Chapitre 1
(Bad Wings - The Glitch Mob)
_ Nam ?
Je lève la tête de mes pensées pour faire face à Leo, le marchand. Il attend que je paie. Son air exaspéré se laisse voir facilement. Je soupire brièvement. Je sors les bons payants et je prends le sac en plastique blanc qu'il me tend.
Je pars du magasin et mes pieds foulent la terre jusqu'à la rue 15. Je passe devant les mendiants sans rien dire, pas même un regard vers eux. Je ne préfère pas, de toute façon. C'est le meilleur moyen d'avoir des ennuis ! Si on tend la main, l'autre nous prend le bras.
_ Mademoiselle, une petite pièce, s'il-vous-plaît ?
Je tourne ma tête vers la voix féminine cachée sous une cape beige totalement effilée. Seulement quelques mèches d'un blond argent se faufilent à travers le tissu. Je ne regarde pas la femme et continue ma route, comme si je n'avais rien entendu.
Je continue mon chemin et me fait bousculer par des gens portant des bidons blancs en plastique de la taille de leur cuisses.
_ Eh ! Faites attention !, scandé-je aux jeunes qui viennent de me percuter.
_ Désolée madame !
Ils repartent en courant et moi, je continue mon chemin.
La poussière m'aveugle quand les vents se lèvent. Je cherche le col de ma veste avec ma main et le plaque contre ma bouche pour éviter de respirer la poussière. J'évite toutes les personnes sur mon chemin, même ce malade qui squatte toujours en face de chez-moi. Il pourrait aller à Acropolis se faire soigner, ça lui coûtera une mort plus rapide et paisible.
Je m'avance jusqu'à mon immeuble et appelle le monte-charge. Pour une fois que quelque chose marche dans Laina !
Enfin arrivé, le monte-charge délabré en bois s'ouvre en faisant coulisser la barrière vers le haut. J'entre et rabaisse la grille derrière moi puis j'appuie sur le premier bouton.
Il faut savoir que, niveau tranquillité, je suis au top. Personne ne veut m'approcher, sauf les commerçants que je côtoie pour acheter ou vendre. Et c'est tant mieux !
La première fois que je suis arrivée ici, j'avais dix-sept ans. Et dès que j'ai pénétré la ville, j'ai été « taquinée » par une bande d'abrutis qui me traitait de touriste et de merdeuse. Ils ont commencé à me bousculer. Personne ne réagissait. Ils regardaient le spectacle. Moi, en train de me faire tenter et chahuter. J'en ai eu assez.
J'ai regardé le chef de la bande de minables droit dans les yeux et j'ai collé le canon de mon Wheellock en plein milieu de son front. Je n'ai pas tiré, bien entendu. Je ne tire que sur les animaux pour la chasse. Il me faut de quoi me nourrir pour survivre ici. Un cadavre d'humain ne m'aiderait pas à prendre des forces, c'est sûr. Et je ne gaspille pas mes balles pour rien.
Le garçon, maintenant, travaille chez le boucher. Et dès que j'entre dans l'établissement, il baisse les yeux. Je suis sûre que je lui fais de l'effet ! Cela fait six ans que l'on s'est rencontrés et il n'a toujours pas dénié me déclarer sa flamme. Oh, c'est trop dommage ! Il s'appelle Marty, je crois. Oh, et puis je m'en fiche !
J'accède enfin au toit de l'immeuble, chez moi. J'ai aménagé l'endroit d'une petite cabane, il y a longtemps. Je l'avais d'abord trouvé en ruine mais j'ai passé du temps dessus.
Je sors du monte-charge en levant la barrière et me dirige sur la gauche pour rentrer dans ce que j'appelle généralement mon « chez-moi ».
Je pose mon sac, sors une pomme et un couteau. Je claque la porte en sortant, je m'assieds sur le bord de l'immeuble et mange mon fruit en regardant le coucher du soleil. Je ne me lasserai jamais de ce spectacle. Surtout parce que je suis seule à le regarder, et que je n'ai personne qui parle de politique ou quoi. Ça m'évite les migraines, ou même de m'énerver gratuitement. Je suis tranquille. Le silence règne et je n'ai pas à me faire saigner les oreilles à cause d'une voix qui piaille des bêtises plus grosses qu'elle à côté de moi. Comme je le dis toujours, vaut mieux être seule que mal accompagnée !
*
Au beau milieu de la nuit, je me réveille en sursaut. J'entends des cris et des bruits de verre se fracasser sur une surface dure. Oh ! Encore deux ou trois qui font la fête. Ils ne peuvent pas arrêter deux se-... Encore un bruit...
Une seconde plus tard, une détonation retentit et l'immeuble entier se met à trembler. Je sors du lit et récupère mon fusil de chasse à côté de mon lit. Je saute sur mes pieds, sors de la cabane et vise les alentours avec le canon. Je m'approche du bord et regarde en bas. Plusieurs hommes, habillés de rouge, courent dans les rues. L'armée. Il ne manquait plus que ça !
Je regarde autour de moi. Je crois que je n'ai jamais vu autant de monde sur les toits. Ok, il y en a à cause des bestioles mais les gens peuvent vivre dans les étages. Ils ne craignent rien en hauteur, tous les animaux craignent le vertige. Mais s'il y en a autant, c'est qu'il y a vraiment un problème.
Je m'éloigne vite du bord et je récupère mes armes et mon sac à dos. Si jamais je venais à partir, il fallait que je sois approvisionnée.
Je tire mon matelas posé au sol et soulève la trappe recouvrant les affaires que je garde en extrême urgence. Un sac à dos de provision pour un mois. Je l'ouvre et vérifie bien que le sac est rempli de billes de couleurs différentes. Je le referme et soulève le reste des affaires.
Un autre sac, celui-ci est plein à craquer de munitions. La poche avant contient une boite de languettes de survie. On n'est jamais trop prudent.
Je récupère tout ça et reviens à ma commode de fortune. J'enfile vite un pantalon et des chaussures. Je saisis mon gilet en cuir et le met. J'y glisse deux couteaux dans les encoches au niveau de mes reins, puis mes deux machettes au niveau de mes omoplates. J'enfile mes rangers et mets mon sac à dos et l'autre en bandoulière. Je récupère mon neuf millimètres et mon fusil de chasse. Je glisse mon collier dans mon débardeur et ferme la cabane. Je me poste à l'extérieur, à côté de la porte. Je charge le fusil et puis plus un bruit. Un silence de mort sur les toits et dans les rues. Il n'y a qu'un truc qui puisse créer ce genre de situation.
En respirant silencieusement, je m'approche discrètement du bord. Tout le monde fait comme moi, en silence.
J'aime le silence, d'accord. Mais ce genre de silence n'est jamais de bon augure. Je baisse la tête vers la gauche et regarde en bas s'il y a quelque chose.
Malheureusement non, les soldats sont partis. Je tourne la tête à droite et là, un cri strident à vous faire faire des cauchemars la nuit réveille les murs de Laina.
Un chien de deux mètres de haut, avec des dents grandes et tranchantes comme des couteaux de cuisine, des yeux rouges vifs, un poil aussi noir que la nuit et des griffes aussi courbées que des boomerangs se tient à l'entrée de la rue.
Un Haze. Je n'en avais jamais vu un d'aussi prêt. Et c'est très impressionnant.
Je lève le regard vers le toit voisin. Une petite fille de douze ou treize ans brandit un arc en face de sa tête et reste figée. Comme si le temps s'arrêtait avant qu'elle ne décoche sa flèche. Elle va finir par avoir des crampes aux bras si elle ne fait rien.
Mon sang se glace.
Ne fais pas de bruit, je t'en supplie.
On peut voir les gouttes de sueur perler sur son front, et j'en sens une descendre le long de ma nuque. Le Haze continue d'avancer et se positionne pile entre la petite fille et moi.
Ne respire pas. Ne fais pas de bruit. Concentre-toi.
Derrière moi, provenant du monte-charge un grincement se fait entendre. Des soldats sont en train de monter. Bordel...
Ne bouge pas...
La petite fille commence à paniquer. Elle ouvre sa bouche et pousse un cri tellement fort que toute la ville a dû l'entendre. Elle abaisse son arc vers le bas de l'immeuble et essaie de toucher la bête. Le Haze lève sa gueule du côté de la fille lorsque la flèche ricoche sur son pelage. Mes yeux se révulsent rien qu'en voyant l'étincelle qu'a laissé l'impact dans son sillage. Il jette son cri dans les airs et lâche sa brume. Il grimpe à l'aide de ses ongles le mur de l'immeuble en face de moi.
Qu'est-ce que... Comment il peut...
La brume atteint la petite qui continue de crier. Et les grincements derrière moi augmentent. Et dès qu'elle a disparu sous la fumée, le Haze crie une énième fois et la vision devient trouble. La queue du chien géant disparaît en même temps que le cri. Et une volée de liquide rouge repeint le toit de l'immeuble en face. Je sens de petites pointes chaudes transpercer ma peau. Mes pieds restent vissés là où ils sont. Et le bruit continue de s'enfoncer dans mon crâne. Les cris reprennent et quelqu'un venant vers moi me percute à l'épaule, et me fait tomber au sol. Je secoue la tête et reprends mes esprits.
Je fais volte-face au monte-charge.
Ils sont presque arrivés !
Ni une ni deux, je lève mon fusil tire dans le boitier d'appel. Le monte-charge se bloque et un crissement, puis une détonation en ressort. Des cris, puis plus rien. Le coup de feu n'a pas dû échapper au Haze sur le toit d'en face.
Sans réfléchir, je commence à courir dans la direction devant moi, comme tout le monde d'ailleurs. Je passe de toits en toits en traversant les passerelles en bois. Les cris sont tellement nombreux que j'ai dû mal à m'orienter. Mais je ne pense qu'à une chose : me sortir d'ici au plus vite. Et je sais où il faut que j'aille. Je me dirige au Nord de Laina et cours sans m'arrêter.
J'arrive saute sur le toit suivant et aperçoit un Haze à deux immeubles de là où je suis, en train de se mouvoir dans sa brume.
Concentre-toi !
Je pose le pied sur le toit avoisinant l'immeuble que je veux atteindre. Seulement, un hurlement me parvient de la droite. Puis un autre, beaucoup moins humain, me vient de la gauche.
Je me jette au sol en mettant mes mains sur mon crâne. Je sens une masse voler au-dessus de mon corps et percuter la voix terrifiée de droite. J'ouvre les yeux et je vois des effluves de brume venir vers moi.
Dégage de là ! En vitesse !
Je me relève en une seconde et traverse enfin la dernière passerelle.
Arrivée au toit, je me précipite vers la porte de la cage d'escalier pour descendre au sous-sol. A peine arrivée devant, je dois faire face à un gars de l'Armée Rouge. Je brandis mon fusil plus vite que lui ne brandit le sien et je lui loge une balle dans la cuisse gauche. Il lâche son arme en hurlant de douleur et je le dépasse. Je descends les niveaux et je me rends compte que l'immeuble est infesté de gardes. Avant de me faire repérer, je me glisse vite dans un casier à moitié ouvert. Les gardes passent et mon cœur recommence à battre plus doucement, mais pas comme je l'espérais.
Je sors de ma cachette et dévale les marches trois par trois. Au sous-sol, j'allume la lumière et je cours vers la bâche au fond du garage. Je la retire et découvre le véhicule que je gardais au chaud depuis tout ce temps. J'ouvre la portière arrière et jette mes sacs à l'intérieur. Je mets mes armes à l'avant. Elles peuvent toujours servir !
Mais au moment où j'allais enfin monter, une main se pose sur ma bouche et compresse ma tête contre un buste aussi dur que du béton.
C'était trop beau pour être vrai !
Je panique et je me débats aussi férocement que je le peux. Je baisse les yeux vers la main sur ma bouche mais il n'y a pas de mouchoir. Ou alors mon cou va se rompre sous ces doigts massifs ? Je suis trop jeune pour mourir ! Puis une douce voix se glisse à mon oreille.
_ Chut, arrête. Je ne vais pas te tuer. Détends-toi. Je veux seulement que tu m'aides. Alors arrête de te débattre et je te lâcherai, d'accord ? Mais seulement si tu acceptes de m'aider.
Je m'efforce d'obéir et arrête de gesticuler dans tous les sens. Je laisse descendre ma main aussi doucement que possible vers ma cuisse pour choper mon neuf millimètres. Je fais oui de la tête et la personne derrière moi desserre ses bras. Je me retourne d'un coup sec et le vise à la tête. Je croise le regard d'un gars, rieur et tout tâché de sang. Il choppe ma main tenant l'arme et me sourit.
_ Regarde en bas.
Je baisse les yeux en fronçant les sourcils et remarque qu'il a compris ma machination. La pointe d'un couteau à dents de scie se tient juste devant mon estomac. Je soupire et baisse la main. Il tient un revolver dans son autre main et un sac est posé derrière son pied.
_ Je suis Kasey.
Mon regard est méfiant mais je lui réponds quand même.
_ Nam. Qu'est-ce que tu me veux ?
Il a du mal à parler. Sûrement le choc...
_ J'ai besoin de ton aide. Mon père vient de se faire tuer et...
Son regard est implorant. Je pivote autour de moi et je reviens sur ce Kasey.
_ Ce n'est pas possible.
_ Tu ne sais même pas pourquoi j'ai besoin de ton aide.
_ C'est non quand même, lui rétorqué-je en montant dans ma voiture.
Il saisit ma main à travers la fenêtre et je me retourne sur lui en braquant le canon de mon neuf millimètres sur son front.
_ Fais-moi juste sortir de la ville, et je te laisserai tranquille.
Il se met à caresser ma main de son pouce. Et bizarrement, ce contact m'apaise. Mais ça me rend mal à l'aise.
Après tout, ce n'est que ça. Je le jette de la voiture à la sortie de la ville, au portail, et ensuite je me barre vite fait de ce trou à rat. Ses yeux deviennent bizarres. Je lâche son regard et jette mon pistolet sur le siège passager. On entend un fracas de portes à quelques étages au-dessus de nous. La situation redevient critique.
_ Monte. Je te laisse au portail, ensuite tu te débrouille tout seul.
Il me lâche, récupère ses affaires et monte dans la voiture, à côté de moi. Il dépose quelques-unes de mes armes à l'arrière et quand il va pour prendre mon Wheellock à ses pieds, je le récupère et le glisse entre mes jambes.
_ Ça va nous servir, dis-je d'un ton détaché.
Je sors mon collier et saisit la clé accrochée à celui-ci. Je démarre la voiture et j'ouvre la porte du garage.
_ Où t'as trouvé l'essence ? Le Sud est en pleine pénurie !
_ Naïf !
Au même moment, deux gardes débarquent en faisant voler la porte des escaliers. Ils crient des ordres et nous tirent dessus. J'essaie d'éviter de me faire trouer la peau avec succès. Une balle fait exploser le pare-brise arrière du véhicule.
_ Putain !, s'écrie Kasey.
Je fonce dans la rue et sors le Wheellock pour le coincer entre la vitre et la portière de la voiture. Je cale le canon au-dessus du rétroviseur.
En prenant le virage, une femme portant une valise ouverte a failli se jeter sous mes roues. Heureusement, je me suis déportée à temps. Seulement, une seconde plus tard, elle se fait achevée par un garde. Quelle mort est la mieux ? Se faire écraser par une bagnole, ou se prendre une balle dans la tête ?
Je me dirige vers les grilles de la ville. Des balles fusent vers nous. Kasey se baisse pour se protéger. J'esquive la tête à l'entente des détonations. Je me rapproche de plus en plus vite de la grille et j'appuie sur la détente quand je vois le boitier d'ouverture. La balle va s'y loger et la lumière verte s'affiche au-dessus des fils barbelés. Je fonce dessus et le pare-buffle défonce le portail. Une fois à l'extérieur, je fonce droit devant alors que des voitures de l'armée rugissent pour nous courser.
_ Et voilà !
Je pose le Wheellock entre mes jambes. J'enclenche la vitesse suivante et m'engouffre dans le sentier de la forêt. Ils me suivent toujours. Je ne peux pas m'arrêter pour déposer Kasey. Merde !
_ Tu peux attraper la télécommande bleue qu'il y a sous le frein à main ?, demandé-je à mon « co-pilote ».
_ Oui !
Il se penche entre nous et cherche à tâtons dans le noir la télécommande.
_ Je l'ai ça... Merde !
_ Dépêche-toi ! On va rater notre sortie !
Il se penche encore plus et réussit enfin à attraper l'objet en question.
_ Voilà, c'est bon ! Tiens !, me dit-il en me tendant le rectangle bleu.
Je la sers dans ma main. Je regarde dans le rétroviseur. Les lumières rouges me suivent toujours. Je bifurque sur le côté et appuie sur le bouton gauche de la télécommande. Derrière moi, des projecteurs puissants diffusent une lumière blanche trop forte pour pouvoir garder les yeux ouverts. Comme si vous aviez été enfermés dans le noir pendant longtemps et que vous aviez soudain la lumière sur vous. La voiture juste derrière moi se prend un arbre. D'autre sont obligées de faire un détour pour pouvoir continuer la course-poursuite. J'appuie sur le bouton droit et une trappe s'ouvre devant moi. La voiture s'y engouffre et je referme derrière nous.
_ On est où, là ?
_ Nous allons passer sous Laina. Je vais au Sud, moi.
Je sens son regard peser sur moi.
_ Ne t'en fais pas, dès que l'on sortira du tunnel, je te déposerai et je n'entendrai plus jamais parler de toi.
Il soupire et se laisse glisser sur le fauteuil. Un long silence s'installe et je prends l'épingle pour aller au Sud. Le bruit du moteur retentit dans le tunnel de pierre. Les poutres de bois qui soutiennent la roche défilent au-dessus de nous. Faudra que je remercie Tobias et les autres. Ce tunnel sert à l'occasion.
_ Je vais au Nord, moi.
Kasey vient de briser le silence. Je ris nerveusement et le regarde une seconde. Il n'y a rien au Nord, sauf Acropolis et quelques villes en ruine.
_ Tu veux faire quoi, au Nord, hein ?, dis-je en riant faussement.
_ Retrouver mon petit frère.
Ah, la famille ! Que c'est moche !
Je me tais. Il a une famille, pas moi. Et c'est tant mieux. Je n'ai pas à faire ce genre de chose.
_ C'est pour ça que je veux aller au Nord. Il est à Acropolis.
Mon sang se glace. Il va à... Mais c'est un fou furieux !
_ Tu as des tendances suicidaires ?
_ Non. J'ai eu un mot de lui, datant d'il y a deux jours. Je l'ai eu ce matin. Je comptais partir demain, mais...
_ Epargne-moi ton récit, je m'en fiche complètement.
Il se renfrogne et croise ses bras. Je sens qu'il me regarde mais je me force à ne pas faire de même. Il me court déjà sur le haricot !
_ Détourne vite le regard sinon je t'en colle une entre les deux yeux.
Il se détourne et regarde droit devant lui. Je lui fais peur, ça se voit.
_ Et toi, tu vas où au Sud ?
_ Je t'en pose des questions ? Non ? Bon, alors tais-toi.
Il commence à m'énerver, ce jeune. Je soupire et me concentre sur la route.
_ Dis-moi pourquoi tu vas au Sud, ensuite, je ne t'embêterai plus, crois-moi.
Je ne réponds pas et j'accélère. Plus vite on arrive au bout du tunnel, plus tôt je serai débarrassée de lui. Vivement !
_ Nam ?
Je freine d'un coup sous l'emprise de l'énervement qui monte en moi. L'arrêt est si brusque que Kasey doit se tenir au tableau de bord pour ne pas finir encastré dedans. Mes mains s'enfoncent dans le volant brièvement et le véhicule s'arrête. Je me retourne vers lui et je plonge mon regard dans le sien.
_ Je veux me tenir le plus loin possible de la Capitale, tu comprends ça ?
_ Pourquoi ?
_ Parce que. Alors maintenant, tu arrêtes avec tes questions et tu me laisse conduire. Et tais-toi jusqu'à ce que l'on soit arrivé !
Il soutient mon regard et je me sens... Je ne tiens plus. Je regarde devant moi et redémarre en trombe.
Une fois la fin du tunnel atteinte et la voiture sortie, le soleil pointe le bout de son nez. J'arrête la voiture au beau milieu du champ. Je descends pour me dégourdir les jambes. Je tourne mon regard vers le Nord et vois Laina en tout petit. De grosses nappes noires et grises s'en échappent. S'en est finit de mon ancienne ville. Je secoue la tête et ouvre la portière arrière. Je saisis mon sac de provisions et l'ouvre. Je prends une bille rose et le referme. Kasey s'approche de moi et balance sa tête vers la petite bille que je tiens dans ma main. Ses yeux interrogateurs me laissent deviner sa question.
_ C'est quoi ?
_ Des billes alimentaires.
_ Des quoi ?
_ Des billes alimentaires ! T'es sourd ou quoi ?
_ Désolé mais je ne connais pas. Je n'en ai jamais vu.
Je me calme en faisant face à son ignorance. Je soupire et en récupère trois de couleurs différentes dans mon sac. Je les lui présente au creux de ma main.
_ Ce sont des repas.
Il me regarde comme si j'étais née de la dernière pluie. Je lève les yeux au ciel et lui en tend une rose.
_ Mets-la sur ta langue et attends avant d'avaler.
Il me regarde, méfiant. Je tends encore plus ma main vers lui et il finit par engloutir la bille. Il s'exécute et ses yeux s'écarquillent.
_ Mais c'est...
_ Je sais, lui réponds-je en prenant la mienne.
_ C'est quoi le truc, à la fin ? C'est super bon !
_ D'après ceux qui me vendent les billes, c'est du chocolat. Une confiserie terrienne.
Le jus de fraise coule dans ma gorge et le goût d'une tartine de chocolat descend jusqu'à mon estomac.
_ Les roses sont pour le petit-déjeuner. Les bleues pour le déjeuner et les rouges pour le dîner. Et les noires, ce n'est pas un repas.
_ C'est quoi, alors ?, demande-il intéressé.
_ Du poison. J'ai toujours les deux premières que j'ai achetées dans mon sac. Si jamais je dois me faire attraper ou tuer quelqu'un. Mais je ne les utiliserai qu'en cas d'extrême urgence.
_ T'as voulu en utiliser une dans le tunnel quand je te parlais, avoue ?
Je lève la tête vers lui, ahurie. Ça ne m'avait pas traversé l'esprit mais... Il a raison, j'aurais pu. Dû même. Mais l'histoire de son petit frère m'en a empêché.
_ Excuse-moi, c'était une blague de mauvais goût.
_ Ce n'est rien.
Je jette mon sac à l'arrière de ma voiture et m'empare du sac de munitions. J'en prends une pour la glisser dans mon Wheellock, pour ne pas perdre de temps à recharger plus tard, si jamais je dois encore m'en servir. Une fois ça de fait, je me retourne sur Kasey qui a déjà ses affaires sur lui, prêt à partir.
_ Merci de m'avoir aidé à sortir de Laina.
_ Pas de quoi.
Il doit partir maintenant, c'est vrai. Mais je m'en fiche. Je claque ma portière et lui glisse un mot comme « bonne continuation » avant de démarrer la voiture et de filer vers le Sud. Le capot tremble et la voiture avance rapidement. Le vent bat dans mes cheveux courts et je force mes yeux à rester sur l'horizon en face de mon pare-chocs.
Je regarde vite-fait dans le rétroviseur, l'image bouge tout le temps mais je vois que Kasey me regarde partir. Son dos bouge et son sac s'élève. Et il devient de plus en plus petit.
Je vais faire une connerie, je le sais. Il ne faut pas que je me montre humaine. Non, il ne faut pas ! Tu vas au Sud un point c'est tout.
Mais au fond de moi, c'est tout le contraire. Je soupire en lâchant un juron et tourne le volant sur la gauche pour faire demi-tour. Je fais une grosse bêtise. Je fais une énorme bêtise, et je vais le regretter ! Mais je vais devoir assumer mes choix.
Kasey revient dans mon champ de vision et il devient de plus en plus grand. Je klaxonne un coup sec et il se retourne. Il doit se dire qu'il a oublié quelque chose. Alors il regarde partout autour de sa taille pour vérifier. Je m'arrête à son niveau.
_ Qu'est-ce qu'il y a ?, me demande-t-il perdu.
Je ne réponds pas et me bascule sur le côté droit pour ouvrir la portière. Il me regarde avec de gros yeux quand je me remets en place. Il ne bouge pas.
_ Tu montes ou pas ?
Il se réveille enfin et contourne le véhicule. Je soupire. Il s'assied et ferme la portière.
Je fais une grosse bêtise.
_ Tu n'as pas intérêt à parler, sinon je te crève, c'est clair ?
Il me dit oui de la tête. Il ne parle pas. Il apprend vite. J'enclenche la première et continue mon chemin vers le Nord. Vers Acropolis.
Oui, je fais une grosse bêtise !
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