5. Raf


Elie


Un mois que j'étudie le journalisme et je me retiens déjà de tout abandonner pour aller postuler au petit bar du coin. Le rythme est très différent de celui que j'ai toujours connu. Et, même si cette fac n'est pas la plus grande de l'État, elle comporte au moins une dizaine de couloirs et une trentaine de salles de plus que mon ancien établissement. L'avantage, c'est de ne pas avoir eu à quitter Kate, Ciara, ou encore Nate. Toujours ensemble, ou presque, nous prenons de nouvelles habitudes au fil des journées. Nous déjeunons ensemble, nous respirons, vivons, dormons ensemble, aussi, quelques fois. Bref, on ne se sépare jamais plus que lorsque c'est nécessaire.

La prochaine heure qui m'attend m'oblige à arpenter le long corridor principal où s'entassent des tonnes d'élèves. Quelqu'un m'arrête alors que j'essaye d'esquiver la majeure partie des étudiants face à moi.

— Salut, énorme fête chez Raf, ce soir. Fais passer.

Le jeune à la voix monotone me fourre un flyer dans les mains avant de me dépasser pour poursuivre son discours fastidieux. Quant à moi, je me remets en quête de mon cours d'économie, me demandant vraiment s'il ne serait pas plus judicieux de servir des pintes au premier venu.

***

— Qu'est-ce que tu en penses, Elie ? Rouge genre, « regardez-moi, je suis là » ou noir comme « je suis cool, mais ne m'approchez pas » ?

Tel que je le craignais, en rejoignant la cafétéria, tout le monde est déjà à fond sur cette soirée. Je hausse les épaules d'un geste vague en dévisageant Kate, pour répondre :

— Je n'en sais rien. Qu'est-ce que tu penses de « pyjama et laissez-moi dormir » ?

Ma blague ne prend pas partout. Si la plupart rigolent, ma copine, elle, me fusille de ses grands yeux gris.

— Je crois que c'est naze, comme tenue. Allez, quoi, tu ne veux pas venir avec nous ?

— Sans façon.

Oh, en réalité, j'aurais vraiment aimé. Mais j'ai déjà prévu d'autres plans, pour ce soir.

— Sérieux, soupire Ciara en mordant dans sa pomme. Tu ne vas pas passer toute ta vie à espionner ton frère, quand même ?

Je tourne la tête, tente de dissimuler le rouge qui me grimpe aux joues.

— Je ne l'espionne pas, me défends-je, sans grande conviction.

— Tu passes tout ton temps à écouter ses conversations et à fouiller dans ses affaires, affirme Nate. Comment tu appelles ça, toi ?

Je l'extermine de ma considération la plus noire.

— Je m'assure qu'il n'y a pas de problème, c'est très différent.

Il lève les yeux au ciel et déclenche le rire de mes traîtresses de copines. Je ne peux pas expliquer ce sentiment qui s'empare de moi dès lors que je pose mon regard sur Alvaro. Ça ne s'exprime pas avec des mots, juste, ça se ressent. Ça me prend, là, dans la poitrine, et ça m'oppresse, si bien que j'en deviens parano. C'est étrange, comme sensation. Mais c'est aussi très réaliste, pourtant. Comme la mort de nos parents. Ou le fait que tout semble très nouveau, ici et maintenant.

— Tu devrais vraiment venir, insiste Kate.

Je sais qu'il faut que je lâche prise. Que, pour notre bien à tous les deux, je me dois de lui faire confiance. Que la peur n'évite pas le danger et que me pourrir l'existence n'aura rien de bénéfique. C'est sans doute pourquoi, après avoir exhalé un long soupir résigné, j'accepte, sans pour autant abdiquer pour le reste.

— D'accord, dis-je en levant les mains devant moi. Vous avez gagné, je viens.

Et mes amis applaudissent en chœur comme s'il s'agissait là de la meilleure nouvelle de l'année.

***

Alvaro n'est pas à la maison lorsque je pénètre dans la douche. Je n'ai qu'une heure devant moi pour passer de la moi ravagée à la moi cool, je ne perds donc pas une seconde. Je me lave, me shampooine, puis rase mes jambes, pour enfin me glisser dans l'éponge d'une serviette moelleuse et confortable.

Une tenue ordinaire, un peu de mascara, de fard à paupières, un rouge à lèvres plus prononcé que d'habitude, mais qui reste tout à fait sobre et l'affaire est conclue. Je suis en train de lisser les dernières mèches de mes cheveux bruns rebelles lorsque des bribes de voix me parviennent d'en bas. Je tends l'oreille, puis au final, opte pour la simplicité. Je franchis la barrière qui me sépare de la vérité en descendant les escaliers.

Alvaro se retourne en entendant mes pas. Un bref sourire se dessine sur son visage tiraillé entre fatigue et autre chose. Je salue vaguement la fille qui se tient à ses côtés et que je ne porte pas dans mon cœur depuis qu'elle monopolise toute l'attention de mon frère, puis d'une démarche lente, me dirige vers la cuisine, espérant saisir quelques informations durant la conversation qu'ils entretiennent une fois mon dos tourné.

J'empoigne une tasse dans l'armoire puis verse de l'eau à l'intérieur avant de la fourrer au micro-ondes.

— Dis, Alva...

— Hum ?

Il ne relève pas les yeux sur moi.

— Je vais dormir chez Ciara avec Kate, ce soir.

— OK, se contente-t-il de répondre.

Mes sourcils se froncent, d'instinct. La réaction évasive qu'il me sert, même si elle m'arrange, me titille quand même un peu. Elle ne lui ressemble pas. Cependant, je suis bien plus intelligente que curieuse. De ce fait, je récupère ma tasse en vitesse dans l'appareil qui sonne tout juste et jette un sachet de thé à l'intérieur. Sans perdre une seconde, je remonte dans ma chambre et ferme la porte. À l'intérieur d'un sac, je lance ma robe noire préférée dégotée en Espagne, puis patiente tout en sagesse en attendant le message qui m'indiquera de descendre.

***

Alcool, musique, filles nues ou presque, mecs désobligeants, piscine et DJ un peu trop excité par les basses – typique des fêtes étudiantes. Celle-ci n'échappe pas à la règle. D'apparence, dans cet endroit que tout le monde surnomme chez Raf, c'est ainsi tous les soirs du jeudi au dimanche, ravissant chaque élève et mes copines avec. C'est le moment pour Ciara de se lâcher, celui pour Kate de retrouver Oliver en douce, et le mien de chercher une boisson qui ne contient pas de vodka, parce qu'apparemment, j'ai été désigné chauffeuse du retour sans même qu'on m'en informe avant. Je déteste conduire. Non, en fait, je hais les voitures, tout court. Mais je peux faire une exception pour empêcher mes amis de se prendre un mur. Ou une biche. Ou même un arbre, tiens, puisqu'on en parle.

Je remplis mon verre de glaçons, donc, seule eau potable que j'ai pu dénicher ici, quand un blond aux yeux vert bouteille vient s'accouder au bar, juste à mes côtés. Son attention pivote entre mon gobelet et moi, amusée.

— Tu trouves ce qu'il te faut ?

Sa voix est simple, gentille. Le sourire luisant qui contraste avec sa peau hâlée attire mon œil. Il est d'une beauté terrible, ce type.

— Eh bien... cet endroit manque cruellement d'eau, mais, à part ça, ça va.

— Tu m'étonnes, lâche-t-il en secouant la tête. On raconte que le mec qui organise ces soirées de merde n'en boit pas.

— Ouais, ricané-je. Je vois. Sans aucun doute le genre qui ne pense qu'à deux choses. La fête du jour et celle du lendemain.

Il rit, sans se retenir, cette fois, puis se sert un verre d'un liquide ambré.

— Tu as l'air de bien le connaître... lance-t-il.

Il hausse les épaules, avale une gorgée en me fixant, un rictus au bord de ses lèvres pleines.

— En fait, pas du tout. Mais ce n'est pas très difficile à deviner. La plupart des étudiants se ressemblent, ici.

Il secoue la tête, ne se dévêtant pas de sa bonne humeur, puis pose une main sur sa poitrine comme si mes paroles lui transperçaient la cage thoracique.

Aïe... touché.

Un troupeau de gens attire mon attention et interpelle mon voisin d'en face. Ils lèvent leurs bras, leurs bières, et tous autres joyaux en leur possession pour lancer avec un brin d'amusement :

— Hé, Raf, tu viens ou quoi ?

Et je visualise en direct l'immensité de la gaffe que j'ai faite.



Je méjuge depuis combien de temps j'ai perdu mes amis. Seule au bar, mon verre d'ultimes glaçons en train de fondre, je patiente. J'écoute le remix du DJ et fends la foule de mes yeux. C'est énorme, le nombre de choses que l'on peut remarquer, lorsqu'on est sobre et solitaire. On sous-estime la puissance de nos pupilles malgré la pénombre.

— Appelle ta mère, qu'elle vienne ramasser ce bordel !

La bouteille qui explose au pied d'une fille monopolise toute mon attention. Mon regard remonte sur son corps, frêle et meurtri, puis sur son visage, aux larmes ravageuses. Sans réfléchir, je quitte mon repaire pour m'approcher et saisir le sens de cette altercation.

— Appelle-la, allez ! Une bonne femme de ménage ne laisserait jamais cette baraque dans un état pareil.

Le type qui lui fait face est grand et ressemble à une hyène. C'est en tout cas l'effet que me provoque son rire alors qu'il réussit à embarquer tout un groupe avec lui. La persécution de masse est pourtant connue pour être destructrice, parfois. Je suis si furieuse que mes jambes me propulsent à travers la foule pour arriver à me faire une place entre eux.

— Tu es complètement con ! tonné-je alors que la fille sanglote sans plus pouvoir s'arrêter.

— Elle est là pour ça, la pauvresse. Laisse-la ramasser, exulte-t-il, toujours à gorge déployée.

— Va te faire foutre !

La rousse attrape la main que je lui tends, sans hésiter. Alors que je l'attire avec moi à travers le peuple barge, le fauve à la langue pendue nous interpelle :

— Eh ! Qui va s'occuper de ce putain de merdier ?

— Tes dix doigts, ducon ! lancé-je en m'éloignant aux côtés de sa victime.

Nous mettons bien cinq bonnes minutes à trouver les toilettes. C'est là qu'elle m'explique l'ampleur de la vie impossible qu'ils lui infligent depuis qu'ils ont découvert que sa mère est femme de ménage au sein même de notre établissement. Je la rassure comme je peux, évitant d'être trop étouffante, jusqu'à ce qu'elle prétexte un message de son père pour fuir la situation devenue trop pesante. C'est le moment que je choisis pour partir à la recherche de mes copines, aussi déterminée à quitter cette soirée.

— Elie ! s'exclame Ciara tandis qu'elle apparaît devant moi comme une fleur.

Son regard embué d'alcool me fait rire.

— Toi, tu as trop bu.

— Et toi, tu es décidément – trop – belle.

Elle fond dans mes bras et je lui ordonne de ne pas bouger d'ici, juste le temps que je retrouve Kate avec mes yeux de lynx. Je l'aperçois un peu plus loin alors qu'elle quitte Oliver d'un baiser plutôt langoureux.

— Kate ! l'appelé-je en me rapprochant.

— Il faut absolument que je te raconte, propose-t-elle.

Elle frappe dans ses mains comme une gamine de cinq ans et je soupire :

— Tu le feras sur la route, si tu veux bien. On s'en va.

Elle acquiesce, enjouée à l'idée de me rapporter ses potins, puis attrape mes doigts pour ne pas me perdre.

— Oh, merde.

Nous rions en cœur en découvrant Ciara sur le bar. Son déhanché n'a rien à envier à personne. C'est presque avec regret que je la force à descendre. Mes deux acolytes bien réceptionnées, nous traversons la foule pour rejoindre l'extérieur. Mais alors que la porte d'entrée m'apparaît enfin comme une délivrance, un groupe de mecs s'amuse à nous barrer le chemin.

Et parmi eux, bien sûr, l'espèce pas si rare de harceleur que j'ai eu le malheur de croiser tout à l'heure. Kate parvient à se faufiler dehors en me lançant un dernier regard inquiet. Elle a compris sans que j'aie besoin de le formuler que la situation est tendue et prête à s'envenimer.

Je lui fais signe d'avancer et elle abdique en sortant son téléphone. Kate en sécurité, je me démène pour que Ciara demeure avec moi plus de trente secondes. Son taux d'alcool dans le sang est tel qu'elle ne discerne pas le danger qui rôde autour de nous et qui nous dévisage de ses yeux enragés.

— Alors, les filles, vous partez déjà ?

Je serre les dents. L'un d'eux attrape Ciara par le bras et je me dresse entre eux comme une lionne prête à défendre son petit. Le mauvais pressentiment qui m'agresse le ventre s'amplifie, commençant franchement à me faire douter de l'issue finale.

— Laisse-la, craché-je en direction du rouquin qui ricane.

Il n'en fait rien et, à la place, me sourit, sauvage. Un corps se presse ensuite contre le mien. Les effluves de bière et de mépris qui me parviennent me font presque suffoquer. Le mal élevé s'attarde sur ma poitrine et je remonte mon décolleté d'un geste brusque, ravalant mon vomi au passage.

— Dégage.

— Tu as du cran, toi.

Je dévisage le plus grand, noir de cheveux et qui m'en veut encore de mon intervention lors de sa partie de fou rire sur les femmes de ménage.

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans « va te faire foutre » ? grincé-je. Tu penses me faire peur ?

Il ricane en lançant sa tête en arrière. Je me mens à moi-même, c'est une évidence. Bien sûr que j'ai peur, je suis même tétanisée à cet instant. Parce que ma copine a trop bu, que je ne fais qu'un mètre soixante-cinq, et que je n'ai aucun moyen de m'en sortir mis à part leur clémence.

— Je n'en sais rien, siffle-t-il à mon nez. Vous êtes deux et nous sommes quatre, alors...

Je fronce les sourcils et me tends près d'une Ciara qui a enfin capté le péril qui nous encercle. Elle se débat du grand roux pour venir attraper ma main ensuite, comme si j'étais l'ancre au fond de ses ténèbres. Moi, j'essaye de forcer le barrage de corps qui s'imposent à nous, mais ce connard ne m'en laisse pas l'occasion. Il se dresse de toute sa hauteur et empoigne mon bras avec une violence non contenue.

— D'habitude, j'aime qu'on me résiste. Mais toi... c'est trop, tu m'excites comme un dingue.

— Tu mériterais qu'on te remette les idées en place, espèce de gros dégueulasse ! me défends-je.

Je m'efforce de garder mon visage à distance de ce prétentieux disgracieux.

— On est au moins d'accord là-dessus, grogne soudain une voix par-dessus l'épaule du gaillard.

J'écarquille les yeux, le cœur en vrac. Caden apparaît devant moi, comme un mirage sorti de nulle part.

— Ryce ! s'étonne le type en retrouvant son sourire. On peut partager, si tu veux. C'est deux pour le prix d'une, ce soir.

S'il se retournait, il pourrait apercevoir le phénomène tendu au regard bleu qui se dresse derrière lui. Mais il ne prend pas la peine de le faire, donnant juste sa confiance à une vieille connaissance, aussi surprenant que ça puisse être.

— Si je me joins à vous, ce sera pour te casser les dents, fulmine Caden d'une voix grave. Lâche-la, maintenant.

Le bonhomme s'exécute et son visage s'assombrit alors qu'il pivote d'un mouvement lent.

— Tu me menaces, là ?

Et Cade hoche la tête, les yeux sombres.

— Si tu la touches encore, je m'assurerais personnellement que ce soit la dernière fois que tu puisses poser tes mains sur quelqu'un.

Sa voix s'impose en dépit du brouhaha ambiant. Son regard me déstabilise une seconde, presque autant que son corps moulé dans cette chemise étroite. Et une fois de plus, je me force à détourner les yeux pour éviter les pensées impures et très énervantes qui s'immiscent dans mon esprit.

Merde, Elie.

D'un mouvement de rage, le brun se bouge et nous laisse enfin passer.

— J'en connais un qui va s'amuser, rit le roux alors que nous rallions le tyran.

Dépassant Caden pour retrouver la rue, je me hâte d'avancer jusqu'à la voiture. Kate est là, devant la portière, le visage livide. Elle a compris de quoi il en retourne et s'attend déjà à la furie qu'est son frère pour nous tomber dessus. Alors que je m'apprête à me placer au volant, il m'arrête d'une paume sur mon bras.

— Je vais conduire, gronde-t-il d'une voix intense.

Et pour la première fois, je ne discute pas. Chacune de nous se prépare au pire. Au discours moralisateur, à la tempête d'un frère déçu, au ravage de sa colère, mais rien. Sur la route, seul le calme plat nous accompagne. Caden a le regard rivé sur la chaussée, les mains solidement ancrées autour du volant. Il dépose d'abord Ciara, toujours sans un mot. Elle descend en titubant un peu et ce n'est qu'une fois qu'elle pénètre chez elle qu'il reprend le chemin, fidèle à son nouveau principe de rester muet. C'est ensuite devant chez moi qu'il se gare. Je sors en me faisant minuscule, à l'instar de Kate, calée au plus profond de son siège, mais, de façon étonnante, cette fois, il m'accompagne, ne me laissant pas l'occasion de refuser.

D'un pas déterminé, il me passe sous le nez pour rejoindre ma porte d'entrée. Celle-ci s'ouvre sans émettre de complications. Il poursuit son avancée quand je me rends soudain compte de ses intentions, ce qui m'oblige à courir pour le rattraper.

— Attends, dis-je alors qu'il commence son ascension des escaliers. Tu ne vas pas le dire à Alvaro, quand même ?

Il se tourne vers moi, hargneux, déjà tout en haut des marches.

— Et pourquoi pas ?

Ses yeux noirs me percutent de plein fouet.

— Parce que... parce qu'il me tuerait pour être sortie en douce, bien sûr, admets-je en chuchotant.

Il hausse des épaules lasses.

— Je ne crois pas que ce soit mon souci, soupire-t-il.

— Ne fais pas ça, supplié-je en l'empêchant de reprendre sa route, désormais.

Son regard file sur ma main qui accroche son bras avant de s'enfoncer avec une profondeur rare dans le mien. Puis sans prévenir, il trahit ma confiance et hurle :

— Alvaro !

Je cours m'enfermer dans ma chambre comme une gamine qui aurait fait une grosse bêtise. L'oreille collée à la porte, j'entends le bougonnement de mon frère qui se lève, puis des bribes de conversations. Je n'arrive pas à saisir le sens de leur échange, alors, je laisse tomber. J'échoue sur le lit, attends maintenant la sentence qui finira de m'abattre. Le parquet craque, puis quelqu'un toque. Je ne réagis pas, ce qui me vaut un nouveau coup sur le bois.

— Ouvre-moi, grogne Caden derrière le mur, la voix plus basse que d'ordinaire.

— Non, dégage !

Je chuchote, essaye de paraître discrète et tout à fait en colère. Comme si ça pouvait m'éviter un Alvaro furibond.

— Ouvre, je te dis, soupire-t-il.

Après avoir pris une grande inspiration, étonnée que mon frère n'ait pas déjà débarqué, je cède. L'entrée s'agrandit et ses yeux bleus me rejoignent.

— Où est Alvaro ?

Caden entre sans en attendre l'autorisation. Il referme derrière lui et se dresse devant moi.

— Ciara... est très malade. Ça aurait été dommage que Kate et toi le soyez aussi. Je vous ai ramené pour éviter toutes sortes de contaminations, il faut être prudent, de nos jours.

Je fronce les sourcils, surprise.

— C'est ce que tu lui as dit ?

Et il acquiesce, serein. Néanmoins, après quelques secondes, ses sourcils se froncent.

— Tu sais ce qui aurait pu se passer, ce soir ? questionne-t-il alors.

Il incline à peine son visage, tout à fait sérieux.

— Oui, je sais.

— Vous vous êtes mises en danger.

— Je sais, répété-je.

— Ça aurait pu très mal finir, Elie.

— J'en suis consciente ! Je suis désolée...

— Vraiment ?

Le tyran hausse les sourcils, ayant l'air de trouver ce qu'il entend improbable. Pourtant, je le suis. Je m'en veux d'avoir menti à mon frère, tout comme je me sens coupable d'avoir laissé mes copines boire et se fourrer dans une piètre situation. Sauf qu'à ce moment précis, j'ignore pourquoi, mais je n'arrive pas à regretter.

— Comment tu as su où nous trouver ? questionné-je enfin.

— Kate est une mauvaise fabulatrice. Elle aime croire qu'elle devient une vraie femme, sans son connard de frère sur le dos. Alors, je la laisse faire, toujours avec un coup d'avance.

Je me mords la lèvre, appréciant chaque mot qui constitue ce discours. Dans ce rôle de grand frère protecteur, mais civilisé, il me surprend et... je dois bien admettre que ça me fait quelque chose.

— Pourquoi tu n'as rien dit à Alvaro ? soufflé-je, hâtive et déjà mal à l'aise d'en connaître la cause.

Mais il plonge ses yeux dans les miens avant de souffler :

— Parce que jouer les femmes fatales à une soirée ne devrait pas se finir comme ça, ni pour toi ni pour les autres.

Mon front se plisse sous le questionnement qui m'achève soudain.

— Fatale ? répété-je, étourdie.

Et il pince les lèvres en détournant le regard sur la moquette de la chambre qui nous entoure.

— Merci, en tout cas... lâché-je pour détendre l'atmosphère. Pour tout.

Caden relève les yeux et acquiesce d'un mouvement de tête.

— Tu devrais quand même retirer cette robe, maintenant. Elle est... très jolie. Mais Alvaro... Il risquerait de nous faire une attaque.

Je ne retiens plus mon sourire, ce qui déclenche peu à peu le sien. Ses prunelles dans les miennes, il passe sa langue sur sa lèvre inférieure, gêné, puis s'emploie à tourner les talons pour me quitter. C'est sans un mot qu'il rejoint les escaliers, puis qu'il disparaît.

Je me surprends à continuer d'être béate de longues minutes après son départ. Comme si, moi, Elie Rozales, j'étais heureuse d'un stupide compliment venant de Caden Ryce. Comme si ça m'atteignait.

Comme si... ça me plaisait.

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