Première Partie

«Vis pour ce que demain a à t'offrir et non pour ce que hier t'a enlevé»

-Cherry Blossom

    - Natsu, cette fois c'est moi qui choisis la mission !, criai-je un matin, alors que le décor bruyant de la guilde s'installait petit à petit, au fur et à mesure que les mages entraient, qu'ils s'installaient à leurs tables en reprenant des conversations abandonnées ou mal engagées la veille.

    Quelque part, j'entendais Mirajane proposer à Erza d'essayer un gâteau aux cerises, Gray appeler Natsu, le provoquer avec une énième insulte. Je sentis un certain agacement lorsque mon compagnon y répondit par un coup de poing. J'avais ce sentiment d'ennui, vaguement en colère de le voir me laisser là de cette façon, de le voir se comporter tel un gamin, ce sourire à la fois attachant et idiot qu'il affichait sur son visage, ce regard provoquant, espiègle, qui devenait plus intense alors que l'idée d'une bagarre se nichait dans son cerveau. Je m'entendis soupirer, poser une main sur ma hanche et me tourner de nouveau vers le tableau de missions, prévoyant d'en choisir une parmi les dizaines qui m'étaient proposées.

    Je n'hésitais pas longtemps avant de prendre une feuille de papier, l'arracher du tableau et me diriger avec un grand sourire vers Mirajane, un sourire qui montrait probablement à tout le monde que je préparais quelque chose. Quelque chose de mauvais. 

    - Je choisis celle-là, Mira' !, m'exclamai-je, posant brutalement la feuille sur le comptoir, fixant la barmaid d'une manière malicieuse.

    - Lucy, tu es sûre ?, demanda cette dernière, fronçant les sourcils, probablement déroutée de me voir agir ainsi.

    Hochant la tête, je fis volte-face pour chercher Natsu du regard, le chercher dans l'émeute qu'il venait de provoquer, le chercher en sentant une certaine impatience naître dans mon cœur, une impatience muée dans de l'agacement. Je plissai les yeux, me pinçai les  lèvres, commençais à tapoter le sol avec mon pied, légèrement en colère.

    Il ne venait pas.

    Il était beaucoup trop occupé à se bagarrer, à chercher des ennuis, à détruire tout sur son passage pour être là quand j'avais besoin de lui ! Lui, ce fauteur de troubles incorrigible ! Lui, ce garçon qui avait oublié de grandir, de mûrir, de devenir un peu plus mature ! Je serrai les dents, fermai les yeux, sentant la colère monter en moi tel un feu brûlant, un feu ardent, dévorant tout sur son passage. Engloutissant tout, sentiments et réflexions, les faisant disparaître dans ses flammes, les réduisant à néant, afin qu'il ne reste plus que moi, moi et cette colère idiote, moi et cette colère étouffante, moi et cette colère dégoûtante.

    À ce moment-là, je n'avais cherché qu'une chose : la vengeance. Et cette pensée négative avait  fini par détruire tout ce qu'il restait de mon savoir-faire, de ma patience, de ma compréhension.

    Laissant tomber la mission que je venais de choisir, je me dirigeai de nouveau vers le fameux tableau, me dirigeai de nouveau vers les nombreux emplois choisis. Je regardais, inspectais minutieusement chaque mission, plissant les yeux, faisant une mine insatisfaite alors que le temps passait et que ma colère retombait. Mais l'idée de la vengeance était toujours là, dans mon esprit, installée confortablement, me démangeant, me titillant alors que mon insatisfaction grandissait et que le temps passait. Finalement, je finis par en choisir une au hasard, arrachant presque sauvagement le papier avant de le poser brutalement sur le comptoir.

    - J'veux celle-là, dis-je brusquement en fixant Mira sans ciller.

    Elle fit une mine désapprobatrice, me regardant à travers ses cils noirs, me regardant avec ses pupilles bleues comme si elle tentait de sonder mon esprit, de le décortiquer pour déchiffrer mon comportement. Elle se pinça les lèvres comme pour s'empêcher de me couvrir de reproches, plissa les yeux pour s'empêcher de me fusiller du regard, mais ses mains qui saisirent la feuille me donnèrent un message clair et net : si tu fais ce que je pense que tu vas faire, sache que tu le regretteras.

    - O.K. Tu pars sans Natsu, n'est-ce pas?, demanda-t-elle en plissant encore une fois les yeux, m'examinant encore plus attentivement.

    Hochant la tête, je fis volte-face avant de l'entendre me dire que je ne devais pas faire ça, que partir sans lui serait une regrettable erreur, que j'allais perdre à mon propre jeu, que c'était dangereux, etc. Je savais tout ça. Mais j'en avais marre de voir Natsu me laisser tomber tous les jours, avant de resurgir de nulle part, avant de choisir une mission sans mon accord et de partir tout aussi vite, criant un bref '' Tu viensLucy ?''. Je me disais que c'était pour cette raison que je partais ainsi, sans prévenir. Je me disais que c'était par pur agacement, et parce que je voulais donner une bonne leçon à Natsu. Mais quelque part au fond de moi, une petite voix me disait que c'était pour quelque chose d'autre.

    Au fond, peut-être que j'en avais assez des regards que les gens me lançaient lorsque je sortais de la guilde, j'en avais marre de voir Natsu se positionner toujours devant moi lorsqu'un combat venait d'être engagé, me disant de rester en arrière, me disant d'aller me cacher. J'en avais marre de voir ce regard protecteur qu'il me lançait chaque fois que j'allais me battre, cette tension chez son visage, me montrant qu'il était prêt à intervenir en cas de besoin. J'en avais marre d'avoir l'impression d'être considérée comme une pauvre petite créature, d'être reléguée au second plan. Parce que je voyais dans son regard s'afficher le mot '' faible '' lorsqu'il me fixait. Parce qu'il me regardait avec une crainte, une inquiétude qui m'étouffait. Et parce que je voulais changer ça.

    Alors je partis ainsi, ce jour-là. On aurait pu qualifier ce départ d'un coup de tête, d'une bêtise, d'une erreur. On aurait pu me regarder avec des reproches. On aurait pu me traiter d'idiote, d'une écervelée. Mais personne ne dit rien. Personne ne leva les yeux lorsque je sortis de la guilde, poussant les portes doucement afin de passer imperceptiblement. Personne ne fit aucune remarque, personne ne me vit partir, tout simplement parce qu'ils étaient tous engagés dans un combat avec mon compagnon. Enfin, personne ne me vit partir ainsi, telle une voleuse, personne sauf un petit chat, un chaton dont le bleu se distinguait particulièrement dans tous ces tons gris et bruns, dont le regard innocent et le sourire amical aurait pu donner à n'importe qui l'envie d'en faire son ami.

   Je ne me rendis pas compte qu'on m'avait suivie, qu'on m'avait observée, qu'on m'avait examinée lorsque je me dirigeais d'un pas rapide vers la gare, ce jour-là. Je ne m'en rendis pas compte pour la simple et bonne raison que j'étais trop occupée à imaginer la tête de mes compagnons lorsqu'ils me verraient rentrer, lorsqu'ils me verraient revenir avec une mission réussie.

  Et dire que tout ça était arrivé que parce que j'avais une réaction stupide, un subit ressentiment suivi d'un imperceptible besoin d'avoir mon heure de gloire. C'est, finalement, mon orgueil qui m'avait poussée vers ma perte. Moi et mon incorrigible orgueil.

  « Un monstre étrange, une sorte de croisement entre un crocodile et un oiseau, a été aperçu en train de voler nos volatiles il y a plusieurs semaines. Cet épisode s'est reproduit de nombreuses fois, mais malheureusement pour nous, nous sommes toujours arrivés au dernier moment. Nous ne sommes pas des mages, donc nous sommes sans protection face à ce danger qui nous guette. Les poules et les canards commencent à se faire rares, donc nous craignons, en plus d'être fauchés, d'être attaqués par cette créature une fois qu'il n'y aura plus rien. S'il-vous-plaît, venez nous aider à chasser ce monstre.

  La récompense sera de 5000 yens- c'est tout ce que nous possédons, mais notre sécurité en vaut largement le prix. Elle sera accompagnée d'une pierre étrange, une pierre mystérieuse que nous avons trouvée dans une mine, il y a quelques années.

  Cordialement,

  Monsieur et madame Fujita, du village Strangethings. » 

   Je fronçai les sourcils : le but de cette quête était de chasser un monstre? Dégoûtée, je pliai la lettre et la mis dans la poche de ma jupe. Je n'avais jamais aimé les monstres, et ça ne risquait pas de s'améliorer. De plus, un croisement entre un crocodile et un oiseau... Qu'est-ce que c'était que ça ?

   Frissonnant, je frottai mes bras. Plissant le nez, je sentis une étrange odeur commencer à se répandre dans ma cabine. C'était une odeur qui me rappelait vaguement la mer, l'océan. Une odeur salée, qui me rendait nostalgique, me rappelant des souvenirs de moi en compagnie de Natsu. C'était une odeur que j'avais déjà sentie auparavant.

    C'était une odeur de sardine.

    -Happy, qu'est-ce que tu fais là ?, m'exclamai-je en me baissant, regardant sous ma banquette, plus qu'étonnée d'y découvrir un chaton bleu dévorant un poisson aux écailles argentées.

     -Je mange !

    -Oui, ça je vois, mais qu'est-ce que tu fais là... tout court ?

    -Je viens avec toi !

    -Comment ça ?!, m'écriai-je.

    -Ben, je n'allais quand même pas te laisser partir toute seule ! J'avais promis à Natsu de te protéger lorsqu'il n'est pas avec toi.

    -Attends une seconde... sors de là, j'ai mal au dos, à rester penchée comme ça, grimaçai-je en me redressant.

   Happy m'obéit, s'exécutant, sortant ainsi de sous la banquette sans lâcher cependant sa sardine pour une seule seconde.

    -Tu ne peux pas venir avec moi, fis-je.

    Le chat pencha légèrement la tête, me fixant de son regard sombre, m'examinant, essayant de comprendre ce que je venais de dire, de donner un sens à mes paroles. Il laissa tomber sa sardine avant de venir se poser sur mon épaule, me fixant d'un regard grave, un regard légèrement supérieur, un regard agaçant ; j'allais me  prendre une morale par un chat.

    -Lucy. J'ai. Promis. À. Natsu. De. Te. Protéger. Quand. Il. N'est. Pas. Avec. Toi., dit-il, prenant soin de bien détacher chaque syllabe en me fixant toujours, encore avec son regard improbable.

    -J'ai compris ! Je ne suis pas un enfant ! Mais tu ne peux pas venir avec moi, c'est MA mission !, m'énervai-je

    -Lucy... Lucy. On est une équipe, non? Alors de un : Ne pas dire à Natsu que tu pars n'est pas très sympa, et de deux : Tu n'as pas le choix. Je viens. Point barre, rétorqua le chaton avant d'aller reprendre sa sardine, un certain agacement se faisant entendre dans sa voix.

    Je soupirai, fixai Happy en faisant une moue boudeuse, cherchant quelque chose à dire, quelque chose d'utile qui ne témoignerait pas de mon immaturité. Je cherchais, encore et encore, toujours, sans pour autant trouver un argument digne de ce nom. Je ne trouvais pas de réplique, et restais donc ainsi, avec la pensée dérangeante qu'un chat avait eu le dernier mot dans cette conversation.

    Le soir tombait lorsque nous arrivâmes enfin devant la maison des Fujita, si maison était le bon nom que je devais employer pour désigner l'espèce de cabane faite en bois, dont les marches du perron me semblaient encore moins sûres que les quelques morceaux de bois pourri qui constituaient la clôture. Un pauvre ''Fujita'' était marqué en grand sur ce que devait être une très belle porte en métal autrefois, mais qui ne ressemblait désormais plus qu'à une mince plaque rouillée, rongée par le temps et par le mauvais temps, semblant à deux doigts de tomber, négligeant son poste.

   Une femme qui devait avoir une cinquantaine d'années au teint mate, aux rides profondes et aux petits yeux noirs perçants attendait dans le jardin, debout sur le gazon jaunâtre, vu qu'il n'y avait pas - ou plus - d'allée. Par la fenêtre de la maison, je voyais des murs peints en beige, un beige qui avait été sûrement une très jolie couleur à une certaine époque, mais qui n'était désormais plus qu'un fade ton d'orange pâle. Un vieil homme, ayant l'air d'avoir le même âge que la femme qui m'attendait patiemment, me fixait, lui aussi, adossé au bord de la fenêtre, se penchant légèrement, sans doute pour essayer de mieux discerner mes traits.

    Un sourire hésitant vint naître sur mes lèvres tandis que je poussais la petite porte de la clôture, la poussais en craignant qu'elle ne se casse lorsque je l'entendis grincer effroyablement dans le silence ambiant. J'entrai donc ainsi, marchant doucement sur l'herbe jaunâtre, sachant déjà que je ne repartirai pas avec l'argent de ces deux personnes. Je ne pouvais quand même pas les laisser dans la pauvreté absolue, les laisser périr ainsi dans cette cabane !

    -Bonjour, dis-je doucement.

    Un bref sourire vint éclairer le visage de la femme tandis qu'elle fit, le soulagement se faisant entendre dans sa voix :

    -Bonjour, mon enfant ! Je suis très contente de voir que quelqu'un ait enfin répondu à notre message !

    Même si le physique de la femme était assez  vieux, sa voix, elle, avait gardé les tonalités enjouées de la jeune femme qu'elle avait dû être il y avit vingt ans. Elle avait une voix aiguë, une voix qui semblait toujours se réjouir, une voix qui semblait témoigner de l'immense gentillesse de cette personne.

    -Alors, le monstre...il apparaît quand, habituellement ?, demandai-je, tirant nerveusement sur ma jupe.

    -Hé bien, il se trouve que vous êtes arrivés au bon moment ! Parce que le monstre...

    -Ayumi !, hurla une voix, interrompant soudainement la femme.

    Je tressaillis et échangeai un regard inquiet avec Happy.

    Notre interlocutrice soupira.

    -Hé bien, le monstre apparaît toujours à vingt heures! Donc, bon timing !

    -Ayumi !, s'impatienta celui qui devait être le mari de la femme.

    -J'arrive !, hurla-t-elle en retour avant de nous faire signer de la suivre. Venez !

    Ouvrant la porte de sa maison avec un tel empressement et brusquerie que j'en eus peur, pendant quelques instants, que cette dernière ne tombe, Ayumi nous dirigea vers l'arrière, essayant de courir tant bien que mal, trébuchant légèrement sur sa longue robe brune. Elle jura lorsque nous arrivâmes enfin dans la cour de sa maison, là où se tenaient un unique canard et un mari désorienté, qui gesticulait, criait, pestait.

     Lorsqu'il nous aperçut, le vieillard cria, impatient :

    -Qu'est-ce que vous faites encore là, vous deux Allez poursuivre ce monstre !

    Tressaillant, j'échangeai un autre regard avec Happy avant de courir dans la direction que nous indiquait l'homme, sautant par-dessus une clôture, courant ainsi, jusqu'à en perdre haleine, jusqu'à ce que mes jambes me fassent mal, que mes poumons me fassent souffrir et que mon cœur ne me torture avec ses incessants battements. Nous courûmes, et ce n'est que lorsque je me rendis compte du fait que j'aurais pu économiser du temps et de l'énergie en demandant à Happy de me porter que nous le vîmes enfin.

    Les Fujita avaient raison : le monstre qui se dressait devant nous était un croisement de crocodile et d'oiseau. Ayant une queue de plus de deux mètres qui aurait pu m'envoyer valser à n'importe quel instant, des écailles venaient décorer sa peau, formant ainsi un bouclier, comme si le fait qu'il soit déjà si grand au point qu'il me surpassait d'une tête-  et il se tenait sur quatre pattes, précisons-le -, avec des ailes poussant dans son dos n'était pas suffisant, il devait avoir une protection en plus, bien évidemment. Pestant, je tressaillis lorsqu'il fit volte-face et me fixa de ses yeux jaunes globuleux, une oie blanche, ou du moins les restes d'une oie blanche gisant sur le sol. Du sang couvrait son museau, tâchait le vert de ses écailles.

    Ce monstre était immonde. Je n'en avais jamais vu des pareils, et je ne souhaitais pas en voir d'autres.

    Laissant tomber son dîner, il se dirigea vers moi avec une lenteur suprême, étudiant mes moindres gestes, comme s'il se demandait quelle partie de mon corps il allait manger en premier. Je reculai, posant la main sur mon trousseau de clés, déglutissant. Le monstre siffla, faisant apparaître une langue fourche, semblable à celle d'un serpent.

     -Lucy, qu'est-ce que t'attends, invoque un esprit, vite !, brailla Happy, qui, ayant déjà fait apparaître des ailes dans son dos, volait à quelques mètres d'altitude de nous, trop effrayé pour descendre.

     -Je croyais que tu étais censé me protéger !, maugréai-je alors que je sortais une clé au hasard de mon trousseau.

     -Je te protège ! C'est juste que je ne veux pas être le prochain repas de ce... cette chose !

     J'ouvris la bouche pour rétorquer quand soudain, le monstre bondit dans ma direction. Retenant un cri, je laissai tomber la clé par terre avant de commencer à courir, sentant une force soudaine naître dans mes jambes. Le vent sifflait tandis que, les yeux fermés, je courais, trébuchant sur tout ce qui se trouvait sur mon passage. Je pestai lorsque je tombai, lorsque je me sentis chuter et que mon corps se retrouva allongé de tout son long sur la terre de façon pathétique. J'entendais le monstre grogner derrière moi, grogner d'une façon étrange, comme s'il jubilait, riait de ma situation misérable. Je l'imaginais en train de tourner autour de moi, me fixant à travers ses yeux jaunes, la langue pendante, sifflant. Je l'imaginais en train de songer à toutes les façons possibles de me tuer, et je commençais à penser à toutes les personnes que j'avais déçues dans ma vie, à toutes les personnes que j'avais trahies, à commencer par Natsu. Je fermai les yeux et sentis mon corps trembler. Je fermais les yeux, me préparant au coup qui viendrait, me préparant à la douleur que je devrai subir. Je fermais les yeux de peur, bien trop lâche pour regarder la situation en face, bien trop lâche pour faire quoi que ce soit d'autre. Je fermais les yeux et me contentais d'attendre, encore et encore, attendre toujours ce coup venir. Mais il ne vint pas. Il ne vint jamais. Parce que à ce moment-là, j'avais oublié un petit détail : le monstre ne s'était jamais attaqué aux Fujita. Il ne s'attaquait qu'à leurs oiseaux. Donc il ne mangeait que des oiseaux. Pas des humains. Et il se trouvait que mon compagnon avait des ailes, donc le monstre avait pu le prendre pour un volatile...

     J'ouvris les yeux, le cœur au bord des lèvres. Me levant avec peine, je me retournai, lentement, bien trop lentement, ayant peur de ce qui allait suivre, ayant peur de ce que j'allais voir. Je sentis mes jambes trembler, mon cœur s'arrêter, mon souffle se figer tandis que le sang vidait mon corps au fur et à mesure que je cherchais des yeux Happy. Je sentis mes doigts devenir glacés, figés, pétrifiés. Je cherchais encore et encore, sentant le désespoir me gagner tandis que les secondes passaient et que je ne voyais aucun signe du monstre ou de Happy. Aucun signe de vie. Rien. Nada.

     Soudain, un petit cri aigu se fit entendre, un petit cri transperçant mon cœur, un cri horrible, cauchemardesque. Reprenant vie, je me lançai en direction du bruit, recommençant à courir en cherchant une clé, en me rappelant comment respirer. Je courais encore lorsqu'un deuxième cri se fit entendre, courais encore en cherchant, paniquée,  bien trop paniquée pour voir quoi que ce soit. Un troisième cri survint alors. Je sentis des larmes de désespoir et de frustration face à mon impuissance apparaître dans mes yeux. Je sentis mes pieds trembler. Je me sentis trébucher, tomber encore une fois, avant de me relever et de recommencer à courir. Un quatrième cri, moins fort que les précédents résonna. N'y tenant plus, j'hurlais :

     - Happy !

     J'essuyai mes larmes. Je m'arrêtai de courir. Je criais, encore et encore cet unique nom, sans m'arrêter, je criais de rage, de frustration, de désespoir, de regret, de haine. Je criais, beuglais, hurlais.

     Qu'est-ce qui m'avait pris de faire ça ? Pourquoi étais-je partie ? Pourquoi étais-je si... bête ? Si stupide ? Si irréfléchie ? Pourquoi ? Pourquoi ?!

     Soudainement, j'entendis quelqu'un d'autre appeler, une personne que je ne connaissais que trop bien, une personne que je ne souhaitais pas voir. Sa voix était pleine de reproches. Sa voix était pleine d'inquiétude. Mais surtout, elle était haineuse, haineuse à mon égard, haineuse contre ce que j'avais fait, haineuse, incommensurablement haineuse.

     -Où est Happy ?!

     Je déglutis, me retournai pour le découvrir, le voir là, derrière moi, des flammes entourant son corps, un regard qu'il ne réservait qu'à ses adversaires posé sur moi, me jugeant ainsi, de ses prunelles vertes, me jugeant, encore, sans s'arrêter, des innombrables insultes qu'il m'adressait, des innombrables questions.

     -Je... Je ne sais pas..., murmurai-je.

     Il ne dit rien, ne me regarda plus.

     Il s'élança dans une direction, courut, criant le nom de son chat avec un désespoir aussi grand que ma culpabilité.

     Je m'empressai de le suivre en silence, le laissant me guider. Il était telle une torche vivante qui flambait dans cette obscurité, une torche ardente, dangereuse. Je sentais la colère qui émanait de lui, sentait sa rage, son impatience, son inquiétude. Sa haine. Je voyais tous ces sentiments brûler dans ses flammes, tous ces sentiments qui ravageaient son cœur. Qui ravageaient son âme.

    Et tout ça à cause de moi.

    Soudain, il hurla. Je le vis bondir en avant, criant, laissant ses sentiments ravager tout au passage, brûler, incendier les arbres autour de lui, réduire en cendres tout sur son passage, détruire, encore et encore, tout détruire de ses flammes orangées, de ses flammes qui se dressaient désormais autour de lui, formant une barrière qui le cachait, qui m'empêchait de le voir, de l'atteindre. Je ne pouvais que l'entendre, entendre ses hurlements qui me donnaient la chair de poule. Ses cris qui se mêlaient aux grognements du monstre, ses cris qui dominaient les grognements du monstre. Ses hurlements s'intensifièrent, devenant de plus en plus forts, de plus en plus menaçants. Il n'y avait désormais plus qu'eux, encombrant tout l'espace, avalant tous les autres bruits. Il n'y avait désormais plus que lui et ses flammes. Lui et sa colère ravageuse, sa colère qui ne pouvait pas être contenue. Lui et sa rage destructrice.

     Puis, tout à coup, tout s'arrêta : les flammes disparurent petit à petit, après avoir calciné les arbres ou toute autre végétation. Les hurlements disparurent, remplacés par un silence lourd, lourd de tout, de sous-entendus, lourd de reproches, lourd de menaces, lourd de ressentiments. Un silence qui avait fini par installer un gouffre entre moi et Natsu. Un silence qui ne semblait plus jamais quitter nos cœurs, quitter nos âmes. Un silence que je n'aimais pas.

      M'avançant doucement, j'entendis les morceaux de branches calcinées craquer sous mon poids, leurs craquements résonant dans ce qu'il restait de la colline. Tout était brûlé. Tout, sauf un petit endroit, un tout petit endroit, un cercle où les quelques fleurs épargnées semblait littéralement luire dans la noirceur du décor. Et sur ces fleurs blanches était étendu Happy, les yeux ouverts sur un ciel bercé d'étoiles. Il me semblait apercevoir un mince sourire sur son visage. Il semblait serein. Absent. Ne répondait pas aux appels de Natsu, comme s'il était ailleurs.

      -Happy ! Happy ! Réponds-moi, bon sang ! Tu ne peux pas me faire ça ! Tu m'entends ? Tu ne peux pas faire ça !, hurla Natsu, ayant pris le petit chat et le serrant dans ses bras.

       -Happy !, braillai-je en accourant à mon tour, des larmes dévalant mon visage, roulant sur ma peau tels des serpents d'eau que je ne pouvais contrôler.

       Ma vue était brouillée, brouillée par la culpabilité, encore cette culpabilité, toujours cette culpabilité muée en amertume. Je n'avais envie que d'une chose : disparaître sous terre, disparaître sans plus jamais réapparaître, disparaître pour tout oublier, oublier mes peines et mes douleurs, oublier Natsu et Happy, oublier cette journée horrible, oublier que tout ça était de ma faute. Je ne voulais que disparaître, afin de ne plus sentir cette culpabilité atroce qui ne cessait de me serrer la gorge, encore et encore, toujours aussi fort, sans me lâcher une seule seconde. Je me pinçai les lèvres mais ne pus empêcher un sanglot de les franchir, ne pus empêcher un tremblement de me secouer, ne pus empêcher mes bras d'aller chercher Happy. L'odeur rouillée de sang vint chatouiller mes narines lorsque mes doigts rencontrèrent la fourrure humide du chat.

       -NE LE TOUCHE PAS !, hurla Natsu en me repoussant de toutes ses forces, me faisant tomber sur les fesses, le souffle coupé.

       -Na... Natsu..., prononcèrent mes lèvres.

       Je ne comprenais pas, je ne comprenais pas ce qu'il était en train de se passer, ne comprenais pas les mots qu'il venait de me lancer. Je ne comprenais plus ce qu'il voulait dire, ne comprenais plus pourquoi il venait de me repousser avec autant de force. Ne comprenais plus pourquoi je ne pouvais toucher Happy.

       -VAS-T-EN ! JE NE VEUX PLUS JAMAIS TE REVOIR ! PLUS JAMAIS ! TU AS COMPRIS ?! TOUT ÇA EST TA FAUTE ! C'EST À CAUSE DE TOI ! J'AURAI VOULU QUE CE SOIT TOI ! TU M'ENTENDS ?! J'AURAI PRÉFÉRÉ QUE CE SOIT TOI QUI MEURES À SA PLACE !

       La colère discernait les traits de Natsu, la haine absolue, la rage. Il semblait à deux doigts de sauter  sur moi afin de m'étrangler, à deux doigts de me frapper. Il aurait pu le faire. Je l'aurai laissé faire. Mais il s'était contenté de me fusiller de ses yeux verts, ces yeux qui ne m'avaient jamais montré autant de ressentiment, ces yeux que je connaissais brillants de joie, d'éclat. Ces yeux qui n'étaient désormais plus qu'une mer agitée, une mer sombre qui absorbait toute lumière, une mer glaciale, une mer pleine d'ombres, une tempête destructrice, une tempête témoin de son cœur ravagé.

       Je ravalai un sanglot. Je retins mes larmes. Je baissai les yeux sur mes mains qui tremblaient. Je déglutis, essayant de comprendre les mots de Natsu. Et je me levai, partant ainsi, laissant derrière moi le corps sans vie d'un ami, un ami qui était mort par ma faute, un ami que j'avais assassiné.

       Ce jour-là j'avais perdu deux proches. Deux compagnons. Deux êtres que j'aimais plus que tout.

       Ce jour-là, j'avais tout perdu.

       C'était assez drôle de voir la guilde plongée dans un décor si sombre, si peu naturel. Un décor noir, un décor rempli de sentiments et ressentiments, un décor rempli de larmes et de cris, rempli de colère et de la mélancolie des souvenirs. Le silence régnait en maître, un silence sinistre, un silence insupportable, un silence que je détestais plus que tout. Ce silence avait fini par tout avaler, tout engloutir, tout détruire. Ce silence qui avait ravagé tous nos cœurs, nous mutilant, nous détruisant, nous anéantissant.

       Je marchais lentement, pas après pas, m'approchant du groupe de mages qui s'était assemblé autour d'un tout petit cercueil. Je marchais machinalement, doucement, un peu trop lentement, comme si j'avais peur, quelque part, de voir ce qui se trouvait dans ce cercueil. De voir qui s'y trouvait. Je marchais et voyais défiler devant moi les visages ravagés de larmes, les visages rongés par la douleur et la peine, les visages rouges, enflés, calmes, attristés de mes camarades. Je marchais et regardais, marchais et fixais, marchais et observais, concentrant toute mon attention sur les autres pour essayer d'oublier, ou de me persuader que tout ceci n'était pas réel. Parce que j'avais bien trop peur de l'affronter, celui qui se trouvait dans ce cercueil. J'avais bien trop peur de le regarder, bien trop peur que le tissu d'illusion et de mensonges que j'avais créé pour moi ne se rompe enfin, que j'ouvre les yeux et que je sois seule, définitivement seule, moi et ma culpabilité, moi et ma tristesse, moi et ma peine, moi et ma douleur. J'avais peur de souffrir. Peur de réaliser que j'avais tout perdu. Peur de revivre ce cauchemar que je croyais déjà vécu, ce cauchemar qui était survenu le jour où ma mère était morte en première, et celui où mon père était mort en deuxième.

       J'avais peur de tout ça, et pourtant, je continuais de marcher. Pas une seule seconde, je ne m'arrêtai. Pas une seule seconde, je ne ralentis. Les gens autour de moi se poussaient doucement, à contrecœur, en affichant pour certains cet air désolé si familier, un regard plein de reproches pour d'autres. Ils me laissaient passer, me laissant m'enfoncer encore et encore dans ce désespoir soudain que je sentais naître en moi. Ils me laissaient chuter, tomber, m'effondrer avec un certain plaisir, une certaine satisfaction. Ils me laissaient faire en me regardant, me fixant en attendant impatiemment le moment où je finirais par me détruire complètement, le moment où je finirais enfin par baisser les bras.

       J'étais enfin devant lui. Couvert d'un drap pour masquer les dégâts, on n'apercevait que la tête, ses yeux fermés sur ce monde qu'il avait quitté, ces yeux qui ne s'ouvriraient plus jamais. Un mince sourire affichait son museau, un sourire innocent, un sourire pur.

       Un sourire qui me faisait incroyablement souffrir.

      - Happy... murmurai-je.

      - Le plus triste, dans cette histoire, c'est que tout le monde avait eu raison à propos de moi. Je suis tellement faible, je n'ai rien pu faire, à part rester là et regarder Happy se faire tuer...  chuchotas-je.

      Deux semaines étaient passées depuis que Happy était mort. Deux semaines, quatorze jours, quatorze longues journées pendant lesquelles j'avais fini par apprendre à vivre avec ma culpabilité, pendant lesquelles je m'étais habituée à vivre avec les regards haineux que Natsu me lançait chaque fois que j'entrais dans la guilde, chaque fois que j'allais prendre une mission. J'avais appris à vivre avec son refus total de me parler, avec le fait qu'il m'ignore complètement et qu'il parte chaque fois que je m'approchais de lui. Notre équipe s'était dissoute. Nous n'étions plus jamais ensemble. Nous ne nous adressions plus la parole. C'était à peine si nous nous regardâmes normalement.

      -Ce qui est arrivé à Happy n'est absolument pas de ta faute, Lucy, rétorqua Mirajane derrière son comptoir.

      Elle prononça ces mots sans me regarder, préférant fixer le verre qu'elle essuyait déjà pour la cinquième fois.

      -Si tu le dis, rétorquai-je, descendant de mon tabouret habituel pour aller prendre une mission.

      Arrivée à mi-parcours, je me figeai.

      Natsu se tenait là, le dos droit, les muscles raides. Sentant mon regard posé sur lui, il fit volte-face et braqua sur moi ses yeux verts. Retenant une grimace de dégoût, il arracha une mission du tableau et partit, s'empressant de s'éloigner le plus possible de moi, comme si le fait même de respirer le même oxygène que moi allait le rendre malade. Il rejoignit Gray, Erza et Jubia, fit une blague tout en leur montrant la mission. Je l'entendis crier un ''Yosh !'' avant qu'il n'ouvre les portes de la guilde et qu'il ne sorte le premier, pressé de s'éloigner encore plus de moi. Erza, Gray et Jubia s'empressèrent de le suivre, de passer à côté de moi sans pour autant me dire quoi que ce soit, comme si mon existence ne valait plus rien.

      Que dis-je ? Mon existence ne valait plus rien à leurs yeux.

      Et c'était tout ce que je méritais. Car après tout, j'avais assassiné Happy.

      En soupirant, j'allai choisir une mission à mon tour. Arrachant la page, je m'empressai de la montrer à Mira avant de partir à mon tour, sortir par les mêmes portes que mes camarades, m'enfuir, prendre mes jambes à mon cou. Quitter le plus possible cette guilde remplie de regards braqués sur moi, de regards qui ne changeraient plus jamais.

      C'est ainsi que je passais la plupart de mes journées : le matin, je buvais mon thé, assise confortablement sur mon tabouret habituel, j'échangeais deux ou trois mots avec Mira avant de partir avec une mission. Je revenais le soir et m'asseyais à la même table que Cana, buvant avec elle tout l'alcool qui me tombait sous la main, buvais jusqu'à ce que je juge qu'il soit temps de partir. Tant bien que mal, j'arrivais à mon appartement- et c'était un vrai miracle !-  et j'allais me coucher, pour ensuite me réveiller avec un mal de tête horrible. Mais malgré le fait que l'ivresse me donne une terrible gueule de bois le lendemain, je n'arrivais pas à arrêter.

     Parce que le plus, avec l'alcool, c'était que pendant quelques merveilleuses heures, j'arrivais enfin à oublier tout, j'arrivais à perdre toute notion de la réalité. Je ne souffrais plus. Mon cœur ne se déchirait plus. Mes sentiments ne me détruisaient plus. J'étais au paradis, un paradis où la douleur, la peine, la tristesse, le deuil n'existent pas. Et c'était tout ce que je voulais.

      Même si pour ça j'avais un terrible mal de tête et que je ne me souvenais que vaguement de ce que j'avais fait la veille.

      Cependant, un soir, Cana était partie avec son père pour une mission, emportant avec elle la bière et tout l'alcool que je voulais. Bien sûr, j'aurais pu demander à Mirajane de me donner un peu de vin ou quelque chose, mais je ne voulais pas la regarder me fixer avec son regard bleu, ce regard si lourd, bien trop lourd pour moi.

      Mais je ne voulais pas rester à la guilde toute seule, n'ayant pas le courage suffisant pour aller voir mes anciens camarades. Je ne voulais pas rester là à les regarder s'amuser. Je ne voulais pas voir Natsu me jeter des coups d'œil pleins de reproches. Je ne pouvais pas le supporter. Donc je suis sortie errer, errer dans cette grande ville, marcher suffisamment longtemps pour voir jusqu'où mes jambes pouvaient me porter. Marcher aussi loin que possible, marcher sans réfléchir, marcher tout simplement.

      Sortant de la guilde, j'empruntais le chemin qui menait vers chez moi, marchant sur le bord du la rivière. Rapidement, j'arrivais chez moi. J'hésitais, mais finis par continuer, par passer mon chemin. Je ne voulais pas rentrer. Je ne voulais plus voir cet appartement aux joyeux tons roses, aux allures chaleureuses, un appartement porteur de souvenirs, des souvenirs dont je ne voulais pas. Je continuais donc ma promenade, continuais de marcher, encore et encore, marcher toujours le long de ce canal, songeant à tout et à rien, regardant l'eau du canal devenir dorée avant de s'assombrir, empruntant, volant les couleurs peintes sur le ciel couchant. ''Que c'est beau'', songeai-je avant de finalement m'arrêter. Un pont se dressait devant moi, un pont de pierre, construit seulement pour les charrettes.  Décidant d'observer le spectacle que m'offrait le couchant, j'allais donc m'installer, j'allais donc m'asseoir par terre, sur le pavé froid, sur le bord du pont, mes jambes pendant dans le vide.

    Je fixais l'eau. La regardais, l'observais. Belle et dangereuse, elle semblait m'appeler. Baissant les yeux, je fus estomaquée de découvrir à quel point j'étais haut. Tremblant légèrement, je me dis que si je tombais de là, je mourrais sûrement.

    Je reculais. Puis je m'avançais. Étrangement, je me demandais ce que les autres penseraient si je disparaissais ainsi. Je me demandais ce que ça changerait, ma disparition, dans leur vie. À qui manquerais-je ?  Mes parents étaient morts, Happy était mort, et c'est à peine si le reste de la guilde me parlait encore. Le matin, j'allais en mission, et le soir je buvais jusqu'à en devenir ivre. Je ne savais même plus par quel miracle j'arrivais chez moi. Mais je savais qu'un jour où l'autre, je finirai par me tuer toute seule, d'une façon ou d'une autre. Je finirai par mourir, agressée dans un coin de rue. Ou alors, je finirai par glisser et tomber dans cette même rivière. Alors qu'est-ce que ça changerait, si je sautais maintenant? Au moins, au moment de ma mort, je serai lucide... Et puis, de toute façon, ma vie était devenue misérable.

    Je finis par soupirer. Et puis, je me relevai et enjambai les barres en métal pour me retrouver sur le bord du pont, assise sur elles. Un frisson d'angoisse me traversa alors que je détachai le trousseau de clés de ma ceinture. Je tremblai, mes mains tremblaient, mes pieds tremblaient. Je frissonnais. Murmurant un '' je suis désolée et merci pour tout ce que vous avez fait pour moi'', je descendis, posai les pieds sur la roche et me penchai, fixant l'eau désormais bleue/verte. Je sentais un pincement au cœur tandis que je songeais à toutes les choses que je n'avais pas réussies dans la vie, je sentais un pincement de tristesse et de regret alors que je continuais de me pencher, une main se détachant de la barre. Je fixais l'eau, et me disais que si je mourais, cela ne changerait rien dans la vie de toutes ces personnes qui avaient croisé mon chemin. Si je mourais, cela ne bouleverserait absolument personne. Peut-être qu'ils verseraient une larme ou deux, mais une vie aussi misérable que la mienne ne valait pas la peine d'être vécue. Alors je détachai l'autre main et sentis mon corps perdre de l'équilibre, perdre contre la gravité qui m'attirait encore et encore vers le bas, perdre tout. Je sentais mon cœur battre rapidement tandis que je fixais d'un air horrifié l'eau. Je déglutis, fermai les yeux et m'apprêtai à sentir le choc de l'eau contre ma peau, m'apprêtai à sentir l'air quitter mes poumons tandis que l'eau froide ralentirait mes gestes, mes battements de bras qui tenteraient désespérément de me faire revenir à la surface. Je m'apprêtais à tout ça. Je m'apprêtais à mourir. 

     Je me sentais donc tomber. Un cri se fit entendre, un cri ahurissant, un cri étourdissant. Un cri que je croyais provenir de mes lèvres entrouvertes, un cri qui devait provenir du fond de mon cœur désorienté et de mes poumons alertés. Un cri qui me faisait mal aux oreilles, un cri insupportable, un cri que je ne reconnaissais pas. Et tandis que j'hurlais pour mon échec, tandis que j'hurlais jusqu'à en avoir mal aux oreilles et à la gorge, tandis que je tombais ainsi, tel un oiseau ayant perdu ses ailes, je songeais à un fait, une pensée aussi nette que dure ayant surgi dans mon esprit : Je ne veux pas mourir.

     Il était un peu tard pour m'en rendre compte. Il était un peu tard de regretter mes actions irréfléchies, un peu tard de me dire que je ne voulais, en fin de compte, pas sauter. Parce qu'il n'y aurait pas de seconde chance. Pas pour moi. Je n'en avais pas le droit, et je n'en aurai jamais le droit. Alors tout ce que je pouvais faire pour l'instant était crier, hurler mon désespoir et ma rage, hurler ma frustration, ma colère face à ma stupidité, face à mon impuissance. Je ne pouvais que frapper l'air des bras, battre dans l'air comme pour chercher quelque chose à quoi m'accrocher, quelque chose à quoi me tenir, quelque chose qui saurait me sauver la vie.

      Mais il n'y avait rien. 

      Et bientôt, la fin de la chute sonna...

      Et l'heure du choc arriva... 

      Accompagnée du noir absolu et de la solitude éternelle. 

       Le silence.

       Tout n'était que silence là-bas. Silence et solitude, silence accompagné du désert total. Aucun sentiment, aucune sensation n'était ressenti là-bas. Je ne voyais rien, rien à part la blancheur absolue, rien à part quelques souvenirs perdus.

        Pourtant, derrière ce silence, je parvenais à discerner quelques voix. Derrière ce voile blanc, je parvenais à apercevoir les traits confus d'un garçon, un garçon à la crinière rose et aux yeux verts. Je ne savais pas qui il était, ni ce qu'il voulait; mais il me semblait l'entendre me supplier. Me supplier pour quoi ?

         Mystère.

         Je posai les yeux sur un autre de ces souvenirs confus, un autre de ces souvenirs perdus. Il me semblait voir un sourire, il me semblait entendre encore la voix du garçon. Un vague sentiment de douleur m'envahit lorsque je vis un chat bleu avec des ailes. 

         J'arrivais à voir toutes ces choses, mais je ne comprenais pas. Je ne saisissais pas. Je ne voyais pas pourquoi elles étaient là. Et chaque fois que je fermais les yeux pour mieux me concentrer, un mal de tête subi et affreux s'en prenait à moi. Chaque fois que je tendais la main comme pour attraper un de ces souvenirs, il s'évaporait aussitôt, me narguant ainsi. 

         Je me demandais ce que signifiait tout ceci, me demandais pourquoi il n'y avait que moi, dans ce champ blanc. Pourquoi j'étais seule. Seule avec ces bribes de conversations. Seule avec le vide total.

         Mais je n'arrivais toujours pas à comprendre.

          Alors je me contentais d'errer ainsi, de marcher tranquillement sans me soucier de savoir où j'allais. Je me contentais de marcher, encore et encore, sans réfléchir. 

          J'étais bien, là. C'était agréable, de ne rien sentir. Agréable. Oui, confortable de ne plus avoir à me souvenir. J'étais arrivée à me réfugier dans les bras de l'oubli, dans les bras de l'insouciance. Je n'avais à m'inquiéter de rien. Tout ce que je devais faire, c'était marcher. Encore et encore. Indéfiniment. Inlassablement. Laisser le temps me filer entre les doigts parce que je ne pouvais pas l'arrêter.

         Oui, j'étais vraiment bien. J'étais en paix

         Et c'était tout ce que je voulais.

        Et pourtant, je n'étais pas censée rester là encore longtemps

         J'ouvris brusquement les yeux.

         Un plafond blanc s'offrait à moi. 

         Les couinements d'une machine se faisaient entendre tout près de moi.

         -Lucy?! TU ES RÉVEILLÉE!!!!!, hurla une voix.

           Je grimaçai. 

           Mal. J'avais mal. Mal à la tête, mal aux pieds, mal aux bras. Mal au ventre. Chaque muscle de mon corps tressaillit.  Ma peau me faisait horriblement souffrir, mais ce n'était rien comparé à la torture que m'offrait ma tête. On aurait dit que quelqu'un s'amusait à frapper dessus avec un joli marteau en métal. J'essayai pourtant de me redresser tant bien que mal, évitant de justesse à un autre petit cri franchir la bordure de mes lèvres. 

          Devant moi se tenait un garçon à la chevelure rose et aux yeux verts. Il me souriait. Il devait me connaître.

          Et pourtant, moi, je ne me souvenais pas de lui.

         -Luce ! Tu sais que tu es restée dans le coma pendant un mois ? UN MOIS, tu t'imagines ?!, s'écria-t-il encore.

          Sa voix me faisait mal aux oreilles.

          J'ouvris la bouche. Elle était pâteuse. 

         -Qui...Qui es-tu ?, finis-je par articuler faiblement, laissant tomber ma tête contre l'oreiller.

-TO BE CONTINUED-

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