La nuit dernière, j'ai rêvé de vagues. Des vagues immenses qui venaient s'écraser sur la plage, sans jamais s'arrêter. Pourtant le soleil s'était couché, et il n'y avait plus que la lune pour éclairer l'eau. J'ai rêvé que je me jetais dans la mer, et que je nageais jusqu'à elle, cette petite lumière ronde lointaine. Mais je ne pouvais pas l'atteindre. Alors j'ai voulu regagner la rive, mais je ne savais plus d'où je venais, car j'avais nagé si loin que je ne voyais plus la terre. Il ne restait plus que la lune.
"- Lucie ? Tu m'écoutes ?
- Quoi ?"
Elle venait de toute évidence de donner raison à sa mère, puisqu'elle la fixait avec un air réprobateur, et que son père riait silencieusement.
"- Je te disais qu'on sort ce soir, on a réservé un restau sur le port, et on pense que tu pourrais en profiter pour faire un tour à l'animation du camping de ce soir."
Elle leva les yeux au ciel, ce qui n'a fait que l'agacer encore plus, et elle se dit qu'elle avait intérêt de faire un effort si elle ne voulait pas qu'ils abandonnent l'idée de lui offrir un nouveau téléphone pour son anniversaire prochain.
"- C'est quoi l'animation de ce soir ?
- Un karaoké !
- Sérieux maman...
- Tu passes tes journées enfermée ici, je vois pas l'intérêt de t'emmener en vacances à l'autre bout de la France si c'est pour que tu te comportes comme ça.
- Ok ok j'irais c'est bon."
Elle avait l'air satisfaite de sa réponse, et la jeune fille ne pouvait pas vraiment lui donner tort. Cinq jours que la petite famille était arrivée ici et qu'elle n'était sortie que pour les accompagner à la plage une ou deux fois. Le reste du temps, elle était plongée dans des séries ou des films, dans la pénombre rassurante de sa chambre. Et elle allait devoir l'abandonner pour ce soir visiblement. Super. Ses parents passèrent donc le reste du repas à lui donner des idées de sortie, pour "profiter des derniers jours", tandis qu'elle fixait son assiette, et remuait sa purée. Elle pourrait presque ressembler à des vagues.
La table débarrassée, la vaisselle faite et ses parents partis, elle hésita un instant. Ils ne sauraient jamais si elle faisait croire qu'elle était bien sortie, pas vrai ? Elle se ravisa vite cependant, s'il y a bien une chose qu'elle n'aimait pas c'était mentir, autant y aller, ne serait-ce que quinze minutes.
Le karaoké avait lieu sur la place centrale du camping, près du bar où toutes les places étaient déjà occupées par des personnes âgées et des enfants. Sur scène, une femme d'une quarantaine d'année était en train de chanter du Céline Dion, et elle ne s'y connaissait pas grand chose en musique mais elle avait la nette impression qu'il n'y avait pas une seule bonne note. Arrête de râler Lucie, amuse toi un peu. La tête appuyée contre le mur derrière elle et les yeux fermés, elle se mit à chantonner avec elle, après tout, ça passerait plus vite si elle y mettait du sien. Avec tout ce bruit, elle n'avait pas entendu la personne arriver près d'elle, et c'est en réouvrant les yeux qu'elle le découvrit et sursauta : il était figé, juste devant elle, avec un air inquisiteur et suspect :
"- Ah, t'es réveillée, je me demandais si tu t'étais genre, endormie debout. Bon, tes lèvres remuaient donc c'était bizarre mais quand même."
Elle ne savait pas vraiment quoi dire, partagée entre la surprise et l'incompréhension, et se contenta de le fixer jusqu'à ce qu'il ne prenne la parole de nouveau :
"- Ou peut-être que tu chantais pas, vu que t'as l'air muette. J'espère que t'es pas sourde parce que je dois connaitre quatre mots en langue des signes et ça va rendre la discussion super compliquée.
- Je peux t'aider ?"
Reprenant ses esprits, elle répondit la seule chose qui lui paraissait logique, mais ça ne devait pas l'être pour lui puisqu'il éclata de rire :
"- Tu n'es pas muette alors ! Quel plaisir ! Franchement, t'es la première personne de plus de 10 ans et de moins de 30 ans que je croise, c'est un réel soulagement. Alex."
Cela devait être son prénom puisqu'il lui tendit la main, et elle mit quelque secondes de trop avant de comprendre ce qu'il attendait d'elle et la prendre :
"- Lu-Lucie.
- Tu es timide ? Ou c'est à cause de moi ? Hé, je veux pas t'intimider ou te faire peur hein, ni t'harceler et tout le bazar. C'est juste que je m'ennuie. Et t'avais l'air de t'ennuyer aussi."
Elle se détendit un peu. Il est vrai qu'elle avait l'habitude de se faire accoster par les hommes dans l'espace public, ce qui avait tendance à l'agacer et à l'effrayer, mais cette fois-ci était différente. Et il avait l'air d'avoir son âge, ce qui était aussi une première. Les hommes pénibles dans la rue avaient bien plus souvent l'âge d'être son père.
"- Ouais, c'est mes parents qui ont voulu que je vienne ici.
- Classique... Les miens aussi, mais ma petite sœur est fatiguée donc ils sont rentrés. Où sont les tiens ?
- Oh, ils sont même pas là, ils m'ont juste envoyée. Pourquoi t'es pas rentré avec ta famille ?"
Il haussa les épaules, et elle prit le temps de le regarder un peu plus. Ses cheveux bruns étaient tout en bataille, sa chemise à fleurs froissée était un cliché du camp de vacances, mais ses yeux clairs pétillaient bien trop pour ne pas attirer son attention.
"- Je me serais encore plus ennuyé, ils ont insisté pour instaurer une politique de type "pas d'écran pendant les vacances", ce qui veut dire que j'ai le droit à une heure par jour, et que c'est un réel enfer.
- Orh, quel cauchemar, y a rien à faire ici, heureusement que les miens me laissent faire ce que je veux. A peu près. Tu fais quoi du coup ?
- Et bien jusqu'à maintenant j'utilisais mon téléphone. En cachette."
Ils se mirent à rire tous les deux, et elle fit remarquer qu'il y avait trop de bruit par ici, décidant qu'ils feraient mieux de s'éloigner un peu pour continuer leur discussion. Elle le suivit jusqu'à la barrière qui marquait l'entrée du camping. A cette heure-ci il n'y avait que peu de passage, et peu de lumière. C'était bien plus agréable.
"- Donc, tu étais un petit délinquant jusqu'à maintenant, mais je devine que ça s'est pas passé comme prévu ?
- Ma mère m'a pris en flagrant délit, soupira-t-il... Donc maintenant j'ai même plus de portable, et je ne peux que m'ennuyer et m'apitoyer sur mon sort."
Il avait un air tragique - excessivement -, et cela l'amusait, elle ne regrettait déjà plus d'être sortie du bungalow.
"- Alors Lucie, je te trouve bien imprudente pour m'avoir suivi jusqu'ici alors que tu connais que mon prénom. Qui pourrait être faux, soit dit en passant."
Elle secoua la tête en souriant, et hésita à faire une blague sur l'absence de muscle de ce kidnappeur qui aurait bien du mal à l'embarquer, mais elle eu peur de paraitre rude. Elle renvoyait trop souvent cette impression de méchanceté, à dire ce qui lui passait par la tête.
"- Bon, t'as pas l'air très effrayée, ce qui me vexerait presque. Presque. Tu veux qu'on fasse un jeu ?"
Sceptique, elle fronça les sourcils en attendant qu'il explicite son idée.
"- Tu cours jusqu'à la plage, si tu rentres dans l'eau avant que je ne t'attrape tu as gagné, si je t'attrape en chemin, tu as perdu.
- Tu veux que j'aille me baigner avec un inconnu, la nuit, sans que personne ne sache où je suis ?"
Il hocha la tête vigoureusement, et elle ne savait pas trop pourquoi, cela la poussa à accepter. Il continuait de la fixer avec hâte, espérant qu'elle allait dire oui, lorsqu'elle se retourna et se mit à courir. Il resta figé un instant, surpris, et elle éclata de rire en se retournant et constatant sa stupeur :
"- J'étais la plus rapide à l'école, alors t'as intérêt de te dépêcher !
- Hé, tricheuse, t'es partie avant moi !"
Cela ne fit que renforcer son rire, mais elle tâcha de le calmer un minimum, pour économiser son souffle et courir encore plus vite. Elle jetait des petits coups d'oeil en arrière et voyait bien qu'il se rapprochait, à ce rythme, il allait la rattraper. Mais elle connaissait un raccourci pour la plage, et elle s'y engouffra en tournant, sans qu'il ne la voie. Elle eu peur qu'il ne croit qu'elle l'avait planté, et fasse demi tour, mais continua de courir, jusqu'à enfin voir la mer se dessiner. Il réapparu derrière elle, et lui cria, essoufflé, quelque chose qu'elle ne comprit pas. Ses pas s'enfonçaient dans le sable, ce qui la ralentissait, alors elle arracha ses chaussures, jeta sa veste - avec son téléphone dedans -, et bientôt, sa robe rejoignit le sol aussi. Elle se jeta dans l'eau glacée, et réalisa qu'elle avait gagné, de très loin, il mit au moins une dizaine de secondes à la rejoindre, et resta sur le bord, les mains sur les genoux pour reprendre son souffle.
"- Tricheuse ! T'as disparu, je sais même pas par où t'es passée !
- J'ai gagné quand même ! Maintenant tu dois venir dans l'eau aussi !
- Ça faisait pas partie des règles ça !
- J'ai gagné, c'est moi qui décide."
Elle n'arrivait pas à s'arrêter de rire, quand bien même elle n'avait toujours pas repris son souffle, et il mis bien plus longtemps qu'elle à ôter ses vêtements et mettre un pied dans l'eau.
"- Ahhh, elle est gelée !
- Faut rentrer d'un coup, et je te conseille de le faire vite si tu veux pas que je t'arrose.
- Tu n'oserais pas..."
Il devait bien se douter de ce qu'il provoquait avec son sourire taquin, puisqu'elle n'hésita pas un instant à le tremper de la tête aux pieds, et il avança enfin jusqu'à son niveau, pour l'attraper et lui plonger la tête sous l'eau. Ok, elle avait peut-être parlé un peu vite en disant qu'il n'avait pas de muscles, parce qu'elle n'arrivait absolument pas à lutter contre lui, et qu'une fois sortie elle eut beau le tirer dans tous les sens, il n'y avait pas moyen de lui rendre la pareille.
Elle plongea sous l'eau pour disparaitre, et ne réapparu que dans son dos, pour le coincer. Elle se colla à lui, et elle était certaine qu'elle allait le faire basculer lorsqu'il tourna sa tête sur le côté, juste là où était celle de la jeune fille. Leurs visages étaient si près qu'elle sentait son souffle s'échouer ses lèvres, et qu'il ne fallu pas cinq secondes avant qu'il ne se défasse de son emprise et ne l'embrasse. C'était doux et passionné à la fois, charnel, brut. Il avait les lèvres gercés, mais agréable, et ils s'embrassèrent ainsi jusqu'à ce qu'elle n'ait besoin de reprendre son souffle. Il posa sa main sur sa nuque aussi vite, pour l'attirer à lui de nouveau, caressant sa joue, sa gorge, ses seins, sa taille. Peu assurée, elle voulu y prendre part aussi, et parcouru son dos, rassurée par ses soupirs contre sa bouche. Lorsqu'il descendit à sa culotte, elle reprit ses esprits, et le repoussa doucement, intimant:
"- Attends Alex..."
Mais il l'agrippa de nouveau pour l'embrasser, et murmura :
"- Dis mon prénom encore.
- Alex..."
Heureusement qu'elle avait de la conviction, parce qu'il était franchement difficile de réfléchir lorsqu'il lui procurait autant de sensations et de chaleur, quand bien même ses membres tremblotaient face au froid de la nuit.
"- Attends, Alex..."
Ce prénom murmuré entre leurs lèvres se mêla à ses soupirs, mais elle le repoussa de nouveau pour asséner :
"- Je doute que t'aies une capote sur toi là."
Il avait envie de rétorquer quelque chose, ou l'embrasser de nouveau, mais il n'en fit rien parce qu'il savait qu'elle avait raison. Il lui attrapa la main, et la tira jusqu'au sable, où il ramassa ses affaires et lui proposa d'en faire de même. Mais elle n'avait pas envie d'aller les chercher, elle n'avait pas envie que tout s'arrête là. Elle regrettait presque de l'avoir arrêté. D'une petite voix, elle demanda :
"- Alors on rentre ?
- Quoi ? Non pas du tout."
Il releva la tête de ses lacets pour poser ses yeux sur son visage inquiet, et lui adressa un sourire moqueur :
"- Ça te rendrait si triste que ça ?"
Elle soupira, et se retourna pour essayer de revenir sur ses pas et ramasser tout ses vêtements. Heureusement pour elle, elle avait marché relativement tout droit, et son téléphone était encore dans la poche de sa veste. Rien de perdu. Penchée sur sa robe, elle le sentit se coller à son dos nu, et frissonna, mais pas forcément de froid cette fois-ci.
"- Tu es très jolie Lucie."
Elle le chasse d'une tape sur l'épaule, et attendit qu'il s'éloigne un peu pour se rhabiller, parce qu'elle avait franchement du mal à penser et agir correctement quand il la regardait ainsi, prêt à la dévorer toute crue si elle le laissait.
"- Alors on va où ?
- On va faire les bons élèves, et on va trouver un préservatif. Y a une pharmacie pas loin.
- Ça m'étonnerait que ça soit encore ouvert.
- Mais non, tu vois pas les petits distributeurs sur le côté ? Y en a tout le temps. J'ai deux euros dans ma poche arrière, j'espère que ça suffira."
Parce qu'elle avait envie de rentrer dans son jeu, elle avança jusqu'à lui, et glissa sa main en bas de son dos, lentement, jusqu'à attraper la fameuse pièce.
"- Allons y !"
Et parce qu'ils avaient froid, qu'ils étaient plein d'énergie et d'excitation, ils se mirent à courir de nouveau. Il ne s'était pas trompé, et la pharmacie, bien que fermée, disposait du fameux distributeur. En achetant leur petit sachet ils croisèrent une famille, avec deux enfants qui mangeaient une glace et ne s'empêchèrent pas de demander à leurs parents pourquoi le garçon et la fille étaient trempés et qu'est-ce qu'ils étaient en train de faire. Lucie avait l'impression qu'elle ne s'était pas arrêtée de rire une seule seconde depuis qu'il l'avait abordée. De nouveau, il lui prit la main, et se dirigea vers la mer, mais elle l'arrêta :
"- Attends, on va pas faire ça sur la plage.
- Tu plaisantes ? C'est super romantique !
- C'est surtout hyper pas confortable. Je vais avoir du sable dans des endroits où je ne devrais vraiment, vraiment, vraiment pas avoir de sable."
Il secoua la tête mais changea de direction, la guidant jusqu'à une partie plus lointaine de la plage, où le sol était pavé , et cet endroit était si isolé qu'elle se demanda comment il l'avait trouvé. Mais cela lui convenait, elle se sentait à l'écart, cachée dans leur bulle de rire et de baisers. Il lâcha sa main pour l'embrasser de nouveau, avec tant de fougue et de faim qu'on aurait pu croire que c'était la première fois depuis très longtemps. Leur lit était loin d'être confortable, mais ils étaient jeunes, et n'en avaient absolument rien à faire. A califourchon sur lui, elle descendit dans son cou, goûtant sa peau salée. Elle s'arrêta un instant pour relever la tête, et constata qu'elle était juste face à la lune, qui brillait, presque entièrement ronde, au dessus de l'eau. Elle pourrait presque entendre le bruit des vagues.
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