Chapitre 23

Nous trouvons un passage à travers les pierres qui mènent en bas, dans la verdure. Je sers fermement mon arbalète dans ma main droite. Je ne veux pas être surprise. Nous allons juste récupérer quelqu'un. Seulement ça. Après, je m'en vais de cette ville sans me retourner une seule fois.

Kasey se glisse derrière moi et me retient par le bras.

_ Qu'est-ce qu'il y a ?, lui demandé-je.

Il a le visage grave. Il est stressé, même terrorisé. Il me regarde droit dans les yeux, la lèvre inférieure frémissante et me fait non de la tête. Mon front se plisse. Il a peur, c'est tout. Je saisis son cou et l'embrasse tendrement pour lui redonner de la force. Je sépare ses lèvres des miennes et le regarde dans les yeux.

_ On ira ensemble et on repartira ensemble, le rassuré-je en l'embrassant encore une fois. Je traverse la route et on s'occupe d'eux.

Je pars sans me retourner et m'abaisse quand j'arrive enfin à côté du goudron de la route. Je regarde vers l'entrée et vois qu'il n'y a que deux gardes seulement.

Des phares éclairent la route. Je me précipite vers le tronc d'un arbre et le contourne de façon à ne jamais me faire griller par les conducteurs du petit SUV qui passe. Je jette un coup d'œil et cours de l'autre côté de la route pour m'engouffrer de nouveau dans la pénombre. Je regarde de l'autre côté et vois Kasey marcher vers les remparts. Je fais de même.

Une fois arrivé au mur et le 4x4 parti, Kasey me fait signe de les prendre par la gorge et de les étouffer. J'acquiesce et m'approche doucement du premier garde. Kasey m'imite. Une fois derrière lui, je le prends à la gorge et lui couvre la bouche. Le soldat se débat tellement fort que je suis obligée de l'immobiliser rapidement. Je l'entraîne plus en arrière et lui rompt le cou. Il se raidit d'un coup. Je le pose au sol et regarde où en est Kasey.

Il est en train de retirer les chaussures et les vêtements de l'autre garde, le laissant avec sa protection corporelle seulement. Je fais pareil et me déshabille. Je vois une carte sortir de la poche du soldat. Je la prends. On ne sait jamais ça peut servir.

Deux minutes plus tard, nous pénétrons Acropolis habillés comme des soldats rouges. Au lieu de l'arbalète, je me munie du fusil et le charge.

Dès que je rentre dans le premier quartier, je suis frappée par le nombre de pauvres qui se cachent aux portes de la Capitale. Comme si les riches étaient en train de les jeter dehors à coups de pied aux fesses. Hemming nous a parlé d'eux, quelques heures plus tôt. Il nous avait prévenus.

Les gens tournent leurs têtes vers nous et nous regardent de travers, comme si nous étions des humains au milieu de milliers d'animaux sauvages : on n'a rien à faire là.

Nous faisons encore quelques pas et nous nous retrouvons devant trois hommes baraqués qui nous barrent la route. Quand ils croisent les bras, les veines saillantes de leurs bras musclés ressortent.

_ Bougez de là, prononce Kasey d'une voix dure que je n'avais jamais entendue auparavant.

_ Vous n'êtes pas d'Acropolis, ça se voit, comment l'homme du milieu. Venez, on va vous mener au boss. Hemming nous a communiqué votre arrivée.

Les trois se retournent et avancent ensemble. Je regarde Kasey mais il ne m'adresse pas la parole. Il se contente d'avancer seul. Je soupire et marche derrière eux.

Plus loin, les trois armoires à glace tournent et pénètrent dans une ruelle seulement éclairée par des néons verts et bleus.

Je marche la tête haute alors que des hommes s'approchent de moi pour me scruter de près tout en me laissant passer. S'ils pensent qu'ils me font peur, c'est peine perdue pour eux. Certains parlent même de moi par derrière.

_ Regarde-moi ce cul ! Ma parole !

Je me retourne et pointe mon fusil vers lui en déclenchant une balle.

_ Ose parler de moi encore comme ça et je colorierai ses murs avec ta cervelle.

L'homme se redresse et fait un pas en arrière. Je regarde le reste de ses amis et ils lèvent tous les mains. Je baisse mon fusil et continue de marcher. Il ne faut pas me chercher, moi.

Je rejoins Kasey et les trois hommes qui me regardaient comme s'ils avaient vu quelque chose qu'ils admiraient.

_ Bon, il est où votre boss ?, craché-je en m'arrêtant devant eux.

_ Un conseil, me coupe le premier. Fais ça devant qui tu veux, sauf le boss. Je dis ça seulement si tu veux rester en vie.

Je fais oui de la tête et les garçons reprennent la marche. Kasey se remet à marcher à côté de moi.

_ Il t'a dit quoi, lui ?

_ Il a mal traité mon fessier.

Kasey rigole mais je le fusille du regard et il s'excuse en arrêtant de rire.

*

Un homme est assis sur un énorme fauteuil, entourée de femmes à moitié découvertes. D'autres personnes tenant des armes se tiennent tout autour de nous et se lèvent quand nous entrons.

L'homme robuste et tatoué assis sur le fauteuil se lève et ouvre ses bras.

_ Bienvenue à vous, étrangers. Je suis Gio. Et voici mes frères et sœurs.

_ Vous êtes quoi, au juste ?

_ Ne parle pas quand le chef ne te dit pas de parler, me déclare le premier.

_ Et toi, tu ne devrais pas parler à sa place, rétorqué-je machinalement.

Je le regarde sans défaillir et le chef s'approche de nous, posant la main sur l'épaule du gars qui me défie du regard.

_ Laisse, mon ami. Ils ne sont pas d'ici, ils ne connaissent pas.

Si seulement vous saviez qui je suis, vous ne diriez pas ça, mes chers amis !

L'autre s'éloigne et je me tourne vers le chef. Il m'adresse un large sourire franc.

_ Que venez-vous faire dans notre charmante cité ?

_ Nous sommes venus récupérer quelqu'un. Son frère, dis-je en pointant Kasey du doigt.

Il a l'ai absent. Ce n'est pas le moment, Kasey !

_ Alors, comment s'appelle ton frère ?, lui demande Gio.

_ Cole, monsieur.

_ Il a été fait prisonnier d'état. Nous venons le chercher pour qu'il retrouve son frère. C'est sa seule famille, ajouté-je.

_ Cole ? Prisonnier d'état ? Cela ne me dit rien. Où comptez-vous aller le chercher ?

_ Dans le bâtiment de l'Armée.

Je me retourne sur Kasey qui vient de parler. Mes yeux s'agrandissent, comme les murmures dans la salle. Il ne peut pas s'arrêter de parler ?

_ A vrai dire, personne n'a jamais réussi à sortir de la prison. On le saurait si quelqu'un avait fui. La ville serait sens dessus-dessous. Alors je ne vois pas très bien comment vous allez le faire sortir de la prison.

Mon cerveau va exploser. Je vais devoir rentrer à nouveau dans cet immeuble, après six ans d'absence. Je titube et me tiens à une poutre qui soutient le plafond. Ma respiration se fait plus rapide et le tatouage de mon père me revient en tête. Le chef s'approche de moi et me force à le regarder.

_ Viens avec moi.

Je lance un regard à Kasey qui ne fait même pas attention à moi. Je fais oui et le suis à l'étage. Nous entrons dans une espèce de boudoir à l'ancienne avec des meubles miteux mais qui sont en harmonie les uns avec les autres.

_ Tu veux quelque chose à boire ?, me demande Gio en se postant devant un mini bar.

_ Non merci.

Je m'assois sur une chaise et prends ma tête entre mes mains. Je soupire et me masse les tempes.

Gio revient près de moi et me tend le verre avec un liquide brumeux à l'intérieur. Il ne m'en a pas mis beaucoup. Ça doit être fort pour en mettre si peu.

_ Tu en auras besoin, fais-moi confiance, Nam.

Je relève les yeux vers lui.

_ Comment vous me connaissez ?

Je porte le bord du verre à mes lèvres et bois le liquide marron d'une traite. Soudain, une chaleur accablante s'empare de ma bouche et une flamme descend dans ma gorge jusqu'à mon œsophage. Je grimace et lui rends le verre. J'ai un coup de chaud, tout de suite.

Gio pose le verre et vient s'asseoir en face de moi et il adopte la même position que moi. Assis, les coudes sur les genoux et les mains jointes devant lui. Il plonge ses yeux dans les miens et commence à parler.

_ Je sais qui tu es, Nam Odiel.

Je relève la tête d'un coup vers Gio, quand j'entends mon nom en entier. Il sourit quand il remarque qu'il a raison.

_ Ne t'en fais pas. Je ne te ferai pas de mal. Le seul à qui je veux faire du mal, c'est ton père.

Je soupire et frotte mon visage de mes deux mains quand j'entends le nom de mon père. Connors Odiel.

_ Je sais comment il s'appelle, pas la peine de me le rappeler ! Comment vous nous connaissez ?

_ Je travaillais avec ton père à l'Armée, avant. Nous étions en course pour le poste de directeur. C'était il y a quelques années. Il a créé des preuves m'accablant comme quoi je n'étais pas apte à régir l'armée par moi-même. Ton père et moi sommes différents.

_ Comment pourrais-je vous croire ?, demandé-je en me levant de ma chaise et en m'avançant vers la fenêtre.

Gio s'approche d'un secrétaire qui se tient derrière la chaise où je me tenais à l'instant. Il l'ouvre et plonge sa main à l'intérieur pour en sortir une petite boite. Il referme le secrétaire et s'avance vers moi, la boite dans les deux mains. Il me la tend.

_ Ouvre-là.

Je la saisis et l'ouvre. Elle est vide. Seulement, je ne suis pas bête. Je pose ma main au fond de la boite et ouvre le double fond. A l'intérieur se trouve une feuille de papier, pliée en quatre, et une photo dessus. Je les sors et Gio récupère la boite qu'il referme et qu'il laisse pendre au bout de son bras ballant.

Je regarde la photo en premier. Il n'y a pas d'inscription derrière. Quand je la retourne, je vois une femme jeune et belle, souriante à la vie. Elle porte une robe à fleurs bleue et est assise sur un banc. Je la connais.

C'est ma mère. Voir son visage me pince le cœur. Et savoir que je lui ressemble comme deux gouttes d'eau, me fait encore plus frissonner.

Le papier est d'une douceur sans égale. Je passe ma main des deux côtés et ouvre la feuille en m'asseyant sur une chaise.

C'est une lettre qui date de vingt-trois ans en arrière. Et elle m'est adressée.

Ma chère fille,

Je suis tellement fière de toi, si tu savais.

Je suis tellement désolée de ne pas être là pour te voir grandir et devenir une jolie et courageuse femme. Cela me fend le cœur de devoir te laisser seule avec ton père. Je sais que c'est une brute mais il faut que je parte. Je suis obligée de partir. Je ne pourrais pas te voir grandir. Oh, ma chérie, je suis tellement désolée !

Je veux que tu prennes soin de toi. Fais confiance à Gio, c'est un bon ami à moi. Il saura te guider et te mettre sur le droit chemin.

Il faut que tu sauves Acropolis. Ton père veut tout détruire.

Je suis tellement désolée, encore une fois.

J'espère que tu me pardonneras.

Ta mère qui t'aime,

Elise.

Je laisse la lettre et la photo tomber au sol. Mes yeux se remplissent d'eau et j'ai du mal à respirer. Puis je sens Gio bouger. Je lève les yeux vers lui et la rage s'empare de moi. Je me jette sur lui en frappant son torse.

_ Comment osez-vous ? Me donner une lettre remplie de mensonges et même pas écrite par ma mère elle-même !

_ Tout ce que t'as laissé ta mère, c'était un Wheellock, c'est ça ?

Je m'arrête de suite de le frapper.

_ Comment savez-vous ça ?, demandé-je d'une petite voix.

_ C'est elle qui m'a dit qu'elle te le laisserait pour que tu puisses te défendre face à ton père ! Elle est partie en te laissant seulement ça pour que tu aies un souvenir d'elle ! Elle a même gravée tes initiales et les siennes dessus, pas vrai ?

Mes jambes deviennent du coton et je titube une nouvelle fois pour m'asseoir et encaisser le coup. Il sait tout sur l'histoire du Wheellock. Absolument tout.

_ Oh putain..., susurré-je doucement dans ma barbe.

_ Nam, il faut que tu arrêtes ton père ! Il est plus que temps ! Il n'arrête pas d'envoyer des troupes aux quatre coins d'Atorn pour récupérer les vivres. Nous ne savons pas pourquoi encore mais ça devient dangereux pour le reste du monde !

Je sais pourquoi mon père fait ça. Il veut tout récupérer pour pouvoir subvenir aux besoins d'Acropolis et pour réduire en cendres les villes d'Atorn avec le Pluratium.

Je reviens sur Gio.

_ Comment puis-je savoir si je ne fais pas une erreur en vous croyant ?

_ Je suis à la tête du plus grand groupe de pauvres de la Capitale. Et ton père n'a toujours pas réussi à nous déloger. Nous sommes un obstacle pour lui.

Je baisse la tête vers la lettre et la photo de ma mère. Puis Gio reprend en s'accroupissant devant moi.

_ Ecoute, Nam. Il faut que tu arrêtes ton père, sinon il nous taillera en pièce ! Il n'y a que toi qui peux nous sauver !

La phrase ressemble étrangement à celle que Tania a prononcée quand elle était en train de nous quitter. Mon cœur se serre à cette pensée.

_ On tiendra nous, mais essaie de découvrir ce que cherche ton père et arrête-le ! Fais ça pour nous ! Fais ça pour Atorn ! Cette planète va bientôt se consumer elle-même.

Je ferme les yeux et bouge la tête de haut en bas.

_ Je vais essayer, promets-je.

_ Bien.

Gio me tend sa main en se relevant et il me tire vers lui pour que je me lève à mon tour. Je récupère les objets de ma mère et les enfonce dans mon sac à dos. Je redescends avec Gio à l'étage en dessous.

Personne n'a bougé. Ils nous attendaient tous pour savoir quoi faire. Seulement si on allait faire quelque chose.

Je me poste à côté de Kasey qui m'interroge du regard. Je lui adresse un sourire pour lui faire croire que tout va bien. Or, c'est loin d'être le cas.

_ Tenez !

Gio s'approche de nous avec des casques rouges aux mains. Deux, plus précisément.

_ Vous feriez mieux de laisser vos sacs ici. Personne ne viendra les chercher, ni n'y touchera. Je les garderai dans mon bureau, en lieu sûr. Si jamais vous sortez avec ça sur le dos, vous vous ferez grillés à l'entrée de l'immeuble de l'armée.

Nous obtempérons et nous laissons nos sacs à Gio et à ses acolytes. Je garde seulement le fusil du garde et quelques munitions que je glisse dans les poches arrière de mon pantalon.

Avant de laisser mon Wheellock, je regarde dans tous les sens pour vérifier s'il y a bien les initiales de ma mère et moi.

_ Au-dessus de la boule.

Gio vient de me parler. Je vérifie et, autour de la crosse, entre la boule et la large tige en bois qui tient le canon, sont taillés des lettres.

E.O. – N.O.

Je soupire en me forçant à ne pas verser de larmes et remets l'arme de ma mère à Gio, qui la prend en me servant un sourire encourageant.

On se retourne mais Gio m'agrippe le bras.

_ Et rappelle-toi que, si jamais tu as besoin d'aide, tu n'auras qu'à nous appeler.

J'acquiesce de la tête et me retourne enfin en saisissant le dernier casque. Je le glisse sur ma tête et charge mon fusil, puis sors de l'immeuble et m'engage dans la ruelle avec Kasey, lâchant une larme unique, sans me retourner. 



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