Chapitre 17
Je reviens vers la crypte, après m'être reposée dans mon lit. Mais je ne suis pas toute seule.
Une petite fille aux cheveux argent se tient droite comme un pic devant le sarcophage de Tania. Elle ne bouge pas d'un cil. Je tente de me retourner pour la laisser seule mais...
_ Tu peux rester si tu veux...
Je tourne la tête vers la petite qui n'a toujours pas regardé vers moi. Je toussote et me rapproche de la petite fille. Je garde quand même une distance de quelques centimètres pour ne pas trop la déranger.
_ Tu la connaissais ?, me demande la petite.
_ Oui.
Et elle est morte à cause de moi...
_ Je la croisais au champ le matin, continue la jeune fille. Elle était très impliquée dans ce qu'elle faisait.
Je me tais. Je veux entendre ce qu'elle a à dire.
_ Tout le monde a le droit à une seconde chance.
Elle se mue et plante ses yeux noirs dans les miens. Tellement noir, qu'ils s'apparentent presque au pelage d'un Haze. Elle ne sourit pas. Elle me regarde, c'est tout. Puis, elle s'en va. Sans un mot.
Je reviens sur le sarcophage et pars m'asseoir sur le fauteuil à côté la boite de pierre où repose Tania, à présent. Je ne bouge pas de ma chaise pendant une bonne demi-heure. Sans parler. Seule une main posée sur le matériau froid me retient de ne pas sombrer dans une psychose irréversible.
Je n'arrive pas à croire qu'elle soit morte. C'est tellement atroce de mourir si jeune.
Tout ce que je veux c'est aller défoncer les personnes qui sont à l'origine de tout ça. Notamment mon père, car toutes les décisions de batailles partent de lui, ou de son inférieur, Jera Schwaps.
Le jour où ils croiseront à nouveau ma route, ils vont le sentir passer.
Des pas s'approchent du cimetière improvisé, notamment de mon emplacement. Je lève la tête et vois Zina.
Elle avance tête baissée. Elle a honte d'elle. Elle tortille ses doigts sans m'adresser un seul regard.
_ Qu'est-ce que vous faites là ?, dis-je sèche.
Zina lève la tête d'un coup lorsqu'elle entend ma voix pleine de reproches.
Elle m'a déçue. Mais pas autant que Kara. Mais elle est quand même en partie responsable de sa mort.
_ Je... Nam, je... Je ne sais même pas quoi vous dire.
_ Gardez votre salive, alors. Je n'en ai pas besoin.
Je baisse la tête et fixe un point sur le sol.
Arrêtez de parler et retournez d'où vous venez, Zina !
_ Ecoutez, je... Je suis désolée de ne pas avoir tenu ma promesse... C'est qu'au moment où je me suis rendue compte qu'elle n'était pas là, je m'apprêtais à partir la chercher, mais... Les portes se sont fermées et Kara a bien précisé que l'on ne sortirait pas tant que la bataille ne serait pas finit.
Je continue de fixer le point au sol et l'entends déblatérer ses paroles une à une. Je n'ai pas envie de l'entendre et je ne peux plus dire un mot. C'est comme si ma bouche refusait de s'ouvrir. Je la scrute avec des yeux rageurs. Elle se tasse et baisse la tête.
Dans tout ça, il y a une chose que Zina m'a dite et que je veux éclairer.
_ Vous avez dit qu'il manquait une personne dans les mortels, à Kara ?
_ Oui, je le lui ai dit. Plusieurs fois, même. Je l'ai hurlé mais elle n'a pas voulu entendre. Elle n'a jamais cillé. Elle a répété que personne ne sortirait tant que ce n'était pas finit. Plusieurs personnes l'ont entendue.
Je ne peux accepter un mot de plus. Mes mains se referment sur elles-mêmes, formant deux poings blanchissant sous la force que je déploie dans mes doigts. Ma tête entre en surchauffe et j'explose tout d'un coup. Je me lève, laissant tomber ma chaise en arrière.
Alors, comme ça, elle rejette la faute sur moi et me gifle, alors qu'il n'y a qu'elle qui est fautive ? Elle me connait très mal !
Je fonce vers des commerçants dans le marché. J'en attrape un par le col et lui pose une seule question.
_ Montre-moi des mortels !
Le petit rondouillard à qui je fais peur me regarde avec des yeux effrayés. Zina me rejoint à la rapidité d'un éclair.
L'autre pointe son gros doigt potelé vers la droite. Je transforme mon regard en un autre plus ferme et il me dit trois mots.
_ Vêtements. Femme. Cinquantaine.
Je le relâche et pars dans la direction indiquée. Zina s'approche plus de moi.
_ Qu'allez-vous faire ?
_ Vérifier que vous ne me mentez pas et ensuite, si je découvre que vous m'avez dit la vérité, je soulagerai ma main qui me démange depuis que j'ai rencontré Kara, vociféré-je en accélérant le pas.
Je fonce dans l'allée des vêtements et trouve enfin la personne que je cherche. Je pose mes poings sur la table en face d'elle et la regarde dans les yeux.
_ Vous êtes mortelle ?, demandé-je.
Une dame aux cheveux grisonnants me fait face avec un petit sourire gentil. Sauf que moi, je n'ai aucune envie d'être gentille.
_ Oui.
Je regarde la tête de Zina pour voir si elle ne faillit pas. Ou si elle dit discrètement à la dame de mentir. En réalité, Zina me fixe, elle aussi.
_ Vous étiez au bunker hier soir, alors ?, continué-je.
_ Oui, j'y étais.
_ Est-ce que vous avez entendu parler d'une petite fille, Tania, qui ne serait pas venue ?
_ Non...
Je regarde Zina avec un air meurtrier et me redresse pour lui montrer ma fureur mais la dame du stand m'arrête.
_ Ah si ! A vrai dire, cette femme qui est à côté de vous et que vous toisez méchamment a fait part de la petite qui avait disparue. Kara n'a rien voulu entendre et ils ont fermé les portes. Pauvre petite. Elle avait quel âge, déjà ?
Ma mâchoire se décontracte à peine et l'air passe finement dans ma bouche. Je n'ose même pas répondre. Une boule se forme au fond de ma gorge. Mes yeux se font plus féroces et je dévie ma tête pour repérer la tente de Kara.
_ Quinze ans.
Je me détourne de Zina et de la femme et fonce au pas de charge sur la tente de la chef du village. Ma respiration se fait plus rapide et mon sang-froid me quitte peu à peu. Mes oreilles bourdonnent et je me transforme en taureau, qui veut absolument arracher ce tissu rouge devant ses yeux.
J'entends Zina crier le nom de Tobias dès que je pénètre la tente de la « chef » de Faniath. Je la trouve seule, dos à moi. Elle fait je-ne-sais-pas-trop-quoi. Rien que de la voir me rend encore plus cinglée que je ne le suis déjà. Je lui fonce dessus et empoigne ses cheveux longs tellement forts qu'elle en tombe à la renverse. Je la tire et la traine jusqu'à l'extérieur. Elle crie de douleur.
Tu ne sais pas ce que c'est que la douleur !
Je repousse la toile de la tente et la sort. Je fais encore deux pas et tire encore plus fort sur ses cheveux. Elle s'éloigne devant moi d'à peu près un mètre. Tout le monde regarde vers nous. Ils s'approchent, mais gardent une distance adéquate. Vu mon tempérament et mon humeur actuelle, vaut mieux pour eux qu'ils se tiennent loin de moi.
Je pose un genou à terre et empoigne de ma main gauche le crâne de Kara. Elle me regarde avec des yeux rouges et remplis de colère.
Impossible à supporter, je brandis mon poing droit au-dessus de sa tête et l'écrase sur l'œil de la femme qui a tué Tania.
J'enchaîne les coups au visage et au ventre. J'ai pu lui en mettre trois coups au visage et lui casser le nez. J'ai ensuite attaqué son ventre mais, avant d'enfoncer mon pied dans son estomac une deuxième fois, je suis projetée en arrière contre un corps. Sûrement celui de Tobias. Je me débats pour m'en échapper mais il me tient trop fort.
J'arrive à passer par en-dessous et à me projeter en avant. Mais cette fois-ci, Tobias emprisonne mes coudes entre ses doigts.
_ LÂCHE-MOI ! LAISSE-MOI LUI METTRE UNE RACLÉE !
_ Tu es devenue dingue, Nam ! Arrête !
_ NON ! JE N'ARRÊTERAI PAS ! TANIA EST MORTE À CAUSE D'ELLE ! ON L'A PRÉVENUE QU'ELLE N'ÉTAIT PAS LÀ ! ET ELLE A REFERMÉ LES PORTES DU BUNKER ! ELLE N'A PAS VOULU ALLER LA CHERCHER ! ELLE L'A TUÉ, TOBIAS ! C'EST DE SA FAUTE ! ELLE A TUÉ TANIA ! ELLE A TUÉ MA SŒUR !
Tobias me lâche. Plus personne n'ose parler. Tout le monde se tait. Il n'y a que les gémissements incessants de Kara qui refuse la douleur qui grandit là où j'ai abattu ma haine et mes poings.
Il me faut près de dix secondes pour me calmer et me débarrasser de la douleur dans mes doigts. Kasey est là. En face de moi, Kara nous séparant.
Si Tania avait été là, elle aurait fait une blague par rapport à nos positions.
Les yeux encore embrumés de colère, je m'éloigne de l'émeute que j'ai provoquée, quelques secondes plus tôt. Je vais chercher des vêtements et repars sur le marché pour le traverser et regagner les douches. Tout le monde me regarde mais je trace ma route. Il ne vaut mieux pas que quelqu'un vienne me parler.
Je m'engage dans le couloir et le bruit de l'eau grandit à mon oreille. L'idée d'être isolée du reste de Faniath me conforte un peu plus.
Je balance mes affaires au bord de la source d'eau chaude et me déshabille. Je me jette à l'eau et me mets dans une partie plus sombre. D'ici, personne ne me voit. Et c'est tant mieux.
Je respire un grand coup et conserve l'air dans ma bouche. Je plonge ma tête sous l'eau et expulse toute ma colère dans mon cri silencieux. Les bulles s'échappent de ma bouche grande ouverte. Tous mes muscles se compriment et mes poumons commencent à me brûler de plus en plus. Je continue de crier autant que je peux, jusqu'à ce que la douleur sous ma cage thoracique soit intenable.
Quand je n'en peux plus, je remonte rapidement à la surface. Je respire un grand coup et mes poumons se remplissent à nouveau. Le feu s'empare de ma gorge et je toussote pour me reprendre. Le bruit de ma toux se répercute sur les murs de la salle de bain. L'écho ne dure qu'une nanoseconde.
Je me repose en m'appuyant sur le dos contre la paroi rugueuse et dure de la pierre. Je respire encore fort. Je dois me calmer. Il faut que je me calme. Il faut que...
_ Nam ?
Je sursaute en exerçant une petite inspiration. Je me retourne vivement et remarque que quelqu'un me surveille depuis l'entrée de la salle de bain.
Il m'exaspère, cet homme.
_ Qu'est-ce que tu veux, Kasey ?, soupiré-je.
_ Te parler de ce qu'il vient de se passer.
Il remonte son pantalon jusqu'en haut de ses mollets et s'assied au bord de la fosse.
_ Je n'ai rien à dire. Elle a enfin eu ce qu'elle méritait.
_ Nam, tu l'as amoché !
_ Oh, ça va ! C'est pas comme si elle allait mourir, non plus, grogné-je en soufflant.
_ Nam ! Elle t'a fait quoi ? Dis-moi !
_ Elle savait que Tania était dehors. Elle n'a pas été la chercher, l'enfermant à l'extérieur. Et tout à l'heure, elle a débarqué dans ma chambre et m'a giflée en disant que j'avais tué Tania, alors que c'était complètement faux. Tu comprends mieux, maintenant ?
Il ne répond pas. A son ombre, je vois qu'il baisse la tête. Je croise les bras sur ma poitrine et regarde devant moi.
_ Tania t'aimait beaucoup. Tu étais comme un modèle pour elle. Ne te transforme pas en ce qu'elle ne voudrait pas que tu sois.
_ Oui. Mais elle n'est plus là alors...
_ Tu as tort. Elle est toujours là. Dans ton cœur.
Je pose machinalement la main sur mon médaillon. Il était peut-être à elle. Je ne l'ai jamais su. Elle me l'a juste donné.
_ Nam, tu comptais pour elle. Autant qu'elle compte encore pour toi. Alors ne pourrie pas ce qu'elle a aimé en toi. Même sous ta carapace, t'es quelqu'un de bien.
_ Comment tu peux dire ça ?, fulminé-je en jetant mon regard sur lui. Comment tu peux savoir qui je suis ? Tu ne me connais pas ! Depuis que l'on s'est croisé, je t'ai traité comme un moins-que-rien ! Je n'ai jamais été gentille avec toi. Et je n'ai pas envie de l'être. Depuis que je suis partie d'Acropolis, ne pas être gentille m'a sauvée ! C'est grâce à cette carapace que je suis toujours debout. Alors non, je n'ai pas envie d'être gentille. Avec personne.
_ Et avec Tania ?
_ Tania était différente ! Elle était seule ! Quelqu'un devait être là pour elle !
_ Et moi ?
_ QUOI TOI ?
_ HIER SOIR !
Il vient de crier ça aussi fort que moi. Et voilà, la conversation que je redoutais le plus arrive sur le tapis.
_ Quoi, hier soir ?, nié-je.
_ Arrête de mentir, ça ne marchera pas avec moi, Nam.
_ Quoi ? Qu'on a failli s'embrasser ? Qu'est-ce qu'il y a de spécial à ça ?, l'interrogé-je.
_ Pour toi, ce n'est rien ?
_ Ça devrait ?
_ Oui ! On a failli s'embrasser, merde !
_ Mais on ne l'a pas fait, Kasey !
_ Parce que Tobias est arrivé ! Qu'est-ce qu'il se serait passé, s'il n'était pas venu, hein ?
Je n'ose même pas répondre. Je sais très bien qu'on se serait embrassé quand même, si Tobias ne nous avait pas interrompus.
_ On ne le saura jamais, de toute façon, ruminé-je.
_ Effectivement, oui.
Plus aucun de nous deux ne parle. Je me sens mal en cet instant. Il faut que je le fasse fuir. Tout de suite.
_ De toute façon, tout ça, c'est une connerie.
_ Une connerie ?
_ Oui, on aurait fait une connerie, avoué-je.
_ Une connerie. Tu as raison. Une connerie.
La haine et la tristesse se mélangent parfaitement dans sa voix.
Il se retire subitement de l'eau en m'éclaboussant et se lève. Je le regarde en train d'agrandir la distance entre lui et moi. Autant physique que relationnel.
Une fois que je me retrouve seule, je fais enfin face à tout ce que l'on vient de se dire. J'ai raison, je le sais. Mais un point dans ma nuque me perturbe.
Je secoue la tête, reprends une bouffée et retourne sous l'eau pour gueuler encore une fois ma colère envers le monde entier.
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