Chapitre 19

D'autres détonations font vibrer les murs et les vitres. Nous nous sommes réfugiés au salon, sur l'un des canapés. Kasey a voulu rester avec nous au cas où.

Et dire que j'ai créé tout ce bazar... Rappelez-moi de m'enfuir dans un coin isolé dès que je sortirai de cette maudite ville ! J'aurais encore dû me taire. Faut que j'arrête d'ouvrir ma grande gueule de cinglée !

Une lumière sur le mur plonge la salle dans une brume bleutée. Un visage, celui de Jera, calme et serein. Impossible qu'il soit dans cet état-là, maintenant. C'est un tel chaos dehors !

Encore une détonation, plus proche cette fois.

_ Mesdames et messieurs les candidats. Nous avons avancés votre prochain duel. Il aura lieu ce soir.

_ Quoi ?, s'écrie Masana.

_ Vous devez vous rendre dans la salle des duels immédiatement. Vous avez trois minutes.

_ Dépêchez-vous !, hurle Kasey.

L'écran s'éteint et nous nous regardons tous. Une seconde de silence précède le boucan de quatre personnes courant pour se changer et défier les émerides.

Je pars à la salle de bain et défais ma robe. Je me glisse dans mon pantalon, mon débardeur et mes chaussures. Je glisse mes bras dans mon gilet et le ferme.

_ Dépêche-toi Nam !, me crie Martin en passant devant la salle de bain.

J'en sors aussitôt et nous nous précipitons au deuxième étage. La porte est fermée. Une grosse porte grise avec un petit rectangle en portrait à la hauteur de Masana. L'écran s'illumine et le visage de la femme au calepin apparaît.

_ Mettez-vous devant !, nous indique Kasey.

_ Martin Hyetta, porte 1.

Martin se met en face de la porte et elle s'ouvre. Un bras articulé en métal portant le scanner apparaît devant lui.

_ Jared Modigliani, porte 2.

_ Nam Odiel, porte 3.

Je monte les marches mais me tourne une dernière fois pour voir le visage de Kasey, apeuré.

_ Vas-y, Nam !

Je me retourne et monte les marches trois par trois.

_ Masana Ortega, porte 4.

Nous sommes tous en place. J'en profite pour prévenir mes camarades de mon troisième rêve.

_ Une plage ?, sonne Jared interloqué.

Il semble réfléchir, mais finit par secouer la tête, vaincu. Martin nous réveille.

_ Tirez-la vers l'eau !

On le regarde tous avec des yeux en soucoupes.

_ Doug m'a dit un jour que... Si tu mettais de l'eau sur un produit électronique, ça le faisait dysfonctionner ! Mais n'allez pas dans l'eau avec lui ! Vous vous feriez électrocuter sinon !

_ Elle a une pelle !, ajouté-je. Allez vers la pancarte au fond à gauche ! C'est un panneau danger ! Elle vous frappera par derrière ! Baissez-vous à ce moment-là !

Ils acquiescent et les portes s'ouvrent. Nous entrons dans le sas gris et les portes se referment. Je m'avance le plus possible du mur en face et patiente sous la caméra qui scrute chacun de mes mouvements.

Comment ils arrivent à faire rentrer quatre bouts de plage dans un étage tel que celui-là ? Ils ont dû instaurer un système très pointu, sûrement.

La poussière et les petites pierres s'accompagnent du bruit assourdissant de l'élévation du mur. Le bruit de l'eau se prélassant sur le sable m'attire. Elle me rappelle les contrées du Sud de la planète. Qu'est-ce que j'ai hâte d'y retourner !

La lumière du soleil couchant se répercute sur le sol et grandit rapidement. Je m'accroupis et regarde autour de moi. Pas d'émerides. Comme dans mon rêve. Elle doit être cachée. Je m'avance et tourne sur moi-même.

Le sas a disparu ! On doit chercher l'émeride pour s'en sortir. Super ! Génial !

Je regarde à gauche et vois le panneau. Je m'en approche. Le même voile flottant dessus. Tout est identique. Je décale le voile et lis la même phrase que dans mon rêve :

Attention derrière !

Je me cambre en avant et entends la pelle voler au ras de ma tête. Je pivote et plaque l'émeride au sol. J'emprisonne ses bras sous mes genoux et arrache la pelle de ses mains.

Un coup de genou dans mes reins me fait basculer en avant, me forçant à faire un roulé-boulé. Je sers fort le manche de la pelle dans mes mains et me relève péniblement. Plus personne derrière moi. Je regarde à l'avant et sens un truc bizarre sur la gauche. Mon ombre. Mais accompagnée d'une autre. Je ne tourne pas complètement la tête pour ne pas me faire griller. Je regarde seulement du coin de l'œil.

Je resserre mes doigts autour de la tige de bois et tourne sur moi-même en balançant tout mon poids dans le poids de la pelle. Je lève mes bras et le bout en cuivre s'abat sur la joue de l'émeride.

Sa tête part vers la droite et elle tombe dans le sable. Elle se relève en titubant et remarque que je ne suis qu'à quelques mètres de l'eau. Une dune, une parcelle plate puis une pente de quelques degrés qui descend jusqu'aux premières vagues.

L'émeride n'est pas encore tout à fait remise de son choc. Je profite pour la saisir au cou et la tirer en arrière au-delà de la dune. Elle se débat férocement mais je réussis à tenir, à la seule conviction que c'est cette émeride qui a tué Enzo. Je la traine encore, sur un mètre et la laisse tomber de tout son long sur le sable au sommet de la pente.

Ses yeux bleus se durcissent en me voyant la surplomber. Elle tente un mouvement mais mon pied frappe ses côtes comme dans un ballon pour jouer. Elle roule jusqu'en bas et atteint l'eau.

Des étincelles. Des éclaboussures. Des grésillements. Des yeux bleus puis gris.

_ Fin du troisième duel.

Mes genoux s'abattent sur le sable et je m'affaisse légèrement, le regard perdu sur l'horizon factice. Une légère brise soulève mes cheveux courts. C'est tellement réaliste que l'on pourrait rester coincé ici sans s'en rendre compte. C'est seulement au moment où un petit pschitt se fait entendre que je remarque enfin le retour du sas, une dizaine de mètres plus loin.

Je me redresse et me précipite vers la porte. Je l'ouvre et reviens enfin dans la salle. Ils sont tous ressortis, avec quelques égratignures mais en vie.

_ Oh putain !, s'exclame Jared en me serrant contre lui. Je suis tellement content de vous revoir, tous !

On s'embrasse tous avant de redescendre. Seulement, en chemin, Kasey m'arrête. Il est resté pendant tout le duel mais il n'est pas venu me voir après que je sois sortie. Jared m'avait déjà accaparée.

_ Qu'est-ce qu'il y a ?, lui demandé-je devant le bureau de mon père.

_ Tu... Tu vas bien ?

Je souris en voyant qu'il s'inquiète pour moi. A vrai dire, suite à la révélation de mon père par rapport à Kasey, je ne pensais pas qu'il se soucierait toujours de moi. Mais depuis que j'ai compris qu'il avait des sentiments pour moi, je me suis détendue vis-à-vis de lui.

_ Oui, ça va. Je vais bien. Et toi ?

_ C'est... Compliqué... De te voir dans les duels, je veux dire...

_ Oh...

Un long silence s'installe entre nous. Je ne sais pas vraiment le combler et lui non plus. Je me gratte mécaniquement la nuque pour faire face au malaise.

_ Ecoute, reprend-il. Je sais que je n'ai pas été super avec toi, ces derniers jours.

_ Kasey, ça va je t'assure...

_ Laisse-moi finir, Nam !

Je me tais face à la conviction que dégage sa posture, sa voix et son uniforme. Il plonge ses yeux dans les miens sans faillir. Je dois me concentrer sur ses yeux. Sur ses yeux !

_ Je comprends que tu m'en veuilles de t'avoir menti. Mais je t'assure que c'est pour ton bien. Je... La personne qui m'a forcé à faire ça ne veut pas que je te dévoile tout. Elle préfère le faire de vive voix. Ce que je peux te dire c'est que je... Je ne t'ai jamais trahie, Nam. Jamais je ne le pourrais et...

C'est bon, j'ai compris qu'il ne le fera jamais. Je pose ma main sur sa bouche pour le forcer à se taire.

_ Ça va, Kasey. J'ai compris et j'accepte tes excuses.

Ses épaules s'affaissent et il soupire entre mes doigts. Je souris et retire ma main. Je la glisse sous son bras et l'approche un peu plus pour que nos corps s'enlacent. Il me serre davantage contre lui. Je me sens enfin reposée depuis le début de mon séjour à Acropolis. Rien que de savoir que j'ai réussi à récupérer le Kasey d'avant me remplit de plénitude.

_ Nam ? Tu devrais venir !

Masana m'appelle depuis le rez-de-chaussée. Je m'écarte de Kasey et nous marchons côte à côte dans l'escalier. Arrivée au salon, ma plénitude m'a totalement quitté. Comme le sang dans mon cerveau.

_ Oui, Masana, qu'est-ce qu'il... Nom de dieu...

_ Bonsoir Nam.

Mon père, sur l'écran de télévision.

_ Qu'est-ce que tu fous là, Connors ?, grondais-je.

_ Oh, rien de spécial ! A vrai dire, je voulais vous présenter quelqu'un !

Connors se décale et laisse place à un corps. Un corps lourd et un petit visage avec des yeux aussi vicieux que ceux de mon père. Un cerveau qui est pourtant apte à amorcer le plus grand des ravages.

_ Je vous présente Clark Hickermann, le directeur de nos laboratoires !

Oh merde...


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