Lire de la fiction (1) - Des milliards de tapis de cheveux
Le roman Des milliards de tapis de cheveux d'Andreas Eschbach, publié en 1995, est une œuvre hybride mêlant à la fois fantasy et science-fiction.
L'histoire commence dans un monde de tisseurs où l'on fait la connaissance d'Ostvan, dont l'existence consiste à tisser un seul et unique tapis à partir des cheveux de ses femmes et de ses filles. D'entrée de jeu, l'univers semble archaïque, embourbé dans des traditions injustes qui obligent l'exécution des garçons à leur naissance. En effet, « selon une loi immuable, un tisseur n'a droit qu'à un seul fils, car le tapis d'un tisseur ne peut nourrir qu'une seule famille. » Le tapis sera ensuite revendu aux gardes impériaux pour finir chez l'Empereur qui, raconte-t-on, a entièrement décoré son palais de tapis de cheveux. Plus l'histoire avance, plus l'on s'éloigne d'Ostvan pour s'intéresser à d'autres destinées qui, évoluant dans le même environnement, nous apportent néanmoins de nouvelles pièces de ce puzzle que représente la reconstitution d'un monde imaginaire. À chaque chapitre son enjeu, son héros, son aventure qui commence ou se termine. On en vient à se demander s'il ne s'agit pas là d'un recueil de nouvelles.
Et puis soudain, après avoir observé cet univers à la loupe pendant près de 160 pages, le lecteur est transporté dans le temps et l'espace et atterrit dans les archives de l'Empereur. Il est désormais question de vaisseaux, de galaxie, de station spatiale... L'histoire incarne dans son texte le fameux tapis capillaire. Ostvan ne voyait pas plus loin que son œuvre, son destin. Pourtant, avec un peu de recul, on se rend compte que son existence n'était qu'un fil dans l'immense écheveau des destinées que l'auteur a patiemment tissé, chapitre après chapitre.
À propos de destinées, que dire de celle d'Aleksandr, l'Empereur immortel consumé d'une avidité insatiable et profondément déprimé depuis qu'il a compris que « tout cela n'a aucun sens » ? Son monologue sur le pouvoir, le contrôle du cœur des hommes, et la mort qui est au final la seule issue, résonne de justesse, à défaut de sagesse.
Mais le personnage au sort le plus poignant est sans aucun doute le souverain oublié du palais des larmes, victime de la vengeance la plus cruelle de toute l'histoire de la littérature. Son image ensablée hantera longtemps vos nuits...
Cette œuvre magistrale représente toute la complexité du monde dont les tenants et aboutissants risquent de toujours nous échapper malgré le fait que nous faisons tous partie des rouages d'une même machinerie infernale qui entraîne certains à leur perte et d'autres à leur gloire. Lire une œuvre telle que Des milliards de tapis de cheveux, c'est réaliser à quel point il est crucial de remettre constamment nos croyances en question. Accepter les faits comme étant acquis, c'est refuser de regarder au-delà de notre métier à tisser, au-delà de notre propre tapis. C'est donc s'enfermer dans un immobilisme fatal. Notre salut tient à peu de choses en réalité. Encore faut-il être prêt à voir nos certitudes chamboulées.
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