Chapitre 22

Mes poings créent un bruit qui réveille pratiquement tous les détenus, mais je m'en fiche.

On a fait tout ça pour rien. Tout ça pour rien ! Doug, Enzo, Billy et Jared sont morts pour rien ! En vain ! Et je ne peux pas l'accepter !

Masana me fait reculer mais je me débats et me dégage de son emprise.

_ Lâche-moi !

_ Nam, tu ne peux rien faire... Pas maintenant, en tout cas !

Suite à sa parole, je m'agenouille et rentre mes ongles naissants dans le tissu de mon pantalon jusqu'à ma chair. Je crie de toutes mes forces et l'écho de ma voix s'élèvent jusqu'aux plus hautes cellules de la prison. Des murmures se font entendre de partout. Je relève la tête et descends de l'estrade. Je regarde en haut et mes yeux se perdent sur certaines cellules qui sont ouvertes, notamment la mienne.

_ On devrait aller dormir. Demain va être une dure journée, dis-je doucement avant de monter les premières marches.

Quand je monte enfin les escaliers, les exclamations se font entendre de plus en plus férocement. Des mots comme « escrocs » ou « menteurs », et même d'autres encore plus vulgaires, sortent de la bouche des prisonniers. La nouvelle se repend comme une trainée de poudre jusqu'aux hommes des étages au-dessus et soudain toute la prison se lève pour s'approcher des barreaux.

Certains posent des questions mais je me tais et pars à mon étage. Une fois devant ma cellule, mon regard se perd sur une inscription juste au-dessus de mon lit. Une inscription à la peinture noire, encore fraîche.

Naïve !

Mes muscles se contractent et je ferme la grille de ma cellule, m'enfermant à l'intérieur.

On verra demain, si je suis toujours aussi naïve !

Le silence revient peu à peu lorsque nous avons tous regagnés nos cages. Je ne trouve pas le sommeil tout de suite. J'ai encore pleins d'images dans la tête. Des souvenirs des duels. Surtout la mort de certains des participants. Surtout Enzo.

Et dire que je les ai perdus. Lui et sa sœur... Je n'arrive pas à tenir mes promesses. Je me dégoute moi-même.

Je m'avance vers mon lit et vois un papier plié en quatre, posé sur la couverture. Je le saisis et l'ouvre, découvrant un plan, coupé d'une ligne rouge allant à droite, vers le haut, encore à droite, en haut, à gauche, puis encore en haut, sortant d'un haricot coupé en deux.

La carte de l'immeuble ! Je regarde en bas et trouve un petit mot.

Jared, retrouve-moi sur le toit de l'immeuble quand tu lanceras la mutinerie. Je t'y attendrai pour vous faire évacuer.

Ton oncle.

*

Une sonnerie fait vibrer les murs et les grilles des cellules s'ouvrent. L'heure du dîner a sonné. Je n'ai pas été prendre mon petit déjeuner, ni le déjeuner. Je voulais encore rester tranquille quelques heures pour réfléchir au mot de l'oncle de Jared. Je me souviens du regard inquiet de Martin quand je lui ai dit que je ne descendrai que plus tard. Et ce plus tard, c'est maintenant. Car je vais lancer la mutinerie.

J'attends que tout le monde descende pour enfin sortir de mon trou. Je marche à pas lents dans les escaliers et sur les passerelles. Je n'ai pas vraiment envie de revoir ce monde après tout ce qu'il s'est passé. Pas envie. Mais mon ventre m'ordonne de descendre alors...

Une fois en bas, le silence s'installe entre les tables et tous les regards se dressent vers moi. Des regards tristes ou désolés. Peu importe.

Je pars à droite et me rends compte que le comptoir d'Iori est fermé. Elle est partie, c'est vrai. Un pincement au cœur surgit en moi et je grimace. Je me dirige vers un autre comptoir et demande un plateau.

Le serveur, un peu jeune, me regarde comme si j'allais le manger. Je ne fais pas attention et patiente le temps qu'il me serve. Une fois le plateau en main, je me retourne et pars vers ma table. Masana et Martin y sont déjà installés. Ils m'attendent gentiment pour commencer à manger. Je m'assieds et plante ma fourchette dans mon assiette. Et le cours des choses reprend à la cafétéria.

_ Je n'arrive pas à m'y faire. On devait sortir, bordel ! Et Jared !, s'exclame Masana.

_ Chérie, on y arrivera. Par un moyen ou un autre. On sortira d'ici.

_ Comment ? Quand ?

Je souris en entendant ses jérémiades.

_ Maintenant. Mais, d'abord on mange.

Je leur souris et jette un regard autour avant de continuer à piocher dans ce qu'il me semble être de la purée. Son goût est infect. Je mange tout sauf ça et repousse mon plateau au bout de quelques minutes.

Masana me regarde après avoir fini son assiette et nous attendons Martin pour discuter du plan et du message.

Un périmètre de sécurité s'est installé autour de nous. Personne ne passe à moins de deux mètres de notre table. Personne. A croire qu'on est malades.

Finalement, Martin finit son assiette. Et même quand il repousse son plateau, rien ne change. C'est toujours silencieux à notre table.

Mais Masana en a assez.

_ On serait dehors, à l'heure qu'il est !

_ Et dire qu'on leur a fait confiance pour les sacs !, accuse Martin.

_ On ne pouvait pas savoir, réponds-je. Il faut que l'on trouve un moyen de se barrer d'ici ! Et en vitesse ! Et il se peut que j'en aie un.

Je regarde autour de moi. Certaines personnes louchent sur nous, mais dès que mon regard croise le leurs, ils se tournent et font comme si de rien n'était.

_ J'ai entendu des gens parler de tuer des gardes, cette nuit, avoue Masana. Vous croyez qu'ils le feront ?

_ Non, ils ne le feront pas. Ils n'oseront jamais, commente Martin. C'est quoi ton plan ?

_ Cette nuit, j'ai trouvé un papier sur mon lit. Il y a un mot de l'oncle de Jared disant qu'il pouvait lancer la mutinerie quand il le voulait et qu'il nous retrouverait sur le toit quand ce serait fait. Sur le papier, il y a aussi le plan de l'immeuble et le chemin à emprunter pour en sortir. On y va que tous les trois, personne d'autre ne vient. Ils se débrouillent.

Je réfléchis à une chose. Une chose que je me suis dite lorsque j'étais en train de clouer le bec de Tiffany Houtch. Une phrase qui a tourné dans ma tête et qui m'a transportée lorsque j'ai parlé à la caméra. Mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.

_ Qu'est-ce qu'on fout alors ? On ne peut pas rester là sans rien faire !

A sa parole, on peut sentir que Martin bout littéralement. Il va exploser, je le sens.

_ Il faut qu'on fasse quelque chose, pour Jared et les autres ! Pour pas qu'ils soient morts pour rien !, reprend Martin.

_ Parle moins fort, Martin !, le réprimande Masana en posant sa main sur son épaule.

Parler... Voix... Mais oui !

La sonnerie de la fin du dîner retentit et je me précipite à la naissance des marches des escaliers. Je barre la route à tout le monde. Personne n'ose bouger.

_ Demi-tour. Tout de suite.

Les gens se regardent tour à tour et je leur adresse un regard noir.

_ Maintenant !

Ils se précipitent pour trouver une place et s'assoient en attendant de savoir pourquoi je leur dis de faire ainsi. Il n'y a pas de gardes, ce soir. Et c'est tant mieux !

Je redescends et m'avance sur l'estrade devant la porte de sortie de la prison. Ils lèvent tous leurs yeux vers moi. Je remarque Dan et Xavier au fond à gauche.

Il est temps de parler !

_ Masana, Martin. Venez me rejoindre.

Ils ne se font pas prier et se postent à mes côtés. Je pose mes mains sur la barre de fer devant moi et me penche en avant.

_ Vous êtes qui ?

Des regards incompris. Voilà ce que je récolte. Ils ne peuvent pas réfléchir un peu ?

_ Vous êtes qui ?, dis-je plus fermement.

Un long silence suit ma voix, mais quelqu'un le rompt.

_ Des prisonniers !

_ Vous êtes qui ?, répété-je.

Mon regard sillonne toute l'assemblée et quelqu'un s'avance. Un jeune garçon du même âge qu'Enzo. Le connaissait-il ?

_ Des personnes !

_ Et les personnes sont-elles des animaux ?

_ C'est n'importe quoi, je me casse !

Xavier se lève et s'éloigne vers l'escalier.

_ Tu ne bouges plus, Xavier ! La suite pourrait t'intéresser !

_ Et en quoi ?, dit-il en se tournant vers moi.

_ PARCE QU'ON POURRAIT TE FAIRE SORTIR, CONNARD !, rajoute Martin. ALORS TU LA BOUCLES ET TU RESTES ICI !

Je regarde mon ami avec un air rieur. Il fait peur quand il s'énerve !

_ Vous êtes des personnes bien, pas des animaux ! Vous avez été mis ici à cause d'un homme qui n'a aucun scrupule et qui veut tout contrôler en mettant les gens qui sont contre lui à l'ombre pour ne pas avoir d'obstacles sur son chemin ! Montrons-lui que l'on ne peut pas tout avoir dans la vie ! Et qu'on n'enferme pas les gens bien comme de vulgaires animaux !

Des personnes se lèvent et se rapprochent de moi. J'ai l'impression que ça marche.

_ Vous croyez quoi ? Qu'ils vous ont tous mis là parce que vous aviez fait quelque chose de grave ? Dans certains cas, ça l'est peut-être, mais pas tous ! Certains d'entre vous ont été admis dans cette prison parce qu'ils allaient contre les règles de la Capitale, n'est-ce pas vrai ?, poursuive-je.

De faibles « oui » se font entendre.

_ Qui ici n'a pas été admis à cause de ça ?

Personne ne lève la main. C'est bien ce que je pensais.

_ Nous avons vécu les quatre duels comme des animaux envoyés à l'abattoir ! Vous l'avez bien vu ! Alors ils nous promettent la liberté ? Mais quelle liberté ? Pourquoi ils nous font ça ? Parce qu'ils ne veulent pas de barrière sur leur route !

Un « oui » plus conséquent se dresse dans l'assemblée. La moitié s'est levée.

_ Alors montrons-leur que nous ne sommes pas des bêtes ! Montrons-leur qu'ils ne peuvent pas tout avoir ! Montrons-leur de quoi nous sommes capables ! Montrons-leur qu'ils ne pourront rien faire contre nous !

Ils sont pratiquement tous levés. Mes amis se rapprochent de moi, renforçant les liens qui nous unissent.

_ Et je peux vous jurer sur ma propre vie que l'on arrivera à les renverser ! Alors sortons d'ici, à la force de nos bras et des armes que nous pourrons trouver ! Créons la révolution ! SOYEZ UNE VOIX, PAS UN ÉCHO !

Ils se lèvent tous et se dirigent vers l'entrée. Je me retourne vers mes amis et prononce une phrase dont je me souviendrai toute ma vie.

_ Réveillons-les !




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