5 - Certitudes

- Ne sois pas comme ça Yoongi, tous les maîtres du feu ne sont pas des monstres !

Je ne voulais pas entendre ça, pas venant de lui.
C'était Namjoon qui m'avait révélé à quel point son cousin avait souffert par la faute des maîtres du feu, lui qui m'avait confié à quel point Jimin les avait en horreur. Mais c'était aussi lui qui passait ses après midis avec l'un d'entre eux.

Les maîtres étaient des êtres incensés, contre nature, monstrueux, et les maîtres du feu l'étaient encore plus, j'étais bien placé pour le savoir.

- Yoongi !

Hoseok attrapa mon bras, m'ayant rattrapé plus vite que son frère qui avait dans doute pris le temps d'excuser mon départ précipité et de remettre ses chaussures.

J'essayai de me dégager mais avec un seul bras libre et peu de forces, Hoseok eut vite fait d'avoir le dessus.
Il m'arrêta complètement et Namjoon nous rejoignit, à bout de souffle.

- Yoongi, Jin n'a rien à voir avec les maîtres du feu qui ont brûlé ta maison, ou ceux qui ont attaqué le pôle Nord, tu dois me croire ...

Rien à voir avec moi tu veux dire, avais-je envie de cracher, mais les mots restèrent bloqués dans ma gorge, amers, vite remplacés par d'autre plus acceptables.

- Et Jimin ? Tu lui as dit ça aussi ?

Le visage de Namjoon se referma devant moi. Évidemment qu'il n'avait rien dit au jeune maître de l'eau.
Il ne pouvait pas lui expliquer qu'il prenait des cours avec un maître du feu.

- Et depuis quand tu as une maîtrise d'ailleurs ... ?

Ma voix était un peu moins assurée à présent.
Je m'étais senti très proche de Namjoon dès mon arrivée. Il était celui avec qui je passais le plus de temps en dehors de Jimin, celui avec lequel je parlais le plus facilement ... Le fait qu'il soit un maître était un peu dur à avaler.
Je l'imaginais déjà, fier de son pouvoir, comme s'il s'agissait d'un don du ciel ou d'une magie supérieure.
Les maîtres aimaient se sentir au dessus des autres ...

- Je n'ai qu'une maîtrise très faible, tellement faible qu'elle est passée inaperçue toutes ces années, mais Seokjin m'aide à la stabiliser ...

Il avait presque l'air désolé, ou plutôt, il ne comprenait pas ma réaction, je le voyais bien.
Aucun des deux frères ne s'était posé de questions en m'amenant à l'Épiphanie, ils n'auraient pas pensé que je puisse prendre la fuite face à un tel spectacle.

- Seokjin a quitté son pays dès qu'il en a eu l'âge pour ne pas avoir à s'engager dans l'armée. Il ne voulait pas participer à la guerre, il voulait apprendre des autres nations. Il a progressé grâce aux enseignements de maîtres de l'eau et de la terre, il connaît la maîtrise dans son ensemble, pas seulement celle du feu, et ce qu'il fait ... Ce qu'il fait c'est presque de l'art.

De l'art ? Il voulait rire ?
Je dégageai mon bras valide d'un coup sec et leur accordai un long regard à tous les deux, ne sachant plus que penser.

- Je ne dirai rien à Jimin, mais laissez moi aussi en dehors de ça.

Un éclair de tristesse passa sur le visage de Namjoon et Hoseok recula définitivement ses mains de mon épaule, les traits pincés.

Je les aimais bien, tous les deux, et c'était pour cette raison que j'étais aussi perdu.
Je n'avais jamais côtoyé de maîtres ... J'en avais toujours vu de loin.
Si Namjoon n'avait qu'une faible maîtrise, peut être que ce n'était pas la même chose, ou peut être que ça changeait tout.

Je n'avais même plus envie de réfléchir, trop de choses se contredisaient dans ma tête.
Je partis le premier en direction de la ferme des Jung, les laissant derrière moi avec le coeur au bord des lèvres.

-----

La nuit était déjà tombée quand quelques coups furent frappés à ma porte, discrètement.

Je ne pris pas la peine de répondre, le battant finit de toute manière par s'ouvrir dans mon dos.

Son pas, je le reconnaissais, même un Namjoon ou un Hoseok adoucis par la culpabilité n'aurait pas eu le même.
Mais je n'avais pas envie de me retourner pour lui montrer mon visage rouge. J'avais passé beaucoup de temps à pleurer ce soir.

Une odeur chaude et salée devança ses quelques mots.

- Je t'ai amené un peu de soupe ...

Je l'entendis poser quelque chose sur la table, puis il s'immobilisa sur le plancher.
J'attendais qu'il fasse demi tour mais il ne bougeait pas, restant juste planté là.

- Tu veux parler ... ? Demanda-t-il dans un souffle après ce qui me parut être une éternité.

J'essayai de ne pas trop le faire attendre, mais j'avais la bouche pâteuse et la gorge serrée. Parler fut une épreuve.

- Qu'est ce qu'ils ont dit ... ?

- Que tu étais très fatigué. Mais il n'y a pas que ça pas vrai ... ?

J'étais égoïste de ne pas répondre, alors que j'attendais toujours de lui qu'il se confie à moi.
Mais que pouvais-je lui dire sans le blesser ?
Pas grand chose ...

- Des fois il y a des bas comme ça, ça vient sans prévenir.

Il avait raison, sans même parler de Seokjin, il m'arrivait souvent qu'un souvenir me fasse glisser sur une longue pente semée de lamentations.

Je me détestais tellement par moment que s'en était douloureux.  Et je comprenais d'autant moins comment Jimin arrivait à me vouer cette admiration sans bornes. Il était effrayant, il s'était attaché bien trop vite et pour de mauvaises raison, et moi, monstre que j'étais, je le laissais faire.

J'aurais dû le rejeter, pour nous deux, mais je n'en avais pas le courage.

Je faillis répondre quelque chose cette fois-ci, mais je sentis tout à coup le matelas s'affaisser du côté de Jimin, et la présence du maître de l'eau se fit beaucoup plus tangible derrière moi. Il venait de s'asseoir.

- Parle moi un peu de toi Yoongi, pas forcément de sujets qui fâchent, de ce que tu veux.

Mon cerveau se mit à chauffer pour trouver quelque chose qui ne serait pas susceptible de glisser vers un sujet dangereux.
Je ne voyais que mon enfance, tout ce qui était trop récent était souillé par des flammes ...

- Je suis né dans mon village et j'y ai grandi ... Je ne l'avais jamais quitté avant cette année. J'ai eu une vie très banale, une famille très banale aussi, mais ça m'allait.

Je fis une pause, me demandant si tout ça était vraiment intéressant pour le petit brun.
Il ne chercha pas à m'interrompre en tout cas, m'écoutant avec un calme attentif.
Je continuai alors, me demandant moi même où tout cela allait mener, mais les mots coulaient d'eux même.

- Ma mère n'était pas une pro de la cuisine, elle avait toujours eu du mal avec la gastronomie. Mon frère faisait bien mieux à manger mais il préférait occuper son temps libre à autre chose, alors au final, c'était souvent moi qui m'y collait. De toutes les pièces de la maison, je crois que c'est dans la cuisine que j'ai le plus de souvenirs.

- Cuisinons ensemble quand ton bras ira mieux. Je t'apprendrai quelques recettes de chez moi si tu veux.

Je sentis les traits de mon visage se détendre légèrement, tiraillant la fine pellicule de larmes séchées qui recouvrait mes joues comme une seconde peau.

- Il n'y avait aucun maître dans ma famille, ni dans mon entourage. En fait, tu es le premier avec qui j'ai échangé quelques phrases ... Ils ... Ils me font peur, ils ne me mettent pas à l'aise. Peut être parce que ma mère me disait toujours de me méfier d'eux.

J'essayai de jauger sa réaction derrière moi mais il ne bougeait pas d'un poil et il était hors de question de me retourner et d'affronter directement son regard. Alors je poursuivis.

- Elle les détestait tu sais, elle avait vécu des choses très dures dans sa jeunesse qu'elle n'arrivait pas à oublier. Elle n'arrêtait pas de nous raconter ces choses horribles, et j'ai fini par penser un peu comme elle ... Ma mère c'était tout pour moi, même si je crois que c'était plus mon frère qui avait de l'importance à ses yeux, j'étais un gamin influençable et ce qu'elle pensait, je le pensais aussi.

Cette soirée de réflexion avait abouti à cette réflexion, mais j'avais passé tellement d'années à partager sa haine, que j'étais encore très loin de m'en détacher complètement.
Je savais d'où elle venait, je savais qu'elle n'était pas tout à fait la mienne, mais il était très difficile de faire abstraction.
Sauf peut être avec Jimin, parce qu'il était un petit être fragile avant d'être un maître de l'eau. Ou parce qu'il avait ce regard quand ses yeux se posaient sur moi, je n'étais plus sûr de rien ce soir ...

- J'aimerais changer d'avis, mais c'est difficile. J'imagine qu'en prendre conscience est déjà un bon début. Et rassure toi, je n'ai rien contre toi, je suis...

Je m'arrêtai, coupé dans mon élan par une petite main se glissant dans la mienne, laissée à l'abandon derrière moi sur la couette sombre.
Du mouvement me fit me raidir mais la pression de ces petits doigts me détendit à nouveau alors qu'elle aurait dû me crisper d'autant plus.

- Jimin, je déteste tous les maîtres depuis tout petit, mais toi je ne te déteste pas, tu peux en être sûr ...

- Je sais. Et je te suis encore plus reconnaissant de m'aider.

Il n'aurait pas dû réagir comme ça, il aurait dû partir, me détester, se sentir trahi. Je venais de lui dire que je détestais les gens comme lui ... Et tout ce qu'il avait à me dire était ... merci ?

Sa chaleur commençait à remonter agréablement dans mon avant bras, puis jusqu'à mon épaule, comme s'il illuminait peu à peu l'intérieur de mon corps, m'aidant à y voir plus clair et me perdant un peu plus dans mes réflexions dans un même mouvement.

D'aussi loin que je me souvienne, personne ne m'avait jamais pris la main de cette façon, et cette simple constatation me donnait envie de pleurer, tout en faisant remonter tout un tas de souvenirs beaucoup moins chaleureux.

Celui d'une main féminine dégageant sèchement celle d'un enfant dès qu'elle venait attraper un coin du tablier, quémandant de l'attention, celui de la main d'un enfant un peu plus âgé, tirant son frère derrière lui non pas en touchant sa peau, mais uniquement par ses vêtements, pour éviter le contact.

On avait jamais attrapé ma main pour me dire merci, pour me dire que tout irait bien, juste parce qu'on avait envie de sentir ma présence.

Mon nez émit un renflement traître et les doigts de Jimin se serrèrent autour des miens dès qu'il comprit que j'étais en train de pleurer.
Il me lâcha et je faillis lui crier de ne pas partir et de rester comme ça encore un moment, mais il attrapa mon épaule à la place pour me faire pivoter, prenant bien soin de ne pas me faire mal de mon côté blessé.

Mon corps s'y opposa de lui même, refusant de se montrer aussi faible devant quelqu'un d'autre, mais je finis par céder et me retrouvai face à face avec Jimin, le visage aussi humide que le mien, mais une ombre de sourire sur les lèvres.

- Tu peux pleurer, souffla-t-il en glissant à nouveau sa main dans la mienne. Tout le monde pleure.

J'aimais ma mère, sincèrement, d'un amour pur et naïf d'enfant. Mais elle n'avait jamais été capable de me donner ce qu'un de ces maîtres dont elle disait tant de mal m'offrait en ce moment.

Juste une main tendue vers la mienne, une oreille ouverte, et un peu d'affection.

Je laissai couler mes larmes sans chercher à les refouler, et elle me parurent tout à coup moins violentes, s'écoulant naturellement, en douceur.

Pour ne pas me faire mal, Jimin ne me fit pas bouger, il ne m'enveloppa pas complètement dans ses bras non plus, mais il garda ma main serrée dans la sienne et se rapprocha de moi jusqu'à ce que nos fronts se touchent et que nos jambes s'entremêlent.

- Tu restes là ? Osai-je demander, au bout de plusieurs minutes, terrifié à l'idée de briser ce moment.

- Oui, j'en ai besoin aussi.

Besoin de quoi ? Je ne savais pas exactement. De pleurer avec moi, de contact humain, d'une main à laquelle se raccrocher, d'une nuit durant laquelle les cauchemars se tiendraient tranquilles ? Sûrement de tout ça à la fois.

J'avais l'impression que chacun aspirait les peines et les peurs de l'autre, nous étions deux attrapes rêves éloignant nos cauchemars mutuels.

C'était la première fois que je dormais aussi bien depuis l'incendie.

-----

Même moi je sais pas exactement comment qualifier leur relation en fait 🤔
Yoongi pourrait aussi bien prendre peur et repousser Jimin au chapitre suivant comme accepter sa faiblesse et le laisser le prendre dans ses bras

On verra bien :3

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top