Chapitre 5
Une mini ville dans une crevasse au fond d'Atorn, entourée de parois rugueuses et onduleuses orangées. Osgor est remplie de gens qui court dans tous les sens, d'enfants en train de jouer et d'hommes et de femmes portant des armures que je n'avais jamais vu auparavant.
Jera ouvre la marche jusqu'à une maison à un étage seulement sur le côté droit de la route, pas loin d'une petite place marchande. Nous y entrons tous et nous visitons les lieux.
Une petite salle à manger avec une grande table et un canapé sur la droite, près d'une fenêtre. Un escalier contre le mur montant à l'étage propose trois chambres séparées et des toilettes communes.
_ On va se bousculer pour la douche !, nous prévient le sous-directeur de l'Armée.
Personne ne relève et je m'avance vers les chambres.
_ Nam ?
Je me retourne et vois Jera derrière moi.
_ Ta chambre est celle du milieu.
Je suis son regard et marche vers la porte indiquée. Dès que je l'ouvre, je vois un sac à dos, un sac en bandoulière, un fusil, un neuf millimètre, deux machettes, deux couteaux plus petits et un Wheellock. Je m'approche de ce dernier et remarque qu'il est identique à celui que j'avais avant. Et sur la boule, il y a les initiales de ma mère, ainsi que les miennes. Ce sont mes affaires.
_ Comment ?
_ Le soir de l'interview avec Tiffany Houtch, Gio savait qu'il y aurait un problème si tu y participais. Alors la veille, il est parti avec Iori et quelques sujets de sa bande pour emmener et protéger tes affaires. Ici.
Je pose le Wheellock et ouvre le chargeur de mon fusil.
_ Ils sont ici ?
_ Non, ils sont retournés à Acropolis. Nous n'avons pas de leurs nouvelles depuis trois jours.
J'accuse le coup. Je repose mon arme et me tourne vers Jera.
_ Quand est-ce que je verrai celui ou celle qui vous a engagé ?, l'interrogé-je.
_ En fin de journée. Il lui faut du temps pour préparer la rencontre. Ça fait longtemps qu'il attend de te voir, en réalité.
_ Qui ça, il ?
Jera m'adresse un faible sourire et s'en va. Alors il s'agit d'un homme ?
Je regarde à nouveau mes affaires et enfile mes armes. Et je me revois, complète. Comme avant.
Je sors de ma chambre et descends les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée.
_ Je reviens plus tard.
Je claque la porte d'entrée avant même que les autres ne répondent. J'ai besoin d'être seule, en fait. Je me mets à marcher vers le petit marché qui s'est installé à côté de la maison. Au loin, on peut voir le canyon se répandre loin devant nous, s'ouvrir comme une cicatrice géante. Je regarde par où nous sommes arrivés. Je ne souhaite pas y retourner pour le moment.
Au marché, plusieurs personnes proposent des fruits, des poissons luisants aux écailles crochues (où les trouvent-ils ?), de la viande d'animaux ou encore des bijoux. Je m'arrête à ce stand et regarde un peu ce qu'ils ont à proposer.
_ Bonjour ! Que puis-je faire pour vous ?, me demande la vendeuse derrière son comptoir.
_ Oh, rien, merci ! Je ne fais que regarder !
_ Vous me rappelez quelqu'un.
Je relève la tête face à sa réplique.
_ Qui donc ?, demandé-je.
_ Oh, sûrement que j'ai dû me tromper ! Mes yeux me jouent souvent des tours !
Je lui souris gentiment et passe mon chemin. Je finis vite la visite avec une pomme à la main. Je croque à l'intérieur et me dirige encore plus vers l'Est. L'astre, un peu plus haut dans le ciel, ne touche plus les toits des maisons. La nuit ne va pas tarder à tomber. Plus loin, j'entends les bruits des éclats de rire d'un enfant. Plusieurs même. Je m'avance encore et remarque une aire de jeux, à l'ombre.
Il y a une balançoire dépourvue d'occupants. Je m'approche et m'assieds dessus, après avoir retiré mes affaires. Je croque dans ma pomme et regarde autour de moi.
Les enfants, accompagnés de leurs parents, n'ont aucune idée de ce qu'il se passe au-delà de leur cachette. Ils sont tellement... Innocents ! Ils n'ont fait de mal à personne. Ils n'ont rien à voir avec tout ça. Et peut-être qu'un jour, le malheur viendra frapper à leurs portes et les réveiller. Leur dire qu'ils ne sont plus à l'abri nulle part.
Ça, c'est ce qui arrivera si je reste ici, les bras ballants. Sauf que je ne resterai pas comme ça, les bras croisés à attendre que ça nous tombe dessus.
Clark est revenu à la capitale. Avec le Pluratium. Ils ne tarderont pas à le faire tester. Tobias aussi le sait. Il a peur, autant que moi. Ça se trahissait dans ses yeux. Et il connait Clark. Il sait de quoi il est capable. Mais, maintenant, ce n'est plus la peine d'y penser. C'est lancé, de toute façon.
Je croque encore une fois dans ma pomme. Un couple de personnes âgées, sous un abri, regarde les enfants jouer, à l'aube de leur fin. Ils doivent sûrement se demander ce qu'ils feront ce soir à diner. J'aimerais avoir l'esprit aussi tranquille.
Je repense au regard vicieux et brûlant de haine de mon père lorsque j'ai été le voir dans son bureau. Et le bruit de son poing sur la table. Et le liquide brun qu'il buvait avec le père de Jared. Comment ai-je fait pour vivre avec lui toutes ces années ? Quand j'y réfléchis, je me dis que c'est seulement parce que j'avais peur. Mais ça remonte à il y a tellement longtemps que je ne sais plus. J'ai appris à ne plus vivre dans la peur. À ne plus avoir honte de mes cicatrices dans mon dos, même si je les cache au maximum.
Je sens quelqu'un s'installer sur la balançoire à côté de moi. Je tourne la tête et vois Kasey.
_ Tu devrais revenir. Martin et Masana ont besoin de toi.
J'ai un pincement au cœur quand j'entends ça. Je me lève et Kasey me ramène vers l'immeuble délabré, où ils ont emmené Martin pour soigner sa jambe. Dès que Masana me voit, elle me fonce dessus pour me prendre dans ses bras, les joues pleines d'eau salée. Je la serre contre moi à mon tour.
_ Qu'est-ce qu'il y a ?
_ Martin... Il... Je ne comprends pas... Le médecin a dit des choses impossibles à avaler...
Je la prends par les épaules et nous nous dirigeons vers la salle de repos où Martin se tient.
Une odeur assez désagréable monte dans mes narines. Sa jambe est recouverte d'un drap rouge et blanc, avec une grosse tâche jaune et orange au niveau de sa coupure à la cuisse. Un orteil en dépasse. Il est tellement noir que je n'ai même pas reconnu cette partie du corps. Martin ruisselle sous la lumière de la lampe au-dessus de lui. Des perles de sueurs lui coulent du front et il est blême.
Le médecin à côté de lui nous voit arriver et nous préviens que ce n'est pas beau à voir.
_ Qu'est-ce qu'il a ?
_ J'ai perdu ma jambe à 75% de ses capacités.
Martin lâche ça d'une traite et gémit, sûrement sous l'effet des produits qu'ils lui injectent dans le bras.
_ Vous ne pouvez pas lui donner une languette de survie ? Ou même autre chose ?
_ Le venin des empâleurs est impossible à guérir. Ils n'ont jamais été attrapés. Et puis, le liquide que monsieur Hyetta a reçu s'est immédiatement propagé dans sa jambe pour se dissoudre et endommager quelques-uns de ses muscles. Nous rendrons l'aspect normal à sa peau mais il ne pourra marcher qu'à l'aide de béquilles, le temps de lui procurer une prothèse.
Je regarde Martin. Il a l'air de tellement souffrir. Masana agrippe mon bras tellement fort que c'en devient difficile de sentir mes doigts.
_ Merci docteur. Viens Masana.
Kasey s'approche doucement de Masana pour l'emmener prendre l'air. Je décide de rester un peu plus avec Martin. Le médecin décide qu'il est temps de prendre congé.
_ Ne t'en fais pas. Masana et moi, on ne va pas se lâcher comme ça !
Je souris et Martin me le rend. Il tousse un peu puis se reprend.
_ Je suis sûr que... Doug aurait déjà trouvé un remède à ça, s'il avait été là...
Je baisse la tête en repensant à tout ce qu'il nous est arrivé depuis notre arrivée à la prison.
_ Et j'ai mentis...
Je le regarde à nouveau. Il ne tourne même pas les yeux pour me regarder.
_ J'ai demandé au médecin de mentir aussi. Ma jambe est en lambeau et je ne la récupèrerai jamais. C'est pour ça que j'ai un drap au-dessus. Je ne veux pas faire peur à Masana. Le médecin m'a dit qu'ils avaient une machine pour reconstruire ma peau mais que j'aurai des séquelles. Ils n'ont pas la même technologie qu'à la Capitale, du coup... Enfin, tu vois...
_ Je suis désolée, Martin...
_ Ne le sois pas. Ce n'est pas de ta faute. Si je suis ici et dans cet état, c'est que ça devait en être ainsi.
_ Et tes parents ?
_ Je ne pourrai pas aller les voir tant que je ne pourrai pas sortir d'ici. Je vais devoir reporter mon voyage avec Masana pour Tullien.
J'affirme avec un signe de tête. L'odeur devient insupportable.
_ Je vais te laisser te reposer, d'accord ?
_ Oui, dit-il en attrapant ma main avant que je ne parte. Merci Nam. Merci de nous avoir aidés à y voir plus clair.
Je lui souris et serre amicalement ses doigts dans ma paume. Je me retourne et me dirige vers la sortie. Dès que l'air frais percute mon visage, j'en prends une bouffée pour tenter d'effacer tout ce qu'il vient de se présenter à moi.
Martin ne pourra plus marcher. Et c'est de ma faute. Je me décale et m'assieds contre le mur pendant cinq minutes.
Il faut que je me réveille de ce rêve atroce. Tout ça sera bientôt finit. Ce n'est pas réel. Je rêve, là.
Aidez-moi !
*
Je sens une main se poser sur mon épaule. Hemming me sourit d'un air confiant.
_ Tout va bien se passer pour lui !
_ Je l'espère, oui.
Je me retire et monte dans ma chambre pour me reposer un peu. Mais apparemment, Hemming ne veut pas.
_ Nam ?
_ Oui ?
Je lui tourne le dos, face au lit. Je n'ai pas envie de bouger. Pourquoi je dois toujours faire quelque chose et ne pas passer une journée dans un lit sans bouger ?
_ Tu as rendez-vous !
Finalement, je ne vais pas rester dans le lit !
Je suis Hemming et on sort de la maison sous l'œil de Masana et Kasey. Masana a réussi à se calmer, on dirait.
Nous traversons plusieurs rues avant de nous retrouver devant une église délabrée. Deux colosses encadrent l'entrée, ainsi que Jera. Ils sont armés même. Lorsque l'oncle de Jared leur fait un mouvement de tête, l'homme de droite ouvre la porte et Jera disparait à l'intérieur de l'église. Je me tourne vers Hemming qui me sourit poliment et m'incite à rentrer d'un geste de la main.
Les bancs de l'église sont d'un bois foncé et complétement meurtri. On peut presque imaginer les enfants gratter la peinture du banc d'en face en attendant la fin des messes. Il reste encore des papiers de chants religieux, ou encore des livres ressemblant à des bibles. Mais ils sont trop cornés et déchirés pour savoir s'ils en étaient vraiment. Des chandeliers noircis par la cire dégoulinante et la poussière qui s'y est incrustée. Les vitraux et le toit sont par endroits troués, comme si des catapultes avaient tentés de réduire en miettes l'édifice. Au fond, un autel, vieilli par le temps, et quelques bougies le décorant.
Jera s'avance jusqu'au premier banc. Il m'indique la place côté couloir et je m'assieds.
_ Attends ici.
Jera s'éloigne et je me retrouve seule dans cet endroit. C'est assez glauque, d'ailleurs. S'il avait fait nuit, on se croirait dans un cauchemar. Je m'installe confortablement et attends pendant au moins dix minutes. Je m'ennuie tellement que je commence à tripoter les écailles de bois de l'accoudoir.
Un claquement de portes fait des vagues dans le silence religieux. Je relève la tête d'un coup et scrute l'environnement à la recherche d'une personne.
_ Il y a quelqu'un ?, crié-je dans le vide.
Pas de réponse. Je me lève et m'avance vers l'autel. Mais rien. Rien à part les confessionnaux et les statuettes.
_ Il y a quelqu'un ?
Rien. Je soupire et me retourne pour me rassoir. Je sursaute quand je vois une ombre devant la lumière du jour. Un grand corps se dresse devant moi. Avec une tête déformée, la personne s'avance pour s'approcher de moi. Mes yeux commencent à s'habituer à l'ombre. Des formes se dessinent. Des cheveux, mi- longs et bouclés. Des yeux sombres. Un sourire bienveillant et de petites fossettes aux joues.
Je tombe à la renverse, emportant avec moi un chandelier qui fait un bruit cristallin quand il rejoint le sol. Je m'appuie de justesse sur ma main pour ne pas me rétamer complètement.
Quand je vois le visage de la personne qui se dresse devant moi, je n'en crois pas mes yeux. C'est juste... Impossible...
_ Bordel...
Je me ressaisis peu à peu au fur et à mesure qu'il s'approche. Son regard se fait inquisiteur, comme si il voulait déchiffrer mes pensées. Mon visage redevient neutre, presque énervé.
_ Bonjour, Nam.
_ Vous êtes qui ?
Dites-moi que ce n'est pas ce que je pense !
_ Je m'appelle Aedan. On a beaucoup de choses à se raconter, toi et moi.
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