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La rage...

Cette sensation est la pire qu'il soit pour un être humain. La rage est un poison qui consume un homme de l'intérieur.  Ce sentiment s'accumule au fond de ses entrailles, les tordant un peu plus, jour après jour, heure après heure, le privant de mener sa vie avec apaisement. La rage tue un homme à petit feu, même s'il ne semble pas en prendre conscience.

Je connais trop bien cette sensation. La rage vit en moi depuis que je suis enfant. J'ai toujours été en colère, aussi loin que je m'en souvienne.

À cause de cette rage, je me suis toujours senti en décalage avec les autres. Différent. Je suis comme un acteur en noir et blanc qui s'incruste dans un film en couleurs. Je n'ai rien à foutre là, je jure, j'ai l'impression que je suis de trop, de ne pas être à ma place. Toujours à côté de la plaque. Je ne sais même pas pourquoi je suis là parfois, si les choix que je prends sont les bons ou si je me plante complètement.

Toute cette incertitude est en moi depuis bien trop longtemps aussi, jouant à me torturer de l'intérieur un peu plus tous les jours en compagnie de sa meilleure amie : la rage.

Alors qu'à mon âge plus d'un mec profiterait de la vie, sortirait avec ses potes et ferait la fête, moi, je n'ai jamais pu. Pas par désintérêt. C'est juste que l'on compte trop sur moi et que ce rôle auquel on me conditionne depuis la mort de mon père, je dois le tenir. Alors je souris, je ris, je semble bien dans ma peau, sûr de moi.

Quand on me voit, je parais être un homme ordinaire, plutôt beau mec, un bosseur qu'il ne faut pas emmerder. Un mec respectueux qui aime sa famille et se saignerait les veines pour elle. Trop tatoué, selon ma mère. Beaucoup trop réfléchi et sérieux selon Dallas. Une gueule d'ange beaucoup trop torturée pour Camryn. Trop prise de tête d'après Hudson. Et les mains toujours trop pleines de cambouis selon Allyson.

Mais tout ça n'est qu'une façade, un masque que je porte depuis mes huit ans. La réalité est tout autre. Je suis différent des autres, complètement perdu et aveuglé par mon futur, avançant à tâtons dans le noir, essayant de prendre les bonnes décisions, les bons chemins. Pas pour moi mais pour ma petite soeur qui est dans son monde, pour ma mère que la vie n'a pas épargné, pour mon petit frère qui pourrait déraper à tout moment. Je dois être là, pour les miens car c'est ce qu'on attend d'un chef de famille. Je sacrifie ma propre vie pour le bien-être de ceux que j'aime.

Alors je ne laisse rien paraître. Je ne dis rien, j'encaisse. Je redresse le menton, me tiens bien droit, je reste fier et serre les dents à chaque coup que cette putain de vie me fout dans la gueule.

J'avais huit ans quand mon père est mort. Je n'avais pas vraiment conscience de ce que cela impliquait mais mes proches commençaient déjà à me conditionner. On attendait de moi d'être une personne dont je ne me suis jamais senti capable. Comment j'aurais pu alors que je n'étais qu'un gosse. J'ai fini par accepter mon fardeau avec le temps. Je suis devenu le chef de famille qui doit prendre les décisions, l'homme de la maison qui doit prendre soin des autres.

Les mots "responsabilités", "honneur" et "sacrifices" pèsent lourds sur mes épaules depuis que mon père a quitté ce monde.

Ma vie est déjà toute tracée.  Un long chemin dont tout le monde attend que je suive l'itinéraire sans que je ne dévie une seule fois.

Un jour, je devrai reprendre les rênes du gang, comme l'a fait mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père avant moi.

Je devrai me faire tatouer le symbole de ce gang sur mon avant-bras qui prouvera ma loyauté, mon appartenance et ma protection envers les miens.

Je devrai diriger la ville d'Ironwood et faire prospérer les affaires et l'héritage que j'ai reçu de mon père à sa mort.

Il est écrit que je deviendrai un jour le chef des Brothers Of Death...

... Sauf que je n'ai jamais voulu de ce putain de rôle. Je n'ai pas envie d'être le héros de mon histoire qui a été écrite bien avant ma naissance.

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