Crime ~ Défi Bradbury
Je le regarde s'éloigner et je sens presque mon cœur se fissurer sous le chagrin. Rien n'est plus atroce que de perdre l'amour de sa vie, son autre moitié. La personne qui vous connaît le mieux, celle qui accepte chaque jour, l'un après l'autre tous vos défauts et ne cesse de rendre encore plus belles vos qualités. Son corps s'enfonce doucement dans l'ombre et je réalise une fois de plus que c'est la dernière fois que je le vois. Il ne reviendra pas. Je l'ai perdu, pour toujours.
Il est temps de partir maintenant, rester ici ne ferait que raviver un peu plus la douleur de son départ. Je fais demi tour en chantant notre chanson pour la toute dernière fois, la voix grave de sanglots étouffés, le corps secoué de spasmes et le visage baigné de larmes. Quelconque me croiserait, là, tout de suite, pourrait penser que je suis en train de devenir folle. Moi même, je doute. Et lorsque j'aperçois mon visage dans le rétroviseur de la voiture, je ne reconnais pas mon portrait. Les yeux gonflés, le visage bouffi, je fais peur à voir. Je chasse encore quelques larmes qui s'échappent de mes paupières en reniflant un grand coup, comme pour me donner le courage de m'éloigner d'ici. Il faut avancer maintenant !
La nuit qui suit son départ me renvoie sans délicatesse aucune, à ma solitude, à mon sentiment d'abandon et les gardes fous de mon esprit se font la malle. Je regarde en boucle nos selfies, nos vidéos. La musique que crachent mes enceintes est aussi déprimante que possible et je continue de me vautrer dans mon désespoir. Je fais valser toutes les photos épinglées à mon mur dans un geste de rage pure, arrache ce collier qu'il m'a offert, déchire le coussin nous représentant et je crie. Je hurle à qui veut bien l'entendre, ma déchéance, mon désespoir, mon mal être. Pourtant personne ne vient me prendre dans ses bras. Il ne vient pas.
Ses bras qui furent autrefois mon refuge, l'endroit que je préférais sur cette terre sont désormais loin de moi, il ne m'entourera plus, ne me serrera plus pour me consoler. Jamais plus ses doigts ne parcourront mes courbes, jamais plus ses lèvres ne se poseront sur les miennes, jamais plus sa voix ne susurrera à mon oreille tout l'amour qu'il me porte. Mon humain préféré est partie et je reste derrière, seule.
Mais moi, je ne sais plus vivre sans lui, sans le lien qu'il créait autour de nous, sans le rempart qu'il édifiait contre ceux qui nous étaient nocifs. Ça fait si longtemps qu'il se tenait à mes côtés, que je ne me souviens même plus vraiment de comment c'était. C'était moi contre le reste du monde. Bientôt, je redeviendrai cette fille un peu bizarre, aux cheveux violets et aux yeux trop bleus. Celle que personne n'approche lorsqu'il n'est pas à ses côtés, parce qu'elle fait peur, parce qu'elle est un peu différente d'eux, pas dans la norme. Pas dans leur norme..
Je croise ma souffrance dans le miroir au dessus de mon bureau. Les vestiges de mon maquillage semblent se payer ma tête et je lui balance le premier objet qui me tombe sous la main. Un oreiller. Bien sûr, le miroir résiste et ma rage augmente, alors je lance cette fois mon radio réveil. Le bruit du miroir qui éclate est jouissif. Bien fait pour sa gueule, au moins on est dans le même état maintenant. Brisé, broyé, sans plus d'importance qu'un mouchoir usagé. Ca me soulage une seconde et il me faut retrouver cette sensation de contrôle, de répit. D'un bond, je suis debout et j'attrape ma chaise de bureau qui vole aussitôt contre le mur d'en face, mon ordinateur portable qui s'éclate contre la tête de lit, mes romans d'amour qui finissent en lambeaux. Mon cœur n'est pas soulagé vraiment mais ma colère diminue.
Le lendemain, j'ouvre les yeux, éblouis par les rayons du soleil qui traversent ma fenêtre et je suis légère. Une demie seconde, juste le temps pour mon cerveau d'enregistrer de nouveau qu'il m'a laissé. Je me prépare sans entrain. Douche, vêtements, brosser mes dents, déjeuner. Le regarde dans le vide et la tête pleine de nos souvenirs. Je suis lente, je peine à faire le moindre geste. Le poids de ma douleur m'oppresse, créé une chape de plomb sur mes épaules. La capuche sur la tête, les mains dans les poches, je me dirige vers l'université. La journée s'annonce longue ...
Nos amis, enfin ses amis, qui me tolèrent plus qu'ils ne m'apprécient, me demandent un par un où il est et repartent sans plus de cérémonie lorsque je leur adresse un haussement d'épaules. Qu'est ce que j'en sais moi où il est désormais ? Qu'ils m'oublient eux aussi, je ne les aime pas vraiment de toute façon. Ils sont tous les mêmes. Même personnalité, même style, rien ne les différencie à mes yeux, une belle bande de moutons. Je n'ai jamais compris ce qu'il leur trouvait mais peut être que le filtre de l'amour déployait devant mes yeux une image de lui qui n'était pas la bonne ? Peut être était il finalement comme eux ? Insignifiant.
Les profs aussi me demande des explications pour son absence et je ne leur répond pas plus, détournant les yeux pour tenter de cacher ma peine. Aucun n'insiste heureusement et je peux me planquer derrière mes bouquins toute la journée. Je mange seule, je m'assoie seule en cours. Triste reflet de mon passé, triste reflet de mon future. Je ne suis rien, je ne suis personne sans lui et il le savait. Personne n'essaie de savoir, ou de me remonter le moral et c'est pas plus mal. Qu'est ce que je pourrais bien leur dire qui ne soit pas cliché ? Tout ceci n'est que la plus vieille histoire du monde. La fille étrange tombe amoureuse du garçon le plus canon du coin, il la découvre, tombe amoureux à son tour et puis fini par se barrer. La fille est malheureuse, elle en veut au monde entier. Fin de l'histoire. Le scénario de tous les mauvais romans d'amour.
La fin de la journée arrive enfin, une première journée interminable. Comme pour me faire encore plus de mal, je retourne à l'endroit où il m'a laissé. Et je reste là comme une conne à fixer l'horizon, espérant sans vraiment y croire le voir revenir, me sourire et m'embrasser. En me disant que c'était une blague, qu'il m'a bien eu. Mais évidement, rien ne se passe, je reste seule à regarder droit devant moi.
Les semaines suivantes sont une accumulations de journées ordinaires teintées de noir. Je sombre lentement dans un état léthargique, m'enfonçant toujours plus bas dans les ténèbres, dans la dépression. Personne ne semble vouloir me relever et ma haine contre lui, contre eux ne fait qu'augmenter. Jour après jour. Chaque minute qui passe ne fait qu'accentuer ma haine, mon ressentiment contre tout ce petit monde. Il n'y a plus personne, hein, quand ça ne va pas ! Ils me regardent tous de travers et chuchotent à ma vue. Bande de crétins !
Un corps retrouvé à la surface du lac les sort de leur monotonie et la seule réaction que me provoque cette nouvelle, est un sentiment de joie. Quelque part, quelqu'un va être aussi malheureux que moi en apprenant que son fils, son frère, son père est mort. Je suis timbrée de réfléchir comme ça et pourtant rien d'autre ne me vient. Je n'ai plus assez de compassion pour les humains. Pourquoi en aurais je après tout ? Aucun ne m'est venu en aide alors que j'en ai désespérément besoin, aucun n'a insisté malgré le temps passé ensemble autrefois. Aucun d'eux n'a assez d'humanité pour sortir l'un des leurs, même le plus antipathique, de sa misère, de son malheur. Qu'ils aillent tous au diable.
Tout ne tourne plus qu'autour de ce cadavre, toutes les discussions, toutes les nouvelles informations. Rapidement, on apprend son identité. Pierre Lemasson. Ce n'est pas une noyade mais un meurtre. Toute la fac est en émoi. Tous les regards se tournent vers moi. Leurs yeux reflètent la peur mais je ne sais pas s'ils ont peur que j'explose alors que je suis déjà au plus bas ou s'ils ont peur de découvrir que c'est moi qui l'ai tué. La chronologie n'est pas de mon côté puisque je suis la dernière personne à l'avoir vu vivant. Mais à quoi bon me justifier, ils n'en auraient rien à faire et seraient même capable de se servir de mes protestations contre moi.
Au fur et à mesure, la pression qu'ils exercent sur moi, se fait plus poussée. Personne ne croit en mon innocence et même si je n'attendais pas d'eux qu'ils réfléchissent un minimum, ils me connaissent. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble lorsque Pierre était avec nous, ils savent tous à quel point je l'aimai, à quel point je l'aime. Ils ont bien vu ma descente aux enfers après son départ. Comment peuvent il seulement imaginer que c'est moi qui ai pu l'abandonner là, dans cette eau froide et mortelle ? Seul.
Personne ne se demande ce que ça me fait à moi d'avoir appris la mort de mon âme sœur. Je l'aime malgré sa trahison, malgré son abandon. Les sentiments ne veulent pas partir et son décès est un cataclysme dans ma petite vie déjà bien merdique. Je fais des cauchemars, je rumine les moments passés ensemble. Je tente d'assembler les morceaux du puzzle dans ma tête pour comprendre ce qui a bien pu arriver. Mais rien ne fait sens, il était le mec le plus incroyable que cette terre ait porté.
Les insultes fusent sur mon passage et je ne compte plus le nombre de petits mots menaçant que je retrouve dans mon casier. Je suis devenue leur nouvelle proie et toute cette haine me donne des envies de meurtre. Contre eux, contre moi, je ne sais plus. Les humiliations s'enchaînent et leur violence monte crescendo. Un verre d'eau au visage au self, un parpaing dans la vitre de ma voiture, le mot tueuse gravé à l'aise d'une clé sur mon capot. Ils ne connaissent visiblement pas les notions de présomption d'innocence ni de harcèlement. Et aucun adulte ne réagit. Encore une fois, personne n'est de mon côté et je suis seule.
Lorsque je retrouve un énième morceau de papier dans mon casier tagué de rouge sang, je suis lasse. Je voudrais être partout sauf ici. Et quand je lis ce qui est écrit dessus, je me vide de mon oxygène, d'un coup. « Tu n'étais rien pour lui. Rien qu'un jeu. Crève Salope ! » C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase et je me laisse submerger par mes démons. « Vous êtes coupables » hurlé je en quittant le bâtiment, dans une rage qui pourrait me faire cracher des flammes. En arrivant chez moi, j'ai pris ma décision, je vais le rejoindre, où qu'il soit.
Aussitôt rentrée, je mets mon plan à exécution. Je sors de nouveau une corde, une lame et une bouée, je trouverai bien une pierre aussi lourde que la première là bas. J'hésite à laisser un mot à quelqu'un mais qui pourrait bien en avoir quelque chose à faire de mon suicide ? Personne ne viendra pleurer sur ma tombe. Ils danseront plus probablement dessus. J'arrive rapidement sur les berges du lac, là où il m'a laissé. J'arrive mon amour !
Je cherche la pierre parfaite pendant peu de temps. A croire qu'elle m'attendait juste là. Je noue ensuite mes pieds fermement, puis mes mains avec un noeud qui se resserrera au dernier moment et le noeud coulant à glisser autour de mon cou pour resserrer tous les noeuds. J'avance dans l'eau avec ma pierre sur la bouée et ma lame. Je nage aussi loin que je le peux. Me roule en boule pour passer ma tête dans le cercle que forme la corde. Entaille mon artère brachiale d'un coup tranchant, attrape la pierre et me redresse, toute droite. Le sang s'échappe de mon bras litres par litres en quelques secondes, la corde joint mes poignet et étrangle mon cou, la pierre m'entraîne vers le fond. Bientôt je te rejoindrai mon amour, je suis tout près de toi.
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