chapitre dix-sept

STERENN RANGE minutieusement ses affaires de travail. L'été démarre dans une grosse dizaine de jours et pourtant jamais elle ne quitte son appartement. Ses murs tapissés de cours représentent sa vie depuis des années et l'angoisse de passer à autre chose se fait sentir à plein nez.

La bretonne se met à trop penser. La nuit est tombée sur la ville éclairée, Nice et son ciel étoilé. Depuis cette fameuse soirée au Jimmy'z, après ce grand prix remporté par le monégasque de naissance, Sterenn est en pleine défaillance. Ses pensées sont emplies de méfiance envers celle en qui Charles a pleinement confiance.

Le membre supérieur de son corps, anormalement bleuté, peine à la rassurer. Savoir qu'il lui a menti droit dans les yeux la blessent, plus que de raison mais après tout, il n'a pas à lui avouer toute la vérité. Ils n'ont plus rien à partager à présent. Ces baisers insignifiants sont l'unique raison du semblant de relation qu'ils possèdent. Enfin, ce avant que la jeune femme ne coupe les ponts.

Elle ne peut s'empêcher de se poser mille et unes questions concernant sa vision dans la pénombre de la discothèque. Était-ce réel ou bien illusoire ? Ses songes l'amènent à la conversation qu'ils ont entretenu durant des semaines. La bretonne fixe sans discontinuer l'écran de son téléphone.

Est-ce réellement nécessaire de creuser ?

Sterenn voudrait hurler de rage. Le monégasque occupe ses pensées alors qu'ils ne s'adressent plus la parole depuis le mois dernier. Pourquoi s'inquiéter d'un homme perturbé ? Sterenn abandonne. Persuadée qu'elle se fait des films et que la pelicule se déroule de manière étrange, et qu'il faut la rembobiner. Oublier ce qu'elle a observé sur son bras. Oublier une preuve concrète qui pourrait changer le cours d'une vie.

Voici la rude conséquence d'une décision hâtive et masquée par des sentiments bien trop puissants.

— Quelle conne, râle-t-elle soudainement.

Ses gestes ne sont que furie. Elle range violemment ses classeurs dans ses tiroirs, et si elle écoutait son subconscient la suppliant d'arracher les post-it par milliers, elle s'en voudrait pour l'éternité. Heureusement que Sterenn a encore le contrôle sur ses propres pensées. Elle a l'impression de devenir folle tant elle a un mauvais pressentiment. Tant ses propres émotions sont incompréhensibles pour elle.

Rageusement, elle prend son coussin et laisse échapper un cri lui irritant les cordes vocales. Sa vie était tellement plus simple lorsqu'elle n'était occupée que par la kinésithérapie, et non de magnifiques yeux vert dans lesquels elle irait se noyer volontairement.

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Après deux longues journées d'observation à l'hôpital, Charles a pu rentrer chez lui. Il a élu domicile sur son canapé, déprimé de regarder un grand prix sans avoir la possibilité de conduire. C'est comme si à la dernière minute, il a été évincé d'un des rôles principaux du film de sa vie. L'Espagne démarre, le monégasque observe son ami réaliser un sublime départ au volant de l'Alpine, et son coéquipier conserver sa deuxième place au premier virage, derrière le néerlandais.

Il a tant d'espoir en Carlos, il sait qu'il a la possibilité d'aller chercher Max afin de l'empêcher de creuser un écart encore plus conséquent, ce qui pourrait condamner son titre une deuxième saison d'affilé. Il ne le supporterait pas.

Le brun se redresse un peu et gémit de douleur. Son dos le heurte, la guérison se fait lente et monotone. Son quotidien depuis deux jours est tellement morne. Tellement terne. Sans formule un, il a l'impression d'errer dans le cimetière de sa vie, sans objectif. Un somnambule. Sa tête le rend souffrant également. Une commotion cérébrale n'est jamais facile à supporter.

De plus, le monégasque se sent réellement seul. Sa famille s'est envolée sans lui pour Barcelone afin de supporter Arthur roulant en formule deux et qui a terminé le week-end par une deuxième place lors de la course principale, et ses amis ont tous des occupations diverses et variées. Chloé, elle aussi, est occupée pour le restant de l'après-midi, ayant un rendez-vous professionnelle avec une marque de joaillerie implantée dans la principauté.

Charles ne prend même pas goût à observer son ami profiter d'un double DNF Mercedes en se hissant sur la troisième marche du podium ; il s'ennuie atrocement. Il a une pensée soudaine pour Sterenn. Que fait-elle ? Devrait-il lui envoyer un message ? Cela ne serait aucunement raisonnable, étant donné qu'elle lui a demandé de ne plus lui adresser la parole. Il n'ira pas la harceler, bien qu'il meurt d'envie de prendre de ses nouvelles. Au moins pour lui assurer que ce qu'elle a découvert au Jimmy'z n'est rien de grave.

Bien que pris par l'ivresse, le brun est parvenu à se remémorer de leur conversation houleuse au cœur de la discothèque. Son regard soucieux le hante. Il est terrifié par le simple songe d'un secret dévoilé. Découvrir ce secret serait dire adieu à une routine installée depuis des années, dire adieu à celle qu'il aime, dire adieu à Chloé.

Il n'a pas le courage de la quitter. Quitter ce navire en train de couler. Quitter cette relation dont il est fait prisonnier.

Il n'a pas même conscience du comportement malsain de sa compagne.

Charles regarde la remise de trophée et un sourire parvient miraculeusement à prendre place sur ses lèvres en voyant la joie incommensurable du français partageant le podium avec Max Verstappen et Carlos Sainz, vainqueur de son grand prix à domicile. Le pilote est heureux pour ses amis. La fin de l'après-midi passe à une lenteur extrême et le monégasque aurait préféré dormir pour ne pas avoir à la subir.

La porte d'entrée claque subitement, le faisant sursauter. Le moindre bruit avec un décibel trop élevé le fait paniquer. Chloé apparaît et un sentiment de malaise le prend, controversé par la joie de la revoir et de pouvoir la prendre dans ses bras. La blonde sourit et l'embrasse avant de se caler contre lui, s'allongeant sur le canapé. Le silence n'est pas pesant, pour la première fois depuis un long moment. Charles savoure cette étreinte devenue si rare. Savoure de savoir que la Chloé dont il est tombé amoureux n'est pas enfouie au fin fond de son âme, rongée par des démons prenant possession de ses actes.

— Tu... tu penses réellement que je suis comme mon père ?

Le monégasque déglutit, ne sachant que répondre. Le père de la blonde a été durant toute son enfance et le début de son adolescence un homme violent, battant sa famille sans aucun scrupule, sans aucune culpabilité. Après avoir été condamné à des années de prison pour violences conjugales, infantiles, agression sexuelle et homicide volontaire, il s'est suicidé quelques semaines après son incarcération. Chloé a vécu dans un traumatisme qui a modifié sa façon d'agir envers autrui. Elle se construit un bouclier qui n'est que façade.

Les deux jeunes adultes se sont mutuellement aidés à leur rencontre. Reconstruire ce qui a été détruit. L'un n'a pas réussi à passer au-dessus du traumatisme.

— C'est délicat. Pour moi, soit tu lui ressembles à cent pour cent, soit tu es son exact opposé. Il n'y a pas d'entre deux. il parvient à détourner la question délicate.

Il songe réellement à cette pensée. Pour lui, les actes des parents ont des conséquences éternelles et irréversibles sur le futur comportement de leur enfant. Et il n'y a que deux issues : la ressemblance, ou la différence. Plonger dans l'enfer et effectuer les mêmes erreurs, créant une boucle infernale, ou parvenir à se défaire de cette image dégradante et devenir le contraire de leur modèle.

— Je t'aime Charles, murmure doucement la jeune femme en se calant contre son torse, évitant de heurter son dos douloureux.

— Je t'aime aussi.

Mais il ne sait pas dans quel camp se positionne sa bien-aimée.

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rendez-vous mercredi :) j'ai hâte que vous découvriez la deuxième partie de l'histoire ! elle va être cool :) j'espère que vous avez apprécié le chapitre en tout cas !

-alcools

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