Chapitre 5 - Retrouvailles et opossum grillé
Je revenais de plusieurs mois de tournée au Japon pour le Lac des Cygnes lorsque les choses avaient commencé à dégénérer. Le directeur de la compagnie avait pris la décision de mettre fin à notre virée nippone avant que l'épidémie ne prenne des proportions trop importantes, et par chance, j'avais réussi à attraper le dernier vol pour rentrer chez moi.
Le voyage pénible et interminable, ne s'était pas déroulé dans les meilleures conditions. En plus d'avoir dû supporter les hurlements incessants d'un nourrisson, mon portable ne fonctionnait plus. Je n'arrivais à joindre personne. Ni Daryl, ni Merle. Personne.
La moiteur qui m'accueillit lorsque je descendis de l'avion pour poser un pied sur l'asphalte me confirma que j'étais bien rentrée à la maison. Je remis mon vieux sac à dos sur mon épaule et me dépêchai de rejoindre l'aéroport. Je n'avais aucune idée de comment j'allais pouvoir rentrer chez moi, mais pour l'instant, la seule chose qui m'importait était de quitter cet endroit grouillant de monde au plus vite. Si comme on le disait les morts revenaient à la vie pour dévorer les vivants, rester dans un lieu bondé me semblait être une mauvaise idée.
A l'intérieur du terminal, la panique était à son comble. Les voyageurs couraient dans tous les sens, bousculant ceux qui se trouvaient sur leur passage sans se retourner. J'enjambai tant bien que mal des bagages éventrés qui vomissaient leurs contenus sur le sol à la recherche d'une issue. Le personnel avait déserté, les réseaux téléphoniques avaient cessé de fonctionner depuis plusieurs heures et, sans nouvelles de leurs proches, les gens commençaient à perdre possession de leurs moyens. Hurlements, bagarres, j'avais l'impression d'avoir rallié l'enfer sur terre. Je jetai un rapide coup d'œil aux tapis roulants qui étaient à l'arrêt et me félicitai d'avoir laissé ma valise à Tokyo. Je resserrai ma prise autour de la hanse de mon sac à dos qui contenait le strict nécessaire. Quelques vêtements de rechange, une brosse à dents, un vieux miroir de poche, un peigne et le plus important à mes yeux, quelques albums photos. J'aperçus finalement le panneau indiquant la sortie et me précipitai vers l'extérieur. Je regardai aux alentours, affolée. Pas de taxi, pas de navette. Je dus me rendre à l'évidence. Sans possibilité de joindre qui que ce soit, je n'avais plus 36 solutions. J'hésitai entre me mettre en route à pieds ou faire du stop lorsqu'une voix familière m'interpella :
- Casse-Noisette ! Amènes-toi !
- Merle ?! m'écriai-je, ébahie Qu'est-ce-que tu fais là ? demandai-je en grimpant précipitamment dans le vieux pick-up de Daryl.
- Je devais voir quelqu'un pour un truc, répliqua-t-il en jetant son mégot de cigarette.
Je le connaissais suffisamment pour savoir que ce fameux truc avait un rapport avec des stupéfiants. Toutefois, je m'abstins de tout commentaire, trop reconnaissante qu'il eut été dans les parages.
- Tu devais pas rentrer le mois prochain ?
- La tournée a été interrompue, expliquai-je en jetant un coup d'œil à mon reflet dans le rétroviseur. Comment vont les choses ici ?
- C'est la merde ! Y a de plus en plus de bouffeurs de barbaque, faut qu'on s'tire.
- Et pour aller où ? m'enquis-je.
- Atlanta.
***
Merle coupa le contact devant une vieille maison décrépie et je soupirai de soulagement en constatant qu'ici, rien n'avait changé. Je sortis du véhicule avant d'étirer mes bras au dessus de ma tête. Entre le décalage horaire et les heures passées dans l'avion, j'étais épuisée et n'aspirais qu'à prendre une douche chaude avant de me rouler en boule sous ma couette...douce utopie, songeai-je alors que je le savais, les retrouvailles avec mon père ne seraient pas des plus réjouissantes.
- J'te laisse aller voir ton vieux, j'vais prévenir Daryl que t'es rentrée, me lança mon compagnon de route en s'éloignant.
Je remontai l'allée de graviers qui menait à la maison de mes parents avec appréhension, et m'attardai un instant sur le quartier. J'étais allée un peu vite en m'imaginant que tout allait bien. De prime abord inchangé, l'endroit semblait lugubre, triste, sans vie...ou était-ce mon imagination ? Je venais de passer presque six mois à Tokyo, une ville débordante d'énergie, peut-être était-ce simplement un effet de contraste. Merle m'avait expliqué que les choses avaient empiré depuis plusieurs semaines et qu'un camp censé accueillir les réfugiés était basé à Atlanta. Daryl et lui devaient d'ailleurs rallier cet endroit sécurisé dans la journée.
De mon côté, je ne savais pas trop quoi faire. Rester ici, partir avec eux ? Arriverai-je à cohabiter avec Merle plus d'une journée ? Aurais-je la force d'abandonner toutes ces reliques de ma vie d'avant ? J'avais vu les images à la télé, sur youtube, entendu des dizaines, des centaines de témoignages et mes entrailles se nouèrent douloureusement. J'étais terrorisée. Les morts revenaient à la vie...la réalité était devenue un film d'horreur dont j'allais être l'une des principales protagonistes...J'essayai malgré tout de voir le bon côté des choses. Mon avenir était tout tracé. Je deviendrai une survivante chevronnée, tueuse de cadavres ambulants avant de mourir les tripes à l'air dans d'atroces souffrances...sympa comme reconversion ! Je me flagellai mentalement de penser à des horreurs pareilles et reportai mon attention sur la maison familiale, légèrement nauséeuse. Je ne revenais ici que deux fois par an, entre deux tournées, et c'était déjà bien trop.
En pénétrant dans le vestibule, je fus saisie à la gorge par une délicieuse odeur de nourriture avariée et d'alcool. Home sweet home, pensai-je, le cœur au bord des lèvres.
- Je suis rentrée ! T'es là ?
Pas de réponse. Je me dirigeai vers le salon et posai mon sac sur le canapé défoncé.
- Qu'est-ce-que tu fais là ? grogna une voix derrière moi.
Vêtu d'un vieux peignoir élimé ouvert sur un caleçon à carreaux bleus et d'un marcel blanc arborant fièrement une multitude de tâches aux couleurs diverses, mon père se tenait debout dans l'encadrement de la porte de la cuisine. A en juger par sa tenue d'une élégance rare et son ton agressif, j'en déduisis qu'il était ivre...encore.
- La tournée a été annulée, répondis-je platement.
- Y a à bouffer dans le micro-ondes si t'as faim.
- Non...ça va aller, je vais juste prendre une douche et essayer dormir un peu, répliquai-je en omettant toutefois que l'odeur suspecte qui flottait dans l'air m'avait coupé l'appétit.
- Comme tu veux mais fous pas le bordel.
J'acquiesçai en silence et me dirigeai vers la salle de bain avant de m'enfermer à double tour avec un soupir de soulagement. Finalement, ça ne s'était pas si mal passé, songeai-je avec un frisson. Avant de devenir l'ivrogne violent et pervers qu'il était, mon père avait été patron d'une grande entreprise. L'alcool aidant, il avait tout perdu du jour au lendemain, et, d'une vie paisible et confortable dans une banlieue chic, nous avions déménagé dans un taudis. Une nuit, ne supportant plus ses accès de violence à répétition, ma mère avait pris la fuite nous abandonnant ma sœur et moi. Par la suite, les choses avaient empiré pour nous...à tel point qu'Hana avait fini par mettre fin à ses jours. Quant à moi, j'avais eu de la chance que Daryl me prenne sous son aile après son décès. Il avait réussi l'exploit de me garder en vie et saine d'esprit...quoique cette dernière caractéristique restait tout de même à vérifier.
- Où elle est ? entendis-je au moment où j'activais le robinet de la douche.
- Dégage de chez moi Dixon, t'es pas le bienvenu ici ! cracha mon vieux.
- Lola ! cria Daryl.
- Je t'ai dis de dégager !
Sentant la catastrophe arriver, je quittai mon refuge pour rejoindre les deux hommes dans le salon. Daryl pointait mon père avec son arbalète tandis que ce dernier le visait en retour avec notre vieux fusil de chasse...charmant. Ils semblaient, l'un comme l'autre, au bord de l'implosion.
- Qu'est-ce-qui se passe ici ? demandai-je, éberluée.
- Vas préparer tes affaires, tu viens avec nous.
- Quoi ? répliquai-je, interloquée.
- Tu viens avec nous à Atlanta, répéta Daryl.
- C'est hors de question, elle reste ici !
- Papa, calmes-toi, dis-je d'un ton ferme. Toi, cuisine, ajoutai-je à l'attention de mon ami.
Il m'emboîta le pas et s'adossa au plan de travail lorsque j'exigeai une explication à ce qui venait de se passer.
- Ton père peut pas m'encadrer, grogna-t-il en remettant son arbalète dans son dos.
Les cheveux en bataille, ses prunelles bleues brûlantes de colère, je me sentis rougir lorsque mon regard se posa sur ses bras musclés qu'il venait de croiser. Depuis quand était-il devenu aussi séduisant ?
- C'est pas nouveau, répliquai-je après une seconde. Il ne supporte personne... mais peu importe. Je parlais d'Atlanta, soupirai-je.
- Casse-Noisette, faut pas rester ici. Ça va mal finir.
- Mais...je ne peux pas quitter ma maison.
- C'est plus ta maison, tu r'viens une fois tous les 6 mois...et m'fais pas croire que t'accordes de l'importance à c'vieux débris.
Je déglutis difficilement ne sachant quoi répondre.
- On part dans une demie heure, décide-toi, dit-il avant de quitter la pièce brusquement.
- Ok, murmurai-je pour moi-même.
***
Je me triturai les méninges depuis de longues minutes lorsque mon père fit irruption dans la cuisine une bouteille de whisky à la main. Dans une tentative pitoyable pour s'asseoir, il rata la chaise et s'étala de tout son long avant de vomir. Ce genre de scène pathétique ne m'avait vraiment pas manqué. Je ne le supportais plus, il me dégoûtait et au fond de moi, une haine sourde grognait envers cet homme qui nous avait fait tant de mal.
- Manquait plus que ça, soufflai-je au bord de la dépression.
- Espèce de sale petite garce, tu vas pas aider ton vieux père à se relever ?
Je m'agenouillai et tentai de le remettre debout. En vain.
- Dégage ! dit-il en me repoussant violemment contre l'évier avant de s'affaler dans sa bile. J'veux pas de toi ici, t'as compris !
- Y à pas 20 minutes tu voulais que je reste, lui fis-je remarquer en massant mon épaule endolorie.
- Barre-toi je te dis ! répéta-t-il avant de se mettre debout. Vas te faire tringler par ces deux junkies...des putes...mes deux filles...des putes... J'aurais dû te défoncer la gueule plus souvent, sale petite traînée !
La violence de ses paroles ne m'atteignait plus depuis des années. Il ne m'effrayait plus. J'étais juste dégoûtée, écœurée par cet homme qui avait bousillé ma sœur...et quelque part, il me faisait pitié.
- Lola...
Je me retournai pour faire face à Daryl.
- On y va, murmura-t-il. J'te laisse pas dans ce trou.
Je jetai un dernier regard à l'homme qui avait fait de ma vie un enfer et attrapai la main que me tendait mon ami. Je récupérai mon sac à dos sur le divan et, sans me retourner, quittai la maison pendant que mon père continuait de beugler un flot incessant d'insultes en tout genre.
- Comment ça s'est passé ? s'enquit Merle en grimpant sur sa moto.
- Pas si mal, dis-je en prenant place dans le pick up de Daryl qui s'installa derrière le volant.
***
Nous roulions depuis près d'une heure lorsque Daryl finit par prendre la parole :
- Pour ton père...
- Laisses tomber. C'est un connard, tu le sais aussi bien que moi. Je me fiche de ce qui peut lui arriver, marmonnai-je en contemplant le paysage défiler sous nos yeux.
Mettant de côté mes idées noires, je me tournai vers lui en souriant :
- Tu m'as manqué.
- Ouais...bah t'es là maintenant, grogna-t-il avant de plonger à nouveau dans le mutisme.
Je l'observai encore quelques instants et remarquai avec amusement un semblant de sourire s'étirer sur son visage fatigué. Ouais. Il m'avait vraiment manqué.
Le trajet se poursuivit en silence tandis que j'essayais tant bien que mal de capter une station de radio.
- Tu trouveras rien. On a rien entendu depuis des semaines.
- Oh, répliquai-je, un peu abattue.
- C'était comment ? Le Japon ?
- C'était grandiose ! Tu sais, on dit de New York que c'est une ville qui ne dort jamais, mais Tokyo c'est un monde complètement à part, m'enthousiasmai-je. Je suis sûre que ça te plairait...pas du tout, terminai-je avec un froncement de sourcils. Qu'est-ce-qui se passe ?
Devant nous, une file interminable de véhicules s'étendait à perte de vue. Daryl coupa le contact et nous descendîmes tous les deux pour retrouver Merle.
- T'en penses quoi ? demanda mon ami.
- Qu'on est pas prêt d'arriver, p'tit frère. Bordel, je t'avais dit qu'il fallait prendre les routes secondaires !
- Tu m'as rien dit, arrête de picoler !
- C'est l'apocalypse, bordel de merde, faut être complètement con pour prendre les grands axes !
- T'avais qu'à passer devant !
- Oui bon, ça va, le concours de testostérone on verra plus tard, m'interposai-je. On a qu'à faire demi tour et trouver un autre itinéraire.
- La bouffeuse de radis a raison, déclara Merle avant de cracher sur le sol.
- Bouffeuse de radis ? sourcillai-je légèrement vexée de me retrouver affublée d'un tel sobriquet.
- On y va, grommela Daryl avant de remonter en voiture.
- Bouffeuse de radis, radotai-je en attachant ma ceinture. Non, mais t'as vu comment il m'a appelé ?
Pour toute réponse, mon ami me lança un regard noir auquel je répondis par une moue boudeuse.
***
Le jour commençait à décliner lorsque Daryl gara son pick-up sur le bas côté.
- On va camper ici, déclara-t-il.
Tous les itinéraires que nous avions emprunté étaient bouchés. Visiblement, tous les habitants du coin avaient eu la même idée et Atlanta était brusquement devenue la dernière destination à la mode. Je regardais les arbres qui bordaient la route avec un frisson.
- T'aurais pu nous trouver un hôtel avec spa, tentai-je de plaisanter avant de descendre de voiture.
Nous attrapâmes nos affaires et nous engageâmes dans la forêt sans autre bruit que celui de nos pas.
- Ici ça ira, décida Merle avant de jeter son sac sur un tas de feuilles. On est assez éloignés de la route et assez proches si jamais on doit s'barrer rapidement.
Daryl acquiesça d'un signe de tête.
- Vous croyez qu'il y en a ici aussi ?
- Non princesse, uniquement des écureuils et des papillons, railla le frère de mon ami.
- Très drôle, tu devrais songer à une reconversion dans le stand up je suis sûre que tu ferais un carton, rétorquai-je.
- Ferme la !
- Vous me gonflez, je vais chasser, marmonna Daryl en attrapant son arbalète.
Je le regardai s'éloigner et me tournai vers Merle avec haussement d'épaules désabusé :
- Tu l'as fait fuir.
- Aide-moi à monter les tentes au lieu d'raconter des conneries...j'sais pas comment mon frangin fait pour te supporter, marmonna-t-il.
- Oh allez, je suis sûre que je t'ai manqué depuis mon départ !
- Ouais c'est ça, répliqua-t-il en me lançant une toile à la figure. Au boulot !
J'avais beau détester le camping, monter une tente n'avait aucun secret pour moi, et pour une fois, Merle semblait assez satisfait de ma présence.
- Pour une bouffeuse de radis, tu t'démerdes pas si mal, finit-il par dire.
- Arrête de m'appeler comme ça !
- Brouteuse de gazon ? Quoique vu comment tu mates mon frère, ça doit pas être ton style.
- Un souci avec les lesbiennes Merle ? demandai-je, sans relever sa dernière remarque.
- Non au contraire, ça m'excite, s'exclama-t-il avec un haussement de sourcil suggestif.
- Ok, soupirai-je dégoûtée, tu sais quoi, je vais te laisser faire mumuse avec tes fantasmes sur les écureuils lesbiens qui peuplent cette charmante forêt et je vais plutôt voir si Daryl a besoin d'aide. Oh, et pour ton information, ajoutai-je après une seconde, je ne le mate pas.
***
La nuit était tombée. J'attrapai un gilet dans mon vieux sac à dos et l'enfilai en frissonnant. La fatigue, combinée à l'humidité environnante, avaient eu raison de la pseudo aventurière qui sommeillait en moi. J'observai avec un haut le cœur Daryl et Merle dévorer l'opossum qu'ils avaient fait grillé sur un réchaud de camping et reportai mon attention sur les quelques myrtilles que j'avais trouvé un peu plus tôt. Pas de quoi être rassasiée mais ça irait pour ce soir.
- T'es sûre que t'en veux pas ? me demanda mon ami pour la troisième fois.
- Non, répondis-je en secouant la tête. Je te rappelle que je suis vegan.
- Tu parles d'une connerie, lança Merle en déchiquetant un morceau de patte sous mes yeux.
- Tu vas crever la dalle, remarqua Daryl. Mange !
- Il est hors de question que je mette quoique ce soit d'origine animale dans ma bouche, rétorquai-je avant de réaliser ce que je venais de dire.
Les deux hommes me regardèrent éberlués avant d'éclater de rire.
- Oh ça va, vous avez compris !
- J'sais pas, c'est vegan ou pas ? s'exclama Merle avec un rire gras.
- T'es qu'un porc. Je vais me coucher, déclarai-je en me levant.
Je m'enfermai dans une des deux tente et resserrai mon gilet autour de moi, frigorifiée. Je retirai mes rangers avant de m'installer sur le duvet prêté par Daryl, lorsque celui-ci me rejoignit.
- T'as les pieds en charpie, remarqua-t-il à la vue de mes ampoules sanguinolentes qui n'avaient pas eu le temps de cicatriser depuis ma dernière répétition.
- Bienvenue dans le monde du Ballet, Monsieur Dixon, dis-je avec un sourire amusé tandis qu'il s'installait à côté de moi.
- Ça va ?
- Si tu fais allusion à Merle et à ses remarques douteuses, t'as pas à t'en faire. J'ai connu pire...d'ailleurs, je ne t'ai pas remercié d'être venu me chercher cet après-midi.
- T'as pas à le faire.
- Mais j'y tiens...je sais qu'il va falloir que je supporte Merle à partir de maintenant, plaisantai-je, mais...si vous n'aviez pas été là tous les deux...
- N'y pense plus.
- Qu'est-ce-qui va se passer à ton avis ? demandai-je, après quelques secondes.
- J'en sais rien Casse-Noisette, soupira-t-il. Tu d'vrais essayer de dormir. On r'prend la route demain matin, en espérant pouvoir rejoindre Atlanta.
- Ouais...t'as raison, je suis épuisée, dis-je à voix basse.
Mon ami se leva avant de se retourner lentement.
- Tu m'as manqué aussi.
***
Une semaine s'était écoulée depuis que j'avais pris la route avec Daryl et Merle. Notre projet de rejoindre Atlanta s'était transformé en illusion lorsque deux jours plus tôt, alors que nous touchions enfin au but, un bombardement avait eu lieu sur la ville. Nous n'avions pas de plan B en réserve et les choses empiraient de jour en jour. Les embouteillages s'étendaient sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, quant au nombre de morts vivants, il ne cessait d'augmenter. Histoire de compliquer les choses, à force de ne me nourrir que de baies, j'avais attrapé une espèce d'intoxication alimentaire.
- Il faut que t'avales des protéines, me fit remarquer Daryl alors que je vomissais tripes et boyaux.
- Là, tout de suite...j'en ai pas vraiment envie, dis-je avant d'être submergée par une nouvelle vague de nausée.
Mon ami me tenait les cheveux pendant que je me vidais du peu que j'avais ingurgité.
- Tu vas finir par être vraiment malade, reprit-il. Et c'est l'apocalypse, alors j'crois pas que les grandes convictions soient toujours d'actualité, ajouta-t-il avant de me tendre une bouteille d'eau.
- T'as sans doute raison, soupirai-je avant de me rincer la bouche. Merci pour la bouteille.
- Garde-là, on sait jamais.
- Je peux te demander un service ?
- Dis toujours.
- Si tu pouvais éviter de parler de ça à Merle...
- Tu peux toujours courir, dit-il avec un demi sourire. Faut que j'reparte chasser, ça va aller ?
- T'inquiète, je survivrai, répliquai-je dans un bâillement.
Daryl m'embrassa sur le front avant de s'enfoncer dans les entrailles de la forêt. Je retournai vers le campement, épuisée et frissonnante. Il avait raison. Si je ne changeais pas mon régime alimentaire, je ne ferais pas long feu.
Le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, je commençais à me sentir mieux. Je m'étirai avant de me lever. Mes longs cheveux bruns ramassés en une tresse qui pendait mollement sur l'une de mes épaules, j'enfilai mon jean troué et un débardeur blanc. Je m'apprêtai à sortir lorsque j'entendis Merle et Daryl discuter à l'extérieur.
- Il faudrait qu'tu t'occupes de la chasse aujourd'hui, demanda mon ami.
- Pour quelle raison j'ferais ça ?
- Faut que j'apprenne à Lola à se défendre. J'veux pas prendre le risque qu'il lui arrive quelque chose si un jour j'suis pas dans le coin.
- Tu la maternes trop, répliqua Merle, la bouche pleine. Faut qu'elle s'débrouille.
- Je t'ai pas demandé ton avis. La chasse ? T'y vas ou quoi ?
- Relax, p'tit frère, c'que je dis, c'est que tu lui rends pas service. C'est comme l'avoir embarqué avec nous, c'était pas l'idée du siècle.
- Et j'aurais dû faire quoi ? La laisser là bas avec l'autre ivrogne ?...ça l'aurait tué.
- Elle est plus forte que ça et tu l'sais très bien, mais faut que tu la laisses se débrouiller un peu seule.
- J'peux pas faire ça, répliqua Daryl, à voix basse.
- Pourquoi ? s'écria son frère. C'est à cause de sa sœur ? Me dis pas qu'tu culpabilises encore qu'elle se soit suicidée !
- Ferme ta gueule, ça a rien à voir avec Hana.
- Alors quoi ? Tu veux t'la faire ? J'peux comprendre, elle est plutôt agréable à regarder, lança Merle d'un ton équivoque.
- Laisse tomber, je vais m'démerder, maugréa Daryl au moment où je sortais de ma tente.
- Salut ! Bien dormi ? m'exclamai-je, faussement enjouée.
- A merveille, marmonna mon ami dont la voix trahissait un semblant de colère. Tu viens avec moi aujourd'hui, alors grouille toi, on n'a pas toute la journée.
- J'arrive, dis-je en finissant d'enfiler mes Doc Martens.
Perturbée par la discussion que j'avais entendue, je suivis Daryl qui avançait au pas de course sans dire un mot. Il semblait furieux. Après de longues minutes de marche parcourues dans le silence le plus total, il me fit signe de m'arrêter.
- Tiens, dit-il en me tendant une machette.
J'attrapai l'objet en question, mal à l'aise.
- Faut que t'apprennes à te défendre.
- Je suis d'accord, acquiesçai-je. Tu seras pas toujours là pour jouer les baby-sitter, ajoutai-je avec anxiété.
- T'as tout entendu ?
- Plus ou moins...Je crois que Merle ne m'apprécie pas beaucoup, pouffai-je nerveusement.
- On s'en fout de ce qu'il pense.
- Il n'a pas tort, je dois apprendre à me débrouiller seule. Encore plus...maintenant que le monde part en vrille.
- Ouais.
- Daryl...tu n'es pas responsable de qui est arrivé à Hana. Tu as fait tout ce que tu as pu et...
- J'ai pas envie de parler d'ça avec toi, dit-il froidement. Bon, tu veux apprendre ou quoi ? reprit-il un peu plus calmement.
- Bien sûr, murmurai-je, sentant que le moment n'était pas venu d'aborder un sujet aussi sensible que la mort de ma sœur.
Nous reprîmes notre marche avant de tomber sur un rôdeur d'une taille colossale. Depuis que nous avions pris la route une semaine plus tôt, nous avions eu à faire à des dizaines de morts vivants mais celui-ci était vraiment impressionnant. En plus de son odeur abominable, il devait bien mesurer dans les deux mètres. Torse nu, le crâne rasé, il était uniquement vêtu d'un caleçon moulant en lycra noir et doré et d'une paire de bottes montantes à lacet. Par chance, il ne nous avait pas encore vu.
- Celui-là, chuchota Daryl. Approche-toi suffisamment pour lui démonter la tête.
- Quoi ?! Tu veux que je lui plantes ça dans la tête ? m'exclamai-je, à voix basse.
- T'as qu'à imaginer que c'est une pastèque.
- Une pastèque ? Sérieusement ? Si un jour, tu vois une pastèque qui a cette gueule là, fais-moi signe ! Et puis, comment tu veux que je fasse ? Ce type a tout d'un catcheur et moi je fais 1m20 à côté de lui, comment tu veux que j'arrive à lui planter ça dans le cerveau ?
- Jamais t'arrêtes de jacasser ? Vas buter ce rôdeur !
- Ok, abdiquai-je, mais je te préviens, s'il me tue, je reviendrai te bouffer dans ton sommeil !
- Ça, ça m'étonnerait.
- Et pourquoi ça ? demandai-je, indignée, les mains sur les hanches.
- Parce que t'es vegan.
Je ne pus m'empêcher de sourire à sa remarque et resserrai ma prise autour de mon arme.
- T'en es capable Casse-Noisette.
Inspirant un grand coup, je m'élançai en silence vers le colosse. Lorsqu'il me repéra, le monstre et sa puanteur extrême se précipitèrent vers moi à grand renfort de grognements et autres claquements de mâchoire. Ma machette fermement ancrée dans mes deux mains, j'évitais une première attaque. Il était grand, il était gros et par conséquent...il était lent. Très lent. D'une simple pirouette, je réussi à le prendre à revers. D'un coup net et précis, je lui sectionnai l'une des deux jambes. L'odeur putride qui se dégagea de la blessure du catcheur me saisit à la gorge mais je ne me laissai pas déconcentrer. Par je ne sais quel miracle, la chose avait réussi à se retourner et rampait vers moi avec des beuglements sourds. La scène aurait put être ridicule si elle n'avait pas été aussi effrayante. Il avançait lentement, infatigable, la bouche grande ouverte m'offrant une vue imprenable sur sa dentition pourrie et sa langue en putréfaction. Deuxième coup de machette. Je l'amputais d'un bras et finalement, sans cérémonie, j'abattis ma lame de toutes mes forces sur son énorme crâne qui éclata littéralement, m'éclaboussant au passage d'une substance visqueuse nauséabonde. Je contemplai, hébétée, la masse informe qui se tenait à mes pieds. Je l'avais fait. Du haut de mon mètre soixante, j'avais réussi à dégommer le plus grand mort vivant de toute l'histoire des morts vivants. Seule et à mains nues. Je me tournai vers Daryl avec un grand sourire :
- Je comprends mieux l'histoire de la pastèque, déclarai-je à la vue de la bouillie noirâtre qui sortait de sa boîte crânienne. Alors, ajoutai-je en me rapprochant de mon ami, comment je m'en suis sortie ?
- Pas mal, rétorqua ce dernier avec un semblant de sourire. Un peu lente vers la fin, mais pour une première, c'était pas mal.
- Tu déconnes j'espère ? m'exclamai-je. Je te signale qu'il faisait deux fois ma taille !
Pour toute réponse, il remit son arbalète sur son épaule et me tendit une bouteille d'eau.
- Allons-y, faut qu'on te trouve de quoi bouffer.
- A ce propos...j'ai réfléchi à ce que tu m'as dit hier.
- Et ?
- J'imagine que les convictions n'ont plus vraiment d'importance, dis-je.
- Quoi ? Tu veux plus d'myrtilles ?
- Pitié...tout sauf ça, pouffai-je. Et Daryl ?
- Quoi encore ?
- Je suis contente que tu sois venue me chercher...mais je veux pas être un boulet à ta charge ou à celle de ton frère.
- Tu viens d'prouver que t'en étais pas un Lola, alors détends-toi.
- Merci, dis-je avec un sourire.
De retour au campement, nous constatâmes que Merle avait replié les tentes et rangé nos affaires.
- Qu'est-ce-qui se passe ? demandai-je, tandis que ce dernier regardait intrigué, les tâches brunes qui maculaient mon visage et mon débardeur.
- Elle a tué son premier rôdeur, l'informa Daryl.
- Super, faudra fêter ça ! railla son frère avec un sourire teinté d'ironie. Au fait, on déménage, ajouta-t-il en me balançant mon sac à la figure.
- Comment ça, on déménage ? m'enquis-je, éberluée.
- Y a une carrière un peu plus loin à l'ouest, y a de l'espace, un lac, de quoi voir venir en attendant que l'armée fasse son job.
- Et t'as su ça comment ?
- En parlant, p'tit frère. J'suis allé vérifier que nos véhicules étaient encore là et j'ai rencontré un type. Il s'appelle Shane. Ils sont tout un groupe là bas, des femmes, des enfants, une vraie colonie de vacances.
- J'imagine que ça ne coûte rien d'aller voir, dis-je en me tournant vers Daryl.
- Ouais. Faut voir, répliqua-t-il.
Nous attrapâmes nos affaires avant de retourner vers la route. Merle grimpa sur sa moto pendant que je prenais place à bord du pick-up avec un sourire aux lèvres.
A suivre...
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