Brille, brille petite étoile...ou meurs

J'étais là, débarquant à peine sur cette planète Terre qui n'avait rien demandé. Je me retrouvais dans un jardin aux allures printanières. Tout était beau, ensoleillé, des papillons virevoltaient autour de fleurs multicolores.

Mon attention fut ensuite détournée vers un petit oiseau bleu qui tentait de s'envoler, sous les yeux protecteurs de sa maman. Ce nouveau-né apprenait doucement à voler comme un enfant apprendrait à marcher. Je trouvais ce spectacle étrangement mignon et encourageant de voir à quel point un si petit être pouvait affronter cette dure épreuve avec tant de courage et de détermination. Ce genre de choses se perdaient avec l'âge. Je pensais que l'Homme devait changer ça, face à un enfant qui était capable de grandes choses, pour lui aussi faire de grandes choses.

Après quelques tentatives supplémentaires, l'oisillon parvint à s'envoler avec sa mère dans les cieux. Une fois qu'ils disparurent derrière l'horizon, je me concentrai de nouveau sur ce temps merveilleux qui sentait le renouveau, la vie, la naissance, le nouveau départ...

À l'époque, le printemps était peut-être ma saison préférée, pour toutes ces raisons. À l'époque, je ne faisais qu'un avec la nature, j'y étais à ma place.

Ce jour-là, le printemps sentait la tragédie, le début de la fin, l'approche d'une nouvelle mission, d'une nouvelle mort... Ce jour-là, je faisais tache dans cette beauté naturelle, je n'étais plus à ma place.

Je ne savais plus où j'étais, mais je ressentais déjà les remords me rattraper. La honte me frappait de nouveau. Finalement, cette saison était à mes yeux toujours synonyme de renouveau, mais un renouveau beaucoup plus mortel que ce que l'on pourrait imaginer...

Je ne savais pas qu'elle était ma mission, je ne savais rien. Comme toujours. Je n'avais le droit à rien. Mais avec l'apparition soudaine de deux enfants qui s'amusaient devant moi, je compris que l'un d'eux était ma mission. Que je devrais m'occuper de l'un d'eux. Et j'avais compris que cela allait être beaucoup plus compliqué que prévu. Les enfants avaient toujours été ma plus grande faiblesse, ma plus grande difficulté. Comment pouvait-on s'en prendre à de petits êtres comme eux, qui n'avaient pourtant rien de foncièrement mauvais ? Un enfant de cet âge ne pouvait être rempli de vices !

Alors que je commençais à me sentir mal de voir la fillette aux longues boucles brunes courir après son grand frère aux cheveux châtains, eux aussi bouclés, une lettre apparut dans ma main. Le stress monta soudainement en moi. Ma mission était écrite dans cette simple enveloppe rouge. Une fois que je l'aurai ouverte, aucun retour en arrière ne serait possible. Je serai obligé de suivre les ordres, ses ordres. Seulement, si je désobéissais, la situation ne s'arrangerait pas. Alors, enfin décidé, avec un courage nouveau, j'ouvris cette lettre.

Léviathan,

Charlotte Dupont, 6 ans.

H.

Simple, rapide et efficace. Des mots aussi froids que la mort. Un nom, un âge et rien de plus. Je ne savais pas pourquoi on en voulait à une pauvre enfant de six ans, ni quel péché elle avait pu commettre pour que l'on m'ordonne de m'occuper d'elle.

D'un mouvement rageur, je jetai cette lettre sur l'herbe du jardin qui se désintégra rapidement en poussières d'étoiles, sans lui laisser le temps d'effleurer le sol. Mon regard suivit ensuite les yeux pétillants de bonheur de la fillette qui s'amusait innocemment, sans aucune once d'arrières pensées, avec son grand frère qu'elle semblait adorer.

Si je m'en allais, maintenant, elle n'en saurait rien, ne vivrait pas ce calvaire, mais voilà, je n'en étais pas capable. Alors j'étais toujours bien présent, mon dos qui reposait contre le mur de sa maison, à l'observer. J'attendais simplement que la nuit tombe.

Son visage qui rayonnait de bonheur me réchauffait le cœur mais l'innocence que je pouvais retrouver dans son regard me le brisait en sachant que je serai la cause de tous ses maux. Alors que Charlotte jouait avec son frère aîné, Timéo, je réfléchissais à comment je pourrais réaliser ma mission. Cela s'annonçait compliqué pour moi. Cela allait être la première fois que je ferais face à une enfant et devoir mettre un terme à la vie d'un être si jeune et pur... Personne d'assez humain ne pourrait le faire. Mais voilà, je n'étais plus qu'une poupée manipulée par un marionnettiste. Un marionnettiste qui tirait les ficelles, dans l'ombre du décor.

Les heures passaient, la vie que cette petite famille menait était tranquille, joyeuse et douce. Rien ne semblait pouvoir briser cette idylle. Face à eux, je ne pouvais m'empêcher de ressentir un léger pincement au cœur. Je me demandais ce que cela pourrait être de vivre dans une famille aimante, dans le bonheur et la tendresse. Sans doute en avais-je eu une, mais cela devait faire tellement longtemps que je n'en avais aucun souvenir. Peut-être était-ce ce une façon de me punir de tous mes crimes ? Mais peu importait, finalement. Que j'aie une famille ou non, mon destin ne changerait pas. D'ailleurs, je préférais ne pas en savoir plus par souci de penser que je pourrais leur faire honte au vu de ma première erreur, qui m'avait coûté la vie et qui avait ainsi engendré de nombreuses morts.

Mon attention se porta de nouveau sur Charlotte qui jouait avec son frère. Elle prenait très à cœur son rôle de princesse enfermée dans sa tour, ou du moins son fauteuil, attendant patiemment que son frère ne vienne la secourir. La petite fille remuait ses bras dans tous les sens comme pour prévenir qu'elle était en danger, ajoutant avec cela des petits cris qui cachaient ses rires. De son côté, Timéo interprétait le fameux prince qui devait secourir sa petite sœur ou plutôt sa princesse. Ce dernier n'était pas particulièrement branché princes et princesses mais il aurait fait tout et n'importe quoi pour que Charlotte soit heureuse, d'après ce que je pouvais observer. Il semblait pouvoir tout faire pour voir les yeux pétillants de sa sœur se remplir d'étoiles.

« - Princesse Charlotte, me voilà ! Je viens à votre secours !»

Le plus âgé, très impliqué dans le jeu, traversait le salon et faisait semblant d'éviter un certain nombre d'obstacles pour rendre son sauvetage plus épique. Quant à Charlotte, elle applaudissait joyeusement son frère, heureuse d'être sauvée comme dans les films de princesses qu'elle avait pu voir.

« - Les enfants, à table, appela leur mère depuis la cuisine qui avoisinait le salon.

- Mais maman, Timéo devait venir me sauver de ma tour ! Se plaignit la petite fille, mécontente d'être coupée en plein jeu.

- Et bien ce sera pour une autre fois car pour le moment ma princesse doit venir manger et le valeureux prince aussi !»

Ce dernier s'approcha de la plus jeune pour venir lui chuchoter quelque chose à l'oreille que seule elle pouvait entendre. Soudainement de bonne humeur, Charlotte sautilla joyeusement jusqu'à la cuisine, pour rejoindre sa mère. Timéo en fit de même, accompagné d'un magnifique sourire aux lèvres. Le reste de la soirée se déroula sans encombre, Charlotte obéissant aux doigts et à l'œil à sa mère.

L'heure du coucher arriva, comme pour me rappeler à l'ordre. Je suivis donc la fillette jusqu'à sa chambre qui se coucha très rapidement pour ensuite réclamer sa berceuse préférée à sa mère.

« -Très bien, mais tu me promets d'éteindre la lumière juste après ?

-Oui maman, promis !»

La plus âgée acquiesça, offrit un léger sourire à sa fille et se mit à chanter tout en caressant ses cheveux.

"Brille, brille petite étoile

Dans la nuit qui se dévoile

Tout là-haut au firmament

Tu scintilles comme un diamant

Brille, brille petite étoile

Veille sur ceux qui dorment en bas"

J'observais de loin ce petit moment de tendresse entre cette mère et sa fille qui fit s'endormir Charlotte, le visage tranquille. Cette berceuse lui allait bien. Charlotte était une enfant rayonnante qui donnait le sourire à son entourage, pure, rêvant d'étoiles et de princesses. Et je me retrouvais là bas, pour briser cette innocente vie.

Comment allais-je faire ? Cela faisait déjà de nombreuses heures que j'y réfléchissais. Ma mission était de la punir de son péché, quel qu'il soit, en la faisant quitter ce monde. Je n'avais pas besoin d'épées. Je ne voulais tuer personne. J'allais donc le faire en douceur, en lui laissant le choix ; s'abandonner ou non à ce dont on l'accuse, lui laissant une infime chance de s'en sortir.

Après de nombreuses minutes à chercher à savoir comment j'allais m'y prendre, je me retournai vers Charlotte qui dormait profondément et m'approchais lentement de son lit. Une fois à ses côtés, je tendis ma main jusqu'à son font pour l'y poser, puis je fermai les yeux et en les rouvrant à peine une seconde plus tard, je me retrouvais dans l'espace, entouré d'étoiles, avec en face de moi Charlotte qui m'observait avec curiosité. La voyant légèrement perdue, j'avais pris l'initiative de commencer à parler le premier.

« -Bonsoir, mademoiselle Charlotte Dupont, bienvenue dans le monde des rêves, je serai votre guide.

- Vous êtes un ange gardien ? C'est ça ? C'est pour ça que vous me connaissez ? Demanda-t-elle émerveillée par ce qui l'entourait, dont moi. »

Sa réponse m'étonna, comment pouvait-on me comparer à un ange gardien ? J'ai eu la chance d'en rencontrer en vrai et mes ailes et mes cornes rouges ne trompaient personne sur mon identité.

« - Je... Ce que je suis n'a pas d'importance, je suis ici pour réaliser l'un de vos rêves les plus fous.

- C'est vrai ? Vous pouvez réaliser mon plus grand rêve ?

- Oui, alors, dîtes moi simplement de quoi il s'agit et je le ferai.

- Dans ce cas, je voudrais vivre la vie d'une vraie princesse !

- Bien, je ne vous poserai qu'une seule et dernière question. Voulez-vous, durant votre sommeil, vivre la vie d'une vraie princesse ?

- Oui ! »

Il est vrai que j'avais un minuscule espoir qu'elle refuse, mais qui pourrait dire non à son plus grand rêve, sa plus grande envie ? Ainsi, ce qu'on lui reprochait était de rêver un peu trop fortement de princesses... La voilà donc tombée dans mon piège qui allait m'aider à réaliser ma mission, sans même me salir les mains... Elle me regardait comme si j'étais son héros, son sauveur alors que je n'étais que son bourreau. Ne disant pas un mot de plus, je m'approchai d'elle et remit la paume de ma main sur son front. À peine l'avais-je touché que nous nous retrouvions dans un magnifique ciel bleu ensoleillé, au-dessus d'un royaume.

« - Waw, s'exclama Charlotte. C'est trop beau, on dirait le royaume que je dessine tout le temps !

- Nous sommes dans le monde des rêves, tout ce qui est devant nous fait partie intégrante de votre imagination, répondis-je calmement.

- Je n'ai pas trop compris mais c'est génial !»

Le paysage qui se trouvait face à nous était printanier, de nombreuses fleurs nous entouraient dans ce champ et les oiseaux chantaient le beau temps à travers le pays. Charlotte était sublime dans ce cadre solaire avec cette belle robe bleue qu'elle portait et sa couronne dorée. Elle ne devait pas encore l'avoir remarqué car c'est en s'approchant d'un cours d'eau qu'elle commença à s'extasier devant son reflet.

« - Trop super génial ! J'ai une vraie couronne et une vraie robe de princesse ! Comme celles à la télé !»

Un léger sourire se glissa sur le coin de mes lèvres en la voyant si heureuse. Je ne pouvais m'empêcher d'être fier de penser que j'étais responsable de son bonheur, mais la réalité me rattrapa si vite. Je lui avais offert un bonheur éphémère pour un malheur éternel.

« - Dîtes, monsieur l'ange, vous pensez qu'on peut rejoindre le palais ? Demanda-t-elle pleine d'espoir.

- Je ne suis pas... Oui bien sûr, donne-moi ta main. »

N'ayant pas le courage de la contredire, je la laissais penser que j'étais un ange venu la guider et pris sa main qu'elle me tendit puis je la portai dans mes bras et m'envola jusqu'au palais sous ses petits rires joyeux. Durant tout le trajet, elle me pointa du doigt tout ce qui l'émerveillait, me demandant parfois de quoi il s'agissait. J'étais fasciné par cette enfant qui était si curieuse et qui semblait se contenter d'un rien. Oui, je la comprenais enfin, mais mon maître, lui, ne comprenait pas la psychologie de cette fillette. Elle n'enviait absolument pas cette vie, la sienne lui convenait parfaitement, elle voulait simplement s'amuser un peu et leur ressembler le temps d'un rêve, à ces princesses.

Une fois arrivés au château, Charlotte entra dans l'enceinte de la demeure à toute vitesse sous les yeux de la garde royale. Elle courait joyeusement dans les jardins mais aussi dans chaque couloir, heureuse d'en visiter un véritable. Cependant sa visite fut de courte durée car elle se fit interpeller par un homme qui devait être son majordome et il l'a guidée jusqu'à sa chambre pour la préparer pour une grande réception qui se déroulait apparemment le lendemain soir.

Sa chambre était immense tout comme son dressing, elle adorait d'ailleurs toutes les robes qui se trouvaient devant elle, voulant toutes les essayer au plus grand dam de son majordome, Elyo.

La journée se passa alors très rapidement avec la préparation de sa tenue, les repas avec sa famille qu'elle rencontra et les jeux avec sa petite sœur de quatre ans, Catheleen. Lorsqu'il fut l'heure de se coucher, Charlotte s'endormit très rapidement mais à peine avait-elle trouvé le sommeil qu'elle se réveilla en sursaut dans le monde réel. Elle peinait à reprendre son souffle correctement en regardant où elle se trouvait, et un coup d'œil vers son réveil qui marquait 7h39 la fit se lever brusquement, parfaitement réveillée et avec cette fois-ci une respiration correcte. Charlotte rejoignit ainsi sa mère et son grand frère déjà attablés pour le petit déjeuner.

« - Maman ! Timéo ! Vous allez jamais me croire ! cria-t-elle dans toute la maison. »

Charlotte raconta donc, avec comme toujours des étoiles plein les yeux, son aventure nocturne sous les yeux amusés de sa famille. Sous ses propos légers et son innocence pure, il y avait bien un détail qu'elle n'avait pas relevé, étant donné qu'il ne s'agissait normalement, de rien de particulier. Cela pouvait arriver à tout le monde mais cette fois-ci, ce n'était rien d'habituel.

Son réveil en sursaut était bien dû à quelque chose dont j'étais responsable. En l'emmenant vivre ce rêve, je lui ai implanté dans son cœur une malédiction, celle des étoiles des quatre saisons, qui allait la mener à sa mort dans maintenant trois nuits...

Le printemps, c'est la vie qui respire à plein poumons et aujourd'hui, la première étoile, l'étoile verte du printemps, s'est brisée à son réveil, perdant ainsi un souffle de vie.

Cette journée se déroula sans problème, Charlotte, son frère et sa mère rendirent visite aux parents de cette dernière, profitant du beau temps pour se promener en forêt.

La balade était tranquille et ne présentait aucun danger, la famille avait même pu croiser la route d'un écureuil. Charlotte avait voulu toucher le petit animal pour le prendre dans ses bras mais elle avait été très triste que sa mère le lui interdise et encore plus lorsque l'écureuil s'était enfui. Elle avait boudé le reste de la journée, lâchant quelques larmes de déception, mais aussi et surtout à cause de la fatigue. Sur le retour, dans la voiture, Charlotte s'était même endormie sur l'épaule de son frère et une fois chez eux, elle fut directement mise au lit par sa mère après lui avoir déposé un baiser sur la joue.

C'était maintenant à mon tour de jouer, je devais l'emmener dans le pays des rêves, respectant ma promesse envers elle.

Ma main toucha de nouveau son front et je la rejoignis dans son sommeil, là où les rêves se font et sans plus de cérémonies, nous nous retrouvons dans ce royaume resplendissant de couleurs.

« - Mon ange ! Vous êtes encore là ! Vous êtes revenu !

- Comme je te l'ai dit... Je n'allais pas revenir sur mes paroles donc oui, je suis là. »

Pour toute réponse, Charlotte me sourit et se retourna vers le village où nous avions atterri. Le temps était à la fête, le soir même aurait lieu une grande réception pour fêter le solstice d'été. La chaleur écrasante semblait épuiser Charlotte, cependant, l'idée de cet événement l'enthousiasmait. Elle déployait alors toute son énergie pour s'amuser et découvrir tous les stands qui se trouvaient sur cette petite place de commerces. Durant cette escapade, elle fit l'acquisition d'une couronne de fleurs, de bonbons guimauves de toutes les couleurs, d'un ours en peluche bleu, d'un petit bocal avec des étoiles et enfin d'une broche jaune en forme d'étoile. Elle n'avait jamais été aussi heureuse qu'avec ses simples petites choses.

« - Cette journée est incroyable, je n'ai pas envie qu'elle se termine...

- Pourtant, mademoiselle, il va falloir rentrer. Il me semble que vous êtes attendue pour le bal de ce soir, l'informais-je.

- Oh, c'est vrai ! Dans ce cas, allons-y mon ange !»

Je la voyais courir en direction du palais le sourire aux lèvres. Je devrais me sentir mal, ne pas me sentir heureux, mais le sourire d'un enfant est le meilleur remède contre le malheur. Je devrais d'ailleurs avoir honte de mes agissements, mais je ne pouvais m'en empêcher, comprenez-moi, il était vraiment impossible de ne pas fondre pour elle...

Son regard perçant et ses grands gestes, au loin, me sortirent de mes pensées et je la rejoignis le plus rapidement possible, car une princesse, ça n'attend pas, pensais-je, un petit sourire aux lèvres.

Une fois arrivé à ses côtés, je la pris dans mes bras et nous nous envolâmes pour le château, dans l'espoir de ne pas être en retard et ainsi laisser le temps à Charlotte de se changer pour la soirée. Heureusement, nous arrivâmes à temps et la soirée se déroula comme prévu, au plus grand bonheur d'Elyo, son majordome, qui s'était inquiété toute la journée de ne pas avoir aperçu la princesse, pensant qu'il lui était arrivé quelque chose.

Charlotte s'amusa alors tout la soirée à danser entre les personnes, à rigoler avec des enfants de son âge et avec sa petite sœur Catheleen, sous les yeux attendris de sa famille qui ne l'avait apparemment jamais vu aussi rayonnante. Mais le retour à la réalité devait se faire, étant donné qu'il était déjà l'heure de se coucher. Charlotte était donc déjà bordée, prête à s'endormir.

« - Vous savez, mon ange, j'adore ces rêves. Je ne sais pas pourquoi vous le faites, mais, merci beaucoup, dit-elle un sourire sincère sur le visage.

- Tu n'as pas besoin de me remercier, répondis-je, mal à l'aise.

- Si ! Dis, hésita-t-elle. Tu pourrais me chanter ma berceuse préférée ? C'est Brille, brille petite étoile, je ne sais pas si tu la connais.

- Oui mais... Je ne chante pas très bien tu sais.

- Pas grave, chante, chante, chante ! me supplia-t-elle avec sa petite bouille

- Bon... Brille, brille petite étoile

Dans la nuit qui se dévoile

Tout là-haut au firmament

Tu scintilles comme un diamant

Brille, brille petite étoile

Veille sur ceux qui dorment en bas »

Après avoir chanté, je vis Charlotte somnoler, son petit ours bleu dans les bras, puis, elle se réveilla de nouveau en sursaut, dans sa chambre, dans le monde réel. En se levant, elle semblait moins énergique, un peu plus fatiguée que d'habitude et moins lumineuse.

Lumière profuse ; splendeur. L'été s'impose et contraint toute âme au bonheur. Aujourd'hui, l'étoile bleue de l'été s'est brisée à son réveil, perdant une part de son bonheur et de sa lumière.

Lorsqu'elle rejoignit sa famille dans la cuisine pour petit-déjeuner, celle-ci sut tout de suite que quelque chose n'allait pas en voyant son visage fatigué et sa mine moins joyeuse que d'habitude.

« - Ma chérie, que se passe-t-il ? s'inquiéta sa mère en se levant pour se rendre vers sa fille. »

Charlotte haussa les épaules pendant que sa mère la regardait avec peine, lui touchant en même temps le front pour vérifier qu'elle n'était pas chaude.

« - Tu sembles épuisée mon cœur, tu n'iras pas à l'école aujourd'hui, dit-elle tout en embrassant son front. Monte te recoucher, je vais appeler ton maître pour le prévenir. »

Charlotte hocha de la tête pour acquiescer et remonta dans sa chambre, se recouchant, sous la mine inquiète de Timéo. Il n'avait jamais vu sa petite sœur ainsi, ce qui le perturbait énormément.

De mon côté, je ne faisais qu'observer le résultat de ce dont j'étais responsable, le résultat de cette malédiction. Si je pouvais, je serais retourné dans le passé, j'aurais choisi de souffrir à la place de cette petite fille. Mais voilà, j'avais fait ce choix égoïste de ne penser qu'à moi, en ayant assez de souffrir. Certains penseront qu'une petite douleur de plus ne serait pas un problème mais je les invite alors à prendre ma place. Pourriez-vous donc un instant vous mettre à ma place ? Après plus d'un siècle de souffrance, une de plus, ce n'était pas rien, j'étais déjà à bout. Donc oui, je n'avais pensé qu'à moi, oui, pour ça j'avais volé la vie d'une petite fille, mais je n'en avais pas le choix. J'avais pensé à moi avant de penser aux autres, pour mon bien. Mais je regrettais, car après tous ces choix, je n'étais pas un monstre. Alors oui, ça ne servait à rien de regretter, le mal était fait, à une petite fille.

Vous ne pensiez qu'à ça, qu'à cette petite fille. Mais moi aussi, je n'étais qu'un petit garçon, qu'un pauvre adolescent qui avait grandi trop vite, à qui on avait fait trop de mal, oui, ça je m'en souvenais. Mais ce qui en était, c'était que personne ne s'en était soucié. Oui, on m'avait jugé bien trop vite et encore maintenant, on me juge trop vite, sans me connaître. Mais comment pourrais-je vous en vouloir ? Personne ne savait, après tout...

La mère de Charlotte entra soudainement dans la chambre de celle-ci, me surprenant, me réveillant ainsi de mes idées noires. Elle resta alors au chevet de sa fille le reste de la journée, veillant sur elle, vérifiant en même temps si la fièvre ne montait pas. Charlotte avait dormi toute la journée sans aucune interruption mais sa mère dû la réveiller le soir pour qu'elle mange un minimum. Elle s'inquiéta encore en se demandant si Charlotte allait pouvoir dormir cette nuit, mais la fatigue toujours présente sur son visage ainsi que ses nombreux bâillements la rassura un peu bien que ce qui l'inquiétait toujours plus était sa fatigue extrême. Timéo, lui, ne semblait pas plus rassuré et pour faire plaisir à sa sœur il lui lut le soir avant qu'elle ne se rendorme son histoire préférée Princesse Sofia ; Mon histoire du soir.

Après que Charlotte fut enfin endormie, je fis mon rituel habituel et je rejoignis Charlotte dans son sommeil puis l'emmena dans le royaume de ses rêves. Une fois arrivé, je me retrouvais dans le palais royal avec Charlotte face à moi.

« - Mon ange ! s'exclama-t-elle. Vous m'avez manqué aujourd'hui, se plaignit-elle. Vous savez, la journée était trop longue ! Je crois que j'étais malade, mais là, ça va mieux. »

Elle faisait légèrement la moue mais semblait heureuse d'être ici. Cette journée semblait d'ailleurs lui faire du bien. Elle s'était énormément amusée dans le jardin royal avec sa sœur Catheleen, dans les feuilles orangées de l'automne qui craquelaient sous leurs pieds. Elles adoraient cette sensation et avaient joué toute la journée avec les milliers de feuilles présentes dans ce grand jardin.

Le soir venu, un vent frais s'installa, accompagné d'une pluie battante et de nombreuses feuilles qui tourbillonnaient. Charlotte s'endormit d'ailleurs sous ce vacarme, Catheleen dans ses bras qui n'était pas très rassurée par ce temps. Mais, de nouveau, à peine quelques secondes plus tard, Charlotte se réveilla, seule, essoufflée et effrayée par ce qu'elle ressentait dans son cœur.

Je ne connaissais rien de plus sinistre que la chute des feuilles, en automne, qui annonçait ces longs mois d'arbres noirs, d'arbres morts en hiver. La troisième étoile, l'étoile orange de l'automne s'était brisée à son réveil, chutant ainsi dans la maladie, comme ces feuilles mortes qui tombent, annonçant un mauvais présage...

Cette journée fut semblable à celle de la veille, mais sa mère était de plus en plus inquiète et Timéo ne comprenait pas tout ce qu'il se passait. Mais ce dont il était sûr, au vu de son regard, c'était que sa sœur n'allait vraiment pas bien. Et c'était le mot, puisqu'elle avait du mal à respirer, était très pâle, et arrivait à peine à ouvrir les yeux. Sa mère hésita à l'emmener à l'hôpital mais le fait était qu'elle n'avait pas de température. Elle avait donc appelé un médecin, et celui-ci restait catégorique : rien de grave, juste un surplus de fatigue, il fallait donc que celle-ci se repose. Cependant, la jeune femme restait très inquiète, elle décida donc de l'emmener à l'hôpital le lendemain, si cela n'allait pas mieux.

La journée fut donc sous des auspices mortelles et inquiétantes au vu de l'état presque inanimé de Charlotte. Le soir, Sienna, sa mère, s'endormit à ses côtés pour veiller sur elle. Quant à moi, je m'occupais une dernière fois d'accompagner Charlotte jusqu'à ses rêves pour qu'elle s'endorme ensuite paisiblement et à jamais.

« - Mon ange, cria Charlotte, les larmes aux yeux en me sautant au cou. »

À peine étions-nous arrivés qu'elle me montrait toute son affection.

« - Que se passe-t-il, mademoiselle Charlotte ?

- Je suis contente de te voir, ici, je me sens bien, avec toi ! Au moins, je ne suis plus malade...

- Cependant... Il s'agit de notre dernière fois ensemble, après cette nuit, je ne pourrais plus t'emmener dans ce royaume, l'informais-je.

- C'est vrai ? Mais... Je ne veux pas, pleura-t-elle. À la maison, je suis malade, je ne me sens pas bien ! Je veux rester ici, se plaignit-elle.

- Charlotte, Charlotte... »

Je ne savais que faire, comment pourrais-je la calmer ? Tout cela était ma faute et cela me faisait mal de la voir ainsi... Je ne pensais pas que je m'attacherai aussi facilement et que ce serait si compliqué.

« - Écoute, Charlotte, je te promets que quand tu te réveilleras, tu n'auras plus mal, tu ne seras plus malade, la rassurais-je avec peine.

- Vraiment ? Tu me le promets ?

- Oui, je t'en fais la promesse, lui souris-je maladroitement.

- Merci mon ange ! Tu es vraiment mon ange gardien !

- Oui... Maintenant profite de cette dernière nuit dans ce royaume, ma princesse. »

Et il ne lui avait pas fallu plus de mots pour la convaincre car elle était déjà emmitouflée dans ses vêtements, accompagnée encore et toujours de Catheleen, dans leur jardin, en train de faire des bonhommes de neige. Je les regardais au loin, admirant leur pureté et leur innocence. Moi aussi, j'aurai aimé faire des bonhommes de neige toute mon enfance, mais peut-être en avais-je déjà fait ?

La journée se déroula comme toutes les autres dans la bonne humeur et les rires, mais le temps, les minutes, nous volent notre vie, nous, mortels folâtres. On se fait rapidement rattraper par ce temps destructeur. Et pour preuve, l'horloge sonnant 22 heures apparaît à nos oreilles comme une incantation, nous rappelant que notre temps était compté, notamment celui de Charlotte.

L'heure du coucher arriva pour la dernière fois, et Charlotte était sur le point de fermer ses yeux à jamais, pour peut-être attendre le baiser de son prince charmant ?

«- Dis, tu penses qu'on se reverra, le jour où j'irai au paradis ? Tu crois que tu me reconnaîtras quand je serai vieille ?

- Peut-être, lui murmurai-je. Tu veux que je te chante ta berceuse ?

- Oui ! me dit-elle, un sourire éclatant au visage.

- Bien... Brille, brille petite étoile

Charlotte se couvrit doucement de ses couvertures, tout en fermant les yeux.

Dans la nuit qui se dévoile

Elle respira l'odeur de son petit ours bleu, bien serré contre elle.

Tout là-haut au firmament

Charlotte me regarda une dernière fois, des étoiles dans les yeux, scintillantes.

Tu scintilles comme un diamant

"Adieu, mon ange" me dit-elle en s'endormant pour de bon.

Brille, brille petite étoile

Sa chambre d'enfants apparut devant moi, elle était là dans son lit, sa mère à ses côtés qui dormait profondément.

Veille sur ceux qui dorment en bas»

Sur la musique du silence, dansent, dansent les flocons blancs. Aujourd'hui, la dernière étoile, l'étoile blanche de l'hiver s'est brisée, et Charlotte ne s'est jamais réveillée. Pas même sous les cris d'effroi de sa mère qui réveillèrent son fils aîné et qui se mit à pleurer toutes les larmes de son corps en découvrant sa petite sœur adorée, dans son lit,inanimée.

Quelques jours plus tard avait eu lieu son enterrement, j'avais pour habitude de me rendre aux enterrements de mes victimes, par respect pour eux, mais c'était aussi une façon pour moi de me faire pardonner et de me sentir moins coupable.

Sur sa tombe, il était écrit : à notre petite étoile partie trop tôt, continue de briller de là où tu es.

De mon côté, j'étais certain qu'elle brillait encore et qu'elle le ferait pour toujours, peu importe où elle serait, contrairement à moi.
Et, pour la première fois depuis toutes ces années, j'avais le besoin de me confier à ma victime, ayant le sentiment qu'elle m'écouterait, de là où elle était.

« - Quand tu étais petite, tu voulais être une étoile, une princesse, tu voulais briller, rendre heureuse ta famille et les protéger. Quand j'étais petit, du plus loin que je me souvienne, je voulais être policier, pompier, sauver et protéger les autres, eux et leurs rêves.»

Je m'interrompis quelques instants, reprenant mon souffle, tout en regardant avec insistance sa tombe entourée de fleurs.

« - La différence entre toi et moi, c'est que tu as accompli tes rêves. Oui, pour ton frère et ta mère, tu étais leur princesse, leur étoile, tu brillais, tu les rendais heureux, et maintenant, de là où tu es, tu les protèges, fredonnant cette berceuse... Alors que moi, j'ai enfreint toutes les lois qu'il puisse exister, tué plus de vies que j'ai pu en sauver, brisé plus de rêves que j'ai pu en conserver.»

Je marchais vers cette tombe, m'accroupis, et la caressa des doigts.

« - La différence entre toi et moi, c'est que ton rêve était déjà accompli. Avant même que tu ne le saches, tu étais déjà une princesse, car oui, une princesse n'a pas besoin de titre ou de couronne pour en être une, et c'est toi qui me l'as prouvé.»

Tout en continuant de parler, je sortis quelques petites choses de mes poches.

« - La différence entre toi et moi c'est que tu es l'ange et je suis le démon, tu es au paradis et moi en enfer, tu rends la vie des autres beaucoup plus belle et moi je les détruis, tout comme la tienne. J'en ai honte, sache-le, mais maintenant, ma petite étoile, brille, brille, veillent sur ceux qui dorment en bas, et ne meurt pas.»

Je disposai sur sa tombe sa couronne de fleurs, sa broche en forme d'étoiles, son petit ours bleu et ce bocal remplis d'étoiles.

«- Maintenant, on ne se reverra pas. Jamais. Je n'ai pas eu la force de te le dire en face. Pendant que toi, tu te reposes au paradis, je m'en vais poursuivre mon destin, bien moins reposant, soufflais-je avec un petit sourire tremblant dans le coin des lèvres.»

Je me retourna ensuite, marchant, sans but, jusqu'à ce que mon maître ne vienne me chercher pour me ramener chez lui.

« - Adieu, Charlotte...»

Peut-être que quelqu'un avait entendu une goutte d'eau tombée sur l'herbe, annonçant ensuite une forte pluie. Peut-être que la pluie était tombée, mais cette goutte d'eau annonçait simplement le malheur éternel d'un homme dont personne ne s'est soucié.
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« Je ne connais rien de plus sinistre que la chute des feuilles, en automne, qui annonce ces longs mois d'arbres noirs, d'arbres morts en hiver. » Citation de Alain Rémond.

«Lumière profuse ; splendeur. L'été s'impose et contraint toute âme au bonheur.»
Citation de André Gide.

«Le printemps, c'est la vie qui respire à plein poumons»
Citation de Radmou.

«Sur la musique du silence, dansent, dansent les flocons blancs.»

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