6 - Âtre

La première chose que je vis en ouvrant les yeux ce matin là furent les cheveux de Jimin qui avait glissé sa tête sous mon menton, au niveau de mon cou.

Avant même de comprendre de quoi il s'agissait, mes yeux se posèrent sur un bol de soupe plein, mais malheureusement, froid depuis longtemps.
Il eut tout de même le mérite de faire peu à peu remonter l'enchaînement d'événements de la veille pour me faire réaliser ce que je tenais contre moi.

Au delà de la gêne que notre proximité me procurait de prime abord, je crois que j'aimais bien avoir quelqu'un contre moi comme ça.
En fait, cela venait surtout du fait que sa présence m'avait fait échapper à mes cauchemars récurrents, et qu'il avait l'air de dormir paisiblement lui aussi.

Sa main était encore dans la mienne et même si sa poigne avait considérablement diminuée à mesure qu'il était tombé dans le sommeil, il s'y accrochait toujours, et moi aussi.

La discussion de la veille me revint doucement en mémoire et je replongeai dans cet état de faiblesse dans lequel il m'avait trouvé.
Tout était beaucoup trop confus dans mon esprit pour le moment, mais la nuit avait tout de même porté conseil, et je savais qu'être aussi proche de Jimin n'était pas une bonne chose.

Je lâchai sa main sans le réveiller et m'écartai de lui en peu plus difficilement. Il soupira dans son sommeil et se retourna, me faisant remarquer qu'il était, tout comme moi, encore vêtu.
Il avait plusieurs tuniques, mais malgré les températures douces, elles étaient toutes à manches longues. Peut être une habitude gardée de sa tribu du pôle, là bas les manches courtes ne devaient pas être très répandues.

Une soudaine envie de voir ses bras, que j'imaginais aussi pâles que les miens, mais beaucoup plus doux, comme ceux d'un bébé, me prit, mais je la repoussai, utilisant ce rejet pour trouver la force de me lever de mon lit.

Nous n'avions rien fait et pourtant je me sentais mal.
J'avais toujours l'impression de profiter de lui pour aller mieux ...
Lui aussi m'utilisait pour guérir, se reposant beaucoup trop sur moi, parce qu'il avait désespérément besoin d'une bouée pour garder la tête hors de l'eau, mais Jimin était honnête.

Être honnête avec lui hier m'avait fait du bien, et je m'étais laissé aller, mais je n'aurais pas dû. Il y avait une limite à ne pas dépasser et je m'en approchais beaucoup trop.

En attendant, même si je ne savais pas quoi faire à propos du maître de l'eau, je savais qu'il avait bien mérité cette nuit calme. Il dormait toujours paisiblement et je ne comptais pas le réveiller.

Je pris quelques affaires pour pouvoir me changer à l'extérieur et sortis rapidement sans faire de bruit.
Le chaos qui régnait dans ma tête depuis hier avait une origine bien précise.
Mon but de la journée était donc de m'y confronter, pour essayer d'ordonner mes pensées. Peut être que celles concernant Jimin suivraient, en tout cas je l'espérais.

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De bon matin, l'Épiphanie embaumait l'air de la petite rue passante dans laquelle elle se trouvait, sûrement parce que Seokjin activait les fourneaux aux aurores pour servir ses pâtisseries à l'ouverture.

L'odeur de thé, elle, ne vous assaillait qu'une fois la porte d'entrée poussée, en même temps que le carillon de la petite clochette dorée qui indiquait au propriétaire des lieux l'arrivée d'un nouveau client.

Ma mère était la seule à boire du thé chez moi. Pas que nous n'aimions pas ça mon frère et moi, mais nous étions assez rationnés par les soldats de la Nation du Feu, et nous préférions laisser ce petit plaisir à notre génitrice qui avait toujours l'air plus détendue après une tasse bien fumante.

Il y avait déjà quelques clients quand j'entrai dans la pièce principale, mais pas de trace de Seokjin.
En revanche, Taehyung me jeta un regard fermé depuis le comptoir.
Malgré son apparente hostilité, je n'avais d'autre choix que de m'approcher de lui, faisant tout de même mine de m'intéresser aux gâteaux présentés derrière une grande vitre propre.

- Tu viens commander quelque chose ou tu comptes t'enfuir à nouveau comme un voleur ? Demanda le maître de l'eau avec une acidité à peine dissimulée.

Pourtant, je ne me souvenais pas lui avoir fait la moindre offense directe. C'était Seokjin qui aurait dû m'en vouloir.

- Je vais prendre un de ces sablés s'il te plaît, demandai-je juste poliment.

Je n'avais pas spécialement faim, mais je n'étais pas du tout à l'aise avec ce que j'étais réellement venu faire dans la boutique.
Je le laissai donc me servir sans rien ajouter pour le moment et lui tendis les pauvres petites pièces que j'avais récupérées dans les poches de ma tunique rapiécée avant que Madame Jung ne la jette peu après mon arrivée.

J'allai m'asseoir à une petite table ronde avec ma pâtisserie et commençai à en casser distraitement des petits morceaux pour les manger malgré ma gorgé nouée.
Le gâteau se laissa avaler plutôt facilement. Je ne savais pas qui de Seokjin ou Taehyung l'avait préparé mais il était doué.
J'avais failli renoncer en songeant que ma mère ou mon frère n'aurait jamais touché quelque chose qui soit cuisiné par un maître, de peur de finir empoisonné, mais je ne regrettais pas d'avoir pris sur moi pour le moment.

C'était ce que je devais m'efforcer de faire aujourd'hui. Prendre sur moi.
Je devais ignorer cette petite voix en moi, celle de ma mère, qui me murmurait quoi penser. Celle là même qui m'avait poussé à fuir la veille..

Ce fut difficile de faire abstraction quand la voix de Seokjin s'échappa des cuisines pour appeler Taehyung.
Ce dernier me lança un regard insistant avant de rejoindre son patron, et je m'efforçai d'avaler ma bouchée de sablé sans avoir l'air trop crispé.

J'avais un problème avec les maîtres de tous les éléments, non, ma mère avait un problème avec eux, mais elle vouait une rancune toute particulière aux maîtres du feu.
Et en toute honnêteté, je n'avais pas beaucoup plus de raisons qu'elle de les apprécier. Tous les maîtres du feu qui avaient eu une influence sur ma vie, de près ou de loin, n'avaient rien fait pour la rendre meilleure ... Ils avaient commencé par tuer mon père avant ma naissance, blessant ma mère au passage, ils avaient assujetti mon village, emprisonné mon frère, massacré la cité et la famille de Jimin, mis le monde lui même à feu et à sang ...

Pourtant Seokjin ne faisait que préparer des gâteaux et du thé ...
Non, quelque chose continuait de me déranger chez lui. Pourquoi entraîner des maîtres dans l'arrière cour de sa boutique, comme si cette dernière était une couverture ? Quelle était cette drôle de lueur au fond de ses yeux, cet éclat de vieillesse dans un visage si jeune ? D'où venait-il réellement ? Avait-il formé une famille à Jitei ? Ou n'avait-il vraiment de lien qu'avec ses élèves ?

Je tournai et retournai ces questions dans mon esprit jusqu'à ce que son visage souriant apparaisse dans la pièce principale, tourné par dessus son épaule vers les cuisines où devait toujours se trouver Taehyung.

Il lui lança quelque chose que je ne saisis pas avant de se retourner vers la salle et poser directement les yeux sur moi. Il n'avait pas l'air étonné de me voir, soit il était parfaitement maître de ses réactions, soit son employé lui en avait déjà touché deux mots. Les deux options étaient probables.

Seokjin jeta un regard circulaire à sa boutique où quelques clients étaient attablés, tantôt autour d'un gâteau, tantôt d'une théière encore fumante. Il dut juger que sa présence au comptoir n'était pas indispensable car il posa la serviette qu'il avait entre les mains et poussa une petite porte basse à battant pour venir dans ma direction.

Je me raidis quand il s'arrêta juste devant ma table et osai à peine relever les yeux vers lui.

- Je suis désolé pour hier, s'excusa-t-il sans s'embrasser de formalités inutiles. Je pensais que tu savais, je ne voulais pas t'effrayer. Namjoon a eu le temps de me dire deux mots sur ta famille avant de se lancer à ta poursuite, et je comprends.

J'étais venu en pensant que c'était à moi de présenter des excuses, et voilà que j'en recevais. C'était un peu déstabilisant, et je me sentais d'autant plus coupable d'avoir fui comme un malpropre.

- Si tu veux, on pourra en discuter après la fermeture. Je ne donne pas de cours aujourd'hui.

J'acquiesçai un peu sur un coup de tête, me disant que je n'étais tout de même pas venu jusqu'ici pour ne rien dire et recevoir quelques excuses.

- À quelle heure ? Finis-je par dire, de la voix là moins sèche que je pus lui offrir.

- Vers dix neuf heures, on ferme tôt en semaine.

Il m'adressa un de ces sourires polis que maîtrisent souvent les commerçants, ceux qui ont l'habitude d'être au contact du client, mais je sentais toujours ces yeux me sonder dès qu'il croisait les miens, et cela me mettait toujours aussi mal à l'aise.

- A tout à l'heure, soufflai-je en me levant.

Je ne m'enfuis pas cette fois, contrôlant mes jambes. Mais si j'avais pu, j'aurais volontiers couru.

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J'étais arrivé en avance.
Parce que même si je n'avais pas une folle envie de venir, la simple idée qu'il puisse me reprocher mon retard me mettait très mal à l'aise.

J'avais à nouveau attendu dans la petite salle du café, ne commandant rien cette fois-ci, et soit Taehyung ne m'avait pas remarqué, soit il m'avait ignoré avec brio.
Il ne jeta un regard dans ma direction qu'après avoir ôté son tablier et l'avoir suspendu à un crochet. J'étais le dernier occupant de la salle mais il ne me demanda pas de sortir. Il salua simplement Seokjin qui rangeait également quelques affaires derrière le bar avant de prendre un manteau long et sombre et de sortir, faisant teinter la clochette une dernière fois.

Le patron de l'établissement m'adressa un petit sourire depuis l'autre bout de la pièce, puis il sortit de derrière son comptoir et se dirigea vers la petite porte de la cour arrière en me faisant signe de le suivre.
Je me levai, non pas hésitant mais tendu, et le rejoignis au moment où il retirait la clé de la petite serrure et poussait le battant.

Il sortit le premier, toujours sans un mot, et alla s'installer sur la chaise qu'il occupait la première fois que j'avais posé les yeux sur lui.
Le revoir à l'endroit exact où il avait maîtrisé le feu la veille faisait remonter chez moi les souvenirs de ce moment et je ne pus empêcher mes pieds de s'arrêter à l'entrée du jardin.

C'était stupide. J'étais venu ici pour comprendre, pour me débarrasser de mon aversion, mais je ne faisais que me retrouver face à mes démons.
Je voulais me faire ma propre opinion mais je laissais celle dans laquelle j'avais grandi corrompre le moindre de mes faits et gestes.

- Des fils du feu t'ont fait du mal à toi ou ta famille ? Demanda calmement Seokjin en croisant les jambes, toujours avec cet air royal.

L'adoptait-il malgré lui ou cette attitude était-elle calculée ?
Cette question tourna une seconde dans ma tête, éclipsant l'autre pendant un instant et m'obligeant à faire de l'ordre dans mes pensées avant de répondre au maître.

- Un maître du feu a ... Brûlé ma maison, et ma mère avec. Ils ont tué mon père et emprisonné mon frère ... Ils font la guerre au monde entier.

Seokjin ne sembla pas se mettre en colère comme je l'avais redouté, m'arrêtant presque de respirer.
Il hocha lentement la tête comme si cela l'aidait à mieux capter le sens de mes mots.

- Tu vois, déclara-t-il finalement, l'un de mes différents compagnons de voyage a été tué par des voleurs de grands chemins. Il s'agissait de maîtres de la terre, et mon ami ne maîtrisait aucun élément. J'enseigne pourtant à Namjoon et Sujin sans leur en tenir rigueur.

Cela sonnait beaucoup comme un reproche, mais son regard disait le contraire.
J'aurais préféré trouver une lueur perfide dans ses yeux, pas cette constante bienveillance qui me faisait me sentir si mal de le détester.

- Les maîtres de la terre construisent, ils bâtissent. Les maîtres du feu détruisent.

J'aurais dû me taire, j'aurais dû essayer de réfréner cette violence dans mes propos, mais c'était ce que je pensais profondément, même à mon propre sujet. Surtout à mon propre sujet.
Le feu dévorait, les autres éléments étaient tout juste meilleurs, mais j'avais hérité du pire qui soit.

Seokjin tendit une main devant lui, paume vers le haut, et une flamme y apparut, me faisant sursauter. Elle était petite, régulièrement, luisante comme celle d'une petite torche.

- Tu ne regardes pas de travers le feu qui te réchauffe l'hiver pourtant, ni celui qui t'éclaire.

- Ça n'a rien à voir avec la maîtrise. Les maîtres du feu ne se contente pas d'allumer des cheminées.

- Tout comme les maîtres de la terre de se contente pas d'être maçons.

- Je suis parfaitement d'accord.

Ses yeux curieux cessèrent de fixer la flamme qu'il avait créée pour se poser sur mon visage, intrigué.

- Yoongi ... Tu les détestes tous ? Pas seulement les maîtres du feu ?

Je me mordis la lèvre, la voix de ma mère murmurant en écho dans le creux de ma mémoire.
Les maîtres étaient tous néfastes de nature, parce qu'ils créaient l'illégalité, qu'ils se pensaient supérieurs.

- Je suis conscient qu'ils peuvent faire de belles choses, concédai-je. Mais à côté de ça, ils ont la capacité de faire tant de mal ... Leur existence est aberrante.

- De qui sont ces mots que tu récites ?

Je m'arrêtai dans ma lancée, serrant les poings et les mâchoires. Comment pouvait-il me cerner aussi rapidement ? Ressemblais-je à ce point à un enfant ressortant sa leçon ?

- Ne te braque pas. On évolue au contact des opinions d'autrui, et on apprend réellement en les questionnant et en les mettant à l'épreuve. C'est pour ça que tu es ici pas vrai ?

Je mis un moment avant de réagir, mais je finis par hocher doucement la tête, un peu perturbé d'être si facilement compris.
Est-ce que c'était parce que j'étais également un maître du feu qu'il m'analysait si bien ... ?

- Qu'est ce que tu es venu chercher ici Yoongi ? Qu'est-ce que tu attends de moi ? Ta volonté de te confronter à tes peurs est honorable, je suis prêt à t'aider, mais je ne peux guère faire plus que te parler.

Il ne pouvait rien faire pour ce qui m'était arrivé, ni pour ce que j'avais fait, j'en avais conscience.

- Parler c'est déjà bien ... Soufflai-je.

Seokjin referma la main et la flamme qui sursautait au dessus de sa paume mourut dans un filament de fumée.
Avec ces mêmes doigts, il me fit signe de venir jusqu'à lui.

- Dans ce cas ne reste pas planté là, approche.

Je déglutis mais décidai de mettre mon malaise de côté.
Je fis quelques pas, jusqu'à venir prendre l'une des chaises qui se trouvaient à côté du maître du feu. J'étais encore un peu raide, mais je savais très bien que Seokjin n'était pas une menace. Je ne savais même pas exactement pourquoi j'étais tendu, ma peur était irrationnelle, automatique.

Le patron de l'Épiphanie me regarda une seconde avant de sourire, l'air satisfait.

- Je n'ai pas grand chose à faire je pense.

- Comment ça ?

- Quand on se fixe le but de changer d'avis sur quelque chose, le reste ne consiste qu'à enfoncer une porte ouverte. Tu viens de t'asseoir à mes côtés Yoongi. Tu ne cherches pas à te laisser convaincre, tu aimerais te laisser convaincre.

Je le regardai d'un air interdit, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire, encore.

- Je n'aurai donc qu'une question pour toi mon garçon. Pourquoi tiens-tu à ce point à entendre quelqu'un te dire que les maîtres du feu ne sont pas si horribles qu'on te l'a dit ?

Je n'avais même pas conscience d'être venu pour cette raison avant qu'il ne l'a dise à voix haute.
Ma bouche manqua de s'ouvrir quand la véracité de ses propos me frappa et mes yeux se mirent à piquer.
J'avais déjà fait le plus gros en comprenant que ma mère m'avait endoctriné, et cette réalisation ne datait pas d'hier.
La seule personne que je détestais réellement, la seule avec qui j'avais un problème personnel, que je haïssais de mon propre chef, c'était moi même.
Mais rejeter tous les maîtres comme on me l'avait appris était plus facile.

Je me retrouvais à nouveau incapable de parler, mais pas parce que j'avais peur, parce que je sentais que mes larmes allaient couler si je m'y risquais.

Je tendis ma seule main libre vers lui, paumes vers le ciel comme il venait de le faire, les lèvres pincées.
Nous la regardâmes tous deux. Lui sans trop comprendre, moi en me rappelant les horreurs qu'elle avait faite.

J'aurais pu invoquer une flamme pour lui faire comprendre, je me souvenais encore comment on faisait, mais j'avais bien trop peur de ne pas arriver à la contrôler ensuite, de faire encore du mal.
Alors je me contentai de rester figé dans cette position, les larmes aux yeux et le coeur au bord des lèvres.

- Yoongi ...

Je sursautai en sentant le professeur attraper ma main dans les siennes.
Elles étaient beaucoup plus grandes et enveloppaient mes doigts avec facilité, l'une encore réchauffée par le feu qu'elle venait de créer.

Cette chaleur n'était pas désagréable. Dans l'air frais du soir, elle était même agréable sur ma peau.
Elle n'avait rien de menaçant, rien de mauvais.
Elle était comme la chaleur apaisante d'un feu de cheminée ...

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Retour de voyage :3
J'ai enfin réussi à écrire ce dialogue ;^;

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