Chapitre 19
_ Par là !, crié-je aux autres.
Furie a pivoté sur la gauche vers une pleine cernée de buissons, d'arbres aussi grands que moi et de rochers. Les autres nous suivent, laissant passer ma monture en premier. Furie zigzague entre les plantes pendant quelques secondes avant de se jeter dans une grande tâche noire sous plusieurs cailloux de la taille d'un homme.
Nous avions décidés de ne pas passer par là où nous sommes sortis quand nous avons récupéré Hemming. Les soldats rouges avaient déjà investi les lieux la semaine passée, quand nous les avons guidés jusque-là. Pas la peine de tenter le diable et tout jeter par terre juste parce qu'on a pris le mauvais chemin.
Le bruit de métal et de dent de bernique frappent les parois du premier tunnel où l'on s'introduit. Il fait noir complet mais bizarrement, j'arrive à voir grâce aux casques. Les soldats de la milice et la Garde ne freinent pas leur cadence. Sûrement que leur combinaison leur permet de voir à travers le noir aussi, comme Furie, grâce à ses yeux jaunes.
Le vent bat sur mon casque et les poils de Furie remuent dans tous les sens autour de moi. Un virage à gauche, puis un à droite. Encore un légèrement à droite puis nous ne tournons plus sur plusieurs centaines de mètres. Je regarde autour de moi. Les gardes nous suivent toujours, d'après le pas de course qu'ils ont. Et je me rends compte que nous sommes dans une galerie beaucoup plus large que je ne le pensais. Les murs sont fait de pierres humides. On peut sentir l'odeur d'eaux marécageuses qui ruissellent dans le coin. Et aussi une odeur de poil mouillé.
Une étincelle se déclenche dans ma tête, puis un flash apparaît devant moi.
_ GIO !
Je hurle son nom aussi fort que je le peux pour qu'il m'entende et qu'il se rapproche de moi. En deux foulées, il se trouve à côté de Furie.
_ QUOI ?
Le bruit que nous faisons nous force à parler encore plus fort que la normale pour se faire entendre.
_ IL FAUT QU'ON SORTE DE CETTE GALERIE !
_ POURQUOI ?
_ TU SENS CETTE ODEUR ?
Il ne répond pas pendant un moment, preuve qu'il essaie d'analyser ce qu'il se propage autour de nous.
_ EH MERDE ! DIS À FURIE DE CHANGER DE TRAJECTOIRE ! JE PREVIENS LES AUTRES !
Gio freine sa cadence et hurle pour se faire entendre.
_ RESTEZ SUR VOS GARDES ! DES LERIDAS NE SONT PAS LOIN !
Je me penche en avant pour souffler à Furie de nous sortir de là mais il est trop tard !
Derrière moi, un cri strident se fait entendre. Plusieurs après ça. Des hommes, des femmes. Plusieurs gardes en combinaison s'approchent de moi. J'ignore qui ils sont mais ce n'est pas ça qui me préoccupe. C'est le fait d'entendre une sorte d'alarme, juste devant moi. Et ses yeux rouges.
_ ATTENTION !
Un coup d'œil en avant nous fait rapidement entrevoir qu'il y a deux grosses bêtes velues et mouillées juste devant nous. Furie accélère le pas en rugissant. Une lumière fait monter sa cadence et un cri rageur se jette sur le Lérida de gauche. Un bruit sourd, suivi de crissements de dents courent à côté de mon oreille et s'évapore derrière moi.
Furie se déporte sur la droite et ouvre sa gueule. Je m'accroche fermement mes doigts à son poil rugueux et attends la secousse. Furie saisit la gorge du Lérida avec sa gueule. Plusieurs gouttes fouettent mon casque, ainsi qu'une queue pleine de poils comme des lames de rasoirs. Le verre de mon casque s'ouvre. La douleur est vive, criarde sur ma joue droite. Insupportable. Le venin se répand en moi comme de l'eau au milieu de cailloux. Bientôt, je commence à ne plus sentir ma joue, puis mes bras et je commence à geindre.
Furie reprend sa course et quelque chose saute derrière moi. Je ne peux même plus réagir. Ma gorge est prise par une grosse touffe de poil qui obstrue toute ma trachée et bientôt, je ne peux plus respirer. Je me sens lourde et inutile. Bientôt, je ne sentirai plus mes jambes, ni mes pieds.
On ouvre ma bouche et on me glisse une languette dans la gorge. Tout s'arrête. Je reprends petit à petit mes sens. Comme une jauge qui remonterait tout doucement. Ma respiration est très fine, presque impossible. Mais pas inexistante.
Des plaques de fer – de dent de bernique – s'enroulent autour de ma taille.
_ TOUT VA BIEN ! JE SUIS LÀ !
Sa voix me fait comme un son de cloche dans ma tête. On n'a pas vraiment appris à se connaître ses derniers jours. Pourtant c'est une personne importante dans ma vie. Mais j'ai encore du mal à l'accepter. J'ai du mal à accepter Aedan.
Les cris continuent de résonner dans les galeries. Je ne m'occupe plus de rien, sauf de l'effet de la languette de survie dans mon corps. Je reprends peu à peu le contrôle de mes mains et de mes avant-bras. Mes doigts se resserrent autour des poils épais de Furie et nous virons à droite, puis à gauche, dans une galerie deux fois plus petite que celle où nous étions.
Les yeux rouges de Léridas sont un indice clair sur leur provenance. Ils appartiennent aux laboratoires de la tour de l'Armée. J'avais trouvé des pièces de bureaux avec des instruments de chimie avec Kasey, il y a quelques semaines. Notamment, un Haze qui dormait à poings fermés dans l'un des laboratoires. Toutes les bêtes ayant des yeux rouges viennent d'Acropolis. Furie a les yeux jaunes. C'est le seul animal qui a les yeux jaunes, à ma connaissance. J'ignore s'il y en a d'autres. Et j'en doute ! Les créations de la Capitale ont tués toutes les anciennes bêtes d'Atorn, pour les remplacer. C'est d'une logique à en vomir !
Mes poumons commencent à se libérer mais ma trachée est toujours bouchée. Le temps que le venin remonte mon thorax, ma gorge ne me permet plus de respirer. J'ouvre les yeux en grand, sous la surprise et la panique. J'essaie de respirer fort pour forcer le passage mais il n'y a rien à faire. Je tape sur la combinaison d'Aedan pour le prévenir.
_ DETEND-TOI ! ÇA VA PASSER ! TIENS BON !
_ QU'EST-CE QU'ELLE A ?, crie Kasey en courant à côté de Furie.
Aedan explique la situation et Kasey lui demande de lui laisser la place derrière moi. Il sort et Kasey monte. Il se colle complètement à moi et cale son casque dans le creux de mon épaule. Il pose sa main articulée sur le casque et le retire, pour masser mon cou. Je sens l'air regagner mes poumons petit à petit mais ma tête est sur le point d'exploser. Mes yeux s'agrandissent encore plus mais je recommence à respirer normalement. Je crache des glaires et tousse fort. Sur ma joue, un liquide s'écoule. Je crache encore et reprends mes esprits pour me concentrer sur ce qu'il se passe.
Kasey me sert toujours contre lui et je me calme en entendant juste les pas criards des soldats derrière moi. Plus de hurlement. Plus de précipitation. Comme si ce que je venais de vivre avait été effacé à la gomme.
_ ÇA VA MIEUX ?
_ OUI... JE CROIS...
_ ON L'EST A TOUS EUS ! NE T'EN FAIT PAS, JE SUIS LÀ !
Le savoir à côté de moi me rend plus sereine. Il m'enveloppe avec ses bras protecteurs et cale son front sur l'arrière de mon crâne. Furie a l'air de bien aller. Il continue de galoper dans les galeries.
Mes yeux commencent à se fermer, un effet secondaire du venin de Lérida. Je penche ma tête en avant mais Kasey la rattrape pour mieux la fixer contre sa joue. Mes mains lâchent prise et Kasey me remplace. Je m'endors aussitôt.
*
Quand mes yeux se rouvrent, nous sommes dans la bouche qui donne sur l'entrée sud de la Capitale, au coucher de soleil. Un petit vent caresse mes joues et me rends encore plus éveillée. Furie s'est blotti contre moi, avec sa taille de chiot. Je me tourne et sens des bras forts autour de ma taille. Je pivote et me retrouve face à Kasey. Ses yeux s'abaissent vers moi et il me sourit.
_ Content de te revoir parmi nous.
_ J'ai dormi longtemps ?
_ Pendant près de cinq heures. On a préféré attendre que tu te réveilles pour nous donner les derniers gadgets de Jeb. Comment tu te sens ?
Je me concentre sur sa question et finis par en trouver la réponse.
_ Plutôt bien. J'ai hâte d'en découdre avec mon père. Et toi ?
_ J'ai un peu peur.
_ Peur de quoi ?
Kasey ne répond pas et me force plutôt à me fondre encore plus contre lui. Je comprends de suite où il veut en venir. Il a peur pour nous. Pour moi. Peur qu'il m'arrive quelque chose. Je ferme les yeux et inspire profondément l'odeur qui émane de lui.
_ Tu seras avec moi jusqu'au bureau de mon père, ne t'en fais pas.
_ Je sais.
Je lève la tête et pose mes lèvres sur les siennes. Il m'embrasse sur le front et m'aide à me lever. Furie se réveille aussi en entendant nos pas. Je baille doucement et nous nous dirigeons vers Jeb, Gio et Kara. Kara a un regard différent sur moi. Il n'y a plus ce mépris qu'elle avait. Peut-être le cache-t-elle pour mieux analyser la situation et ses chances de survie. Pour ensuite me tuer après parce que je ne servirai plus à rien. P't-être qu'elle n'aura même pas à le faire parce que mon père le fera avant.
_ Ah ! Enfin réveillée ! Comment te sens-tu ?, me demande Gio.
_ Une santé de fer !, dis-je doucement.
Jeb appelle les autres d'un sifflement et nous nous agglutinons autour d'une table improvisée par un gros rocher. Deux armes sont posées dessus. Une espèce de pistolet et une boite rectangulaire, munie d'une branche assez large pour le tenir d'une main.
Jeb soulève le pistolet et nous le montre.
_ Ceci est un lance-grappin ! Il y en aura un pour deux, question d'économie ! C'est exclusivement pour le groupe 3. Etant donné qu'ils vont passer sur les toits, ils en auront plus besoin que vous ! Et ceci, c'est pour tout le monde !
Jeb saisit le rectangle et le prend par le manche. Il fait un léger mouvement du poignet et la boite pivote sur le côté.
_ Il s'agît d'une caméra ! Quand vous êtes dans un angle, elle vous sera très utile lorsque vous voudrez savoir s'il y a quelqu'un dans une ruelle ou un couloir ! Ne le perdez surtout pas ! Vous en aurez un chacun !
Jeb regarde attentivement dans le rectangle et sourit.
_ On l'a appelé la jalouse !
Plusieurs personnes rigolent dans l'assemblée, surtout des hommes. Les femmes, elles, même peu nombreuses, font une moue en croisant les bras. Elles se font un peu charrier par les soldats de la milice et de la Garde. Mais elles ne s'en occupent pas. Ce sont bien des soldates !
Kasey s'avance pour passer derrière la table et saisir un lance-grappin et deux jalouses. Il revient vers moi et me tend l'un des rectangles. Je le prends en main et le sous-pèse. Il est plutôt léger et très dynamique. L'ergonomie est impeccable pour ma main. Je le glisse dans l'encoche de ma cuisse et laisse les autres passer pour qu'ils récupèrent les outils dans les caisses ramenées par la milice.
Nous nous éloignons avec Furie et nous nous postons juste à l'entrée de la bouche.
_ C'est si tranquille, prononce doucement Kasey. Ils ne se doutent de rien, tu crois ?
_ Notre décision s'est prise très rapidement. Mais vu que les Léridas étaient là, je ne sais pas.
_ Tu penses à quoi ?
Je repense à la journée où Hemming a été tué. Aux Hazes qui ont passé le message de mon père. Et soudain j'ai un doute.
_ Et s'ils avaient mis des caméras ? Ils ont pu mettre les Léridas ici et poser des caméras en même temps. Ils ont eu tout le temps nécessaire pour visiter les galeries, Kasey !
_ Oui, mais on ne peut pas savoir... C'était un calvaire pour s'en rendre come ! Peut-être qu'ils n'ont rien mis, en vrai...
_ Kasey, réfléchis un instant ! C'est le seul passage vers la Capitale en dehors de la surface. Et ils peuvent très bien la couvrir, la plaine ! Ils n'ont jamais visité les galeries parce que Furie était là mais maintenant qu'il n'y est plus, qu'ont-ils pensé, à ton avis ?
Kasey secoue la tête et regarde vers les soldats qui se sont déplacés vers une mort certaine, si ce que je raconte s'avère. Il rabaisse ses yeux vers les miens et respire profondément.
_ Nam, tu n'as aucune idée de ce qu'il peut se passer. Ces gens-là sont ici parce que tu représentes quelque chose pour eux. Tu représentes leur porte de sortie. Ils sont conscients des dangers qu'il y a par-delà la paroi d'Acropolis. Et moi, j'ai su que j'étais en danger depuis le moment où je t'ai vu.
_ Tu vois ? Même toi tu l'admets !
_ Je ne te parle pas de ce danger-là, Nam !, dit-il en me prenant par les épaules. Je te parle du danger de te perdre ! C'est pour ça que je suis ici, tu comprends ?
Je baisse la tête en me rendant compte que j'avais raison.
_ Tu vois, c'est pour ne pas voir ce moment arriver que je t'ai dit que c'était mieux si on se séparait. Je ne veux pas que tu souffres.
_ Et moi, je ne veux pas te laisser partir. Nam, aies confiance en nous, s'il-te-plaît... Je ne veux pas être loin de toi... Alors soit tu l'acceptes sans rechigner, soit tu devras me supporter.
Je glousse en posant mon front sur son torse musclé. Il referme son étreinte sur mon petit corps. On reste comme ça quelques minutes, profitant de nos derniers instants de calme.
_ Vous êtes prêts ?
La voix de Gio se fait entendre et tout le monde se met en place. Les exosquelettes mis, les soldats et les gardes de Faniath se mettent en place. Furie se frotte à ma jambe et je tape deux fois dans mes mains pour qu'il atteigne une taille respectable pour une bataille. Il se met sur le ventre et me fait monter sur lui.
Kasey se poste à côté de moi et me fait un signe de tête. Tobias se place à côté de lui et me fait un petit sourire en me tendant mon nouveau casque que je mets aussitôt.
_ Premier groupe ?, crie Aedan. En avant !
Les premiers soldats et quelques villageois se déplacent et nous dépassent.
_ Deuxième groupe, en avant !
Gio précède le deuxième groupe et enfin, Tobias nous guide jusqu'aux premiers buissons de la clairière, devant l'entrée de la ville. Nous avançons lentement jusqu'à l'entrée. Nous nous stockons à gauche, laissant une femme en exosquelette, au visage découvert, se dresser sur la route.
_ Kara...
Elle s'avance nonchalamment vers les deux gardes du portail. Ils la repèrent et braquent leurs armes sur elle.
_ Qui êtes-vous ? Vous n'avez pas le droit d'être ici !, l'avertie l'un d'eux.
_ Je sais.
Kara soulève rapidement une arme et tire trois balles vers les gardes. Silencieusement, les balles atterrissent sur les torses des deux soldats rouges et du gardien du portail. Le premier groupe s'avance et force le portail, arme au poing. Ils entrent et le deuxième groupe suit. Kasey m'emmène à l'intérieur de l'enceinte et me fait aller sur la gauche, suivie de Tobias et du reste du groupe trois et deux.
Nous sortons les grappins. Kasey tire en l'air et Furie saute en agrippant le mur avec ses griffes. Le grappin vole et part se planter sur le toit. Kasey est de suite tiré vers le haut et il pousse sur ses jambes à chaque fois qu'il approche du mur. Au dernier moment, il pousse fort sur ses jambes pour éviter de se prendre les pieds dans le rebord. Je me retourne et regarde les autres voler vers les toits tels des singes. Kasey avance doucement en récupérant le grappin et lève son arme.
En bas, les soldats commencent à neutraliser silencieusement les premiers soldats rouges qu'ils croisent. Nous sautons vers le toit suivant et un premier garde nous tombe dessus. Je saisis mon arbalète et lui plante une flèche dans le torse. Il s'écroule lourdement sur le sol et le premier coup de feu part.
Le bruit vient de la gauche, du premier toit de l'autre côté de l'avenue. Le bruit résonne dans les rues vides et là, un brouhaha se met en marche. Kasey me regarde et nous nous comprenons.
Il faut accélérer.
La vue de l'immeuble de l'Armée me rend encore plus haineuse envers Connors et la rage me gagne.
Nous nous élançons de toits en toits en tuant les soldats rouges que nous croisons. Bientôt nous atteindrons le centre-ville et la population. Des cris se font déjà entendre. Furie fonce sans même se soucier des soldats car je m'en occupe déjà avec Kasey, Tobias et quelques autres miliciens. Nous atteignons déjà le premier immeuble du centre-ville. Une tour avec un pic acéré en son sommet.
_ Il faut redescendre !, nous crie Tobias.
Ni une ni deux, Furie se jette dans le vide alors que nous sommes à plus de sept étages du sol, soit trois fois plus que le premier immeuble que nous avons escaladé.
Et soudain, tout va très vite. Furie ne pouvant rien faire se laisse tomber sur un soldat rouge qui s'est placé dessous. Furie se fait prendre de vitesse et tombe sur le côté. Je lâche les poils de Furie et fais un roulé boulé jusqu'à un angle d'immeuble. Heureusement, ma combinaison amortis le choc.
Je me relève et regarde vers l'endroit où l'impact a eu lieu.
Furie est toujours allongé sur le côté. Il ne bouge plus, il est au-dessus du soldat, entouré d'une mare de sang. Je m'avance rapidement vers lui et regarde mon ami, les yeux clos, la gueule entre-ouverte. Ses doux poils blancs sous sa gueule tâchés de sang ont été transpercés par une lance en argent, perçant sa peau et lui ôtant la vie. Il avait une faille, lui aussi.
_ Furie... Non... Non, Furie !
Je jette mon casque sur le côté et m'agenouille près du chien d'Hemming. Kasey et Tobias s'approche de moi, impuissante en essayant de caresser Furie pour le réveiller.
_ Furie, réveille-toi, je t'en supplie !
Rien à faire. Il ne se réveillera plus jamais. Kasey vient m'aider à me relever et me rends mon casque.
_ Nam, faut qu'on y aille, dit-il d'une voix saccadée.
Je dodeline et remets mon casque en me ressaisissant. Je saisis mon fusil et le charge en m'avançant d'un pas décidé vers l'immeuble de l'Armée. Tobias et le reste du groupe nous suivent à la trace. Nous fonçons à travers les civils et les soldats complètement submergés par nos troupes.
Plus loin, tout autour des fontaines de l'immeuble sont présent des soldats rouges. Mais ils ne sont pas humains. Ils ne bougent pas. Ils sont à découverts. Et quatre d'entre eux sont devant, nous faisant face. Et dès que je les reconnais, je ne peux m'empêcher de faire un pas en arrière.
_ Non...
Des émerides. Mais avec l'apparence de personnes que j'ai aimées et soutenues. Doug, Billy, Enzo et Jared. Tous portant des fusils et attendant nos premiers gestes offensifs.
Kasey me secoue et m'attrape par la taille.
_ Il faut y aller, Nam ! Maintenant !
Je ne réagis pas. Je secoue la tête et regarde Kasey et les autres.
_ Ils ont des fentes aux visages. Pour ceux qui n'ont pas d'armes à feu, visez juste avec vos lames, hurle Gio.
Puis un immense silence s'installe. Pendant lequel nous levons tous nos armes pour frapper les premiers. Les quatre émerides préparés tout spécialement pour moi s'élancent dans ma direction quand je fais le premier pas.
Kasey se jette sur Doug. Tobias attrape Billy et Gio s'occupe d'Enzo. Soudain, Jared me frappe en pleine poitrine pour m'envoyer valser dix pas en arrière. Je me redresse et lève mon Wheellock. Je tire une première balle qu'il évite, une deuxième qui le frôle. Puis plus de balles.
_ Eh merde !
Je me jette sur le côté et saisis mon fusil. Je tire et le fais reculer de quelques pas, le temps de sortir mon grappin de ma ceinture et de m'envoler vers le toit de l'immeuble à côté duquel je suis. Jared s'agrippe à la paroi et grimpe aussi vite que moi. Une fois sur le toit, je continue de courir et vise une statuette en plein milieu de la place aux fontaines. Je tire et m'élance. Jared a le temps de tirer une balle que j'évite de justesse avant de glisser sur la tyrolienne que je viens de mettre en place. Une fois proche du sol, je m'écarte et cours pour me cacher derrière un pavé servant de banc. Jared en profite pour faire fuser les balles vers moi. Une d'elles frappe mon casque, qui part voler plus loin devant moi. Je me jette derrière le pavé d'un mètre de haut sur le côté pour me protéger. Les balles s'arrêtent et plus de bruit de la part de Jared. Je sors la jalouse et regarde dedans mais il la flingue de suite.
_ Merde...
Je regarde à côté de moi et repère un objet rond avec une boucle en son sommet. Je souris et prends la grenade qui tombe à pic. Je retire la goupille et lance la grenade vers l'émeride représentant Jared.
_ JE SUIS HOUDINI !, crie-je.
Deux balles fusent puis une énorme explosion envoient valser les différentes parties mécaniques du faux Jared. Je soupire bruyamment et recharge mes armes. Après quoi, je me relève et vérifie où sont Kasey et Tobias. Une fois que je les repère, je les appelle. Kasey me voit et court vers moi. La rapidité de son exosquelette est vraiment hallucinante. J'ai du mal à garder les yeux ouverts tellement il est rapide. Des détonations se font entendre au milieu des cris des gens tout autour de nous.
Quelques secondes plus tard, Tobias nous rejoins et nous emmène à la porte. Des charges explosives sont placées sur les portes coulissantes de l'immeuble de mon père. Kasey me protège avec son corps et la porte explose.
D'autres détonations se font entendre à l'intérieur de l'immeuble et la chaleur du feu se propage à l'extérieur du bâtiment.
_ On y va !, gueule Tobias en s'avançant dans l'entrée.
Nous le suivons et Kasey me place derrière son dos pour m'emmener au bureau de mon père. Seulement, ça ne s'est pas passé comme prévu.
Deux personnes se jettent sur nous, nous poussant à nous séparer Kasey et moi.
_ Alors, je t'ai manqué ?
Je rouvre les yeux et vois Clark Hickermann en califourchon sur moi, muni d'un couteau.
_ À vrai dire, oui !
Je lui donne un coup de genou et il part derrière moi en roulade. Je me relève et je sors mon fusil. Il se retourne et a seulement le temps de me voir charger mon arme.
_ Pile à l'heure !
J'appuie sur la gâchette et laisse son corps tomber au sol, sans vie. Des gémissements derrière moi se font entendre. Je vois que Kasey n'a pas le dessus sur... Le père de Jared ?
Le souvenir de son fils me revient et je m'élance vers lui dans un cri aigu. Je balance mon pied dans son ventre et le force à se décaler. Kasey se redresse et lui loge une balle dans la tête.
Kasey se retourne sur moi et empoigne mon bras.
_ Viens !
Des vêtements gris, des hommes, des femmes et des enfants. Et parmi eux, je reconnais ceux que j'ai côtoyés pendant mon court séjour en cellule.
_ Des prisonniers !
_ Le message a fonctionné !, s'écrie Kasey tout content.
_ Quoi ? Quel message ?
_ On a envoyé un message codé à nos taupes ici ! Et ils l'ont reçu ! Nous n'étions pas sûrs car nous avons dû utiliser le morse pour que ça passe inaperçu pour l'Armée et ça a fonctionné !
Kasey reprend sa course alors que les prisonniers vont à contre-sens par rapport à nous, avec des armes diverses dans les mains.
Arrivé à l'étage sous celui où mon père se trouve, une vingtaine de soldats sont présents dans une grande allée. Un grésillement se fait entendre puis des voix radiophoniques nous parviennent.
_ Equipe 24, demande renfort aux premiers, deuxièmes et troisièmes étages. Des intrus ont pénétrés l'enceinte de l'immeuble et les prisonniers sont sortis !
_ Très bien ! vingt soldats, en déploiement, allez !
On entend leur pas et nous partons nous cacher derrière une porte. Nous les laissons passer. Les soldats qui nous accompagnent et Tobias s'avance dans le couloir pour tirer à vue. Kasey et moi attendons que les soldats soient neutralisés par Tobias, jusqu'à ce que nous sortions de notre cachette.
_ La voie est libre. Deux soldats sont partis à l'étage pour neutraliser les premiers gardes en silencieux. Vous pourrez y aller quand ils redescendront.
_ J'irai seule !, dis-je.
_ Pas question !, reprend Kasey. C'est hors de question ! Je viens avec toi !
Il faut que je trouve un moyen de l'éloigner du danger. Mais comment ? Il est aussi têtu que moi ! Je soupire et monte les escaliers pour m'élancer dans les étages avec Kasey.
_ Ils ne sont pas allés jusqu'à l'étage du bureau de ton père. S'il y a des gardes, vous devrez vous en occuper.
_ D'accord.
Nous nous avançons vers une échelle, qui se termine par une trappe. Je n'ai jamais vu ce côté-là.
_ Ça mène où ?
_ Aux cuisines.
Voilà pourquoi mon père ne voulait pas que l'on y mange ! Ni même que j'y aille ! Parce qu'il y avait un passage !
Quelques secondes plus tard, des gens en uniformes de cuisiniers se sauvent et partent sans poser de questions. Les soldats redescendent et nous disent que la voix est libre. Je regarde Kasey et monte d'abord. Mais il m'attrape et me fais redescendre.
_ Je passe d'abord ! Tu n'as pas de casque !
Je soupire et me laisse faire. Je passe ensuite et monte l'échelle. Une fois dans la cuisine, Kasey referme la trappe et la porte menant au petit placard où se trouve le passage. Je me retourne et lève mon arbalète pour la poser sur le comptoir. Je n'ai besoin que de deux choses. Mon Wheellock et ma jalouse. Mais le faux Jared me l'a explosé. Je saisis mon fusil et le regarde longuement. Non. Je vais prendre le Wheellock. Si mon père aime les signes, il appréciera sûrement celui-là !
Je lève mon arme et vise devant moi, vers la sortie de la cuisine. Près de la porte, nous trouvons un premier cadavre de soldat rouge. Un filet de sang coule le long de sa bouche. On ne peut pas dire, mais les soldats font bien leur boulot !
Je pousse d'une main délicate le battant de la cuisine et sors pour examiner les lieux. Le salon reste inchangé, sauf les quelques cadavres qui en jonchent le sol. Ils ont juste l'air endormis, paisibles. Je marche droit devant moi, Kasey sur les talons, vérifiant derrière nous à chaque seconde.
Je m'avance assez pour voir à travers la baie vitrée. De la fumée et des halos orangés flottent au-dessus de l'entrée de la ville. La bataille fait rage, apparemment.
Kasey s'approche de moi, empoigne mon bras et glisse dans mon oreille :
_ Viens. Mettons fin à ce carnage.
Je le suis dans le couloir à droite et nous reprenons notre concentration à son maximum. Nous montons les escaliers à pas de loup, faisant attention de ne pas éveiller les soupçons sur une certaine intrusion ennemie. Je monte assez de marches pour... Merde, je n'ai pas ma jalouse ! Je me retourne sur Kasey et prends la sienne. Je bascule le rectangle contenant l'écran vers le bas pour voir. Je vois seulement deux émerides sur l'écran, armes plaquées contre le torse, prêtes à engager un combat à qui viendra les déranger.
Je fais signe à Kasey qu'il y a deux émerides seulement. Je reste en retrait avec Kasey en bas. Le mur nous cache des sbires de Connors. Il s'est réfugié dans son bureau de l'étage.
Mon Wheellock à la main, je compte combien de secondes on passe encore à se cacher avant de passer à l'attaque. Je me retourne sur Kasey, histoire de jauger son degré de peur. Je le surprends en train de me regarder intensément.
_ Quoi ?, dis-je nonchalante.
Et puis, tout va très vite. Il passe sa main dans mon cou et je sens une sensation douce se poser sur ma bouche. Je fais les gros yeux. En réalité, c'est Kasey qui m'embrasse. Je devrais le combattre, pour qu'il se reconcentre sur notre mission. Je devrais. Mais je n'y arrive pas. Je me laisse faire. Il se détache et me regarde dans le fond des yeux. Oh, et puis merde, hein !
Je plonge sur lui et continue de l'embrasser. Le baiser est tellement intense que j'ai l'impression que je vais tomber. Kasey le sent et serre ses bras autour de ma taille. Je caresse sa joue et me laisse aller. Je reconnais que je l'ai détesté en surface. Mais, au fond de moi, je l'aime. J'ai des sentiments pour lui depuis que je l'ai vu à Faniath, donner son cours de self défense au stand d'armes à feu. Depuis qu'il m'a dérangé ce soir-là, à Laina.
Il arrête le baiser et pose son front sur le mien. Nos respirations sont plus rapides.
_ Je ne veux pas que tu y ailles... C'est trop dangereux, Nam...
_ On y est. On finit le boulot, maintenant. Ne rentre que quand je reviendrai te chercher.
Il m'embrasse une dernière fois et me glisse un « d'accord » tout bas, à mes lèvres. Je fais oui de la tête et me remets en position. Je prends une bombe fumigène sur la ceinture de Kasey et la jette vers les gardes. Dès que j'entends les émerides se mouvoir, je fonce vers elles avec Kasey. J'en repère une, lui fonce dessus et lui lance une balle dans la tête. Kasey fait de même avec l'autre. Les corps tombent et la fumée se dissipe, laissant place à une mare d'engrenages, des yeux gris et à une double porte en verre.
Je fais un signe de tête à Kasey et il se poste pour surveiller. Je pose la jalouse au sol et j'attends quelques secondes.
Il y a celui qui t'a fait souffrir derrière cette porte. Tu dois le faire. Je respire un grand coup et ouvre tout doucement la porte du bureau. Une fois que j'y suis, je m'aperçois que ce n'est plus le bureau aux couleurs chaudes que j'ai vu, mais un bureau sans vie, sans lumière.
[ Grow Till Tall - Jónsi]
Je secoue la tête et brandis mon Wheellock à la hauteur de mes yeux. Je m'avance et entends la voix de Connors au fond du couloir qui se dresse devant moi. J'avance à pas feutrés vers le bureau en question.
Une sorte de grosse boite en terre cuite est placé sur ce dernier. C'est le cube où se trouve la manivelle. J'aperçois aussi furtivement les deux cercles, l'un pour mon œil, l'autre protégeant la poignée. Ce dernier est fermé. Tobias avait dit vrai.
La voix se fait plus précise. Il est à gauche. Je longe le mur de ce côté et m'arrête quand je suis à la fin du corridor.
_ J'aurais dû la tuer à la naissance... Fouetter plus fort... C'est pas vrai...
Mon sang se glace et mes cicatrices dans mon dos me piquent. Il ne mérite qu'une chose, cet homme. C'est de mourir. Je sors de ma cachette et le vise avec mon arme. Il ne remarque pas ma présence. Je reste silencieuse et j'attends qu'il se retourne. Quand il le fait enfin, il s'arrête de respirer quand il me voit derrière lui, le menaçant.
_ Tu fais un mouvement et je te fais sauter, dis-je en chargeant le fusil.
Il a des yeux rieurs tout d'un coup.
_ Tu ne tireras pas sur ton père, je le sa-...
Je décale le Wheellock d'un ou deux centimètres sur la droite et tire. La balle frôle son oreille. Il hurle quand le son atroce du coup de feu atteint son tympan. Il tombe à genoux en se tenant l'oreille. Je recharge et je le vise une nouvelle fois.
_ Alors ? On fait moins le malin, n'est-ce pas ?
_ Tu crois que tu me fais peur ? Avec ton arme à deux balles ?
_ Cette arme à deux balles comme tu dis si bien, elle était à Maman.
Je tire une nouvelle fois près de sa main. Son visage devient plus grave, d'un coup. Touché !
_ Tu vois ? Moi aussi, je peux faire la maligne !
Il relève la tête vers moi et me sourit. Puis il se met à rire. Il ne m'aidera pas. Et je n'ai qu'une chose à faire. Une chose pour que son rire s'arrête.
_ Maintenant, tu ne feras plus de mal autour de toi. Parce que je vais en finir avec toi. Tu ne mérites pas de vivre. Tu ne mérites rien du tout. Ni l'amour, ni l'amitié. Maman a eu raison de te quitter, et de te tromper.
_ Me tromper ?, dit-il sonné.
_ Tu n'es pas au courant ? Ne crois pas que je vais te dire son nom parce que tu ne le mérites pas. Et j'ai bien fait de partir aussi, pour revenir en force, ce soir, devant toi. Faisant ce que des milliards de personnes rêvent de faire, coucher dans leurs lits, le soir.
J'attends sa réponse mais elle tarde à venir. Il sourit simplement. Il m'énerve.
_ Je te...
_ Enflure.
Je vise sa tête et presse la détente. Et je n'ai plus de raison de me cacher. Juste un gros silence. Je me sens différente à cet instant précis. Nouvelle. Comme libérée. Je laisse tomber le Wheellock le long de mon corps et essuie les quelques gouttes de sang qui perlent sur ma joue et mon front.
_ T'es pas mon père.
Je me retourne vers le bureau et scrute la boîte.
On y est. J'examine la boite, très fidèle aux dessins de Clark Hickermann. Je prends mon souffle et regarde de plus près. Le trou est fermé. Je me redresse, le sang me monte à la tête. Il va falloir que je perde la vie pour sauver Atorn. Pour sauver Kasey. J'ai vécu un rêve. Ce n'est rien, quand on pense à ce que nous sauvons ensuite après avoir mis fin à ce petit rêve. Des femmes, des hommes, des enfants. Après tout, j'ai perdu bien plus en venant ici.
Tania... Son visage enfantin et confiant me revient en tête. Ma mère et Jared. Ma famille que j'aurais la chance de connaître après. Enzo, Doug, Billy, Hemming et Furie. Je ferme les yeux un instant pour imprégner ce qu'il va se passer. Et Kasey ? Oh, je le reverrai, sans aucun doute. Il fallait bien que je fasse ça, un jour. Et plus tôt se sera, mieux ça ira pour lui. Pour nous tous.
Je dois le faire pour moi, pour lui et pour tout le reste. Je souffle et contourne le bureau. Une vision me revient en tête de quand j'étais petite. Lorsque mon père me frappait, il y avait un bouton sur lequel il appuyait tout le temps. Ça bloquait les portes de l'intérieur. Où était-il ? Ah oui, là !
Je l'essuie avec mon doigt, regardant au fond du couloir, voyant Kasey s'impatienter. Qu'est-ce qu'il est beau... Je me concentre et appuie sur le bouton. Un cliquetis au fond du couloir se fait entendre et Kasey se tourne vers la porte. Il me regarde et me sourit. Il pose sa main sur la poignée et ouvre. Sauf que ça ne s'ouvre pas. Il me voit et rit de sa "bêtise".
Oh, tu sais ouvrir des portes, ne t'en fais pas !
Je lui souris puis reste statique devant les plaques de verre qui nous séparent. Il s'apprête à ouvrir la porte mais celle-ci ne cède pas. Elle reste bloquée.
_ Nam ?
Sa voix est un bruit faible et sourd derrière le double vitrage. Je marche doucement vers lui, les yeux embués de larmes. Je pince ma bouche pour ne pas pleurer et être forte. Une fois à la porte, je pose ma main pour qu'elle se superpose avec sa joue.
Sa joue si douce et si rose.
Il arrête tout mouvement et cherche une réponse dans mes yeux. Kasey secoue la tête de droite à gauche en me scrutant, totalement perdu. Je lui envoie un baiser de la main en souriant et me retourne. Il se déchaine encore plus pour ouvrir la porte, l'assenant de coups de feu inutiles en hurlant mon prénom. Sois forte ! Je ferme les yeux et souffle un bon coup. Tout va bien. Tu es toute seule. Comme tu l'as toujours été.
Je me replace devant le bureau. Je souffle un coup et fixe la boîte.
_ À nous deux, maintenant !
Œil. Voix. Main.
Je m'agenouille et place mon œil devant l'objectif. Un scanner me le vrille, cousin de celui des duels. Un bip retentit puis une voix se met à parler.
_ Scanner vocal.
Je réfléchis à un mot que mon père m'aurait transmis, comme un mot de passe. Puis le souvenir de la porte dans la villa de la Tour du Nord, dans ma cellule et le message dans le bureau factice de ma mère me reviennent. Il a toujours voulu que je me rabaisse après tout, mais il n'est plus là pour l'entendre.
_ Naïve...
Le cube analyse ma voix et la répète plusieurs foix à différentes octaves. Le disque de métal se fractionne en plusieurs parties et s'ouvrent. Les cris de Kasey redoublent d'intensité. Mes yeux sont aveuglés par une lumière bleue très vive qui se mélange avec mes larmes silencieuses. Le même bleu que le Pluratium qu'on a trouvé dans les ogives.
La manivelle se découvre au bout d'un certain temps et un compte à rebours défile juste au-dessus.
17 :08
Des minutes et des secondes. Kasey continue de frapper sur la porte en verre, en me criant d'arrêter et de lui ouvrir mais je m'y refuse. Je fais abstraction de tout et je place ma main dans le trou pour empoigner la manivelle. Je sens des lignes sous mes doigts. Je pose bien mes empreintes dessus et le trou se referme sur ma main, emprisonnant mon poignet.
Je n'ai pas mal, je sens toujours mes doigts mais c'est très serré. Tellement serré que ma circulation sanguine se coupe petit à petit. J'essaie de tirer sur la manivelle mais mon poignet ne bouge pas. Je retente ma chance et cette fois, j'arrive à la tirer vers moi. Mais le fer autour de mon poignet me brûle la peau. Quelques gouttes de sang glissent sur le matériau. J'ai mal mais je continue tout en tenant la boite de l'autre main.
Des bruits sourds se font entendre derrière moi. Je me retourne et vois que Kasey est désespéré et seul. Il essaie d'ouvrir la porte. Je reviens sur la boîte et continue de tirer en poussant sur le cube de ma main valide. Je me mets à crier tellement j'ai mal, mais j'y arrive quand même. Et dès que j'arrive au bout, les lumières vacillent et un bruit vrombissant fait trembler la boite. Ça monte crescendo. Des volutes bleues sont aspirées par le cube en terre cuite et tous les objets en fer se sentent attirer par le sol. Je me retourne, toujours avec la main bloquée.
_ RESTE PAS LÀ !
Il n'entend pas, il regarde juste. Je scrute ma main invisible et une seconde de silence complet s'installe. La plus longue seconde de ma vie. Puis une explosion venant de sous le bureau retentit et je me retrouve propulsée en arrière. J'ai mal partout, jusqu'à ce que mon dos rencontre le mur gauche du couloir et que je retombe à terre.
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