Brève n°1

Elle se tourna face à la grande bâtisse pour contempler son œuvre. La fumée commençait déjà à sortir des huisseries, l'odeur âcre du bois qui brûle envahissait peu à peu l'air et elle put apercevoir les premières flammes par la grande double fenêtre de ce qui fut sa chambre à coucher.

C'était là qu'elle avait fait démarrer le brasier. Des draps, baignés de larmes et de sang, plongés dans l'essence qu'il utilisait pour sa stupide moto, une allumette et tout s'embrasa. Les flammes léchèrent, bien plus vite qu'elle ne l'aurait imaginé, le bois de la tête de lit et il lui avait fallu toute sa volonté pour décrocher son regard du spectacle grandiose qui se jouait devant elle. Le lit qui fut spectateur de son ultime bonheur fut aussi celui de ses plus vives douleurs, de ses plus vives désillusions. Il avait connu les rires, les mots doux et les râles de plaisir avant de finir trempé de toutes ses larmes et de nombreux litres de son hémoglobine.

Une première fenêtre éclata avant que le reste des menuiseries n'explose en même temps dans une déflagration qui aurait alerté les voisins s'il y en avait eu. Mais perdu au milieu d'un désert humain, les flammes pouvaient faire leur plus beau travail sans que quelqu'un ne s'en inquiète. Personne n'interviendrait avant plusieurs heures, lorsque le feu aurait envahi les forêts alentours.

L'atmosphère s'alourdit, l'épaisse fumée se glissait dans tous les recoins et l'odeur devint vite insupportable. Pourtant, elle restait là, subjuguée par le funeste destin de sa maison du bonheur. Les braises du bois de la façade, qui explosait sous la chaleur, devenaient le foyer de nouvelles flammes. Toujours plus majestueuses, elles continuaient leur folle course vers le grenier, ne laissant derrière elles que de la désolation et un épais manteau de poussières.

Un éclat de bois incandescent jailli du premier étage pour venir enflammer le garage attenant. Et bientôt tous les engins qu'il regroupait explosèrent à leur tour, ajoutant à l'odeur de la fumée, une désagréable odeur de plastique brulé. Elle ne sursauta même pas, regrettant que son mari n'ai pas été assis dans un coin, recroquevillé sur lui même, les entrailles retournées par la peur et l'effroi.

De sa main droite, elle caressa par dessus sa robe de mariée tailladée, la longue cicatrice qui barrait le bas de son ventre. Ce connard l'avait violé durant des mois, jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte. Puis, il l'avait tabassé sans relâche, quelques semaines après, pour que ce petit « fils de putain » qui grandissait en elle et qui commençait à répondre aux douces caresses de sa mère, ne cesse d'accaparer sa femme. Il avait une notion bien à lui de l'amour et de la tendresse. À grands coups de poings, il lui montrait son affection. À grands coups de pieds, il la caressait. À grands coups de lames, il lui promettait son amour éternel.

Il l'avait laissé pour morte un soir de tempête et elle avait réussi à alerter les secours avant de tomber dans un profond coma, à deux battements de cœur de la mort. Ils l'avaient trouvé bien plus tard, lorsqu'ils eurent enfin réussi à trouver sa position géographique grâce au relai téléphonique de son appel. Gisant dans son sang en position fœtale, les mains sur son ventre et une unique larme figée sur sa joue, son pouls n'était plus perceptible dans ses poignets et ils avaient eu bien du mal à le sentir taper dans sa carotide. Lorsqu'elle s'était réveillée, un mois plus tard dans un lit blanc, le bébé était mort, son utérus dans les déchets de l'hôpital et elle s'enferma dans un mutisme complet. L'enfer devint sa réalité.

Les fondations de la demeure vibrèrent et tout l'édifice vacilla. La fin de son macabre calvaire approchait, en même temps que les étages s'affaissèrent les uns sur les autres, dans un souffle qui la balaya en arrière avec violence. Sonnée, il lui fallu un moment avant qu'elle ne réalise que c'était fini, qu'il fallait partir. Se relevant avec lenteur, dans un mouvement presque beau, elle épousseta ses cheveux, remis en place le jupon de sa longue robe et se retourna.

Elle s'éloigna de ce qui fut sa geôle pendant trop d'années en marchant, lentement, laissant l'empreinte de ses pieds nus sur le sol couvert de suie et de cendres. Son pas se fit plus rapide à mesure qu'elle avançait et elle continua d'accélérer en remontant la longue allée qui menait au portail. Lorsqu'elle couru assez vite, qu'elle eu assez d'élan, elle s'envola dans un battement d'ailes. Sombre corbeau meurtri par la vie et les Hommes, plus rien ne subsistait après son passage.

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