Chapitre 10

                  

                  

Laina bombardée. Osgor menacée.

Aedan et moi courrons jusqu'au poste de surveillance d'Osgor pour nous instruire de ce qu'il nous tombe dessus. Cela fait depuis quelques temps que je n'ai pas réellement assistés à une invasion.

La seule que j'ai vu était celle de Laina, lorsque j'ai dû partir avec ma voiture et que je suis tombée sur Kasey. La chose qui m'avait surprise d'abord était ce bruit de verre brisé et de cris provenant des rues. Puis je suis sortie, j'ai vu les gens sur les toits puis le silence implacable de la ville à l'approche des Hazes.

         Laina... Laina n'est plus... Léo, les mendiants, les gangs et tous ces pauvres... Oh mon dieu...

         Je ne sais pas comment les arrêter, ni moi ni les autres. Nous sommes bloqués de ce côté-là. Ensuite, au niveau de la défense et de l'attaque, je n'ai aucune information sur le système de protection de la milice autour de la communauté. Alors je tends l'oreille et recueille le maximum d'informations.

         _ Jeb, t'en es où ?, demande Aedan lorsqu'il atteint enfin le sous-sol.

         Jeb est un homme assez mûr. Il frise la quarantaine et se dresse comme un pic à l'approche du meilleur ami de ma mère.

         _ Nous n'avons pas encore des images claires. Ils sont trop loin pour les distinguer nettement sur les caméras.

         _ A combien de kilomètres sont-ils de nous ?

         _ Près de deux cents, monsieur !

         Aedan s'approche d'un écran vers le centre de la pièce. Il pianote sur le clavier et plisse les yeux en lisant des chiffres sur l'écran.

         _ Nous n'avons pas beaucoup de temps. Trouve le plus d'hommes aptes à porter une arme, Jeb ! Il nous faut des bras ! Et lance une alerte pour les femmes et les enfants, emmenez-les dans les galeries, sous l'église.

         _ Bien, Aedan !

         _ Et que s'est-il passé à Laina ?, demandé-je.

         _ D'après les informations livrées par la Capitale, il s'agirait d'un bombardement par voies aériennes. Ils l'ont revendiqué.

         Les vaisseaux terriens.

         Quelqu'un s'active sur un clavier puis une sonnette continue s'étend dans toutes les rues d'Osgor. Aedan se retourne et se place à côté de Jeb pour le fixer dans les yeux.

         _ Est-ce que tes hommes savent ce qu'ils transportaient ?

         _ Non, mais ils peuvent te le dire ! Chris ! Varden ! Venez par-là !

         Deux hommes s'activent vers nous et se postent droits comme des tuteurs. Leurs yeux nous disent directement qu'ils ne se sont toujours pas remis de ce qu'ils ont vu. Rien que de voir un Haze vous fout les jetons, alors en voir toute une ribambelle, n'en parlons pas !

         _ Oui, monsieur ?, dit le premier.

         _ Qu'avez-vous vu là-bas ?, demande Aedan en croisant les bras.

         Chris et Varden se regardent avec un air pétrifié pour ensuite revenir sur nous. Ils sont tellement choqués que leurs langues ont du mal à se délier.

         _ Parlez enfin !, les secoué-je.

         Le deuxième, prénommé Varden – un badge sur son torse le désigne comme tel -, commence à ouvrir la bouche pour la refermer. Et ce, plusieurs fois d'affiler. Ils sont en état de choc, pratiquement. Je soupire et leur pose deux chaises devant eux. Ils s'assoient et je m'accroupie devant eux.

         _ Vous nous avez dit qu'ils étaient près de cent là-bas, n'est-ce pas ?

         Ma voix se veut calme et posée, pour les mettre dans un certain confort. Vous croyez quoi ? Je peux être douce parfois, vous savez ? Mais seulement en de rares occasions. On ne gaspille pas les bonnes choses !

         _ Oui, madame, me répond Varden. Ils étaient divisés en deux parties.

         _ Expliquez-nous ce qu'ils transportaient.

         L'autre, Chris, poursuit ce qu'a commencé son coéquipier.

         _ Nous avons vu deux groupes. Les premiers tiraient seulement de gros chiens noirs tellement grands que l'on devrait sauter très haut pour atteindre la hauteur de leurs oreilles. Ils ont des yeux rouges comme le sang, avec une lueur vraiment bizarre. Comme du bleu autour de leurs pupilles. Et ils portaient des masques dans lesquels une fumée grise s'étendait. Je me demande encore comment ils ont fait pour ne pas nous voir !

         _ C'est vrai, leurs yeux étaient braqués sur nous !

         Les Hazes ont quelque chose de vraiment très bizarre en rapport avec leurs yeux. Lorsque j'ai croisé le Léviathan à l'immeuble de l'Armée, il dormait mais c'était bizarre. Maintenant, je m'en rends compte, et ça aurait dû me frapper quand je l'ai vu se retourner pour continuer de dormir. Il avait les yeux ouverts. En réalité, à chaque fois que j'en ai vus, ils les avaient toujours ouverts. Ils ne clignent pas des yeux et ne peuvent pas voir, sauf à travers la fumée. Se pourrait-il qu'ils n'aient pas... Oh non ! C'est horrible ! Même pour eux, ça doit être insupportable à subir !

         _ On les appelle les Hazes ou les Léviathans. Ils ne vous ont pas vus parce qu'ils ne peuvent pas voir de leurs propres yeux, les rassuré-je. Ils n'ont pas de paupières, et sûrement à cause de sèchement ou d'une manipulation génétique des laboratoires de la Capitale, ils sont aveugles. Les masques que vous avez vus au niveau de leurs mâchoires sont des casques pour enfermer leurs gueules pour ne pas les laisser libérer leur brume. Ils ne voient qu'à travers la fumée qui émane d'eux. Et dès qu'ils vous voient, vous êtes perdus à tout jamais.

         _ Comment tu sais ça ?, me demande Aedan.

         Je secoue la tête et me redresse pour lui faire face.

         _ Je connaissais leur légende avant. Mais quand Laina a été prise d'assaut, les gardes ont débarqués avec eux. Une petite fille était sur le toit en face du mien et... Je l'ai vu lors de ses derniers instants.

         Je marche vers le fond de la salle. S'ils arrivent avec des Hazes, nous n'aurons pratiquement aucune chance, voire aucun pourcentage de réussite. Seulement, j'ose entrevoir un espoir que je ne risquais pas d'éveiller par le passé. Il doit y avoir un moyen de les neutraliser.

         _ Il faudrait qu'ils gardent leurs casques.

         _ Hein ?

         _ Il faut qu'ils gardent leurs gueules fermées. C'est notre seule chance d'avoir le dessus sur eux. Est-ce que vous avez des documents sur des créations d'Acropolis, grâce à vos taupes, là-bas ?

         Aedan me fait oui de la tête et sort un moment de la cave, sans doute pour appeler quelqu'un. Je me retourne sur les deux autres et leur demande ce que le deuxième groupe apportait.

         _ Rien que des armes à feu et des munitions. Pas de quoi s'affoler. Enfin, je ne crois pas. Tu as vu quelque chose, toi, Varden ?

         L'autre hausse les épaules pour nous  dire qu'il n'a rien vu non plus. C'est déjà ça. Je demande à Jeb s'il peut nous renseigner sur les moyens de défense qu'Osgor possède.

         _ Nous n'avons que l'arsenal et les armes à feu que nos soldats ont déjà. Rien de plus.

         _ Il faudra alors munir le reste d'armes blanches. Epées, hâches, machettes, couteaux, barres de fer, fourches... N'importe quoi fera l'affaire tant que l'on peut se battre avec et parer des coups.

         _ Et pour la stratégie ?

         _ Voyez ça avec Aedan. Je ne suis pas bonne pour établir des plans.

         Les paroles d'Hemming envers moi me disant que je suis égoïste et que je ne prends pas en compte les autres me reviennent en tête et je grimace à l'intérieur. Il y a été un peu fort sur ce coup-là mais j'avais besoin que quelqu'un me remonte les bretelles. Pas Kasey, il m'aime trop pour me blesser par les mots. Jera, peut-être mais il ne me connait pas vraiment. Il connaissait ma mère, oui. Mais je ne suis pas ma mère pour autant. Aedan ? On se connait depuis cinq minutes. Même s'il était le meilleur ami de ma mère, ça ne change rien.

         Je frotte mes mains sur mes joues et reviens à la réalité quand Aedan redescend dans le sous-sol accompagné de Jera Schwaps. Il m'adresse un petit sourire triste et s'approche de notre petit comité.

         _ Désolé pour Laina.

         _ Merci...

         _ Vous aviez besoin de moi ?, entonne-t-il d'une voix douce.

         _ Connaissez-vous bien les Hazes ?, lui demande le chef de la milice.

         Son visage s'assombrit et il nous regarde tour à tour. Il a un mauvais pressentiment, comme moi.

         _ Oui, et si vous cherchez un moyen de les stopper, c'est mal barré !

         _ Justement, on voulait savoir comment on pouvait les vaincre, continué-je. Mais vu que vous nous adressez un portrait chaotique, c'est plus la peine d'en discuter.

         _ J'ai dit « mal barré », pas « c'est raté » ! Il y a un moyen de les tuer.

         _ Qui est ?

         Jera regarde autour de lui et cherche quelque chose. Lorsqu'il trouve un morceau de papier, il le prend et saisit un crayon avoisinant une imprimante. Il commence à dessiner un œil. Et je reconnais facilement l'œil rond et menaçant d'un Haze. L'œil est tellement bien fait qu'on a l'impression que le reste va sortir de la feuille.

         _ Lorsque vous regardez son œil, vous avez l'impression que le Haze n'a pas de paupière. En fait, il en a, mais elles sont transparentes.

         Je m'approche du dessin et fais attention à ce que raconte Jera.

         _ Ils sont aveugles depuis leur naissance. Leurs paupières transparentes sont comme un écran qui font qu'ils ne peuvent pas voir à la lumière, comme nos yeux, quand nous les fermons. En réalité, leurs paupières sont constamment closes, en prévention d'une sortie de gaz de leur gueule. Ce même gaz est conçu exprès pour que les Hazes puissent voir.

         Voilà pourquoi l'Armée a repris le Haze comme une expérience. Ils lui ont donné des facultés pour en faire une arme fatale, capable de tout.

         _ Pourquoi ils sont rouges ?, interrogé-je Jera.

         _ Ils sont rouges parce que c'est la marque de la Capitale. Tous les animaux aux yeux rouges que vous croisez sont de là-bas.

         Puis je me souviens du numéro inscrit sur la porte du Haze, à la Capitale. 321. Il y en a autant ? Si c'est le cas, alors nous sommes foutus sur cette planète ! 321 espèces, et encore il doit y en avoir d'autres ! Ça en fait un paquet à éliminer !

         _ Ceux aux yeux rouges sont tous nuisibles ou nous pouvons cohabiter avec eux ?, dit Aedan en s'approchant.

         _ Si vous en voyez un, grimpez jusqu'au point le plus haut que vous pouvez, puis ne redescendez plus avant qu'il s'en aille. C'est votre seule chance !

         _ Sauf pour le Haze ! Quand j'en ai vu un la première fois, il a grimpé sur la paroi d'un immeuble sans s'arrêter !

         _ Alors, c'est la seule espèce qui en soit capable, à ma connaissance. La hauteur des immeubles à Acropolis n'est pas anodine. Ils les ont faits exprès si jamais il y aurait un problème dans les laboratoires et que les créations s'échappent.

         C'est vraiment bien pensé. Mais le Haze a été une erreur de leur part. Maintenant, ils prennent leurs erreurs comme des forces. Et ça, c'est mauvais pour nous.

         _ Donc la seule et unique façon de les tuer, c'est quoi ? De les atteindre à l'œil ?, demande Jeb déconcerté.

         _ Oui.

         J'éclate de rire. Littéralement. Et tellement fort que j'ai du mal à m'arrêter pendant deux bonnes minutes. Ok, c'est un peu exagéré mais c'est pour bien leur faire comprendre que c'est une idée vraiment...

         _ C'est mort, les gars ! On ne les tuera jamais !

         _ Laisse-moi au moins m'expliquer !

         Jera hausse les sourcils pour appuyer sa requête et je fais oui de la tête pour le laisser continuer. Même si je crois toujours que c'est perdu d'avance.

         _ Il faut que vous trouiez leurs paupières. Une seule et ils mourront en moins de quelques secondes.

         Je l'écoute attentivement car, même si j'ai le dos tourné, mes oreilles marchent encore. Et surtout à ce moment-là car j'ai besoin d'informations pour sauver ma peau. Ainsi que celle de Kasey par la même occasion.

         Quand je repense que j'ai failli me tuer sans même penser à lui... Hemming avait raison. Je suis une égoïste de première. C'est indéniable.

         _ Leurs paupières leur permettent de regarder à travers la brume qu'ils projettent mais elles font aussi écran à l'oxygène que nous respirons. Leurs yeux ont une telle composition qu'ils ne peuvent pas se mélanger à ce gaz. Du coup, quand l'oxygène rentre en contact avec leurs yeux, ils brûlent. Et la combustion se propage dans leurs cerveaux.

         _ Ils faut leur crever les yeux pour qu'ils meurent ?

         _ C'est barbare, mais oui. C'est exactement ça.

         Je me retourne et les regarde tour à tour. Ils ont l'air autant dégoutés que moi. C'est horrible de mourir de cette façon.

         _ Il faudra donc se poster sur les toits sans faire de bruits. Il nous faut de bons tireurs pour pouvoir les toucher d'un seul coup. Combien y en avait-il dans les rangs, Varden ?, demande Aedan.

         _ Kal en a compté douze, monsieur.

         _ Il va falloir se disperser partout dans la ville, sur les rues larges. Ils attaqueront dans celles-ci pour faire le plus de morts, dit Jera avec conviction.

         Lors de l'attaque de Laina, le Haze s'était d'abord aventuré dans ma rue. La rue 15. C'était la rue la plus vaste en longueur et donc l'une des plus importantes. Même avec la distance entre les immeubles, j'avais quand même réussi à me faire salir par le sang de la petite fille. Pour vous dire à quel point les Hazes sont forts au niveau de leur gueules.
         Oh Laina...

         Nous convenons alors qu'il faut nous préparer au pire. Aedan a demandé à vingt-quatre de ses meilleurs tireurs de se préparer en binôme pour avoir deux fois plus de chances de tuer les Hazes. Ils seraient postés chacun d'un côté des rues et viseraient chacun leur propre œil, de leur côté.

         Au niveau des soldats, les hommes pouvant se battre seront soit perchés sur les toits avec des arcs et des flèches, soit au sol avec des armes à feu. Dès la fin de la journée, nous comptons près de quatre-vingt hommes près à combattre. Le plus jeune ayant quatorze ans. Enzo aurait pu en faire partie. Il avait réussi à tuer des émerides, il aurait pu en faire de même avec les soldats. Mais c'étaient des duels, alors que là, c'est une bataille.

         Les femmes et les enfants seront gardés dans les sous-sols de l'église, là où sont situés les bureaux de ma mère et d'Aedan. Je les aide à envoyer et compter tout le monde pour savoir s'il ne manque personne à l'appel. Quelques femmes ont tenus à nous aider à combattre. Elles sont près d'une vingtaine. Les autres resteront en bas, à s'occuper des enfants.

         Jeb et Jera s'occupent de l'arsenal. Jera explique bien à tous les tireurs comment la mort des Hazes peut être possible. Ils ont passé leur journée là-bas.

         Aedan et Kasey ont passé leur temps à établir une stratégie de combat, pendant tout l'après-midi. Kasey l'a aidé à peaufiner les détails, comme le plus gros du travail a été fait tout à l'heure, avec Jera, Varden, Chris, Jeb et moi.

         Je suis avec Masana et Martin. Nous l'emmenons vers les galeries pour qu'ils puissent rester à l'abri avec les autres.

         _ Je veux me battre, dit Masana, sûre d'elle, me trainant en arrière.

         _ Tu dois rester avec Martin, il a besoin de toi.

         _ Ils lui ont fait ça ! A cause de leurs putains de créatures ! Je ne les laisserai pas gagner, et je serai plus utile à la surface qu'en bas.

         _ Masana, tu ne comprends pas ? Martin ne voudra jamais que tu viennes ! Il a déjà perdu Doug, il ne voudra jamais te perdre, toi aussi ! Il n'a plus que toi et ses parents.

         Masana secoue la tête et continue de marcher à côté de moi.

         _ Promets-moi que tu en tueras pour la mémoire de nos amis.

         Je m'arrête et la regarde dans les yeux.

         _ Promets-moi que tu nous vengeras tous.

         Quelque chose dans son regard m'intrigue...

         _ T'es au courant pour la manivelle ?, demandé-je.

         _ Les nouvelles vont vite, tu sais ? Je n'ai jamais vu d'aussi bonnes commères ! Même à la prison, elles ne sont pas aussi efficaces !

         Je soupire et continue ma marche.

         _ Kasey m'a dit que tu avais hérité de la combinaison de ta mère. Normalement, elle pourra te protéger de toute attaque.

         _ Oui, sûrement. Je ne sais pas grand-chose sur cette technologie.

         Masana se tait pendant quelques secondes mais finit par me dire quelque chose d'assez déroutant.

         _ Aedan te ressemble beaucoup...

         Je baisse les yeux et ne réponds pas à sa remarque. Faites qu'on n'en parle pas.

         _ Après ce que Jera m'a raconté, je m'étonne même que ta mère n'aies pas été se consoler dans les bras d'un autre...

         Je lui lance un regard noir et elle lève les mains comme une innocente face à une arme. Elle se dépêche de retourner aux côtés de Martin. Je secoue la tête et continue d'avancer aussi.

         Hemming est avec moi, en train de recueillir et de reporter les noms des femmes et des enfants qui partent dans les galeries de l'église. Vers vingt-et-une heures, nous finissons à peine de remplir la totalité des listes. Nous constatons qu'il ne manque personne. Des soldats de la milice descendent des provisions pour qu'ils puissent tenir toute la nuit jusqu'au lendemain midi, pendant le siège, voire plus longtemps.

         Je regarde les hommes sortir des sous-sols quand Hemming vient me parler. Depuis l'affaire de ce matin, il ne m'a pas adressé un seul mot. Quelques-uns ont été échangés mais seulement pour parler de l'avancée de la liste.

         _ Ça va ?

         _ J'ai connu mieux, dis-je platement. Toi ?

         _ Pareil. Tu vas combattre, ce soir ?

         _ Oui. Je dois les aider. Ils en ont besoin.

         Hemming hoche la tête en s'asseyant sur le banc devant moi. Je croise les bras sur l'autel et soupire un bon coup. Ça va être une longue nuit.

         _ Ils ont dit à quelle heure ils arriveraient ?

         _ Demain matin, vers les coups de six heures.

         _ On devrait dormir.

         _ Vas-y, moi je reste. On ne sait jamais s'il manque encore des gens à faire rentrer dans les galeries.

         _ D'accord. Tâche de dormir un peu quand même.

         _ Merci. Hemming.

         Hemming se lève et m'adresse un signe de tête avant de sortir finalement de l'église. Je pose ma tête sur mes avant-bras et ferme mes yeux. J'ai besoin de souffler deux minutes.

         _ Alors comme ça, t'as troué le mur de ta chambre ?

         Je relève la tête aussitôt pour voir Kasey se tenir juste devant moi, un petit sourire en coin. Je souris machinalement et me décale pour le serrer dans mes bras. Il me retient fermement contre son corps en enfonçant sa tête dans mon cou. Je suis de suite plus calme dans ses bras. Il m'apaise. C'est Kasey, en même temps.

         _ Je suis désolé pour Laina.

        Je pousse un long soupire.

       _ Tous ces gens... Ils n'avaient rien demandé... Ils étaient gentils, et... Ils n'embêtaient personne... Ils ne méritaient pas ça.

        Kasey caresse mes cheveux doucement pour me consoler, même un minimum.

        _ Ça va aller ?

         _ Oui. On m'a assigné à un toit pour demain matin. Je suis avec Varden, un gars de la milice.

         _ T'es avec Varden ?

         Je regarde les yeux de Kasey. Il est méfiant. Il est jaloux.

         _ Ne me dis pas que tu es jaloux ? Si ?

         Kasey soupire et pose son front contre le mien.

         _ Je te fais confiance. C'est des autres dont je me méfie.

         Sa méfiance envers les hommes qui m'approchent me touche beaucoup. Je n'aurais jamais pensé le voir sous ce jour, la fois où on s'est rencontré.

         _ Mais tu sais que pour faire quelque chose, il faut être deux.

         _ Je sais mais des fois, ça devient plus compliqué.

         Une image assez tordue me vient en tête et je grimace. Imaginez quelqu'un m'embrasser de force est impossible à concevoir. De un, il se prendrait une rouste de ma part. De deux, Kasey passerait derrière.

         _ Si jamais ça le devient, je t'appellerai à la rescousse.

         _ Je viendrai sur mon cheval blanc.

         _ Tu n'as pas de cheval blanc, me moqué-je.

         _ Oh ! Eh bien, je viendrai sur un Haze ou quelque chose comme ça !

         Je deviens livide. Il n'est pas sérieux là ? Je compte le maintenir en vie et lui, il veut sauter sur un Léviathan à la première occasion ?

         _ T'es sérieux quand tu dis ça ?

         Kasey fronce les sourcils et se reprend direct après.

         _ Non, ce n'est pas sérieux, Nam... Je... Roh écoute, c'était juste pour...

         _ J'ai compris, ça va.

         Je croise les bras sur ma poitrine et baisse la tête. Je l'entends lâcher un soupir et s'approcher de moi. Il caresse mes bras comme pour me brosser dans le sens du poil. Juste penser que tout ça le fait rire m'agace.

         _ Nam, je te demande pardon.

         Je ne réponds rien. Je le regarde fixement pendant plusieurs secondes avant de parler.

         _ Tu sais que je ferai tout pour que tu restes en vie alors s'il-te-plait, ne me complique pas la tâche, lui demandé-je.

         _ C'est promis. Je suis désolé.

         Il déplie mes bras et me force à les enrouler autour de sa taille. Je pose mon front sur son torse et nous restons comme ça pendant plusieurs secondes.

J'aime le sentir contre moi. J'aime son odeur et ses caresses. Ses soupirs et ses paroles. C'est comme si nous étions dans une bulle increvable où nous seuls pouvons être. Comme coupés du monde.

_ Tu me promets de faire attention ?, lui demandé-je.

_ Je te le promets, mon amour.

C'est la première fois que quelqu'un m'appelle comme ça. Avec un surnom pareil. Et ça crépite au fond de mon estomac. Mes poils s'hérissent et je souffle de bien-être. Kasey pousse mon menton vers le haut et ses lèvres viennent trouver les miennes. J'approuve ce geste en le rendant encore plus long que ce que Kasey ne le veut. J'agrippe son t-shirt et le force à m'envelopper encore plus.

_ Nam...

_ Quoi ?

Il pose une dernière fois ses lèvres sur les miennes et lance sur mes lèvres :

_ Je t'aime.

Mes yeux s'ouvrent en grand et je le regarde. Ses yeux sont... Bizarres. Je ne saurais pas les décrire. Mais la seule chose qui m'intrigue est ce qu'il vient de dire.

_ T'as dit quoi ?

Il sourit encore plus avant de se répéter.

_ J'ai dit que je t'aimais.

_ Oh mon dieu...

Je plaque ma tête contre son torse et me fonds dans son corps pour que l'on ne fasse plus qu'une seule et unique personne.

_ Dis-moi, t'as fait quoi après t'être sauvée, ce matin ?

Je rouvre les yeux en redoutant de lui dire la vérité. Je ne veux pas qu'il le sache. Hemming m'a promis de ne rien dire mais est-ce que moi, je tiendrai ma parole face à Kasey ? Je ne veux pas qu'il se doute que j'ai mal quelque part. Ou que j'en ai tout simplement marre. Et je ne veux pas qu'il se pose des questions sur le fait que j'ai pensé à moi avant de penser à lui. Si vous aviez été à ma place, je suis sûre que vous auriez fait pareil, à peu de chose près. Vous auriez pensé à votre gueule avant celles des autres. Mais moi, je regrette. Je regrette de ne pas avoir pensé à lui et de faire mon égoïste. Je regrette tout ça. Je n'aurais jamais dû le faire.

_ Nam ?

_ Oui ?, dis-je d'une voix basse.

_ T'as fait quoi après t'être enfuie, ce matin ?

Respire. Tout va bien se passer. C'est juste un petit mensonge de rien du tout. Allez, n'aies pas peur. Ne pas le regarder dans les yeux m'aidera peut-être à garder la vérité pour moi. Je laisse ma tête sur son torse.

_ Je suis allée dans ma chambre et je me suis défoulée sur le mur.

Bon, ce n'est pas vraiment un mensonge, vu que c'est vrai. Mais si on cache une partie de la vérité, ce n'est pas un mensonge. Si ?

_ Tu aurais pu te blesser. Je ne veux plus que tu agisses de la sorte.

Je rigole malgré moi et le regarde dans les yeux.

_ J'aurais pu me blesser ?

_ Oui, enfin... Bon, d'accord, tu vises bien mais bon... Fais attention la prochaine fois, d'accord ?

Tu peux être sûr que je ferai gaffe !

_ Oui, je ferai attention. Ah ! Au fait ?

Kasey pousse un petit son du fond de sa gorge pour m'inciter à continuer ma phrase. J'en reviens pas que je vais dire ça ! Surtout à l'aube d'un carnage.

_ Je t'aime.

Kasey sourit et m'embrasse encore une fois longuement. Il rompt le baiser en prétextant devoir aller voir Jera pour les derniers détails. Il me laisse, les bras ballants le long de mon corps, en me demandant pourquoi une fille comme moi est tombée sur un mec comme lui.

C'est vrai, quoi ! Lui, il est parfait ! Il est beau garçon, gentil, attentionné, il pense aux autres, il est minutieux et il fait attention à moi, surtout. Moi, je suis la pire des folles. Je ne pense qu'à moi, je suis une dingue de la gâchette, je suis égoïste, je ne veux devenir amie avec personne, ou presque. Je ne fais confiance à personne, ou presque. Et si je le pouvais, je reviendrai à cette nuit où j'ai rencontré Kasey. Je serai partie directement au Sud sans me retourner. Je sais, c'est horrible de penser ça mais au moins, il ne souffrirait pas de me perdre à tout moment. Et moi non plus, par la même occasion. C'est tellement compliqué !

Je sors de l'église et trouve Aedan à côté de la porte.

Je lui fais un signe de tête et m'assieds sur les marches sans dire un mot.

_ Nam ?

Je tourne la tête vers lui. Il est vraiment soucieux avec sa tige argentée entre les dents.

_ Tu es prête ?

_ Je crois.

Je dodeline et retourne dans mes pensées mais il me stoppe encore une fois.

         _ Promets-moi de faire attention, d'accord ?

         Je me retourne et fronce les sourcils. Pourquoi il me demande ça ?

         _ D'accord, dis-je méfiante.

         Je lève les yeux au ciel et remarque quelque chose de bizarre sur les parois du canyon. Des points jaunes montent sur la pierre.

         _ C'est quoi ça ?

         _ Les snipers et d'autres personnes venues pour surveiller la surface du canyon, répond Aedan. Nous mettons toutes les chances de notre côté.

         Je fais un signe de la tête et me relève pour être seule une bonne fois pour toute.

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