2. Fiesta
Elie
Trois jours après mon retour, mon idiot de frère n'a rien trouvé de mieux à faire que d'organiser une soirée chez nous, pile au moment où je venais de réussir à redonner à cette maison un aspect à peu près rangé.
Une petite fête, a-t-il dit.
J'enfile un short et un simple débardeur noir, puis descends le retrouver. Je ne suis pas étonnée de voir qu'il est accompagné, comme souvent. Des fûts de bière traînent au sol, aux côtés de paquets de chips et autres gourmandises.
— Holà, Señorita ! me lance Stan tandis qu'il essaye de brancher un énorme spot de lumière dans un coin du salon.
Je le salue d'un hochement de tête et d'un sourire amical. Loyd se lève pour lui prêter main-forte, alors qu'Adrian, lui, vient se planter face à moi. Il me détaille de haut en bas avant de me dévoiler ses dents d'un blanc incontestable. C'est le dernier arrivé dans notre bande, mais peut-être aussi celui que je préfère.
— Dis donc, Elie. Tu es...
— Quoi ? gronde mon frère depuis le fauteuil où il s'éclate à la console. Elle est quoi ?
Adrian lui lance un sourire amusé avant de se tourner vers moi pour admettre :
— J'allais dire, changée. Ces vacances sans ton relou de frère t'ont réussi, il faut croire.
Contente qu'il ait remarqué mon saut chez le coiffeur du village, je ris un peu en observant Alvaro se décomposer. Le visage fermé, il poursuit sa partie, mais prend le temps d'ajouter néanmoins :
— Ouais, ben c'est toujours ma sœur. Arrête ton numéro et viens plutôt jouer.
Adrian me sourit de ce rictus complice et attendri. Il retrouve le canapé, attrape une manette, et se joint à Alvaro et Caden, sans plus m'accorder d'importance. Je les rallie quelques secondes plus tard, sans oublier de voler un paquet de chips à leur réserve. Je m'assieds près d'eux, ils protestent parce que je passe devant la télé. Je demande à quoi ils jouent, ils râlent, car je les dérange. Bref, je soupire, ils soufflent, je m'agace, ils s'impatientent.
Je me venge en mâchant plus fort pour les déconcentrer. Et après une minute, Alvaro se tourne vers moi comme le lion qu'il est, tout à fait prêt à bondir.
— Ça a pris plus de temps que prévu, me moqué-je.
Là, normalement, il devrait me balancer un coussin à la figure ou jurer qu'il va m'étouffer en me faisant un nœud papillon avec le paquet. Mais... pas cette fois. Ce coup-ci, il lève juste les yeux au ciel, pour venir m'ignorer et se concentrer sur ce qu'il fait ensuite. Ça m'inquiète bien plus que ça m'intrigue. Alors, j'essaye de m'immiscer dans les moments où je n'étais pas des leurs afin de comprendre son comportement plus qu'étrange depuis mon retour.
— Sinon... Vous avez fait quoi, pendant deux mois ?
— Rien, répond mon frère.
Il hausse les épaules, le regard rivé droit devant lui.
— Mais encore ?
— On s'est inscrit à la salle, déclare Stan qui revient s'asseoir.
— Et à part ça ?
— Cade a passé l'été à rouler des pelles à sa nouvelle meuf, sourit Adrian en lâchant la manette. Rien de bien excitant, en soi.
— Oh... quel spectacle.
J'insère deux doigts dans ma bouche afin de mimer l'envie de vomir qui me prend lorsque j'imagine la scène. Lui, terreur d'une vie, et elle, trop blonde et sans doute trop siliconée à mon goût.
— Je suis là, au cas où, répond l'intéressé sans jamais nous contempler.
Nous rions en symbiose, Adrian et moi, ce qui nous vaut un énième regard blasé de mon frère.
— Et toi, Elie, tu as rencontré quelqu'un, en Espagne ? se soucie mon voisin, un sourire gourmand au coin des lèvres.
Et aussi surprenant que ça puisse être, c'est le moment que choisit Caden pour plonger ses yeux dans les miens. Il attend que je parle, c'est évident. Que je m'exprime et que je m'enterre ensuite. Ce que je ne compte pas faire tout de suite.
— Non, réponds-je en haussant les épaules à mon tour comme si ça n'avait aucune importance.
— Personne qui t'a plu ? insiste Adrian. Personne... qui te plaît ?
Et mon frère se joint enfin à la conversation. Muet, comme ça lui ressemble, mais tout à fait présent dans l'échange visuel qui s'effectue à présent entre moi, Caden et Adrian.
— Euh, non, soufflé-je, désormais mal à l'aise.
Je ne mens pas, en revanche. J'ai eu le béguin pour Nate Jonas il y a deux ans. On est sorti un peu ensemble, si l'on peut appeler ça ainsi, et puis, on s'est séparé quand on s'est rendu compte que nous étions plus amis qu'en couple. Depuis, il est un peu comme la quatrième pièce de notre puzzle d'amis barges. Aux côtés de Ciara et de Kate, la petite sœur du tyran.
Pour une raison qui m'échappe, Adrian semble ravi de ma réponse. Il passe une main dans ses cheveux coiffés à la perfection. Son attitude me déboussole, presque autant que son physique attrayant. Yeux marron, peau mate, silhouette élancée, il a tout du parfait Hooper. Ici, à NewHope Beach, si tu ne surfes pas, si tu ne portes pas de casquette à l'envers et si tu ne participes pas aux fêtes sur la plage alors que tu as moins de vingt-cinq ans, nous te renions. C'est la règle. Comme celle qui implique qu'être bronzé est mieux pour sa réputation d'habitant.
— Et toi, alors ? questionné-je Adrian. Toujours pas de copine en vue ?
— Qui voudrait de lui ? se marre Caden.
Il poursuit sa partie sans vraiment se préoccuper de la réponse que je m'apprête à lui offrir.
— La liste est longue, j'en suis sûre, affirmé-je alors d'une voix sèche.
Son rire agressif à mon oreille s'arrête soudain et je reporte mon attention sur Adrian, qui me lance un clin d'œil complice.
— Putain !
Je quitte le brun ténébreux et repose mes yeux sur Alvaro, qui se lève dans un geste brutal, infligeant à mon cœur l'épreuve douloureuse d'une tachycardie imprévue.
— Perdu, ajoute-t-il alors en jetant la manette sur le canapé. Les autres arrivent à quelle heure ?
Je me relève, soupire, puis les laisse débattre entre eux du nombre de personnes conviées ce soir. Dans ma chambre, je me maquille juste assez pour être présentable, et c'est quand je termine de poser mon mascara que la sonnette de la maison retentit pour la première fois.
***
— Elie Rozales ! Ce n'est pas un mirage, tu es bien vivante !
Mes deux amies folles à lier me sautent dans les bras pour une étreinte qui dure de façon approximative, le temps de l'éternité à mes yeux.
— Tu nous as manqué, se plaint Kate à mon oreille.
— Vous aussi, les filles. La prochaine fois, je vous fourre dans ma valise.
Mes copines acquiescent comme s'il s'agissait de la meilleure option jamais entendue. Je leur prends la main pour les entraîner vers le seul petit coin libre du canapé. La fête adopte très vite des proportions inattendues. La musique résonne dans toute la maison, l'alcool coule à flots, et les quelques amis de prévus se transforment rapidement en dizaine de personnes. Ceci dit, je n'ai pas encore trouvé mon frère afin de lui arracher les yeux.
Une petite fête, avait-il dit.
Je hais ce genre de fiasco, parce que trop de monde, de bruit, et de ménage le lendemain. Chaque soir qui ressemble à celui-là, je ne cesse de me dire que mes parents doivent se retourner dans leurs tombes. Néanmoins, je vis ici. Ce n'est pas comme si j'avais d'autres choix que celui d'accepter, surtout quand ça me laisse le privilège de surveiller de temps à autre mon frère en plein dans sa débauche.
Assise entre mes deux copines, je prends donc le temps d'écouter chaque potin des deux mois que j'ai raté. Ciara, ses iris noisette et sa peau hâlée, me parle de ses conquêtes sans grand intérêt et de son stage de cheerleaders. Ses cheveux châtain clair se sont tant éclaircis qu'ils tirent maintenant sur le blond. Elle est sublime et le pire, c'est qu'elle n'a besoin de rien faire pour l'être. Le charme naturel de l'Italie, je suppose.
Kate, en revanche, est toujours aussi pâle. Je ne sais pas comment elle fait pour conserver un teint si blanc alors que nous habitons sur la côte. Sa crinière blonde et ses grands yeux gris sont en tout point opposés à ceux de son frère, Caden, et de ses allures méditerranéennes. Ils ont beau être de la même fratrie, ils ne s'associent pourtant pas sur grand-chose. Kate est folle, je l'accorde, mais très gentille, sociable et mature. Alors que Caden, lui... C'est juste Caden. Éternel insatisfait du monde et des gens qui l'entourent.
— C'est pour quoi, cette fête ? s'interroge Ciara.
— Comme s'ils avaient besoin d'une excuse pour organiser des soirées à chier, maugréé-je en m'affalant au fond du fauteuil.
— Celle-ci est plutôt réussie, je trouve, me contredit Kate, ses yeux gris perdus derrière moi.
Je suis son regard pour tomber sur Oliver et son groupe de potes. Ça fait des mois qu'elle nous bassine avec lui, des mois qu'on la charrie sur sa relation qui piétine, et des mois qu'on s'efforce de la couvrir auprès de Caden lorsqu'elle s'absente pour le retrouver en douce. À en croire les nouvelles œillades qu'il lui lance, ils ont décidé de passer la seconde.
— C'est officiel ? m'exalté-je.
Et ma copine me fait de grands signes pour me signifier de parler moins fort.
— Si Cade l'apprend... commence-t-elle.
— On sait. Il te tuera, achève Ciara à sa place.
— Tu fais encore ce que tu veux, soumets-je, agacée.
Et Kate me dévisage, amusée.
— Tu as l'impression de pouvoir faire ce que tu désires, toi, quand Alvaro est dans les parages ?
Elle lève les yeux au ciel alors que Ciara explose de rire. Peu crédible, il faut croire. Pourtant, c'est bien ce que j'ai l'intention de faire, cette année. Être libre. On n'a pas tous les jours dix-huit ans et je suis mieux placée que quiconque pour reconnaître que la vie est courte et que l'on ne sait jamais de quoi demain sera fait.
— Il a un problème, Adrian ?
Ciara fronce les sourcils et je pivote pour poser mes yeux dans ceux du grand brun athlétique. Il est accoudé sur la table, le regard ravageur et son éternel sourire au coin des lèvres. Il lève son whisky à mon intention, telle une invitation à le rejoindre, ce qui se confirme lorsqu'il me questionne :
— Un verre ?
Je sens les considérations de mes deux amies peser sur mes épaules. Je ne vois pas leur visage, mais je sais déjà ce qu'elles essayent de me dire. « Tu voulais être libre, n'est-ce pas ? » Eh bien, oui, exactement. Ce n'est pas que je souhaite le devenir, en réalité. C'est que je le suis. J'ai la chance d'être libre, en vie, et d'avoir toutes mes facultés, y compris celle de marcher.
Alors, je le fais. Je me lève, j'avance et je rejoins Adrian, qui se redresse à mon arrivée. Sa chemise en jean ouverte sur son torse en mode Hawaï dévoile des abdos tracés au millimètre. Son sourire s'accentue quand il me tend mon gobelet et que nos doigts se touchent. Une sensation étrange me parcourt, soudain. Mais l'atmosphère reprend une teinte moins bizarre et plus détendue, lorsqu'il entrechoque son verre au mien pour trinquer :
— À ton retour, alors.
***
Le salon est devenu une véritable piste de danse. La vodka ingurgitée à l'abri des yeux ravageurs de mon frère me désinhibe assez pour que j'aie envie de me frotter aux Black Eyed Peas avec mes copines. J'attrape la paume de mes acolytes et les entraîne avec moi au milieu de la pièce, où elles me suivent volontiers. On crie, on chante – trop fort – on danse en oubliant d'adapter le rythme, et au final, on se déchaîne tant que les gens tapent dans leurs mains pour nous soutenir. Très vite, un cercle se forme autour de nous. Certaines filles nous rejoignent dans notre mouvement girly, connaissant la chorégraphie de I Gotta Feeling par cœur.
C'est uniquement à la fin de la chanson qu'Adrian me retrouve puis me fait tourner et basculer en arrière comme une princesse. Les cheveux virevoltants, ses yeux sombres dans le clair des miens, le cœur battant d'une valse trop explosive, je mets un instant à me reprendre alors que ses lèvres approchent, lentes et délicates, des miennes.
Au plus son parfum me parvient, au plus j'étouffe. Mais avant qu'il n'ait le temps de m'embrasser, cinq doigts se posent sur son avant-bras et le contraignent à s'éloigner au plus vite.
— Alva...
Mais nous sommes tous les deux surpris de constater qu'il ne s'agit pas là de mon frère. Caden nous dévisage, à la fois fermé et soucieux, dépité et en colère.
— Putain, mec, tu m'as donné chaud, admet Adrian, une main sur le cœur.
Dressé face à son ami, la bouche du tyran s'étire de façon linéaire. Il ne se dévêt pas de son regard assassin, encore moins quand Adrian éclate de rire en riposte.
— Qu'est-ce que tu fous, là ?
La voix de Caden est aussi sombre que son visage à cet instant.
— On danse, c'est tout, assure mon partenaire.
Il cesse de ricaner pour sourire, mais je ne peux m'empêcher de remarquer leurs deux corps qui s'opposent comme des rivaux. Ce qu'ils ne sont, sans aucun doute possible, pas censés être. Alors, fatiguée par la tournure que prend cette simple chorégraphie, je me détourne sans attendre la fin de leur règlement de compte. Mais à peine ai-je fait trois pas qu'une main attire mon avant-bras vers l'obscurité du couloir qui mène aux escaliers.
— À quoi tu joues, Elie ? grogne le tyran qui m'examine désormais.
Ses doigts, toujours encerclés autour de mon poignet, me brûlent la peau. Je me dégage puis réplique :
— Je m'amuse.
— En embrassant le premier connard que tu trouves ?
— Ce n'est pas ce que je faisais ! me défends-je en fronçant les sourcils à mon tour. Mais j'aurais peut-être dû.
Il grince des dents et approche son visage du mien.
— Garde tes distances, Elie. Avec lui, en particulier. Si Alvaro avait vu ça... Tu ne sais pas comment ça aurait fini.
Je ne peux m'empêcher de sourire face à ses traits tirés par la colère et l'inquiétude. Comme s'il avait le droit d'en éprouver. Je ne suis pas sa sœur, bien heureusement pour nous deux, et donc, par conséquent, je ne lui dois rien. Alors, j'adopte un air diabolique au possible et pour le lui prouver, je romps les derniers millimètres qui mènent à son oreille pour chuchoter :
— Alvaro devrait plutôt se méfier de toi, si tu veux mon avis. Après tout... c'est toi, qui m'as attirée ici. Dans ce couloir sombre, là où il n'y a personne pour nous surveiller...
Ses yeux bleu clair se couvrent d'une lueur orageuse et, sans me laisser le temps de poursuivre sur le ton de l'humour, la paume de sa main se pose juste en dessous de ma gorge. Il me force à reculer tandis que mon dos frôle les escaliers, avec délicatesse, mais sans émotion. Ses iris accrochent les miens. Mon corps touche désormais le bois, mon souffle se raréfie et attend la sentence.
— N'essaye pas d'entamer un jeu que tu es sûre de perdre, achève-t-il d'un timbre grave. Je ne rigole pas, Elie. Si tu t'amuses avec le feu, c'est moi qui ferai en sorte que tu te brûles.
Et la distance de nouveau érigée entre nous, il m'abandonne en tournant les talons.
***
Deux heures plus tard, Adrian s'est endormi, affalé dans le canapé. Ciara est introuvable, Caden a disparu et Kate et moi, on s'amuse à compter les gens qui ne savent plus marcher. L'effet de la vodka s'est un peu estompé, je suis maintenant épuisée, si bien que je me mets à frissonner comme une toxico en manque de drogue. Je préviens ma copine que je vais chercher un sweat, avant de sauter du canapé et de grimper les escaliers.
Je ne remercie pas mon tempérament décidé lorsque je pousse la porte de la salle de bain sans aviser et que je tombe sur Caden et sa poupée gonflable en train de se bécoter sur la cuvette des toilettes. Il m'assassine du regard quand mes yeux se posent sur le corps presque nu de sa nouvelle petite amie. Puis, voyant que je ne bouge pas, il me lance son T-shirt en pleine figure.
— C'est pas vrai, dégage !
Je shoote dans le tissu tombé à mes pieds et qui atterrit direct dans sa face de con.
— Tu es chez moi, je te signale. J'aimerais assez que tu ailles baiser ailleurs que sur mes chiottes, si c'est possible !
Il fronce les sourcils, soupire, puis pousse la blonde d'une main pour se relever.
— Putain, souffle-t-il en secouant la tête.
Il renfile son vêtement et incite sa nana à faire de même. Elle me dévisage, dépitée, puis fait voler ses cheveux ondulés pour les remettre en ordre et quitter la pièce telle la diva qu'elle est et qui adore faire l'amour sur le siège dégueulasse des toilettes.
— Tu es contente ? chuchote Caden.
Je souris, fière.
— Ton plan contre le mien. Ma soirée vient de prendre un tournant vachement plus excitant, désormais.
Il s'approche de moi, le regard sombre. Son parfum me parvient à nouveau quand il se penche pour murmurer :
— Tu as envie de jouer, donc. Très bien, Elie, on dirait que ça fait 1-1...
Et comme pour prouver la guerre exaltante que je viens de provoquer, un sourire satanique fend lentement ses lèvres, laissant les miennes s'assécher.
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