Chapitre 13
Je vais dans la chambre récupérer mon arbalète et mes petites flèches blanches et descends au stand de tir. Il n'y a personne encore, sauf l'armurier. Enfin, un type différent de ce matin. Je lui dis bonjour et m'installe à un poste. J'ouvre la boite en fer et commence à en tirer deux. Puis, une idée vient à moi.
Je me retourne vers le mur au fond à gauche, en louchant sur les différentes armes accrochées au mur. Je pose mon arbalète et m'en approche. Des Glocks. Des fusils à pompe. Des fusils de chasse. Même des armes que je n'avais jamais vues de ma vie sont suspendues, comme volant, près du mur. Mon idée se concrétise.
_ Armurier ?
La personne interpellée par ma voix relève la tête et accours vers moi.
_ C'est Bobby, madame. Comme Dolly mais avec un B !, dit-il en riant à sa propre blague.
Je le regarde avec un air très bizarre. Il lui manque des cases.
_ Bien... Bobby ?...
Un homme noir dans la quarantaine, au visage boursouflé mais à l'air fort sympathique, se poste devant moi.
_ Que puis-je faire pour vous, jeune fille ?, s'enquière le monsieur.
_ C'est possible d'essayer une des armes ?, mandé-je en pointant l'attirail.
_ Bien sûr, attendez-une seconde. Eh Manny !
Un autre homme sort d'une petite pièce juste derrière la « réception » du stand de tir. Un autre noir, avec le même âge et le même visage boursouflé que Bobby. Il s'avance vers nous en ronchonnant et en s'essuyant les mains avec un chiffon déjà sale.
_ Quoi ? Qu'est-ce que tu m'veux encore ?
_ C'est pas moi, cette fois ! C'est elle ! E-Elle voudrait essayer les armes ! Hein, que vous voudriez essayer, pas vrai ?, brigue-t-il en posant amicalement sa main sur ma nuque.
Il a un rire très bizarre. Le genre de rire nasillard qu'on entend qu'une fois dans sa vie mais dont on se souviendra toujours. Je hausse les épaules quand sa main commence à faire des pressions sur mon cou. Mal à l'aise, vous dites ?
_ Ma vieille, j'te présente mon cousin, Manny ! Tellement fêlé ce gars que je ne lui en veux pas ! Hein, Manny ? Mais dès qu'il s'agit de bricoler, c'est une autre personne !
_ Arrête tout d'suite avec ça, Bobby ! Qu'est-ce qu'elle m'veut la p'tite dame ?, cherche Manny en posant ses poings serrés sur ses hanches.
_ Mais elle veut essayer les armes, j'viens de t'le dire ! Quand je vous disais qu'il était fêlé !, répète-t-il vers moi. Mais je ne lui en veux pas, hein Manny ?
_ Bon, je peux essayer oui ou non ?, dis-je sur les nerfs.
_ Oui, doucement, ma p'tite ! Pas de stress !, s'exclame Manny en levant les mains pleines de suie. Vous voulez essayer quoi ?
Bobby lâche mon cou et je me retourne vers le mur. J'admire la collection d'armes et m'arrête sur un gros modèle. Un mélange entre un fusil à pompe et un lance-rocket.
_ Celui-là, demandé-je en le pointant du doigt.
_ Oh lui ! Vous allez vous éclatez avec celui-là ! Tu te souviens quand j'avais essayé de te flinguer avec, hein Manny ?, riait Bobby.
_ Oui, mais tu m'as raté ! T'as buté le loup enflammé qui était derrière moi, en plus ! Pas foutu d'viser droit, ce mec, j'vous jure !, dénigre son cousin en prenant une petite échelle pour prendre l'arme que j'ai choisie.
Ils sont aussi fêlés, l'un que l'autre !
_ Voilà, ma p'tite ! C'est un Hector 185, tout droit venu d'Angara ! P'tite ville du Sud ! Ils en vendent comme des p'tits pains, ces trucs-là !
Je le prends et remarque qu'il est étonnamment léger.
_ Où sont les charges ?, interpellé-je les deux cousins.
_ Oh, il n'y en a pas !, me dit Bobby.
_ Ouais ! Ce truc est illimité ! Il fabrique ses propres munitions, oui m'dame !, racontait Manny. On n'a jamais su comment ça fonctionnait. Le matériau est hyper baraqué ! On n'a jamais réussi à le démonter, m'dame !
Je n'en croyais pas mes oreilles. Ce truc se rechargeait tout seul. C'était impossible. Je tourne et retourne l'arme dans tous les sens mais ne vois pas de fentes permettant de glisser des balles ou autre chose du genre. C'est comme s'il avait été moulé en un seul et unique morceau gris poivre. Une petite beauté.
Je me poste au stand le plus proche et vise.
_ Attendez m'dame !, m'arrête Manny.
Il appuie sur un petit bouton blanc juste à côté de la gâchette et un petit bruit sonore très discret part en crescendo jusqu'à atteindre un Do parfait. La lunette infrarouge s'élève dix centimètres devant mon œil droit. Je ferme l'autre et... Manny me coupe encore.
_ Encore une chose m'dame !
Il pose un casque insonorisé sur les oreilles. Je me retourne sur lui et je vois qu'il en porte un, et que Bobby aussi. Les deux lèvent leurs pouces et m'adressent un sourire d'une oreille à l'autre. Je secoue la tête et me reconcentre. J'appuie sur la détente et une seule balle part. Lorsqu'elle touche la cible, qui est en fait un mannequin, il prend littéralement feu.
_ Wow !, m'écrié-je.
J'abaisse l'Hector 185 et commence à rigoler. Je me retourne sur Bobby et Manny qui m'applaudissent fermement. Je repose mes yeux sur la cible qui laisse échapper une fumée noire jusqu'au plafond. Un jet d'eau qui en sort éteint le feu aussitôt.
_ J'aime ce truc !, avoué-je en brandissant le monstre que j'ai dans mes mains.
Je repose l'Hector 185 et retire mon casque pour me retourner sur les cousins.
_ Vous avez d'autres trucs de ce genre ?, dis-je enjouée.
_ Oh oui ! Et un paquet !, répond Bobby.
J'ai encore essayé deux armes du même genre que l'Hector 185, mais rechargeable cette fois.
Au bout d'un moment, je dis aux cousins que je suis venue de ce côté pour une bonne raison.
_ Laquelle, ma p'tite ?, patiente Bobby.
_ J'aimerais modifier mon arbalète. Remettre des flèches toutes les secondes fait perdre du temps. J'aimerais installer un dispositif pour que ça fonctionne comme un flingue. Genre mitraillette.
_ Oh oui ! Ça, c'est dans mes cordes !, jaspine Manny tout content. Venez, m'dame ! J'vous emmène dans un endroit hyper intéressant !
_ J'viens avec vous !, s'exclame Bobby.
_ Non, toi, tu tiens la boutique, Bobby ! C'est entre la mam'zelle et moi ! Ne t'en mêle pas !
_ Mais il n'y a personne ! Et puis, je n'ai rien à faire !, assure Bobby.
_ Soit tu fais ce que j'te dis, soit je bois ton jus d'plantes !
_ Bon d'accord !, capitule Bobby.
Bobby part les bras ballants, tandis que Manny me traîne par la main derrière le bureau de son cousin. Je récupère mes affaires et le suis.
Une fois dans la pièce, une odeur de moisi, d'huile de moteur et de transpiration s'étend dans mes narines. J'ai eu un haut-le-cœur. Manny le remarque et saisit la bombe aérosol à côté de lui.
_ Oh pardon, m'dame ! On est des mecs, normal si ça r'foule autant !, s'excuse Manny en vaporisant l'endroit entier. Menthe et lavande ! Je n'sais pas c'que c'est mais ça sent bon la rose !, riait-il en bombant la pièce entière.
Tellement ça pue, ça me pique les yeux. Dès que l'odeur nauséabonde précédente se dissipe, je remarque enfin le plan de travail et les multiples outils de Manny et Bobby. Je vois que Manny était déjà en train de travailler sur un projet avant que je ne débarque ici. Mais à en croire son sourire, il n'a pas l'air si triste que ça.
_ Alors, où est la bête ?, m'invite le bricoleur.
Avec un petit sourire en coin, je balance nonchalamment l'arbalète que j'ai achetée le matin même sur la table que Manny avait vite fait de débarrasser.
_ Bel objet !, commente-t-il en examinant l'objet. Les fléchettes ?
Je pose la boite en fer sur la table et l'ouvre.
_ Flèches blanches, pas mal ! Ton truc est assez rapide. J'ai bricolé c'machin, la flèche part à 90 kilomètres/heure rien qu'avec la pression d'la queue d'l'arbalète. C'est un gros engin qu'tu tiens la, ma jolie !
_ Vous pensez pouvoir faire quelque chose ?
_ Ouais, ouais, attends deux secondes ! Hey Bobby ?, crie Manny.
_ Qu'est-ce que tu veux, cousin ?, se lamente l'autre en passant sa tête dans l'entrebâillement de la porte.
_ Apport'moi deux autres boites de fléchettes 7 millimètres ! On va transformer cette petite merveille en machine de guerre !
_ T'en as pas marre de fabriquer tout et n'importe quoi, Manny ? Un jour, tu vas t'faire virer, tu vas voir !, réprimande Bobby en s'éclipsant.
_ Ouais ! Bien sûr ! En tout cas, j'bouge mon cul de ma chaise et je ne feuillette pas les magazines de charme !, se moque Manny.
Bobby revient avec deux nouvelles boites en fer et les balance sur le plan de travail.
_ Ouais mais au moins, moi, j'lis !
_ Oui, c'est ça ! Tu colories les pages, oui !
Je toussote pour les inciter à arrêter de parler de ça en ma présence. Ils sont très... Cocasses ? Oui, le mot est juste.
Bobby nous laisse en grommelant encore des bêtises à propos de son cousin mais Manny ne fait pas attention à ça.
Je m'approche de Manny et le regarde travailler pendant au moins une bonne heure. Je l'ai même un peu aidé. Un tout petit peu, il se débrouillait très bien sans moi.
Au bout du premier essai de positionnement de la boite qu'il vient de confectionner, Manny me dit d'aller me poster dans un box. Je m'exécute et il se poste à côté de moi. Je jette un regard vers Bobby, qui a quitté sa lecture et s'est rapproché de nous.
_ C'est un prototype de système à répétition que j'ai installé. On va l'tester, pas vrai, m'dame ?
Je secoue la tête et positionne l'arbalète à mon bras. Je vise et je tire. La flèche n'est pas partie. Elle part seulement quand je mets l'arbalète debout et plusieurs flèches sont parties dans la planche juste au-dessus de notre tête. Une éclate même l'ampoule. On se regarde tous les trois.
_ J'vais arranger l'arbalète !
_ Et moi, l'ampoule !, ajoute Bobby.
Ils s'éclipsent tous les deux et me laisse seule en face de ma cible non touchée. Ça va être très long !
*
Après cinq remaniements de l'arbalète, une ampoule changée, puis re-explosée et neuf cibles à peine frôlées, on est arrivé à bout de notre quête.
_ Bon, cette fois, c'est la bonne, m'dame !, me dit Manny en me tendant mon arbalète.
_ J'ai encore pleins de stocks d'ampoules encore ! Vous pouvez y aller !, ajoute Bobby.
Manny positionne une longue chaîne de flèches blanches, accroché les unes aux autres par un bout de chaine gris foncé. Je prends en main mon arme et vise pour la énième fois la cible en face de moi. Je me concentre et souffle un bon coup. J'appuie sur la détente continuellement pendant trois secondes. J'éclaircis ma vision et me rend compte que le mannequin en polystyrène a été touché à plusieurs reprises.
_ Ça marche, murmuré-je.
_ Ça marche ?, dit Bobby surpris.
_ Ça marche !, scande Manny. J'suis un génie !
Manny saute partout en balançant ses bras au-dessus de sa tête. Je souris malgré moi et me retourne sur les deux acolytes qui se serrent mutuellement dans leurs bras en chantant une mélodie joyeuse. Je rigole en les voyants.
_ J'suis super content !, s'écrie Manny. Alors, pour fixer les fléchettes pour ne pas qu'elles tombent pendant qu'tu tires, il faut les coincer comme ça !
Manny me montre que la chaine est coincée juste en dessous de la corde qui se détend pour lancer les projectiles.
_ J'ai ajouté un deuxième dispositif de cordes pour qu'tu en lances deux fois plus vers l'ennemi ! Demain, tu ne vas faire qu'une bouchée des soldats rouges !
Ils rigolent ensemble et je souris aussi. Je continue de tirer sur le mannequin en riant.
On a réussi !
*
Je me repose dans la chambre. J'ai discuté avec les cousins pendant quinze minutes. Quand on les connait, ils sont plutôt sympathiques. Ils me font rire. Surtout quand ils se lancent des pics. Ça m'a permis d'oublier un peu ce qu'il se passe dans ma vie.
Il est onze heures du soir. On a mis du temps à trouver le bon compromis pour l'arbalète au niveau du poids mais on a réussi, au final. Je suis contente du résultat.
Je n'arrive pas à dormir. De plus, Kasey n'est toujours pas revenu dans la chambre. Ah ! En parlant du loup...
_ Tu ne dors pas ?
Je relève la tête et le remarque enfin sur le seuil. Il retire son gilet avec sa machette et la pose sur la chaise à côté de mon arbalète. Son regard s'arrête dessus.
_ C'est quoi, ça ?
_ Mon arme pour demain. Ne t'en fais pas, ça ne fait pas de bruit. On a bossé dessus avec un gars de l'armurerie et son cousin. Bobby et Manny. Ils sont plutôt marrants.
_ Elle est... Impressionnante !
Il l'examine et se met en joue pour pouvoir s'imaginer en train de s'en servir. Il sourit et l'examine de plus près.
_ Il a deux cordes ?
_ C'est un système à répétition. C'est pour tirer deux fois plus vite. J'arrive à en tirer cinq en une seconde, alors que sans toutes les options, je n'en tire qu'une seule en cinq secondes.
_ Incroyable !
Je le regarde. Il est émerveillé par la création de Manny. Je soupire et me glisse sous les draps. Il me rejoint deux minutes plus tard.
_ Tu as peur, pour demain ?
_ Je ne sais pas, dis-je doucement. Je suis partagée par l'envie de leur faire la peau et la peur que quelque chose de grave arrive.
_ Tout ira bien, Nam. J'en suis sûr. Fais-moi confiance. Je serai en bas. Tania sera en sécurité.
_ Si tu le dis. Bonne nuit, Kasey, souhaité-je en me retournant.
Je ne le vois plus. J'ai envie de dormir. De me libérer de ce fardeau qui pèse sur mes épaules. Je n'ai pas envie de penser à ça. De toute façon, mes problèmes seront toujours sur mon chevet, à l'aube. Ils me toiseront et me diront : « Eh oui ! On n'est encore là ! ».
Je soupire et ferme les yeux.
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