Chapitre 2

 La voiture file sur le champ. Seul le bruit du moteur se laisse entendre. Je ne préfère pas parler avec Kasey. Moins j'en saurai sur lui, mieux je me porterai. Et vice versa, je suppose. De toute façon, je ne compte pas m'accrocher à lui comme un mollusque à son rocher. Ce n'est pas parce que c'est la première personne à qui je parle plus de cinq minutes depuis que... Que je vais changer. Bon j'ai parlé avec Marty. Non, en fait, c'était plus mon canon qui conversait avec lui que moi.

La voiture est secouée à cause des trous dans la terre. C'est désagréable pour les fesses. On dirait que l'on est sur des auto-tamponneuses. J'essaie au mieux d'éviter les nids de poules mais quand j'en évite un sur la gauche, un autre est à droite. Et bam ! Si je me retrouve avec des bleus, je ne serai même pas étonnée.

Je regarde Kasey. Il se cramponne autant qu'il le peut en mettant ses mains devant lui. Il me fait rire à être aussi fragile. Il ne tiendra pas une minute à Acropolis.

Je vire à droite et je fonce, le soleil à ma droite. Plus loin encore, sur deux cents mètres, je vois des points lumineux au sol. Ça formait une ligne, comme une petite vague sur un lac. Bingo !

_ On ne pourrait pas sortir de ce champ ?, grimace Kasey en faisant claquer ses dents à cause de secousses.

_ On arrive sur la route dans quelques secondes.

Au moment où je prononce ces mots, je perçois enfin clairement le bitume. Je ralentis et donne un coup de volant sur la gauche. Et nous voilà sur la route. Ça fait du bien au derrière. Je respire un bon coup et me détend. Non, ce n'est rien. Tu ne retournes pas en enfer. Ce n'est pas ça. Tu vas le déposer bien gentiment aux portes d'Acropolis et tu tournes les talons. C'est tout. Aussi simple que ça.

Les arbres deviennent de plus en plus grands au fur et à mesure que l'on avance. Puis, ils disparaissent derrière nous comme ils étaient arrivés. Aussi sec. Je regarde sur ma gauche pour voir les pins monter haut jusqu'au ciel. La route est droite alors nous sommes tranquilles. Les arbres camouflent tout l'horizon. Mais j'ai un mauvais pressentiment.

Entre les troncs, je vois des ombres. Comme plusieurs points noirs sur le visage d'un adolescent. Je plisse les yeux et, à un moment, il n'y a plus d'arbres. Et je peux voir Laina, encerclée par des centaines de voitures de patrouilles de l'armée.

_ Et merde !

_ Qu'est-ce qu'il y a ? Wow, attention !

Je braque à droite et sors de la route. Ça a d'ailleurs surpris mon co-pilote.

_ Mais t'es dingue, ou quoi ?, crie Kasey au-dessus des hurlements du moteur.

Je vois devant moi la large forêt, où je vais chasser habituellement. Je prie pour que l'on ne nous signale pas et je m'engouffre à l'intérieur.

_ Wow ! Mais... Attention à l'arbre ! Mais tu sais où tu vas ?

_ La ferme !, lui rétorqué-je sèche.

J'entre dans la forêt et roule sur le sentier en terre qui m'éloigne le plus possible de Laina, et de tous ces soldats. Je tente un coup d'œil sur le côté et me rends compte que des gyrophares rouges foncent sur nous.

_ Voilà ! T'es fier de ce que tu m'as fait faire ?, pesté-je contre Kasey.

Mes mains se resserrent sur le volant et mes jointures deviennent blanches. Le sentier continue sur la gauche, vers Laina. Je braque à droite et je sors du chemin et me concentre pour ne pas me prendre un arbre.

_ Attention ! Tu vas nous tuer en faisant ça ! Ralentis !, s'exclame Kasey à chaque vue d'arbre qui se dresse devant nous.

_ Vas dire ça à tes chers amis d'Acropolis, alors !

Il me déconcentre. Il parle tellement fort, il gueule presque. Et ça m'embrouille le cerveau. Je sais où il faut que j'aille. Ce n'est pas à lui de me montrer le chemin.

_ Fais gaffe !

_ Bordel, Kasey... La ferme ! AAAAAAARGH !!

Je ne l'avais pas vu venir celui-là.

Ma tête se cogne violemment sur le volant. Le choc me donne l'impression que j'ai le crâne enfoncé. Des ultra-sons sifflent dans mes oreilles. Je pose délicatement ma main sur mon front et sens que c'est chaud et liquide. Je regarde ma paume. Super ! Je saigne ! Magnifique journée, hein ?

Je me tourne vers Kasey. Il va bien. Je détache ma ceinture et me retourne pour récupérer mes affaires. En levant la tête, je me rends compte que les soldats sont toujours derrière nous. Ils sont à une soixantaine de mètres, sans voiture. Les arbres les ont obligés à venir à pieds.

Kasey et moi nous dépêchons et sortons de la voiture. Je glisse la hanse du fusil au-dessus de ma tête et tient dans ma main mon Wheellock. Je glisse mon neuf millimètres sur ma cuisse pour le ranger dans son étui. Je me retourne sur le 4x4 alors que Kasey courre déjà pour s'en éloigner. Le capot de ma voiture est plié en deux, au centre. Comme si c'était un livre qu'on voulait absolument fermer. Absolument plié ! Foutu !

_ Ma bagnole, pleuré-je.

_ Viens, ne restons pas là !

Kasey serre fort mon bras dans sa main et me ramène à la réalité. On se met à courir et je fonce à travers les arbres, Kasey à ma droite. Des aboiements se font entendre derrière nous. Oh non, pas ça !

Je remarque trois croix gravées au couteau sur un des troncs. Puis je me souviens de la fois où je me suis retrouvée face à un serpent à trois têtes. Il était aussi gros que trois poteaux attachés ensemble. J'avais construit un refuge en hauteur sur un arbre. J'ai couru et je me suis perdue. Je n'ai trouvé rien d'autre que de monter sur un arbre et il s'est barré en cinq minutes.

Chaque jour suite à cette altercation, j'avais continué de rénover l'arbre et j'en avais fait un véritable petit sanctuaire, avec l'aide d'un ami. Comme une planque si jamais je recroisais un animal féroce. Et j'ai fait les crois sur les arbres pour le retrouver.

_ Suis-moi !, crié-je à Kasey.

Je passe à droite et courant et continue en diagonale. Puis, je vois un autre tronc avec une autre marque. Deux croix.

_ Cours ! On y est presque !, scandé-je à Kasey.

Nos pieds continuent de marteler le sol tandis que l'on s'éloigne le plus vite possible des embrouilles. Une croix. Je continue et laisse passer trois troncs avant d'arrêter ma course.

_ Stop !

On freine notre cadence et je me place devant le tronc suivant. Je me retourne et surveille si on n'est pas repérés.

_ Grimpe en haut de l'arbre. Vite !

_ Quoi ?

_ Monte ! Bordel !

Kasey ne réfléchit pas et grimpe aux branches. Je le suis rapidement et en à peine quinze secondes, nous nous retrouvons au-dessus des feuillages de l'arbre. Kasey s'arrête. Je lui tape le pied.

_ Grimpe encore, chuchoté-je.

_ Mais on est assez haut, là ! Ils ne nous verront pas !

_ Fais ce que je te dis !

On chuchote, oui. Mais l'énervement et le stress se font facilement ressentir dans nos voix. Il continue de grimper et se retrouve au centre de la planque. Il s'arrête.

_ Tu admireras plus tard ! Monte, ils vont me voir !

Il se hisse en haut et me tends la main pour m'aider à monter mais je ne la saisis pas. Je m'en sors très bien toute seule !

Nous nous accroupissons au-dessus du trou pour reprendre notre souffle et pour vérifier s'ils ne nous ont pas suivis. Les hommes habillés de rouge arrivent sous notre arbre. Ils s'arrêtent à son pied. Les chiens à deux têtes et six pattes se regroupent autour du périmètre et aboient de plus en plus. Un s'approche trop de l'arbre où nous sommes perchés. Je fouille dans mon sac cherchant un cube violet, faisant deux fois la taille des billes alimentaires.

Une fois dans ma main, je le balance en bas et une fois qu'il touche le sol, une fumée violette se déplace et remonte jusqu'à la moitié du tronc.

_ Mais c'est quoi ce truc ?, s'écrie l'un des soldats.

Les hommes armés toussent et les chiens n'aboient plus. Leurs cris changent. Et je souris.

_ Qu'est-ce que tu leur as fait ?

_ Tais-toi et admire.

On regarde en bas et la fumée se dissipe peu à peu. Les soldats secouent vigoureusement leurs mains devant leurs visages pour pouvoir y voir plus clair. Et puis leurs regards s'attardent sur les chiens qui sont devenus... Des chiots.

_ Qu'est-ce que c'est que ça ?, peste l'un des soldats.

_ Mais ils sont... Comment ça se fait ?, se demande un second.

Kasey fait les gros yeux. Il n'avait jamais vu ça de sa vie, à en croire sa tête. Moi, j'évite de rire. Ceux d'en bas, par contre, ils sont plutôt énerver. Et perdus.

_ Aller, Rocky ! Cherche les méchants ! Rocky !, ordonne le premier.

Le chien en question, ou plutôt le chiot, se met sur le dos pour demander des caresses à son maître. Kasey sourit en voyant ça. Il croise mon regard et mime un bien joué avec ses lèvres. Je souris et repenche mon regard au-dessus du trou. Au bout de quelques secondes, les soldats repartent pour chercher une autre piste, tirant derrière aux leur chiots à deux têtes.

Kasey se lève tout doucement pour ne pas faire de bruit et tourne sur lui-même en regardant autour.

_ On est où ?

Je me lève ensuite et me poste à côté de lui.

_ A l'entrée de ma planque. Suis-moi.

Je ferme la trappe tout doucement. Ainsi, le trou a disparu. Je me dirige à l'opposé et décale quelques branches opaques, dévoilant des passerelles en bois rafistolées avec tout ce que j'ai pu trouver.

_ C'est toi qui as fait ça ?, me demande-t-il stupéfait.

_ Oui, avec un ami qui m'a aidé. Une cachette pour me protéger des animaux d'en bas quand je chasse.

_ Et ça tient ?

Il regarde le fossé en-dessous de nous. Les branches multipliées à cette hauteur donnent l'impression d'un hamac mais c'est trompe-l'œil. Comme quand vous voler au-dessus des nuages. Ne croyez pas qu'ils vont vous retenir comme des coussins ! Ils sont vicieux !

_ Je ne sais pas. Je viens seule ici. Je ne sais pas si les autres passent un par un ou pas. Je ne chasse pas avec eux. Donc vaut mieux passer l'un après l'autre. Je passe devant.

Kasey se décale et me laisse passer. Je marche tranquillement sur la passerelle en posant mes mains sur les rambardes sur les côtés pour me tenir. Une fois l'arbre suivant atteint, je me retourne et fais signe à Kasey d'avancer. Il fait un premier pas et me regarde. Puis, il s'élance vers moi, prudemment en regardant en-dessous de lui. Une fois qu'il atteint ma position, je continue ma route.

*

Nous avons parcouru une centaine de mètres comme ça avant d'arriver à la cabane en bois. En sept ans, j'ai eu le temps de faire tout ça. Et je m'en réjouis aujourd'hui. Sauf que maintenant, nous sommes deux à en profiter. Dommage !

Je décale les feuilles et laisse passer Kasey en premier. Je rentre ensuite et pose mes affaires au sol. Kasey s'accroupie et appuie son index sur le matelas miteux installé par terre, comme pour l'ausculter.

_ Pourquoi tu ne vis pas ici à plein temps ? Ce serait plus simple que dans Laina.

_ Ici, non. Je suis loin des commerces et je ne peux pas manger.

_ Pourquoi ?

_ Parce que pour faire cuire des aliments, il faut un feu. Tu penses que je peux faire un feu ici, alors qu'on est entouré de bois et de feuilles ?

Il baisse la tête en réfléchissant à la bêtise qu'il vient de sortir. Tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler, tu connais ?

Je secoue la tête et fouille dans mon sac quelque chose à boire. Je trouve ma petite gourde et je bois une gorgée. J'en propose à Kasey, qui refuse en faisant un signe de la main. Je remets la bouteille en place et m'adosse contre le mur face au matelas.

_ Repose-toi un peu tant que tu le peux encore. La route va être longue, vu que la voiture est bousillée, dis-je à regret.

_ Ce n'est pas moi qui ai foncé tête baissée à travers les arbres.

Je lui lance un regard noir et le pointe du doigt avec haine.

_ Je te ferai dire que j'étais bien là où j'étais, avant que tu ne débarque. Alors ne fais pas le malin, repose-toi et fiche-moi la paix. Sois au moins reconnaissant de ce que je fais pour toi. J'aurais pu te laisser seul là-bas, dans le champ, mais je ne l'ai pas fait. Alors un merci ne t'écorcherait pas la gueule.

Je parle bas et calmement, mais la fureur qui trône dans mes yeux le force à se tasser et il s'assied doucement sur le matelas. Un silence règne et je me remets en position initiale. Je ferme les yeux et appuie ma tête contre le mur fait de planches de bois.

_ Merci..., murmure Kasey.

_ Ça t'a tué ?

_ Non...

_ Bon.

Je sens que ça va être très long.

*

Une heure plus tard, je rouvre les yeux et regarde autour de moi. Kasey s'est endormi sur le matelas. Il a l'air serein quand il dort. J'aurais aimé être aussi sereine, tout le temps.

Je me lève et regarde ma montre. Le verre est cassé à cause du choc de l'accident mais les aiguilles tournent toujours. Et dire que j'ai payé ça quinze bons payants. Quinze ! Ça vaut une fortune et ce n'est même pas fichu d'avoir un écran incassable. Génial...

Il est presque 12 : 40. Je fouille dans mon sac de provision et récupère deux billes bleues. Je frappe le genou de Kasey avec mon pied et il se réveille en sursaut, les yeux mi-clos. Il les frotte et regarde ma main tendue vers lui avec la bille au bout de mes doigts. Il la juge puis me fixe, la prenant pour l'avaler. Il plisse les yeux et les rouvre en grand quand il sent les aliments couler dans sa gorge.

_ Salade, gratin de courgettes et éclair au chocolat ?

Je ne relève pas et mange la mienne qui a exactement le même goût. Je sens les forces me revenir et je me lève. Kasey m'imite.

_ Il faut qu'on y aille si on veut atteindre le bout de la forêt avant la tombée de la nuit. Il y a un petit village, à trente mètres au Nord-Est de la lisière. On s'y arrêtera pour la nuit.

_ Je pensais que Laina était la ville la plus proche d'Acropolis, m'interpelle Kasey, perdu.

_ J'ai dit ville ?

Je souffle en secouant la tête et remets mon sac à dos et le reste de mes affaires en main. Je contourne Kasey et m'avance vers d'autres feuilles à décaler, découvrant d'autres passerelles.

_ En route. 


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