Chapitre 9
_ NON !
J'envoie valser un ordinateur portable par terre. Je bouscule Jera et m'enfuis du sous-sol en courant. J'entends Kasey me courir après en m'appelant pour me dire d'arrêter mais je n'obtempère pas. Je me précipite dans une autre rue et me cache pour pas que l'on me voit. Je laisse passer quelques secondes, le cœur battant à tout rompre. Je ferme les yeux et reprends ma course. Je débouche sur une autre rue et, sans faire exprès, je bouscule une femme portant un cageot de patates. Je m'excuse en l'air et continue de courir. J'arrive rapidement dans la maison où nous nous sommes installés.
Une fois là-bas, je monte à l'étage pour saisir mon neuf millimètre. Je retire le chargeur et vérifie qu'il y est des balles. Il ne m'en reste pas beaucoup. Six, tout au plus. Je remets le chargeur. Une suffira amplement.
_ NAM !
Hemming vient de rentrer dans la maison. Je l'entends se précipiter dans les escaliers pour venir me cueillir face à lui, le canon droit sur le côté de ma tête, prête à me faire exploser.
Dès qu'il voit le cadre, il s'arrête d'un coup, les mains à plat en me fixant avec de grands yeux.
_ Nam, qu'est-ce que tu fais ?, me demande-t-il. Ne fais pas de conneries, donne-moi cette arme.
_ Sinon quoi, Hemming ? Tu vas m'en empêcher ? Je suis morte de toute manière !
Les cercles froids et durs du canon pressés contre ma tempe me font comprendre que j'ai la liberté d'arrêter tout ça, à tout moment. Mon père veut me tuer lui-même ? Il n'aura pas cette chance !
_ Nam, ne fais pas ça. Je t'en empêcherai.
_ Alors essaie.
Comme pour compléter ma réplique, je charge le revolver et le fixe durement sur ma tête. Me voir le défier comme ça et jouer avec ma vie le déstabilise tellement qu'il ne parle même plus.
_ Alors ? Tu ne dis plus rien ?
Hemming fait un pas vers moi mais je recule de la même distance. Il lève les mains comme pour se prouver qu'il est innocent de quelque chose. Une chose imaginaire.
_ Nam, tu ne veux pas faire ça.
_ Qu'est-ce que tu en sais ?, dis-je en haussant le ton. Tu ne sais pas ce qu'il se passe dans ma tête !
_ Oh si, je le sais ! Tu as peur !
_ Non, c'est faux ! Je n'ai peur ! J'en ai marre, c'est tout !
Il a réveillé quelque chose en moi, tout au fond. Quelque chose dont je détourne sans arrêt le regard depuis plus d'un mois, maintenant.
_ Tu as peur ! Tu es une lâche ! Tu veux te faire exploser ? Vas-y ! Alors que tout le monde compte sur toi pour sauver Atorn ! Tu es lâche, tu fuis tes responsabilités !
_ On l'a décidé pour moi ! Je n'ai rien demandé de tout ça ! Je veux qu'on me laisse en paix !
Ma voix monte d'un ton et d'une octave à la fois, alors que celle d'Hemming reste sur la même ligne, presque neutre. Il pourrait être plus dur, ça m'empêcherait de penser qu'il s'en fout de ce qu'il se passe autour de lui. Lui aussi ne veut faire qu'une chose. C'est récupérer son chez-lui, comme moi je veux récupérer ma vie d'avant.
_ En paix ? C'est toi qui es allée te jeter dans la gueule du loup !
_ La faute à qui ?
_ Ne blâme pas Kasey ! Il ne t'a jamais demandé de l'accompagner !
Je pince mes lèvres entre elles en acceptant que je sois la seule fautive dans cette prise de décision. Je ne sais plus si je ne regrette pas, maintenant.
_ Tu ne sais rien de ce qu'il s'est passé, Hemming ! Tu ne sais rien de moi ! Personne ne sait rien !
_ Alors quoi ? Tu vas partir en laissant des milliards de personnes derrière toi se faire tuer ?
_ Vous récupèrerez mes empreintes sur mon cadavre !, lui crié-je.
_ Et Kasey, tu y as pensé ?
_ Quoi Kasey ?
_ Tu veux le laisser seul, lui aussi ?
Je me mords l'intérieur de ma joue pour me retenir de ne pas frapper Hemming avec la crosse du flingue. Un goût métallique s'empare de ma bouche. Voilà que je saigne, maintenant !
_ Laisse Kasey en dehors de ça !
_ Pourquoi ? T'as peur de ça ? T'as peur de le décevoir ? Tu veux arrêter mais tu ne veux pas le laisser, hein ?
_ Hemming, la ferme ! J'en ai marre ! Laissez-moi tranquille !
Ma voix tremble. Une boule se forme dans ma gorge, au final. Je suffoque même. J'ai du mal à respirer et ma cage thoracique se soulève frénétiquement.
_ Voilà, on y est ! Tu veux tout claquer ! Alors qu'il y en a qui compte sur toi ! Kasey compte sur toi ! Il t'aime mais toi, t'es égoïste ! Tu ne penses qu'à toi ! Tu fais et réfléchis à des choses sans rien dire à personne, leur imposant tes décisions ! Parce que tu n'es pas capable de te plier ! T'as une grande gueule, tu crois que tout t'es dû mais c'est faux !
_ Arrête, putain ! Arrête !
Je plaque mes mains sur mes oreilles pour ne plus l'entendre. Mes mains exercent une telle pression que mon cerveau bourdonne.
_ Alors quoi maintenant, Nam ? Tu vas te tuer pourquoi ? Parce que t'es une lâche ! Tu t'en fous de toi-même ! Tu ne penses qu'à toi !
_ J'AI DIS ARRÊTES !
Je gueule de toutes mes forces en braquant mon arme sur le mur à côté. Je vide le chargeur en même pas trois secondes. Même sans balles, je continue de tirer. Comme si des balles allaient se régénérer toutes seules, comme la première arme que j'ai essayé chez Manny et Bobby, à Faniath. J'arrête de crier lorsque le feu qui s'est installé dans ma gorge devient insoutenable. Je respire à nouveau en baissant mon bras. Hemming se précipite vers moi et m'arrache le neuf millimètre de la main pour l'envoyer loin de moi. Il me prend dans ses bras et caresse ma tête.
_ Je suis désolé... Je devais te pousser à bout pour que tu comprennes...
_ Je n'en peux plus, Hemming ! Je veux que ça s'arrête ! Je n'ai rien fait ! Je veux être tranquille !
_ Je sais... Mais il n'y a qu'un moyen pour que ça s'arrête...
Je plaque mon front sur le torse d'Hemming et un sanglot m'échappe. Et je réalise enfin.
J'ai voulu me suicider.
_ Ne dis rien à personne sur ce que je viens de faire. S'il-te-plaît, Hemming.
_ On dira que tu t'es seulement énervée sur le mur.
Je soupire de soulagement lorsque j'entends ces mots.
On entend plusieurs personnes monter rapidement les marches des escaliers pour arriver à nous. Je me décale d'Hemming quand Aedan, Jera et Kasey débarquent dans la chambre. Kasey s'approche de moi et encadre mon visage de ses mains. Ses yeux se plongent dans les miens. Je me sens de suite apaisée. Je soupire et Kasey m'embrasse le front.
_ C'est quoi tous ces impacts de balles ?
Aedan s'approche du mur que j'ai détruit et me regarde avec un air incrédule. J'allais pour répondre mais Hemming me devance.
_ Elle était énervée. Elle devait se défouler.
Jera acquiesce de la tête. Aedan s'approche de moi et demande à tout le monde de nous laisser seuls pour discuter. Kasey est le premier à s'en aller. Il demande de faire attention à moi. Les autres suivent le pas et Aedan referme la porte.
_ Je comprendrais si tu ne veux pas y aller. Si tu veux, quelqu'un prendra tes empreintes et les moulera sur un gant pour désamorcer la bombe.
_ Mais cette personne risque d'y laisser la vie.
_ Beaucoup d'entre nous sont seuls ici. Ils ne leur restent plus que la milice. Certains se sont même proposer pour y aller à ta place, rien que pour venger leurs familles décimées.
Je m'assieds au pied de mon lit et Aedan fait de même. Il replie ses genoux comme moi et continue de parler.
_ Ta réaction est compréhensible, Nam. Tout ça peut se justifier. Tu as déjà donné, personne ne t'en tiendra rigueur si tu ne veux pas retourner là-bas.
J'hoche la tête en réfléchissant bien à sa proposition. Ce serait une solution mais je devrais y réfléchir posément avant de rendre mon verdict. Ce n'est pas quelque chose que l'on décide à la légère.
_ Tu vas avoir besoin d'un peu de temps, je suppose. Mais ne tarde pas trop, on ne sait toujours pas quand seront tirées les ogives. Et surtout, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu me le dis...
Un cri. Un cri d'effroi. Des gens qui courent. Aedan continue de parler et un autre cri se fait entendre. Je lève ma main en me retournant. Aedan arrête de parler.
_ Quoi ?
_ Chut, écoute, lui conseillé-je.
On ne bouge plus et on tend l'oreille. Beaucoup de personnes courent et crient en même temps. Ils appellent à l'aide.
On se lève d'un coup et on court pour rejoindre les personnes qui font du bruit. Dès qu'Aedan sort de la maison, un des coureurs s'arrête, en sang, et appelle ses compagnons pour les prévenir qu'Aedan est là.
_ Aedan, l'heure est grave !
L'homme est essoufflé. Il se tient à ses genoux pour ne pas tomber à la renverse. Aedan l'aide à se redresser pour lui demander ce qu'il se passe.
_ Il faut prendre les armes ! Ils arrivent !
_ Qui arrive ?
_ L'Armée ! Ils ont emmenés beaucoup d'armes avec eux, notamment de gros chiens noirs aux yeux rouges.
Les... Oh non ! J'attrape l'homme par l'épaule et le force à me regarder.
_ Combien sont-ils ?
_ Près de cent arrivent par le Nord ! Ils seront là demain matin, au plus tard !
Je me tourne vers Aedan avec un air des plus sérieux.
_ Appelle tous tes gars. Amenez les femmes et les enfants dans des bunkers ou des sous-sols, dans des endroits protégés, quoi. Il ne faudra pas faire de bruit. On a du pain sur la planche, Aedan !
_ Oh mon dieu... Laina...
Le nom de la ville m'éveille encore plus. Nous nous tournons tous vers une femme plantée devant une petite télévision. Je m'approche rapidement d'elle et regarde l'écran.
Une image de ruines, de cadavres ensanglantés et des gens qui pleurent. Les rues que j'ai parcourus pendant près de sept ans. Et en-dessous, un titre : « l'attaque bleue ».
Ils ont réparé les machines pour les ogives.
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