Fin de journée. Ils se retrouvèrent près de la petite gare excentrée du centre‑ville, déserte, à l'exception de rares passants.

Lev s'avança. Il voulait lui sourire, mais le visage fermé de son ami l'en dissuada.

Il suffit pourtant d'un instant pour que la façade stoïque de Marek s'effondrât, provoquant la mise à nue de tous ses doutes et angoisses.

Il avait les yeux humides, bien qu'il s'efforçât de ne pas craquer. Les deux jeunes hommes, après hésitation, s'accordèrent une accolade timide.

« T'as une sale gueule, tenta Lev pour alléger l'atmosphère.

– Moi, j'ai au moins une excuse. », lui rendit‑il.

Lev s'éclaircit la voix.

« Qu'est‑ce qui s'est passé ? Pourquoi t'es parti de cette manière ?

– Lévi... Je ne sais pas comment te dire. C'est arrivé, voilà tout.

– Tu vas faire quoi ? T'es venu ici pour partir avec cette femme ? Pourquoi tu ne nous as rien dit ?

– J'ai voulu vous en parler mais les risques ! On vous aurait associé à ma merde. »

Ils étaient seuls, on pouvait presque entendre leurs voix résonner. Lev cherchait ses mots, les bons mots.

« Fuir te donnera des allures de coupables. Tu peux encore plaider...

– Plaider quoi ? On a tué l'un des nôtres. Les Censeurs vont me tomber dessus et sur elle aussi. C'est irrattrapable ce qu'on a fait ! Je suis coupable de ce qu'on m'a...

– Tu te trompes, l'interrompit‑t‑il. Il est vivant. Rovere est vivant. »

L'annonce n'eut malheureusement pas l'effet qu'aurait voulu Lev : Marek expira de fatigue. Il était abattu, résigné.

« Ça ne change rien au fait que j'ai voulu le tuer. Tu ne sais pas ce dont ce mec est capable. J'aime Alicia, je l'aime trop pour la laisser en sachant que le gars est en vie. C'est pire que tout. Il pourrait la tuer. »

Incrédule, Lev finit par craquer. Comment pouvait‑il être obnubilé par une femme mariée vu ce qui se passait dans sa famille ? :

« J'en reviens pas Marek ! Pense à Adelheid, pense à ta sœur, Lorelyne ! À tes amis ? Tu vas être un fugitif maintenant ? Tu saurais vivre comme ça ? »

Plus question de garder son calme. Il était monté d'un ton, ce qui provoqua l'irritation de Marek.

« Laisse Adelheid en dehors de ça. Elle n'a rien à voir.

– Je ne peux pas te laisser dire ça. Elle est... Tu l'aurais vu Marek. Ça ne tient à rien qu'elle se tienne debout. Elle, elle fait tout pour toi. Elle s'est chargée du mec pour que ça ne se sache pas. Personne n'est au courant. Et... et elle pourrait te sortir de là, ton père aussi. Parce que t'es un Bancroft. »

Le souffle lui manquait tellement il débitait vite ses arguments.

« Ce que je veux dire. C'est que tu peux t'en sortir.

– Putain Lev, tu ne comprends pas ! Je sais, mais Alicia. Alicia ! Je sais de quoi ça à l'air, que le timing est merdique, que ce n'est pas le moment... Mais je l'aime !

– Ta femme mariée ? Tu crois sérieusement qu'elle t'aime aussi ? Que ça vaille le coup de tout laisser derrière toi ? Puis ces gens sont connus, ils se méritaient apparemment.

– Je t'interdis de dire ça ! Ce mec était violent avec elle. Il n'a pas supporté qu'elle ne veuille plus de lui. Qu'est‑ce qui te prend ? De parler sans savoir ? »

Lev fronça les sourcils. Marek reprit :

« On est tombés amoureux. Je n'ai pas eu de chance, elle est mariée. Ce soir‑là, elle a voulu lui dire qu'elle le quittait. Il a voulu s'en prendre à elle. Tu ne sais pas comment je regrette de pas l'avoir fini.

– Arrête, ce n'est pas une tragédie, vous n'êtes pas des amants maudits ou quoi. Je suis sûr qu'elle se débrouillera. Allez, viens avec moi, renonce à t'en aller. On va trouver une solution !

– T'as toujours tout vu comme des problèmes qui peuvent se résoudre. Même les choses les plus irrationnelles.

– Tu es comme ça toi aussi. Tu t'es toujours moqué des femmes comme elle avant. Pourquoi ce serait différent maintenant ? T'es juste... embrouillé par ce qui se passe !

– Je croyais l'être. Et j'étais arrogant, avant de la connaître. »

Lev serra le poing, leur discussion n'avait pas l'effet escompté. Pourtant, il était déterminé à convaincre (sauver ?) Marek que ce n'était pas la bonne voie à prendre.

« Reviens avec moi. Ce qui t'attend, tu ne pourras pas y faire face seul. », le prévint Lev.

Marek se tourna vers lui, décidé également :

« Tu ne comprends pas, je ne suis pas une victime dans cette histoire. Je ne dois pas être sauvé. »

Lev lui saisit l'avant‑bras avec force.

« Pourquoi avoir accepté qu'on se voit si tu es si sûr de partir avec elle ? »

Marek le dévisagea et l'obligea à le lâcher.

« Parce que je ne voulais pas partir sans te voir, comme il se doit.

– Mabel pense que c'est parce que j'étais là, que t'as rien voulu nous dire hier. »