Chapitre 10
Quand nous sommes revenus, la salle était parfaitement propre. On s'en doutait un peu, de toute manière.
La nuit suivante, Martin a dormi avec Masana. Depuis que son frère est mort, il s'est encore plus rapproché d'elle. C'est mieux pour lui s'il ne se sent pas tout seul. Il ne l'est pas de toute façon. Il sait qu'il lui reste encore des gens qui le soutiennent.
Je reste plus avec Enzo, maintenant. Dès qu'on est revenus dans le camp, après le premier duel, il a fondu en larmes dans mes bras. Il était choqué de ce qu'il venait de vivre. Et ça se comprend. A quinze ans, on ne devrait pas vivre ça.
_ Enzo ?
_ Oui ?
Je suis assise à côté de lui sur le canapé alors que les autres sont partis se coucher. Il est plus de vingt-deux heures mais comme le prochain duel est dans six jours, on a voulu rester un peu debout pour profiter du temps qu'il nous reste.
_ Pourquoi tu as accepté de faire les duels ?
Enzo baisse la tête vers ses pieds qu'il examine scrupuleusement. Mais je ne lâcherai pas le morceau.
_ Je... J'ai vu ton collier...
Pourquoi c'est toujours de ma faute ?
_ Comment ça ?
_ Le jour où tu as frappé Xavier avec ton plateau, le collier est sorti et est retombé au-dessus de ton t-shirt. Il scintillait et ça m'a percuté. Et quand t'as dit que tu voulais participer aux duels, je t'ai suivie.
Ma mâchoire se serre face à cette révélation. Je jure dans ma barbe et me lève pour m'éloigner. Je serre mes cheveux entre mes doigts et ferme les yeux pour assimiler l'information.
_ Nam ?
_ Quoi ?
_ Tu m'en veux ?
Je souffle et me retourne sur lui et laissant mes bras balancer le long de mon corps.
_ Enzo, est-ce que tu te rends compte à quel point c'est stupide, ce que t'as fait ? Tu peux te faire tuer ! A cause d'un simple collier ! Pourquoi ?
_ Parce que moi aussi, j'ai fait des rêves. Et tu étais dedans.
Mon sang ne circule plus et je m'écroule devant lui. Je le regarde et penche la tête sur le côté pour le forcer à m'en dire plus.
_ Je ne voyais pas ton visage. Je voyais juste ce collier, le même que le tien. Et je n'ai pas réfléchis, ma tête et mon cœur me disaient de te suivre !
Je plonge ma tête entre mes mains à l'entente de ses paroles. Je secoue la tête.
_ Nam, c'est mon choix ! Tu n'as pas à t'en faire !
_ Enzo, j'ai déjà perdu ta sœur ! Et c'était de ma faute, quand même ! Je ne veux pas faire la même chose avec toi, tu comprends ?
Enzo baisse la tête et s'assied en tailleur au sol, en face de moi.
_ Je sais que tu as souffert quand tu as perdu Tania. Mais je tiens à le faire. Je sens que je dois le faire. Comme toi tu as senti que tu devais faire les duels.
Je baisse la garde à mon tour et le regarde dans les yeux.
Il a raison, sur ce point ! J'ai senti que c'était la solution et je l'ai suivi ! J'ai suivi mes tripes et j'ai sauté dans la gueule du loup ! Comme tous ceux qui ont accepté de participer à ce massacre...
_ Tu devrais aller dormir, Enzo. Il est tard.
_ Ouais. Bonne nuit.
_ A demain, réponds-je.
Je suis Enzo du regard et le surveille en train de monter l'échelle pour rejoindre son lit. Je me lève à mon tour et me dirige vers ma couchette. Seulement, je vois que quelqu'un ne dort pas.
Jared est assis contre la paroi de verre, dos à la salle. Je décide d'aller le voir. Je monte l'échelle et tape deux fois sur la petite vitre. Jared sursaute en se retournant pour voir qui le dérange. Je souris pauvrement et il ouvre la vitre.
_ Salut, prononce-t-il.
_ Salut. Je peux entrer ?
_ Oui, bien sûr.
Je me hisse dans la petite cabine et m'assieds comme lui, les genoux repliés contre ma poitrine.
_ Je n'arrive pas à dormir. Je pense encore à... Ce qu'il s'est passé avec Doug...
Je fais un faible oui de la tête et saisis sa main entre mes doigts.
_ Je suis sûre qu'on traversera cette épreuve avec brio, le rassuré-je.
_ Tu crois ?, demande-t-il en tournant la tête vers moi.
_ J'en suis certaine.
Il sourit faiblement et regarde droit devant lui, la fausse vue sur la Capitale. Et dire que je l'ai arraché dans ma cabine ! Ils ne l'ont même pas remplacée.
_ Qui c'est Kasey, pour toi ? Tu m'as juste dit ce qu'il t'avait fait mais... Quand tu m'as pris dans tes bras quand on est sortis des sasses, il nous a regardé d'un mauvais œil.
Je me contracte à cette question et toussote légèrement. Je me repositionne, comme si avoir une position plus confortable pouvait m'aider à me sentir mieux vis-à-vis de Kasey ! La blague !
_ Il... En réalité, on...
_ Vous vous êtes embrassés mais il t'a trahie, c'est ça ?
Sans un mot, j'acquiesce à sa parole. Je regarde mes genoux en avalant bruyamment ma salive. Décidément, ce sujet est tabou pour moi !
_ Je crois qu'il a des sentiments envers toi, Nam.
_ J't'en prie, ne te fous pas de moi ! Il n'a rien pour moi. S'il ressentait quelque chose, il n'aurait jamais fait ce qu'il a fait !
_ Qu'est-ce que tu en sais ?
Je tourne la tête vers lui. Décidément, Jared commence à me peser aussi sur le système !
_ Il t'a dit que c'était pour ton bien. Et ton père ne veut pas de ton bien, alors je pense qu'il a fait ça pour une autre raison. Une qu'il te cache.
_ Dis pas n'importe quoi ! Si jamais il y avait quelque chose d'autre derrière tout ça, il me l'aurait dit !
_ Ou alors, il attendrait que tu comprennes par toi-même ce qu'il essaie de te faire voir ! Il t'aime, je crois !
Je ne réponds même pas.
Kasey est un lâche ! Un menteur, stupide et arriviste ! Il m'a utilisé pour son bien à lui, pas pour le mien ! Il a tout fait pour me traîner jusqu'ici, m'a menti pour m'amadouer et me faire bouffer tout et n'importe quoi. Je me sens tellement idiote !
_ Je vais aller me coucher. Bonne nuit, Jared.
_ Bonne nuit, Nam.
Je me retire de sa couchette sans détour et pars jusqu'à la mienne. Mais en voyant que je n'avais plus la vue sur le Sud, je me retourne et me dirige vers une autre couchette et m'y engouffre. Je n'ai pas pris celle de Doug. J'ai un minimum de respect pour son frère et lui pour ne pas bafouer son souvenir !
Lorsque ma tête touche l'oreiller, je me sens apaisée. Au calme.
Il faut que je trouve un moyen de savoir ce que me veut mon père, une bonne fois pour toutes. Je veux savoir ce qu'il a après moi.
Je veux savoir.
*
_ Mon fils, il est temps de dormir. Il est tard.
_ Mais mère, je veux encore entendre une de vos histoires.
La femme se rassit près de son fils en lui souriant. Elle ramène un peu plus haut la peau d'ours sur le corps de son enfant de onze ans. En plongeant ses yeux dans ceux de son fils adoré, elle commence à parler :
_ Mon fils, cette histoire que je m'en vais te compter est l'une des plus mystérieuses de notre culture, ici-bas. Tu devras t'en souvenir toute ta vie, si un jour, tu veux succéder à ton père et tes frères, et protéger ta petite sœur. Tu en tireras une grande leçon. Il y a bien longtemps, sur la terre de nos ancêtres, eut un jeune homme sur le point de gagner la maturité. Il était jeune et beau, aux cheveux d'argent et aux yeux noirs, et était aussi heureux que tu ne l'es aujourd'hui, mon doux enfant. Mais tout a une fin, mon chéri.
L'enfant se pris de l'histoire dès l'instant où sa mère prononça les premiers mots. Mais à cet instant, rien ne distrayait plus le petit garçon que le conte de sa mère.
_ Un soir de pleine lune, une bête hideuse et repoussante mis la ville à feu et à sang. Le seigneur des terres tenta de s'interposer mais il fut vite écarté par le monstre. Ils durent partir au plus vite pour abriter le reste de leurs gens. Ce fut un long voyage. Et le père, griffé au torse par cette bête immonde, succomba à ses blessures. La légende dit que son fils a prêté serment à son père lors de sa mort, en lui promettant de sauver ce qu'il restait de son peuple et de son héritage. Au terme d'une année entière, il revint sur ses terres natales, sur un grand astre, accompagné de ses hommes tous vêtus des flammes du soleil.
L'enfant ne tenait plus en place et désirait plus que tout de découvrir le fin mot de l'histoire.
_ Alors, durant une bataille sanglante et acharnée, le fils du seigneur défunt pris l'âme de la bête et s'en fit un manteau pour l'éternité. Maintenant, dors mon fils, et puissent tes rêves être remplis d'héroïsme et de courage.
Sur ces derniers mots, la mère embrassa son fils et s'en alla en éteignant les dernières lueurs de bougies remplissant la pièce.
*
Je me réveille aussitôt après que la femme soit partie. Encore chamboulée de ce rêve étrange, je ne peux penser à autre chose pendant quelques secondes. Au regard plein d'images d'horreur de l'enfant, et à la mère aimante que je n'aurai jamais.
Quelques minutes plus tard, je me lève, bien décidée à savoir ce qu'il se passe dans la tête de Connors Odiel. Je m'approche de la porte de la salle du camp et tape dessus. J'attends quelques minutes et les portes coulissent, laissant la place à un garde.
_ Oui ?
_ Je veux parler à Jera Schwaps. C'est urgent.
Le garde fronce les sourcils et me demande de le suivre. Quelques minutes plus tard, je me retrouve devant la salle d'interrogatoire de la dernière fois.
Le garde m'ouvre la porte et me demande d'attendre. Je pars m'asseoir sur une chaise à côté de la table et patiente.
La porte de l'autre côté de la pièce s'ouvre cinq minutes plus tard. Jera entre, l'air surpris. Il s'avance doucement vers la table et s'assied en face de moi.
_ Bonjour Nam.
_ Bonjour.
_ Comment tu vas ? Tu t'en es très bien tirée au...
_ Je ne suis pas venue pour prendre le thé, Jera. Je veux savoir ce que mon père trafique. Qu'est-ce qu'il a contre moi ? Ça fait six ans. Six putains d'années et il décide de revenir ! Pourquoi ?
Jera s'affaisse dans la chaise et me regarde avec des yeux comme des soucoupes.
_ Est-ce que tu sais pourquoi ta mère est morte ?
Pourquoi on parle de ma mère ?
_ Il m'a juste dit qu'elle était morte en me donnant la vie.
_ Voilà ce pour quoi ton père te traque.
Jera se lève et se retourne pour taper sur la porte d'où il est venu.
_ Attendez !
Jera s'arrête et se redirige sur moi. On dirait qu'il redoute ce que je vais dire.
_ J'ai l'impression que vous me cachez des choses !
_ Et qu'est-ce que je pourrais bien te cacher ?, m'interroge-t-il en posant ses poings sur la table.
S'il croit qu'il me fait peur, il se trompe lourdement. J'adopte la même position que lui.
_ Ce que vous cherchez réellement. A m'en faire baver pour que je vous dise où se trouve Faniath.
Jera serre sa mâchoire et se rassit sur sa chaise. Il fixe la caméra puis reviens sur moi.
_ Tout conseil que je pourrai te donner, Nam, c'est que tu ouvres trop ta grande bouche.
Et alors si j'ouvre ma gueule ? Quoi ? Ça ne leur plait pas ? Tant mieux ! Jera soupire discrètement et regarde encore une fois la caméra.
_ Qu'est-ce qu'il se passe dans cette prison ?
Jera revient sur moi. Je pose mes coudes sur mes genoux et l'écoute attentivement.
_ Tu parles trop. Ça te jouera des tours.
Jera se lève d'un bond et s'enfuie de la salle d'interrogatoire. Je me lève à mon tour. Je tape sur la porte et un garde m'escorte jusqu'au camp.
Dès que je reviens, Jared me saute dessus.
_ Où étais-tu passée ?
_ Je suis allée voir Jera Schwaps. Je voulais savoir ce que mon père voulait.
Les autres dorment encore. Je pars à côté du braséro et Jared me suit. Soudain Iori ouvre la grille et nous dit bonjour. Elle nous sert des plateaux garnis de plusieurs choses à manger pour le petit déjeuner. Elle me regarde insistant pour que je prenne le plateau noir, recouvert d'une cloche, qu'elle me tend. Un sourire trop franc sur son visage me met la puce à l'oreille. Je prends le plateau et m'en vais vers la table. Je vais pour me retourner mais Iori a déjà claqué la grille. Bizarre.
Je m'installe à la table et soulève la cloche. Une soupe, mais pas n'importe laquelle. Une soupe avec de toutes petites pâtes, représentant des lettres. Une inscription est écrite.
Sous le plateau. Caméras.
Je regarde les caméras. Elles sont toujours allumées. Je ne pourrai pas soulever l'assiette ici. Il faut que je l'ouvre à l'abri des regards.
Je tourne les talons et pars à ma couchette avec le plateau.
_ Tu viens manger avec moi ?
_ Euh... Ouais...
Jared me regarde bizarrement et me demande ce que je fais, une fois enfermé dans le cube en plexiglass, à l'abri des regards.
_ Attends !
On s'adosse à la vitre, de dos à la salle du camp pour cacher avec nos corps ce qu'il se trame. Je croise les jambes pose le plateau sur mes genoux et mes hanches. Jared n'arrête pas de poser des questions. Je soulève l'assiette et retire un papier coincé et plié en quatre. Je le fais glisser sur le plateau et le plaque contre ma poitrine pour l'ouvrir et je pose enfin mes yeux dessus.
_ Qu'est-ce que c'est ?, me demande Jared.
_ Je n'en sais rien. Iori m'a regardé bizarrement en me le tendant. Ils y avaient des pâtes en forme de lettres disant «Sous le plateau. Caméras.».
Je déplie le petit papier et nous lisons l'inscription dessus.
Jared et toi, taisez-vous !
On va vous sortir de là, vous et les autres détenus de la prison !
Iori
Pardon ?
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