
À vrai dire, j'étais celui qui avait soumis l'idée.

Parce que j'appréciais le maître de l'eau et que nous n'étions plus colocataires depuis que j'avais emménagé dans une chambre au dessus de l'Épiphanie.
Et aussi parce que depuis que Yoongi m'avait convaincu de pardonner à mon frère, nous essayions de passer du temps tous les deux le plus souvent possible, comme pour rattraper le temps perdu.

Ce soir, il était tout de même sorti avec Namjoon. D'après ce que j'avais compris, ils voulaient aller voir une sorte de pièce de théâtre. Et le théâtre n'étant pas trop mon truc, j'avais privilégié une escapade en solitaire.

Enfin, plus si solitaire visiblement.

Quand j'avais quitté Taehyung, il discutait avec ses parents, des gens simples et bienveillants qui nous avaient accueillis chaleureusement dès notre arrivée.
Il avait dû les laisser peu après mon départ, je n'étais pas là depuis très longtemps.

- Tu m'as suivi ? demandai-je sur un ton amusé.

Le maître de l'eau haussa les épaules avec une expression similaire, mais il ne répondit pas davantage, changeant rapidement de sujet :

- Tu devrais mettre ta capuche si tu ne veux pas retomber malade, des fois il suffit d'un coup d'air frais sur la nuque.

Je levai les yeux vers sa tête entièrement dénudée et son cou exposé.

- Tu peux parler...

- Moi je suis habitué, je ne suis pas un petit sudiste fragile.

Mes sourcils se froncèrent d'eux même et je sentis mon nez se plisser légèrement. Cela eut l'air d'amuser particulièrement Taehyung qui s'approcha tout de même de moi pour attraper ma capuche et la remonter sans appel sur le dessus de mon crâne.

Mon champ de vision était désormais limité par un contour de fourrure blanche, et il en occupait une grande partie avec son rictus moqueur.

- Sudiste d'accord, mais je ne suis pas fragile.

- Tu t'es enrhumé après avoir sorti un orteil sur le pont du bateau.

- Il m'a fallu un temps d'adaptation, c'est tout.

Il me défia encore quelques secondes du regard puis s'écarta et posa nonchalamment les avants bras sur la rembarde, laissant ses yeux vagabonder sur sa ville natale.

C'était ici que Taehyung avait grandi.
C'était assez amusant de l'imaginer plus petit, courant dans ces rues, ou jouant dans la petite maison de ses parents.
Je me demandais quel genre d'enfant était le maître de l'eau il y a quelques années.
Est-ce qu'il avait toujours été calme et observateur, légèrement cynique la plupart du temps ?

- Vous devez être les premiers maîtres du feu à poser le pied dans la cité depuis la bataille de l'avatar, laissa-t-il échapper, semblant réfléchir à haute voix.

Les parents de Taehyung n'étaient pas au courant de ce détail, ici personne ne savait. Pour tous les habitants de cette ville, nous étions des profanes du Royaume de la Terre. Nous avions conclu qu'il était un peu trop tôt pour ça. Et même si la plupart auraient sans doute fini par nous accepter en sachant plus précisément qui nous étions et quel genre de monstre nous avions vaincu Yoongi et moi, nous étions là pour fêter un heureux évènement, nous ne voulions risquer de créer aucun conflit.

- Tu crois que certain essaieraient de se venger sur nous de ce que vous a fait subir notre peuple ?

- Possible, mais Jimin et moi ne les laisserions pas faire.

Mignon.
On m'avait raconté comment Taehyung s'était lancé à ma poursuite lorsque j'avais brusquement disparu après le festival. Nous n'en avions jamais parlé, je doutais même qu'il soit au courant du fait que je connaisse les détails de cette anectode.

J'avais déjà été laissé derrière par Seokjin, puis surprotégé par ce dernier, j'avais déjà dû veiller sur des amis, j'avais déjà connu de fortes relations de confiance dans lesquelles le soutien était mutuel, mais je n'avais encore jamais eu une sorte d'ange gardien qui me surveillait de loin, gardant une certaine distance, sans pour autant cesser de veiller sur moi.
Taehyung était une distraction nouvelle et fort intéressante. Pas désagréable à regarder, par la même occasion.

Je ne relevai pas sa réponse, me contentant de laisser couler ses mots dans mon esprit et de sourire doucement.

- En tout cas, lançai-je finalement, les maîtres de la terre ont belle figure eux. Tu aurais dû voir Namjoon tout à l'heure. Les gamins du quartier font la queue devant chez Jimin pour lui apporter les quelques cailloux qu'ils possèdent et lui demander de tailler tel ou tel animal qu'ils n'ont jamais vu de leurs propres yeux.

Le spectacle était assez adorable, je devais bien l'admettre, mais je n'étais pas très à l'aise entouré d'autant d'enfants, et je crois que mon frère non plus. Nous n'étions pas restés longtemps auprès du jeune maître de la terre débordé, juste le temps pour Seokjin de lui donner rendez-vous ce soir.

Taehyung sourit, s'imaginant sûrement la scène.

- Je comprends les gosses. La première fois que j'ai vu les chevautruches du père Jung j'ai dû me mordre la langue pour ne pas paraître trop impressionné et passer pour un pequenaud.

- Un chevautruche ? me moquai-je. Vraiment ?

- On a pas d'oiseaux aussi gros ici, même les manchots sont tout petits.

- Qu'est-ce que ça a du être face à ton premier rhino komodo...

- On les appelle comme ça ? s'étonna Taehyung. Au village, la plupart des gens les surnomment juste les cornus.

Il avait l'air sincèrement intéressé, alors je lui racontai brièvement d'où venait ces animaux qui servaient de montures aux soldats de la Nation du Feu.
Je lui expliquai qu'ils étaient élevés dans de grandes fermes et naissaient pas plus gros qu'un petit varan, puis quand ils commençaient à avoir leurs cornes, que les éleveurs les vendaient à l'armée qui laissaient d'abord les jeunes recrues s'entraîner dessus en attendant qu'ils aient atteint leur réelle taille adulte.

- Ça devait être quelque chose, de grandir là-bas en temps de guerre.

- C'est sûr que la guerre était un peu omniprésente. Ça doit être très différent de l'enfance que tu as pu avoir. Rien que pour un détail tout bête. J'ai grandi dans un tout petit village où tout le monde se connaissait.

- Et je suis né dans la plus grande cité du monde.

Je hochai doucement la tête, observant la capitale, mais aussi unique ville de toute la Tribu de l'eau du Pôle Nord.
Pas étonnant que je me sente si petit ici.
Au loin, on voyait certaines zones encore toutes illuminées malgré l'heure tardive. Les nuits silencieuses de mon patelin me paraissaient bien loin, ici, il y avait toujours une partie de la cité qui ne dormait pas.

Je restai silencieux pendant un long moment, tout comme Taehyung. Je finis par m'asseoir en tailleur sur la large rembarde du petit pont, tourné vers lui, et le maître de l'eau resta penché en avant, les bras posés sur la glace.
La lune était presque pleine et les nuits étaient très longues aux alentours du solstice d'hiver, c'était la période pendant laquelle les fils de l'eau étaient les plus à l'aise et les plus puissants.

Cela se voyait même sur leur visage. L'approche de la pleine lune gomait presque la fatigue de Jimin et Taehyung. Ce soir, quand je me risquais à jeter un coup d'œil, je pouvais voir que ce dernier resplendissait.
C'était littéralement ce qu'on appelait une personne qui se trouvait dans son élément. Il avait l'air follement à sa place ici.
Pas qu'il ait l'air malheureux à Teiji mais... Ce n'était définitivement pas pareil.

- Ça te manque ? Cette ville ?

Je voulais savoir, son regard pensif avait attisé ma curiosité.

- Un peu parfois. Mes parents surtout, et l'ambiance me rend un peu nostalgique. Mais j'aime ma vie au royaume de la terre.

Je comprenais un peu. Je ressentais à peu près la même chose vis à vis de mon île. Si ce n'est que je ne pouvais plus vraiment me permettre d'y retourner, à moins que la guerre se termine.
Mais j'aurais vraiment aimé revoir ma mère. Au moins m'assurer qu'elle allait bien.
Seokjin m'avait promis que nous trouverions un moyen d'aller vérifier d'ici peu.

- C'est juste que... Des fois je me dis que je l'ai quittée pour de mauvaises raisons.

Parce que j'étais en train de penser à ma propre terre natale, j'avais un instant laissé mon esprit vagabonder vers l'image de soldats venant me chercher pour m'emmener au bateau qui m'avait conduit loin des miens, mais je revins rapidement à la réalité et à la cité de glace, et tournai la tête vers le maître de l'eau qui la fixait toujours sans rien laisser paraître.

- C'est à dire ?

Il hésita un instant, grattant légèrement la surface lisse de la glace de bout de sa moufle.

- Je pensais être amoureux.

- Et tu ne l'étais pas ?

- J'en sais trop rien. Il y avait beaucoup d'admiration, je voulais être là pour lui et le protéger, être celui qui pourrait l'aider à aller de l'avant mais... C'était stupide, et assez égocentrique au final. Je me demande si je ne voulais pas un peu jouer les héros. Quand j'ai vu l'abandon de soi total dont a été capable Yoongi... Je me suis dit que ce que je ressentais devait être bien futile par rapport à ce qui unit ces deux là aujourd'hui.

Je réfléchis un instant, prenant une minute pour choisir mes mots et coller au ton que la conversation venait de prendre. Beaucoup plus personnel. Pas inédit, mais assez inhabituel encore entre Taehyung et moi.

- Je crois que tu l'aimais, moi, avouai-je.

Il releva la tête, m'interrogeant du regard.

- Jimin, précisai-je. Tu voulais être auprès de lui et tu l'admirais et le respectais. Tu compares ces sentiments à ceux de Yoongi qui avait déjà vécu tellement de choses avec Jimin avant de mettre sa vie en jeu pour lui, et qui a encore vécu tellement de choses avant de l'épouser. L'amour, je crois que c'est rarement aussi inconditionnel dès le début. Ça se construit, et ça commence par de petits détails.

Je croisai son regard qui se planta dans le mien, presque absorbé par mes paroles, et mes mots m'échappèrent une seconde.

- De petits détails qui mettent la puce à l'oreille, qui... vous font réaliser que... vous appréciez un peu plus que bien la personne en face.

Il y eut ensuite ce drôle de moment pendant lequel personne n'osa ni parler, ni détourner le regard, cet étrange instant de communication visuelle pendant lequel une foule de questions est posée sans obtenir de réponse, entre deux battements de cils.
Et puis Taehyung se tourna à nouveau vers la cité, et j'osai enfin prendre une inspiration silencieuse.

- T'es pas trop rustre pour un sudiste.

J'aurais peut être dû répliquer, pour la forme, mais c'était dit avec une telle douceur que ça ne pouvait pas être autre chose qu'un compliment, alors je me contentai de sourire en rivant à mon tour mon regard vers les rues et les canaux lointains.

J'étais en train d'apprécier l'atmosphère de ce moment, fermant presque les yeux pour en profiter, lorsqu'il lui donna encore une autre nuance :

- T'as déjà été amoureux Jungkook ?

Je réfléchis quelques instants, plutôt sur la formulation que sur le fond de ma réponse.

- Souvent.

Il parut tout à coup étonné et tourna vers moi un regard tout écarquillé qui m'arracha un sourire.

- Ça paraît si difficile à croire ?

- Un peu.

- J'ai été... Occupé avec d'autres émotions ces dernières années.

Je me renfrognai légèrement en me remémorant encore une fois celui que j'étais devenu depuis mon entrée dans l'armée, ou pire, depuis la mort de Yugyeom.
Ce garçon cynique et désabusé, plein de colère, obsédé par sa vengeance.

- Mais à une autre époque, j'étais plutôt du genre à avoir le béguin pour le premier venu. Ça desespérait Seokjin quand il était encore là.

J'étais jeune, et je ne me souvenais pas très bien. Mais je revoyais vaguement Seokjin regarder de travers tous les amis que je ramenais à la maison, plus encore quand je les fixais moi-même avec un peu trop d'insistance, tout sexes confondus.

- La guerre, ça change un homme il paraît.

- Tu ne penses pas avoir changé ? demandai-je en secouant distraitement mes jambes dans le vide.

Il haussa les épaules et s'adossa à la rembarde pour être dans le même sens que moi, l'air pensif.
Nous regardions maintenant tout deux en direction de l'immense mur d'enceinte, une zone bleutée beaucoup plus sombre de la cité, seulement éclairée de quelques feux localisant les postes de guet.

- Pas énormément en tout cas. J'imagine que ça dépend de ce qu'on vit pendant ladite guerre. Je n'ai pas vu mes proches ou mes amis mourir, je n'ai à vrai dire jamais eu à tuer personne... J'étais dans une escouade d'évacuation quand la marine de la Nation du Feu est arrivée ici.

- Alors tu as toujours été aussi sérieux, observateur et pas drôle ?

Taehyung grimaça légèrement en me jetant un coup d'œil en biais.

- C'est vraiment comme ça que tu me vois ?

- Oh, pas que, rassure toi.

Mon sourire sembla le détendre un peu et il finit par soupirer une épaisse buée blanche.

- Je suis pas un grand boute-en-train c'est vrai.

Il avait tout de même l'air attristé par ce constat, alors je laissai échapper une grimace, me sentant presque coupable d'avoir dressé un portrait si peu flatteur de sa personne.

- Ton côté sérieux et distant, ça a son charme aussi... Ça donne envie... De regarder en dessous ?

Ma remarque autant que mon hésitation semblèrent le dérider. Il me répondit cette fois-ci avec un petit sourire à son tour.

- Et alors ?

- Alors quoi ?

- Qu'est-ce que tu as trouvé en dessous ?

Je réfléchis quelques instants, le quittant des yeux pour laisser mon regard se perdre à nouveau aux limites de la cité.
Il ne semblait plus faire si froid tout à coup.

- Tu as l'air distant, mais tu es le premier présent pour les autres.

Une seconde de silence curieux passa. Je pouvais savoir sans le voir que Taehyung me demandait sans un mot de développer.

- Tu es venu aider Yoongi pour son frère, alors que vous n'étiez pas vraiment proches à l'époque. Tu aides constamment Seokjin dans tout ce qu'il fait, pas seulement à l'Épiphanie, j'ai entendu parler de séances d'entraînement, par exemple. Tu es parti à ma recherche après le festival, sans parler du fait que tu m'as hébergé sans même te poser de questions, après que j'aie incendié ton lieu de travail qui plus est...

Lister tout cela à voix haute me faisait prendre conscience presque autant que lui de ce que j'avançais.
Taehyung était souvent vu comme le grognon de la bande, mais il était pourtant l'un de ceux qui se souciait le plus des autres.

- Tu aides de manière désintéressée. En fait, tu as rarement l'air de penser à toi. Comme quand tu as suivi Jimin jusqu'au Royaume de la Terre, parce que tu l'aimais, certes, mais d'une certaine façon, tu voulais lui apporter ton aide. Tout ce que tu fais est empli d'une grande dévotion à l'autre... Au final, je me demande ce que toi tu veux, ce que tu ferais si tu n'écoutais que toi.

Je mis quelques secondes à me rendre compte du nouveau silence qui avait pris place sur le petit pont, et je cessai de contempler le rempart de glace pour me tourner à nouveau vers lui.

Il portait toujours l'ombre d'un sourire, et son regard était perdu dans le vague lui aussi. Je n'arrivais pas à dire s'il semblait triste ou amusé, cela ressemblait à un mélange des deux.

Je me laissai doucement glisser de la rembarde, m'accoudant contre elle pour imiter sa position, en profitant pour me rapprocher imperceptiblement de lui.
Il le remarqua quand même, sa tête se tournant très légèrement dans ma direction quand nos bras s'effleurèrent à travers nos vêtements épais.

- À t'entendre, je suis un petit saint, ricana-t-il.

- Ça t'embête vraiment que je dise que tu es gentil ?

Il haussa les épaules.

- J'ai pas l'impression d'être aussi désintéressé que tu le dis. Si j'aide Seokjin, c'est parce que c'est lui qui m'a accueilli quand je suis arrivé au Royaume de la Terre, que je suis redevable, et que j'ai fini par m'attacher au salon de thé autant que lui. Si j'ai suivi Jimin, à la base, c'était pour qu'il me remarque, et parce qu'après la bataille de l'avatar, cet endroit était devenu sinistre. Si je suis parti aider Yoongi pour son frère, c'est parce que je ne voulais pas être laissé seul derrière...

Ce fut à mon tour d'être septique. Rien n'était jamais totalement altruiste, mais il n'arriverait pas à me faire penser que ses actions n'étaient pas fondamentalement généreuses.

- Et moi ?

- Quoi toi ?

- Pourquoi tu m'as proposé de venir habiter chez toi ?

- Principalement parce que tu comptes pour Jin.

- Principalement, relevai-je.

Ce n'était pas une question, juste une constatation. Et il ne sembla pas désarçonné par la remarque, ayant probablement pesé ses mots avant de les prononcer.

- Je me sentais assez seul, aussi. Je l'ai toujours plus ou moins été, même ici. Je n'étais pas un gosse avec beaucoup d'amis, j'étais fils unique, tout comme mes parents, il n'y avait aucun autre enfant dans ma famille. Au Royaume de la Terre, j'avais Seokjin, mais il est plus âgé que moi, et parfois, j'ai l'impression qu'il l'est tellement plus qu'il n'a pas tout à fait d'âge défini. La famille Jung est sympathique, mais Jimin ne m'a jamais laissé m'approcher avant, alors eux non plus, pas vraiment. Et puis quand Yoongi est arrivé, j'ai eu l'impression que ce fossé se creusait. J'ai eu violemment le mal du pays.

Je laissai échapper un rire léger qui lui fit brusquement regarder dans ma direction.
Effectivement, le ton n'était pas à la plaisanterie.

- Drôle de façon de régler ton mal du pays que d'inviter chez toi un maître du feu, m'expliquai-je, me réjouissant de voir le pli sur son front se détendre légèrement.

- Tu étais seul toi aussi, répliqua-t-il.

Je perdis le fil de mon hilarité quand ses mots me frappèrent.
J'étais très seul quand ils étaient tous venus me chercher dans cette petite cellule miteuse, en effet.
Enfermé depuis depuis des mois, mes amis morts ou du côté de l'ennemi, ma mère au delà des océans et mon frère qui m'avait abandonné pour partir je ne sais où des années plus tôt...

Le Royaume de la Terre n'était ni sa patrie, ni la mienne, nous étions deux exilés, presque sans famille et aux amours déçus.
Taehyung me ressemblait un peu, si on prenait les choses sous cet angle, mais lui ne contenait pas autant de colère. Taehyung semblait souffrir en silence.

C'est à ce moment là que je compris que, de la même façon qu'il n'avait sûrement jamais dit à Jimin comme il avait souffert de son rejet, que comme il ne m'avait pas dit toute la vérité sur son mal du pays tout à l'heure, il m'avait probablement menti à propos de la guerre.

Pas énormément changé, hein ?
Il n'avait vraiment pas été changé par la guerre, il n'avait pas souffert ?
Alors pourquoi ne pas être resté ? Pourquoi dire que cet endroit était devenu sinistre ?

- Taehyung...

Un éclair de panique traversa ses yeux quand il remarqua l'humidité dans les miens.
Je ne savais pas quoi lui dire. Je voulais qu'il me dise qu'il avait été triste au lieu de le sous entendre, je voulais qu'il me dise qu'il était heureux maintenant.
Et je ne savais pas tout à fait pourquoi. Ou plutôt, je n'arrivais pas à savoir à quel moment il était devenu suffisamment important pour que cette question me pique les yeux.

- Jungkook, ça ne va pas...?

Il se tourna vers moi, quittant son appui sur le rebord du pont pour venir attraper une de mes mains engoncées dans mes moufles.

- T'es plus seul maintenant, d'accord ?

J'avais parlé un peu plus fort que prévu, en essayant de paraître ferme.
Taehyung garda quelques secondes son air surpris, puis le pli de ses sourcils s'adoucit et il hocha doucement la tête.

- D'accord.

Il sourit presque tendrement avant d'ajouter :

- Merci.

Un jour peut-être qu'il me dirait sa tristesse, un jour je lui confierais peut-être la mienne.
Aujourd'hui, son sourire était réconfortant.
Et il répondait à l'une de mes questions : il avait l'air heureux.

Je me penchai légèrement en avant, rapidement, poussé par une envie soudaine, mais d'une violente étrange, et mes lèvres effleurèrent le coin des siennes.
Ça n'avait pris qu'une seconde, un frottement de ses cheveux contre la fourrure de ma veste et une pression de ses doigts autour de ma main.

Ses joues étaient un peu plus colorées à présent, son souffle dans l'air froid semblait un peu plus opaque.
C'était amusant comme le climat ici pouvait trahir vos émotions et ce qui se déroulait à travers votre organisme.

Taehyung avait chaud, et cela me fit sourire bêtement.

Il resta planté là, les yeux à nouveau remplis de surprise, mais n'esquissant pas le moindre geste pour s'écarter, pas même d'un millimètre. Il me sembla même qu'il s'approchait légèrement.

- Je t'aime bien Taehyung. Le toi ronchon, le toi généreux, le toi timide aussi...

Une seconde d'hésitation le retint, puis sa main qui ne tenait pas la mienne m'attira légèrement vers lui, me faisant faire un petit pas en avant.

Il m'embrassa moins chastement, sa bouche se collant presque furieusement contre mes lèvres légèrement gercées.
Sa peau était fraîche contre la mienne, toujours un peu plus chaude que la normale, un frisson courut le long de ma colonne vertébrale et mon sourire incontrolable nous força à nous séparer au bout de quelques secondes.

- Je t'aime bien Jungkook... souffla-t-il à son tour, sur le ton de la confidence. Mon appartement ne m'a jamais paru plus vide que depuis que tu en es parti.

Il nous en avait fallu du temps, pour en arriver là.

- Je prends tant de place que ça ?

- Et tu fais un bruit pas possible, répliqua-t-il en se laissant contaminer par mon amusement.

- Ça te manque vraiment ?

Je repensai brièvement à ses plaintes matinales envers mes ronflements, ou ses regards en biais lorsque je mangeais la bouche un peu trop ouverte ou courrais à travers son chez lui en tapant des pieds partout.

Il rit et son visage fut un instant caché par la vapeur qui se créa entre nous, l'air se refroidissant de plus en plus dans la cité de glace.

- Pas tous tes bruits, mais oui, un peu.

- Je t'ai promis que tu ne serais plus seul, ils risquent de finir par te taper sur les nerfs, ricanai-je d'avance.

Il haussa juste les épaules et lâcha ma main pour venir entourer ma taille et me coller complètement contre lui, observant mon visage avec une attention nouvelle et une expression presque attendrie.

- Viens essayer de me taper sur les nerfs Jungkook.

C'était une proposition très intéressante, et curieusement romantique.
J'acquiesçai doucement au milieu de mon immense capuche et je me laissai de nouveau attirer en avant.

Après avoir si longtemps avancé à la colère, poussé par mes désirs de vengeance ou par une violence que je savais à peine contenir, j'aurais pu être perdu.
Je m'étais attendu à l'être. Plus que ça en tout cas. Ça n'avait pas été évident au début, mais Seokjin avait été présent cette fois, peut-être même plus que ce que j'aurais osé lui demander, et Taehyung avait été une constante solide, quelque chose à quoi je pouvais me raccrocher. Peut-être plus que ce que j'avais bien voulu m'avouer.

De mon point de vue, une âme n'était pas faite pour rester seule, qu'elle soit née dans une cité de glace ou sur le flanc rocailleux d'un volcan.

Yoongi m'avait dit un jour que Jimin s'attachait facilement aux choses brisées, et que c'était pour cette raison qu'ils avaient instinctivement gravité l'un autour de l'autre.

Est-ce que Taehyung et moi nous attirions parce que nous étions tous les deux des êtres esseulés.
J'imagine qu'on cherche toujours quelqu'un qui nous pourra nous comprendre.

J'avais l'impression d'être compris par Taehyung, peut-être bien plus que par mon frère, ou par les autres, j'avais l'impression de commencer à le comprendre moi aussi.

Nous restâmes un bon moment sur ce pont désert, jusqu'à ce que nos dents claquent, à parler tout bas, collés l'un à l'autre, à remplir nos silences de baisers qui semblaient si naturels que j'arrêtai progressivement de me poser des questions, de réfléchir.

Il n'y avait plus ni guerre, ni colère, ni rancœur, il n'y avait plus de frontières, de maître du feu, de maître de l'eau, même plus de mariage...
Il y avait des bras autour de moi, des lèvres contre les miennes et un cœur qui battait à tout rompre contre ma poitrine.
Il y avait Taehyung.
Et je n'étais plus seul.

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Joyeux Noël tout le monde ^^

J'espère que ce petit bonus hivernal pour aura un peu réchauffé :3

Taehyung est un personnage que j'aurais beaucoup aimé développer plus dans la fiction principale, mais Yoonmin oblige, j'ai dû le laisser un peu de côté.
Un peu seul aussi, pauvre bébé.

Il avait donc besoin d'un bonus qui lui rende ce qu'il mérite ^^
À savoir, plus de screentime, des compliments, et des bisous.
Et un Jungkook.
Taehyung best boy ronchon, je ne veux rien entendre là dessus x)

Excusez moi pour cette avalanche de fluff, essayez de ne pas vomir de la guimauve à votre repas de Noël :')

Je vous aime très fort !
Gros bisous sur vos fronts
💜

(Et un bisou en plus à ceux qui ont la réf du titre et du média 👌👌)