Chapitre 14

 Je me retrouve encore dans cette pièce grise et sans porte. Je passe mon temps à taper les murs jusqu'à m'en faire saigner les mains pour trouver une sortie. Mais rien à faire. Je ne peux pas sortir. C'est comme être enfermée dans une boite à taille humaine. Je grogne et appelle à l'aide. Pas de réponse.

Un bruit sourd venant d'en haut retentit. Comme une alarme. Le mur à ma droite s'élève du sol en projetant des petites pierres de béton et une fine poussière. Les projectiles fouettent mes jambes. Je me recule afin de ne pas en recevoir davantage. La pierre dépasse ma taille et la lumière de l'astre au-dessus de moi m'aveugle. Je place ma main devant mon visage et une fois habituée, je sors de la pièce.

Une ville. En ruine. Voilà le décor dans lequel je suis plongée. J'aboutis sur une rue très large, comme une avenue. Longue d'au-moins cinquante mètres. Les murs des immeubles autour de moi sont délabrés, pourris et morts. Il n'y a pas de vie, ici. C'est comme si tout bonheur avait disparu de ce monde. Tout est froid. Sauf l'astre qui réchauffe un passé oublié que l'on prostitue.

Et au bout de celle-ci, une personne se tient au bout. Avec un couteau à la main. Elle se dresse devant moi, me fixant d'un œil mauvais. Je sens qu'elle me veut du mal. Comme celle dans mon précédent cauchemar.

Je fais un pas vers elle. Puis elle pousse un cri strident et accours vers moi comme une furie. Je regarde autour de moi et aperçoit une barre en fer à deux mètres de mes pieds. Je me précipite et la saisis à deux mains.

Elle arrive de plus en plus vite. Je me remplis de colère et crie de même. Une fois qu'elle est à ma hauteur, je balance toute la force de mes bras dans la barre de fer et envoie voltiger mon ennemie trois mètres en arrière. Elle me regarde et là, je flippe instantanément.

Son visage est faux. Il est tout gris, comme de l'inox. Et il est strié de fentes larges de quelques millimètres seulement. Quand elle se rapproche de moi, je vois des rouages à l'intérieur, qui bouge sans arrêt. Et elle m'assène un coup de tête. Je tombe au sol en lâchant la barre de fer, avec un cri de douleur qu'on entendrait à des centaines de mètres à la ronde.

La femme robotisée se penche au-dessus de moi et dit d'une voix trafiquée :

_ Tu vas perdre !

Elle saisit son couteau à deux mains et le monte au-dessus de sa tête avant de l'abattre sur ma poitrine.

*

Je me réveille et me redresse d'un coup, suintante et haletante. Je pose mes mains sur ma poitrine et ne sens rien, sauf la douleur vive qui donne l'impression d'être encore là. Encore un maudit rêve.

_ Nam, ça va ?

_ Oui, Kasey. Je vais bien. J'ai juste refait un cauchemar, dis-je pantelante.

_ Ça t'arrive souvent ?, me demande-t-il d'une voix douce.

_ Seulement la deuxième fois.

Je me rallonge et supplie Kasey de se rendormir. Ce que je fais moi aussi, quelques minutes plus tard.

*

Tout le monde s'active sur le marché. On arme, on nettoie et on dispose tout dans des caisses que l'on monte à la surface pour préparer la bataille de ce soir.

Je me promène du côté de l'estrade. Je m'assieds dessus en me demandant si tout ça rime à quelque chose. Si ce que l'on fait va changer la donne, ou si ça va juste nous amener au même point : le vol du Pluratium. Je soupire en essayant de penser au mieux.

Une présence se trouve à ma droite. Je tourne la tête et vois Tania, assise à côté de moi, fixant les autres qui se préparent. Je suis son regard et m'intéresse à ce que je pourrais lui dire. Mais je ne trouve rien qui serait bien placé dans ce genre de situation.

_ Tu es prête pour ce soir ?, me demande-t-elle.

Dieu soit loué, elle me parle !

_ Pas vraiment mais j'essaie d'être au meilleur de moi-même. Kasey restera dans le village.

Je n'ose même pas la regarder dans les yeux. J'ai honte de l'avoir déçue.

_ Reviens... D'accord ?, murmure-t-elle après une longue pause.

Je reviens sur elle et lui fais oui de la tête. J'hésite d'abord mais finis par répondre à sa question. Elle a les larmes aux yeux. Et sans attendre, elle plonge sur moi et m'enlace.

Je ne réagis pas tout de suite. Mais dès que je comprends ce qu'il se passe, je fais de même avec elle. Je renifle en sentant les larmes monter à mes yeux.

_ Promets-moi que tu reviendras ! Je n'ai que toi, Nam !

_ Je reviendrai, je te le promets, Tania. Pardonne-moi...

Et nous restons ainsi, à nous enlacer, jusqu'à arrêter de pleurer.

Dix-huit heures. Tout le monde se retrouve à la naissance du puit de sortie de Faniath. On s'enlace, on s'embrasse et on se dit à tout à l'heure. Ou à jamais.

Manny et Bobby arrivent avec les derniers cartons de munitions.

_ Voilà, tout y est, m'sieur Tobias !, annonce Manny.

_ Assez pour faire sauter toute une division !, rit Bobby.

Tobias lui lance un regard noir. Il n'aurait peut-être pas dû rire en ce moment tendu. Tobias s'éloigne et je hausse les épaules aux garçons.

_ C'est d'ta faute, Bobby !

_ Non, d'la tienne, chochotte !

Ils commencent à se disputer. Même en ce moment de pure tension, ils arrivent à me faire sourire.

Je tourne la tête et vois Zina venir vers moi. Je lui souris et raccourcis la distance qui nous sépare et la prends dans mes bras.

_ Prenez soin de vous, là-haut !

_ Je n'y manquerai pas, la rassuré-je. Je peux vous demander quelque chose ?

_ Oui, tout ce que vous voulez, répond-elle en se séparant de moi.

_ Il y a une fille de quinze ans, Tania.

_ Je la connais. Elle reste avec nous au sous-sol.

_ Gardez un œil sur elle. Je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Je vous en supplie.

_ Ne vous en faites pas. Je la protègerai s'il le faut.

Elle m'adresse un sourire qui se veut rassurant. Elle s'éloigne et part retrouver un homme, plus loin. Sûrement son fiancé. Son nom est Peet, je crois.

Ils ont l'air heureux ensemble. Ils se sourient. Ils ont confiance en Faniath et en notre réussite. Pas moi. Enfin, j'essaie mais j'ai beaucoup de mal. J'ai un mauvais pressentiment.

Je me retourne et vois Tobias s'approcher de moi.

_ Tu es prête ?

_ Jamais je ne le serai. Mais il y a bien un moment où il faut y aller.

Tobias sourit faiblement et m'enlace. Je lui tape amicalement dans le dos et me retire.

Je remarque que Kara n'est pas venue saluer ses défenseurs. Elle doit sûrement être occupée en bas avec les autres à préparer le bunker mais elle aurait pu trouver cinq minutes quand même.

Tania est déjà descendue. On a passé le reste de la journée ensemble, à profiter de chaque seconde que la vie nous a offert avant la bataille. On n'a pas réussi à se dire au revoir pour de bon. Juste un « à plus » suffisait pour nous. Comme si nous allions juste dans des endroits différents pour une heure ou deux, et se retrouver plus tard à la cafétéria.

La Garde a presque finit de remonter la totalité des caisses. Il est temps que j'aille récupérer ce qu'il me permettra de rester en vie.

*

Arrivée dans la chambre, je croise Kasey qui se prépare, lui aussi. Il enfile son gilet et m'adresse un regard sans expression. Je lui fais un signe de tête et m'avance vers la commode. Je prends mon sac de billes alimentaires et l'ouvre.

_ Eh !

Kasey se retourne et réceptionne de justesse la bille que je lui envoie. J'en prends une et nous l'avalons ensemble. Je scrute sa réaction.

_ Cette crème glacée me surprendra toujours.

Nous rions timidement et je me retourne vers la commode. J'enfile mon gilet et y glisse mes couteaux. Je porte mon neuf millimètre à ma cuisse et pose mon regard sur ma nouvelle acquisition. Je prends une chaine de fléchettes blanches et l'attache autour de ma taille. L'autre, je la cale directement dans l'arbalète et la charge. Je saisis le danger entre mes doigts et regarde Kasey.

Il a fini de se préparer, lui aussi. Il tient un arc et un carquois muni de plusieurs flèches. Sa machette est coincée dans sa ceinture. Je lui souris.

_ Je n'aurais jamais cru te voir comme ça, me moqué-je.

_ Je suis bien le premier à le dire.

Il sourit et s'avance vers moi. Il devient anxieux. Tendu. Tout ce que je redoute est là, sous mes yeux. Je ne veux pas me faire gagner par la peur. Ça, c'était l'ancienne moi. Maintenant, je suis une nouvelle Nam.

_ Qui disait que tout allait bien se passer ?, blagué-je.

Il me regarde et secoue la tête.

_ C'est plus facile à dire quand on en n'a pas conscience, avoue-t-il.

_ Eh...

Je pose ma main sur sa joue et le force à me regarder dans les yeux.

_ On va y arriver. Je te l'assure.

Ses lèvres frémissent. Mes yeux restent bloqués sur les siens. Il s'avance vers moi encore un peu mais je ne réagis pas. Je suis trop envoutée par ses iris. Sa main glisse sur celle qui est sur sa joue. Il la presse fermement contre sa barbe naissante. Il ferme les yeux et inspire à fond. Il relâche ses épaules et retarde son regard sur le mien. Une atmosphère s'installe dans la pièce. Je la sens, mais je ne fais rien.

Ses yeux font le voyage entre les miens et mes lèvres. Il s'avance encore et je ne bouge pas. Son t-shirt vient se frotter au mien et il se rapproche encore plus. Je sens son souffle lourd et impatient sur mon visage. Je vois ses lèvres. Ses lèvres roses et bien dessinées. Pleines. Elles... M'attirent. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Il s'avance encore.

_ Nam ? Kasey ? Oh ! Désolé !

On s'éloigne brusquement l'un de l'autre. Je regarde partout autour de moi et finis par enfin sortir un mot de ma bouche.

_ Tobias ?

Tobias a l'air tout à fait gêné. Il n'ose même pas nous regarder, Kasey ou moi. D'ailleurs, ça vaut aussi pour nous.

_ Euh... On... On doit y aller...

Il se précipite pour sortir de la zone et nous nous retrouvons seuls avec Kasey. Je commence à trembler, bizarrement. Je secoue la tête mais ne regarde toujours pas Kasey. Je crois qu'il fait de même car je ne sens pas son regard sur moi. On est tous les deux gênés.

_ Je crois qu'on devrait y aller.

_ Tu as raison. Faisons-ça.

On s'avance en même temps vers la sortie. Et dès qu'on veut passer la porte, l'un à côté de l'autre, ça coince. On ne se regarde toujours pas. Il se décale et me montre la sortie de la main.

_ Passe d'abord.

_ Ok.

Je passe devant et nous dévalons les escaliers à la va-vite. Toujours côte à côte mais sans se parler, on se dirige au pas de course vers la sortie de Faniath. Sans un regard en arrière, je monte l'échelle.

Une fois à l'extérieur, le vent chaud fouette mon visage et une décharge électrique s'abat sur moi et me réveille. Mais qu'est-ce qu'il vient de se passer ?

*

Le soleil se couche, laissant des traces rouges et orange dans le ciel. Les planètes sont de sortie. Nous pouvons en voir plusieurs graviter autour d'Atorn. C'est un spectacle tellement beau. Mais la réalité me rattrape vite.

Tout le monde se remue et remonte à la surface en faisant du bruit. Je regarde vite fait et m'en vais vers mon coin de la forêt. Je regarde droit devant moi et me précipite vers le Sud. Tobias nous a dit que nous allions être séparés, Kasey et moi. Mais que Tobias viendrait avec moi.

Je sens encore le souffle de Kasey s'attarder sur moi mais je fais tout pour ne pas me retourner et descendre. J'ai failli faire une grosse bêtise, en bas. Je ne compte pas recommencer. Jamais. Et je pense que lui non plus.

Les soldats ont appliqués plusieurs échelles sur les troncs des arbres pour hisser en hauteur toutes les fournitures dont nous aurons besoin. Je glisse la hanse de mon arbalète sur mon épaule et grimpe dans un des arbres, au centre. Tobias me suit et nous arrivons sur un petit chemin fait de planche en bois. Des flèches sont accrochées partout au-dessus de nos têtes.

Je vois Manny et Bobby plus loin. Je commence à marcher vers eux mais Tobias attrape mon bras pour me retourner.

_ Nam... Je suis désolée pour tout à l'heure... Je n'aurais pas dû vous déranger...

_ Ne t'en veux pas. Tu nous as sûrement évité une grosse erreur. On te remercie.

_ Nam...

Je ne veux pas en entendre plus. Je continue de marcher vers les cousins. Ils lèvent la tête vers moi et me sourient.

_ M'dame ! Ça fait plaisir de te voir !, me balance Manny en abaissant un chapeau invisible.

_ Eh Manny ! Calme-toi, t'es trop vieux pour elle !, ricane Bobby.

Manny le regarde avec un air furibond.

_ Eh, toi, parlons-en ! Et puis, t'façon, elle a déjà quelqu'un.

Je rigole en sachant que Manny a tort sur sa dernière phrase. Mais je ne relève pas. Ils continuent de se chamailler et moi, je me détourne d'eux. Je tourne la tête vers la forêt d'en face. Je me redresse droite comme un pic et me concentre sur la situation actuelle.

*

Une heure plus tard, nous recevons le signal de la forêt voisine. Ils arrivent. Tobias se retourne sur nous et nous dit quelques paroles d'encouragements.

_ Ne vous faites pas prendre. Sinon, on est morts.

Je retire ce que j'ai dit.

Je me mets en place, patientant pour voir les soldats rouges se diriger droit sur la potence. Et un goût métallique me mord les lèvres.

Du sang va couler, cette nuit.


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