CHAPITRE 2, partie 3 - Prise au piège


      Les rues sont sombres et calmes, comme chaque nuit. Je me permets de marcher sur la route, là où passaient encore des il y a quelques années, jusqu'à ce qu'on se rende compte que les installations modernes n'avaient pas leur place dans des rues sans aucun charme, là où s'élèvent de vieilles bâtisses grises par millier, là ou vivent des gens rarement propres qui salissent les banquettes blanches des bulles de verre.

Je resserre mon sac contre mon épaule, tanguant de fatigue. Je ne vois personne. Il n'y a jamais personne ici, et si jamais je rencontrais un problème, personne n'oserait ouvrir ses volets, ni venir à mon secours. Les gens sont comme ça, ici : indépendants, personnels, et surtout très craintifs. Au début, cela me faisait peur de savoir qu'en partant travailler, je pouvais disparaitre sans que personne ne parte à ma recherche. Mais les histoires de kidnapping, de vol, de viol, de meurtre, ne sont que des mythes. Si des personnes pourraient trouver intéressant de se sortir de leur mauvaise condition social en pratiquant n'importe quel trafic, la peur d'être attrapé par une des centaines de milliers d'androïdes qui se déplacent discrètement dans les airs le ferait changer d'avis. Ces robots sont invincibles, rapides. Ils ne réfléchissent pas. Ils tirent.

Nous perdons de notre liberté en étant ainsi surveillés, mais c'est le prix à payer pour être sur de rester en vie. Et si par malheur j'entendais ce grincement qui retentit lorsqu'un robot s'éteint, je n'aurais qu'à courir quelques mètres plus loi, là où une autre machine serait là pour veiller sur ma vie.

Je baille. En rouvrant les yeux, je ne vois plus rien. Les derniers spots se sont éteints, sûrement parce que le cœur de la ville nécessite l'activation de quelques panneaux publicitaires en plus. Je sors ma lampe, celle que je laisse recharger à la lumière du Soleil pendant mes journées de travail, et je continue à avancer, tranquillement, vers mon cube, mon chez-moi, qui a poussé clandestinement au-dessus d'un de ces immeubles qui se cachent derrière l'obscurité de la nuit. Il y a quelques années, j'ai creusé un petit C sur le mur de la façade de mon bâtiment pour ne plus me tromper d'habitation. Mais malgré cela, je sais que je vais encore perdre du temps à chercher un immeuble parmi toutes ses copies identiques. Peut-être suis-je déjà passé devant, mais mon instinct me dis que j'ai encore du chemin à parcourir.

Je continue ma route, gardant péniblement les yeux ouverts en fixant le halo de lumière qui se forme autour de la lampe. Et j'entends un petit cri animal venir d'un croisement. Je ne m'y intéresse pas plus qu'à mon habitude, jusqu'à ce que le gémissement se fasse de plus en plus fort.

Je me maudis déjà d'avoir fait demi-tour, et je fais quelques petits pas craintifs, avançant vers cette chose. Ce doit simplement être un rat agonisant ou un clébard abandonné... enfin, seulement dans le meilleur des cas. Je sens mon souffle s'accélérer, et j'ai peur d'attirer quelqu'un de mal intentionné en respirant si fort. Mais j'avance toujours, devinant rapidement que ces bruits ne peuvent que sortir de la bouche d'un humain. Cette personne est juste derrière ce mur... et si elle était blessée? Je ne pourrais rien faire pour elle, à part tenter d'arrêter son agresseur en revenant dans le passé.

Je passe timidement ma tête derrière le mur, et je ne bouge plus. Elle pleure... Accroupie... Mon Dieu... Ce n'est qu'une enfant. Je me précipite vers elle et l'accroupie devant ses petits genoux repliés, hésitant à la prendre par la main.

 - Pourquoi pleures-tu?

Je me racle la gorge, étonnée par le son de ma voix, comme à chaque fois que je me surprends à parler calmement, sans rage.

Elle ne répond pas, continuant à pleurer à chaudes larmes, le visage camouflé entre son épaisse chevelure noire qui recouvre ses épaules, ses bras, presque ses pieds. Elle renifle et relève sa tête, me laissant apercevoir son front métisse, à la peau métissée, ou plutôt obscurcie par le manque de lumière. Je n'ai jamais eu affaire à une telle situation... Je n'ai d'ailleurs jamais osé parler, et me voilà devant une pauvre petite dont l'état m'émut.

 - Dis-moi ce qu'il t'arrive... je pourrai t'aider.

La petite pleure plus fort. Je lève mes mains vers ses épaules mais les rabaisse brusquement.

 - Tu ne la reconnais pas?

Je sursaute, regardant derrière moi. "Qui a parlé?", je pense, avant de le crier tout haut à plusieurs reprises. C'était la voix d'une femme, une voix douce, grave, ensorcelante, celle d'un fantôme qui se cache dans l'ombre, et dont j'entends les pas légers. De quoi dois-je avoir le plus peur, de cette femme ou de ses paroles? Qui est cette enfant... je ne l'ai jamais rencontrée, j'en suis certaine.
Mon regard ne peu- se détacher d'elle. Elle continue à pleurer, plus fort.

 - Qui es-tu? Je demande d'une voix tremblante.

Soudain, la petite fille relève la tête. Un fin rayon de lumière vient faire briller son regard, ses cernes rouges, et ses lèvres en cœur... Je... je la reconnais... C'est impossible. Cette fille, c'était moi. Moi avec ma robe cousue par ma mère. C'était moi le soir de l'accident, et je pleurais toutes les larmes de mon corps, dans le coin d'une ruelle sombre, sans que personne ne vienne me voir...

Le fantôme est à présent juste à coté de moi, enveloppé dans un manteau aussi noir que cet endroit. Je voudrais la regarder, cette femme mystérieuse dont j'aperçois les bottes, mais je ne peux détacher mon regard de cette petite fille. Je m'appelle, elle regarde en l'air, et alors que je jette mes mains contre ses bras, mes doigts la traversent, comme une image virtuelle qui se reflète maintenant sur ma peau. Je frisonne. Qui est assez cruel pour me rappeler mon passé, cette horrible journée dont les années avaient peu à peu pu atténuer la souffrance.

 - Pourquoi faites-vous cela! je pleure.

La femme ne répond pas, et se met à genoux, plantant son regard dans le mien, me forçant à voir ses yeux d'un noir profond.

 - Parce que cette fille que vous voyez est la seule à pouvoir nous aider... Et nous sommes venues la chercher.

Je ne comprends rien. Personne ne m'a jamais parlé avec tant de compassion, surtout en gardant un regard si sérieux.

 - Nous savons qui vous êtes... Et nous avons besoin de vous, Circée.

 - Qui ça, nous? je pleurniche.

 - Tous ceux qui agissent pour rendre ce monde meilleur.

Un "monde meilleur"... Je n'ai jamais vu la couleur de son "monde meilleur". Je n'ai jamais rien vu d'autre que le désespoir de notre époque, la fatalité, l'inégalité. Et elle ose venir jusque-là, avec un hologramme, pour me parler d'une utopie?

 - Mais bordel, qu'est-ce que vous racontez! Vous ne me connaissez pas! Vous ne savez pas ce que j'ai vécu! Et votre putain de monde meilleur n'existe pas!

Elle attend que je me calme, avant de répondre avec un sang froid remarquable et inquiétant :

 - Vous m'avez mal entendue. Nous savons qui vous êtes. Et je ne serais pas là si nous avions une autre solution que vous. Nous avons besoin de vos pouvoirs pour sauver l'huma...

 - C'est hors de question! Je n'aiderais personne, et encore moins ceux qui nous font croire que tout est normal dans ce merdier que vous appelez "monde meilleur".

J'en ai marre de tous ces mensonges. Que veulent-ils de moi? Ils me montrent ça, cette petite fille qui pleure, insinuant connaitre toute ma vie à travers une unique vidéo de surveillance. Ils veulent juste me foutre en laboratoire, ou peut-être même que cette femme a été envoyé par mon chef pour plus facilement me virer en m'envoyant à l'asile. Mais quand elle me parle de pouvoir, une peur fait trembler mon être. J'ai moi-même avoué ce pouvoir en refusant. Et, d'un calme surprenant, elle ne réplique pas. Elle n'enregistre rien de mes paroles, seule, à mon écoute et sûre d'elle.

Et, alors que je pourrais retomber dans son piège, je me rappelle de cette mission qu'elle me donne. "Sauver l'humanité".... "Sauver l'humanité"... Quand même! Qui serait assez bête pour croire en son beau discours? Je me lève brusquement, essuyant mes larmes avec le revers de ma manche. Et je m'éloigne d'un pas lourd, suffocante.

 - Qu'allez-vous faire, Circée? Vous n'avez plus de travail... on vous propose de sauver me monde, et vous aurez tout ce que vous voudrez, absolument tout! Crie-t-elle d'un air désespéré.

Elle ne bouge pas, et je continue à marcher sans me retourner, serrant fort contre moi mon sac à dos que je ne sentais presque plus. Je tends alors l'oreille pour écouter ses derniers mots. 

 - Croyez-vous en la destinée?

Je m'arrête à ses mots, réfléchissant, regardant le sol pour y trouver mon inspiration.

 - Non, je mens.

 - C'est étonnant... je suis sure que vous y croyez... Pour quelqu'un qui a cessé de revenir en arrière pour sauver ses parents, vous devez forcement avoir fini par y croire.

Une larme vient de couler sur la commissure de mes lèvres. Elle ne mentait pas en disant qu'elle me connaissait... Personne ne m'a jamais donné tant de considération, et cela me fait peur.

 - Ne me prenez pas par les sentiments! Je gueule en me retournant.

Et je sursaute, voyant cette femme, plus grande que moi, à un souffle de moi.

 - Je tente simplement de vous faire raisonner, car que vous le vouliez ou non, vous serez forcée à nous suivre. Votre pouvoir n'est pas tombé du ciel, et vous avez le devoir de vous en servir pour le bien de tous.

 - Je l'ai déjà fait...

 - Non, me coupe-t-elle, vous n'avez rien fait, vous avez simplement tenté, et vous avez abandonné. Mais vous ne pouvez pas abandonner toutes ces personnes, les laisser crever, sous prétexte que vous n'avez pas su faire les bons choix auparavant. Nous vous avons connu plus courageuse que ça, Circée, et vous devez nous suivre, et vous montrez aussi forte que vous avez pu l'être. J'ai confiance en vous. Nous avons confiance en vous... C'est votre destinée.

Ses mots me touchent au plus profond de mon être... Je reste muette devant elle... Je pourrais dire que le devoir m'appelle, accepter immédiatement, mais il faut savoir admettre la vérité.

 - Madame... Vous connaissez peut-être ma vie, mais vous ne savez pas qui je suis. Je n'ai jamais été aussi forte que vous le pensé, et quoique vous me demandiez de faire, même avec l'aide de milliers de personne, je n'y parviendrais jamais. Vous ne vous adressez pas à la bonne personne... je ne mérite pas votre confiance.

Je me retourne, fuyant son regard. J'abandonne tout le monde, je le sais... Mais je ne pourrais de toute manière pas le sauver. Autant ne pas leur faire perdre du temps. Ils devront trouver une autre solution, et la seule chose que je leur souhaite, c'est de la trouver vite, et sans moi.

Surprise, j'entends la femme parler de nouveau, d'une voix triste.

 - Je suis désolée...

Soudain, je sens une douleur froide paralyser mon dos. Je me retourne difficilement, et aperçois, terrifiée, la femme, avait une arme plantée vers moi entre ses fines mains. Ma tête se met à tourner... Mais qu'est-ce qu'on me fait? Qu'est-ce qu'on me veux? Il faut que je parte... que je fuis loin d'ici, là où personne n'essayera de nouveau d'avoir son emprise sur moi.

Je tente de me téléporter. Une lumière blanche jaillie lentement de mes mains, m'épuisant, comme à chaque fois que je me force à partir. Je sens mon corps me lâcher, ma force disparaitre.

 - Ne faites pas cela, Circée. Quoi qu'il arrive, nous vous retrouverons. Vous savez mieux que moi que vous ne nous échapperez pas.

Ses menaces ne valent rien... Je me force à épuiser mon énergie, à penser à cette fichue île Océanique où cette femme en noir ne viendrait pas me trouver. Et je sens une nouvelle douleur dans le creux de mon épaule. Je regarde mon bras, et vois une fléchette rouge, plantée dans ma peau. Mes yeux se mirent vers cette femme. Son arme fume toujours. Je m'écrase de tout mon poids sur le sol, sans pouvoir bouger un seul de mes membres, sans même sentir le mal de cette flèche qui s'enfonce un peu plus dans mon dos.

Quatre larges mains viennent me soulever et me jettent brutalement dans un véhicule étroit que je n'ai même pas entendu arriver. Je ne sens plus la banquette sous moi, ma vue se trouble.

- Vous me remercierez plus tard, chuchote joyeusement la femme.

Je n'entends que quelques souffles sortir de ses lèvres, mais mes sens me quittent. Bordel, où est-ce qu'on m'emmène? Je voudrais insulter cette ensorceleuse avec toutes les insultes que j'ai apprises, mais mes lèvres ne répondent plus à mes ordres. Je ne parviens plus à réfléchir sans ressentir une vive douleur dans mon crâne. C'est atroce. Le temps passe, sans que je ne sache où je suis, plongée dans un long rêve alors que je reste éveillée. Ma vie perd son sens. On a réussi à me prendre sans que je n'aie pu me sortir d'affaire... Et on me demande maintenant de sauver le monde contre mon gré. Et, alors que mes sens se manifestent de nouveau, laissant un courant d'air frais caresser mon cou, mon esprit me lâche, mon espoir succombe, et je m'endors.

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Bonsoir,

N'hésitez pas à me donner votre avis sur ce chapitre ;-) J'y apporterai une correction mercredi, car je vais avoir un emploi du temps assez chargé en début de semaine.

Bonne soirée!

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