Ep8 : Là où tout se croise 1/2

Les habitués vaquaient à leurs occupations dans le Manoir pendant que Dan gérait l'intendance. Mabel aimait bien venir car il y avait toujours quelque chose à faire, ou quelqu'un à qui parler. L'atmosphère du lieu y était pour beaucoup car très agréable : on sentait les vieux livres, la chaleur d'un feu qui crépite et le bois massif de chacun des meubles. L'air ambiant était chargée d'essences mystiques grâce aux artéfacts et autres pierres, collectés dans des vitrines ou mis en valeur sur des présentoirs.

« Jeanina. J'ai vu Pacôme hier. »

La voix rêche de Dan fit sursauter la jeune femme.

« Comment ? Pacôme ? Ah oui. Tu as son numéro ! Parce qu'il m'a bloqué cet enfoiré. »

Dan haussa ses sourcils blancs fournis, une manière polie de lui signifier qu'il s'en foutait de leur histoire. Puis il pointa du doigt son bureau.

« Il l'a noté. Le papier près du téléphone noir.

– Tu crois qu'il est prêt à ce qu'on trouve un compromis ?

– Je crois surtout que tu sais qui emmerder sans que ça t'éclabousse trop fort. Allez ma grande, hors de mon chemin.

– Merci Dan. »

Elle prit le post­‑it puis elle finit par rejoindre Lev qui entamait une discussion avec Adelheid.

« Jeanina est là aussi ? Oh, quel plaisir de te voir ma chérie !, s'exclama la femme plus âgée en tendant les bras vers la magicienne.

– Moi aussi Tetushka ! »

Leur accolade était chaleureuse, Mabel ne cacha pas son émotion et essuya une larme qui menaçait de s'échapper. Lev les regardait sans rien dire.

« Désolée de ne pas t'avoir prévenue, s'excusa Mabel. Je voulais te faire la surprise. Tu as l'air... d'aller bien. »

La fin de sa phrase était maladroite et forcée. Adelheid n'avait pas « l'air...bien ». On voyait les stigmates de la fatigue, elle était amaigrie aussi. Une version ternie, émaciée par la maladie. Seule son élégance rappelait la puissante pyromancienne qui l'avait vue grandir.

Ça lui serrait le cœur.

Comme pour apaiser la profonde tristesse qui menaçait de la submerger, Adelheid lui caressa le visage et repositionna correctement ses lunettes.

« Ma fille est là aussi. Je crois que vous ne vous êtes jamais rencontrées elle et toi. Elle est venue pour son travail, c'est l'occasion de se voir. »

Adelheid les mena dans une autre pièce ouverte du Manoir, qui servait de salon, où une femme d'à peu près leurs âges se leva pour se présenter.

On pouvait distinguer chez elle des traits communs qu'elle partageait avec Marek comme la couleur des yeux ou la fossette qui creusait sa joue droite lorsqu'elle souriait. Sourire qui s'estompa vite quand elle vit Lev.

Mabel se tourna vers lui, n'osant pas trop le dévisager jusque‑là suite à leur chaotique heart‑to‑heart. Le jeune homme, quant à lui, semblait surpris voire mal à l'aise. Ce sentiment se conforta quand il prit la parole d'une voix peu assurée :

« Lorelyne ? »

Adelheid leur demanda si tout allait bien.

« C'est‑à‑dire qu'on s'est rencontrés. Dans d'autres circonstances, à la fac précisément, expliqua Lev sans détacher ses yeux de la jeune femme. Du coup Marek et toi ?

– On a le même père oui. Mais, enfin... pardon. Je suis surprise de te voir ici. »


Mabel eut un petit rire parce qu'elle décryptait l'attitude soudainement maladroite de Lev qui vacillait entre embarras et timidité. Et il lui en voulut pour cela, vu le regard noir qui lui lançait. Adelheid les invita à rattraper le temps perdu. Elle servit le thé avec du Stollen (une sorte de cake aux fruits) que sa fille avait préparé.

Lev n'avait pas dit un mot depuis qu'ils s'étaient assis. Surtout que la discussion gravitait autour de Marek. Et dire qu'il vivait un supplice serait un euphémisme car Adelheid allait dans le détail pour décrire le manque que son absence provoquait. Cependant, elle se garda de faire allusion qu'il ne fût pas avec eux aujourd'hui, comme s'il eût été vain d'espérer.

C'est ce qui réveilla la suspicion de Lev, elle ne leur demanda pas un moment si Marek les avait contactés. Alors qu'elle savait que l'anniversaire de Lev approchant, son fils avait l'habitude de venir le voir.

Mabel parut partager ce sentiment. Elle s'éclaircit la voix et reprit du cake. Puis elle demanda si elles avaient des nouvelles de l'intéressé, enrobant ses questions de l'ignorance feinte. Lorelyne croisa les bras et s'enfonça dans sa chaise, Adelheid but une gorgée de son café et répondit que non. Très peu. Et que plus les jours passaient, moins elle s'attendait à en avoir.

« Pourquoi ?, demanda Lev. Vous croyez qu'il y a une raison particulière ? »

Adelheid se tourna vers sa fille qui fit un mouvement de tête désapprobateur. Elles parlèrent en allemand, le ton était maîtrisé mais crispé. Adelheid vérifia que les autres manciens présents fussent occupés pour exposer la situation. Elle se rapprocha d'eux, adoptant une posture propice à la confidence.

« Nous en parlons car vous êtes ses amis. Mais Marek... Marek est dans une situation très délicate. J'aimerai que ça reste entre nous. C'est très sérieux. Promettez‑le.

– Bien sûr, affirma Mabel. Tu commences à nous inquiéter. C'est grave ?

– Si les huiles le savent, oui. C'est très grave. Marek a rencontré quelqu'un qui a eu une influence terrible sur lui...

– Maman, ça on n'en sait rien, réfuta fermement Lorelyne.

– Si, j'en sais quelque chose. Sinon ton frère n'aurait pas fait ce qu'il a fait. »

Lev et Mabel se toisèrent gravement du regard. Adelheid, émue, tenta de retrouver son calme pour ne pas attirer l'attention.

« Il s'est entiché d'une femme aux tendances marginales. Il est impliqué dans une affaire d'un cryomancien connu de la Communauté. Un homme de la famille Rovere. Et cet homme a été retrouvé laissé pour mort chez lui. Par chance, il est vivant. Il se serait battu avec Marek.

– Co... comment c'est possible ? articula Lev avec peine. On n'a rien entendu à ce sujet... Comment avez‑vous pu le savoir ? »

La question était légitime. La mine déconfite de Mabel trahissait son incrédulité face à cette déclaration. Lev se dit qu'elle avait sûrement eu des idées sur ce qu'il avait pu faire mais qu'aucune n'allait jusque cette extrémité‑là.

« Je savais qu'il était en contact avec des Manciens qui avaient coupés les ponts avec la Communauté, expliqua Adelheid. J'ai pu m'entretenir avec l'un d'eux.

– Depuis quand tu es au courant ? lui demanda Lev doucement.

– Quelques semaines tout au plus. J'ai perdu sa trace depuis quelques jours. Le temps va me manquer d'ici peu.

– Attends, ne nous dit pas que... »

Mabel se leva soudainement. Adelheid lui fit un geste de la main pour tempérer sa réaction.

« Non Jeanina. Je suis plus coriace que ça ! Mais c'est évident que mes forces déclinent. C'est le nom de mon mari qui nous préserve pour le moment. Et également que Rovere est, Dieu merci, un scélérat fini. Il a des ennemis qui ont nos intérêts en commun pour l'instant. C'est pour ça que rien ne se sait. »

Lorelyne caressa tendrement le bras de sa mère, ce à quoi répondit Adelheid par un faible sourire.

« Vous êtes un peu comme mes enfants. Et On se connaît depuis longtemps maintenant. Même pour tout vous dire, je ne sais pas ce que j'espère en vous confiant tout ça... J'ai peur qu'on perde Marek.

– Qu'est‑ce qu'il va se passer, si on le retrouve ?", hésita Mabel.

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