Chapitre 12

                  

_ Nam !

         Je me retourne pour voir Jera courir pour me rattraper dans la rue de l'église. Il tient un objet dans sa main droite, long et courbé au bout comme...

         _ Mon arbalète !

         Il me la tend et je la récupère joyeusement, me rappelant les cousins de Faniath, Manny et Bobby. Elle étincèle dans son habillage noir mâte, me priant de la dépoussiérer. Je relève les yeux vers Jera et l'interroge sur comment il l'a eu.

         _ Le soldat qui a ramené tes affaires, avec Gio et Iori, l'avait oublié dans la remise aux armes, en bas. Alors, du coup, quand j'y suis allé avec Jeb, Kasey l'a vu et m'a dit de te l'emmener.

         _ Pourquoi il ne l'a pas fait lui-même ?

         _ Il avait un truc à régler avec Aedan.

         Je secoue la tête de haut en bas et me retourne pour marcher vers la maison, en compagnie de Jera.

         _ Tu es prête ?

         _ On peut dire ça, oui. J'ai découvert quelque chose dans le bureau de ma mère, tout à l'heure. Vous étiez son meilleur ami, vous aussi ?

         Jera a le regard nostalgique quand le visage de ma mère lui revient en mémoire. Je peux le comprendre. Elle me manque à moi aussi, même si je ne l'ai jamais vraiment connue.

         _ Oui, depuis que nous avions treize ans. Elle vivait en face de chez moi, à Acropolis. Nous sommes devenus amis et nous ne nous sommes plus jamais séparés, avec Aedan. Jusqu'à ce que ton père n'arrive.

         Je veux en savoir plus sur cette histoire. Comment était ma mère avant. Tout le monde me dit que je suis son portrait craché mais je doute que ce soit vrai. En lisant ses écrits tout à l'heure, je l'ai bien vu.

         _ Comment était-elle ?

         _ Oh, elle était merveilleuse ! Mais rentrons, nous serons plus tranquille pour en discuter. De toute façon, nous n'avons rendez-vous que dans une heure sur les toits.

         Je l'emmène donc à la maison et nous nous installons dans le salon, à la table à manger. Jera se détend un peu plus. Parler de ma mère le distrait face à ce qu'il nous attend cette nuit. C'est plutôt positif !

         _ Tu ressembles beaucoup à ta mère, tu sais ?

         _ Je n'ai pas l'impression. Quand j'ai lu ses bouquins, elle me paraissait...

         _ Tu as trouvé le renfoncement dans le mur ?

         Jera a de suite l'air plus intéressé et une étincelle brille dans ses yeux.

         _ Oui. Pourquoi ?

         _ Il faut que tu n'en parles à personne. Elise a toujours voulu garder ça secret, tous ses journaux de bord. Je suis le seul au courant du lieu où ils se trouvent, ainsi qu'Aedan.

         _ C'est pour ça que le dernier journal qu'elle a écrit y est ? C'est vous qui l'avez mis là ?

         _ Oui. Elle voulait te les donner, un peu comme pour rattraper le temps qui vous a été enlevé. Elle a très mal vécu votre séparation. Elle s'est enfermée pendant plusieurs jours dans son bureau. Personne ne pouvait la voir, pas même Aedan. Elle nous balançait pleins de choses dans la figure pour nous faire disparaître. Un peu comme toi.

         _ Qu'est-ce qu'on a d'autre en commun ?

         _ Elise était une tête brûlée, tout comme toi. Elle envoyait valser tout le monde dès qu'elle était énervée. Elle n'hésitait pas à cogner quand quelqu'un la trahissait. Et elle ne pouvait pas s'empêcher de foncer tête baissée dans n'importe quoi, quand elle avait ton âge. Tu es exactement pareille qu'elle. Tu n'as rien à voir avec Connors au niveau mental. C'est comme si elle t'avait élevé toute seule, sans vraiment l'avoir fait.

         Je continue d'écouter Jera parler de ma mère. Il me raconte des anecdotes encore plus farfelues les unes que les autres. Notamment des bêtises qu'ils ont fait quand ils étaient jeunes, tous les trois. Ma mère était vraiment tarée à mon âge, encore plus que moi, je dirais même. Elle n'hésitait pas à chercher des poux à d'autres personnes qu'elle n'aimait pas. Avec le temps, elle s'est calmée mais elle a toujours eu ce même tempérament de casse-cou.

         Plus j'entends parler d'elle et plus je regrette de ne pas avoir passé du temps avec elle. C'est triste mais c'est comme ça. Et au bout d'une heure, Jera m'a avoué qu'il aimait ma mère à un tel point qu'il était même le frère qu'elle n'a jamais eu. Il était vraiment protecteur avec elle, comme un parent. Il lui aurait tout donné, s'il l'avait pu.

         Je me demande ce qu'il se serait passé si Jera avait été mon père. J'aurais hérité d'un autre frère, Jared. On aurait fait un duo de choc, lui et moi. Et je me rends compte que j'aurais aimé avoir une autre vie que celle-ci. Une vie plus paisible, plus calme et sans vague. Une vie que toute jeune fille aimerait avoir, où les garçons et les habits seraient ses principaux sujets de conversations. Mais je ne suis pas comme ça. J'aime les armes, les voitures et je ne peux pas m'empêcher de faire la guerre au lieu de faire l'amour. Mais ça, c'était avant que je ne rencontre Kasey. Je me rends compte maintenant que je suis bien tombée avec lui. Si je ne l'avais pas croisé dans ce garage, je n'aurais sûrement jamais rencontré ce sentiment qui m'incendie à chaque fois que je le croise. Je ne sais toujours pas comment le décrire, mais je peux mettre un nom dessus. « Je l'aime ». C'est bizarre mais c'est la vérité. Enfin, je crois.

Et ça s'éclaire dans ma tête. J'ai changé. Je ne suis plus la fille méfiante et solitaire que j'étais il y a quelques semaines. Je ne suis plus solidaire, mais plus intègre qu'avant. Je m'intéresse à ce qu'il se passe autour de moi. Je m'implique, je participe. Qui l'aurait cru qu'une fille comme moi, aussi indifférente et insolente au début de tout ça serait la fille protectrice que je suis aujourd'hui ? Aedan a raison, comme tous les autres. Je ressemble à ma mère. D'ailleurs...

         _ Et Aedan ? Par rapport à ma mère ?

         _ Je ne pense pas être en position de te parler de ce qu'il s'est passé entre eux...

          J'accuse le coup. Je vais devoir lui en parler. Ça va être compliqué...

         _ Je comprends pourquoi Kasey est tombé sous ton charme. J'ai été sous l'emprise du même charme, il y a quelques années. Mais maintenant, c'est fini. Enfin pas tout à fait, il y a toujours quelque chose, là. (Il pointe son cœur du doigt). Alors promet-moi une chose, Nam.

         Je dis oui de la tête pour lui demander de finir sa requête.

         _ Reste en vie, ce soir. D'accord ?

         _ Ok.

         Jera se lève et je l'imite. Il affaisse ses épaules et pose ses mains sur les miennes, comme pour dire quelque chose d'important à son enfant.

         _ Sois la digne fille de ta mère.

         Je souris et il me sert contre lui. Je lui tape dans le dos et me sépare de lui. Ok, j'ai changé, je suis devenue plus souple avec les gens. Mais les câlins, sauf avec Kasey, ce n'est pas pour tout de suite !

         Jera s'en va et je monte dans ma chambre pour aller chercher mes armes. Je saisis mon fusil et le glisse dans l'encoche de l'épaulette qui passe dans mon dos. Je glisse mes machettes dans ma ceinture et mon neuf millimètre dans le gantelet sur ma cuisse prévu à cet effet, après l'avoir rechargé. Je prends mon wheellock dans une main et mon arbalète dans l'autre. Je me tourne vers le mur troué par les impacts de mes balles et me place face au miroir. Il manque quelque chose. Je pose mes deux armes sur la commode et saisit le collier de Tania dans mon col. Je le fais remonter pour l'enlever et le regarde attentivement.

         L'arbre en relief me rappelle plusieurs choses. La première fois que j'ai débarqué dans le village de Faniath, après ma fugue. Les fois où j'ai discuté avec Tobias et qu'il m'a instruit tout ce que je sais sur les armes et les techniques de combats à l'arme blanche. Quand j'ai emmené Kasey là-bas pour la première fois. Kara. Elle me manque un peu, je dois dire. La revoir fulminer devant moi va me réjouir à notre prochaine rencontre. Ma rencontre avec Tania. La fenêtre et le potager. La bataille, le soir où elle est morte. Et ma rencontre avec son frère jumeau, Enzo, qui lui aussi est mort, lors des duels. Je laisse pendouiller le médaillon à l'extérieur de la combinaison, le laissant se balancer faiblement sous l'or. Je range dans les poches des munitions, un peu de partout sur et je glisse le casque sous mon bras avant de reprendre l'arbalète et le Wheellock.

         J'ai l'air d'une véritable guerrière avec ça. Je suis prête pour la bataille. Et oui, on dirait ma mère !

         Je retourne près de mon sac à dos et l'ouvre pour en sortir une bille alimentaire. Ça fait longtemps que je n'en ai pas pris et ça me manque. Je fouille entre les billes rouges, roses et bleues et réfléchis à celle que je vais prendre. Je souris en voyant une bille rouge rouler sur mes doigts. Je la sors et la pose sur ma langue. Le pâté en croute descend doucement sur mes papilles pour s'écouler dans ma gorge, puis les pâtes en sauce et les boulettes de viande. Et enfin, la crème glacée rafraichit ma bouche après le passage des pâtes chaudes et de la viande. Kasey a raison sur ce point.

         _ Toujours aussi surprenant !

         Je sors de la chambre en emportant une bille rose pour le petit-déjeuner et descends les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée et sortir pour me poster dans la rue où je dois attendre l'arrivée de l'Armée. Je dois traverser toute la rue 7 en long et dépasser deux immeubles pour rejoindre la 9 et me mettre en position.

         Le trajet parait plus long. Pas parce que je marche doucement, au contraire je marche à une vitesse plutôt élevée. C'est le regard des gens sur moi qui fait que ça paraît plus long, en réalité. Des messes basses se laissent entendre dans les petits groupes de personnes quand je passe. J'accélère le pas et rejoins les rues perpendiculaires. Une fois à la rue 9, je monte sur le toit de mon immeuble et trouve le poste que Varden occupera. Il sera posté en face de moi, de l'autre côté de la rue. Je pose mes armes et enfile mon casque. J'entends quelqu'un monter sur le toit de mon immeuble et je me retourne pour trouver Aedan, Hemming et Kasey.

         _ On voulait te souhaiter bonne chance !, me dit Aedan en me serrant contre lui.

         _ C'est gentil ! Dites, où est Hélène ?

         Repenser à elle maintenant me ramène à Jared. Mais je veux m'assurer qu'elle aille bien.

         _ Elle est à la réserve des armes, elle s'occupe des munitions avec moi et Chris.

         _ D'accord.

         Hemming s'avance près de moi et Aedan lui laisse la place.

         _ Tu sais toujours tirer ?

         Je lui montre du doigt tout mon attirail en souriant. Hemming sourit en retour et me fait un clin d'œil.

         _ Vise juste.

         Nous rions et nous nous enlaçons. C'est la première fois que je le prends dans mes bras. Aujourd'hui, ça a été la journée câlins entre Hemming, Jera, Aedan et Kasey. Trop de câlins tuent les câlins !

         _ Tu fais attention à toi, d'accord ?

         _ Oui, Hemming. Promis. Et toi aussi !

         _ Ne t'en fais pas pour moi !

         Aedan et Hemming s'en vont et nous laissent seuls avec Kasey. Dès que les autres sont partis, il me fonce dessus et me serre fort contre lui. Je ne peux m'empêcher de répondre à son étreinte.

         _ Tu fais attention à toi, tu m'as bien compris ?

         _ Oui, Kasey.

         Il soulève mon casque et pose ses lèvres sur les miennes avec voracité. Le sentir contre moi me réconforte énormément et me donne de la force mais quand il partira, tout ça partira avec lui. Je m'arrête doucement de l'embrasser et le regarde dans les yeux.

         _ Tu surveilles tes arrières ! Dès que tu vois un Haze, tu cours aussi vite que tu peux pour le fuir, si jamais nous n'arrivons pas à tous les tuer ! Tu longes les murs et tu regardes toujours aux coins de rues pour ne pas avoir de mauvaises surprises ! Et aussi, tu...

         Il me fait taire en reposant encore une fois sa bouche sur la mienne. Son baiser est calme, comme s'il voulait m'apaiser par des gestes.

         _ Je ferai attention, Nam. Je te le promets.

         _ Comprend-moi, je ne saurais pas là pour assurer tes arrières comme à Vawari.

         _ Je sais.

         Il m'embrasse encore une fois et je prolonge le baiser dès que je sens qu'il m'échappe. Il plaque ses bras sur mes reins pour me coller à lui. J'agrippe son col pour fondre mon visage avec le sien. Elle est là, cette sensation de brûlure à l'intérieur de mon corps. Et je sens ses frissons lorsque mes doigts caressent sa nuque qui frémit à nos contacts.

         _ Je ne serai pas loin, me dit-il en m'embrassant le front.

         _ Quand t'as besoin de moi, crie mon nom.

         _ D'accord.

         _ Et fais attention, une fois qu'on les aura tous abattus, une fumée grise se propagera pour faire venir les soldats dans les rues. C'est un trompe-l'œil. Les autres sont au courant ?

         _ Oui, Jera nous a prévenus.

         Il m'embrasse une dernière fois et me rend mon casque. Je le suis du regard alors qu'il s'en va. Il m'adresse un dernier regard avant de disparaitre dans l'immeuble. Je le regarde s'en aller et traverser la rue pour investir l'immeuble d'en face. Je fronce les sourcils. Mais qu'est-ce qu'il fait ? Je le vois sortir sur le toit et s'installer en me souriant.

         _ Mais qu'est-ce que tu fais ?, lui crié-je pour qu'il m'entende.

         _ Je t'avais dit que je ne serai pas loin !

         Je rigole comme une idiote face à sa réaction. Il ne voulait vraiment pas que Varden soit avec moi sur ce coup-là. Des pas se font entendre derrière moi. Je me retourne lorsque j'entends l'aboiement de Furie qui vient vers moi.

         _ Salut petit monstre !, dis-je joyeusement en le prenant contre moi. Hemming, tu ne me lâches plus, on dirait.

         _ Il voulait te faire un bisou.

         _ Eh bien, voilà ! Petite boule de poil !, dis-je en caressant Furie sur le ventre.

         _ On peut le dire, oui. Furie va rester avec moi, on est assigné à l'église.

         _ Ce n'est pas trop dangereux ?

         _ Non, Furie se transformera pour qu'on puisse garder l'entrée des galeries ! Ils ne feront pas un seul pas en avant en voyant la Terreur !

         Hemming frotte le crâne du chien. Furie aboie comme pour approuver les dernières paroles d'Hemming.

         _ Tu ne lui as rien dit ?

         Je regarde Hemming et je comprends en un regard qu'il veut parler de ma tentative de suicide. Je redeviens une fille sans émotions.

         _ Non, je t'ai dis que je ne voulais pas qu'il sache. Il m'en voudrait à mort.

         _ Je sais. Je ne lui en parlerai pas, sauf si tu me dis de le faire.

         _ Je pourrais très bien lui dire en face, tu sais ?

         _ Alors, pourquoi ce n'est pas déjà fait ?

         Il a fait mouche ! Je ne veux pas que Kasey le sache parce qu'il se sentirait blessé que je n'ai pas pensé à lui. De voir qu'à un instant T, j'ai pensé qu'à ma gueule. En même temps, cette situation est tellement stressante que c'est compliqué de rester calme, sans tomber dans la folie.

         _ Tu sais très bien pourquoi je ne lui dis rien.

         _ Nam, je voudrais m'excuser pour ce que je t'ai dit...

         _ Hemming, tu as fait ce que personne n'a jamais fait avant. Tu m'as bougé ! Et j'en avais vraiment besoin. C'est plutôt moi qui devrais te remercier.

         _ D'accord.

         Je laisse Furie rejoindre le sol et je sers la main que Hemming me tend.

         _ Fais attention à toi, d'accord ?

         _ Oui, je le ferai. Allez, viens le monstre !

         Hemming me sourit en s'en va avec Furie. Une fois dans la rue, Hemming tape deux fois dans ses mains et Furie reprend sa taille adulte. Son maître monte sur son dos et ils filent tous les deux à l'église. Je regarde Kasey qui me sourit d'une manière franche. Et nous nous mettons en position.

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