Chapitre 11 - Confidences et Jiminy Cricket
Le jour était tombé, cédant sa place aux ténèbres de la nuit tandis que nous roulions depuis de longues minutes. Les yeux braqués sur la route, Lori rompit le silence qui s'était installé depuis notre départ.
- J'ai dit à Rick que j'étais enceinte.
Je me tournai vers elle, attendant qu'elle poursuive.
- Et il est au courant pour Shane, reprit-elle à voix basse. Depuis le début, il avait tout compris.
- Oh et...il a pris ça comment ?
- Disons qu'il a relativisé. Je ne peux pas le perdre, Lola. Pas encore.
- Ça n'arrivera pas.
- Ce bébé, déclara-t-elle fermement, il est de Rick. Quoiqu'il ait pu se passer avec Shane, cet enfant est le sien.
- On va le trouver, ne t'inquiète pas, tentai-je de la rassurer.
Je replongeai dans le mutisme un instant me concentrant sur le paysage sombre qui défilait par ma fenêtre.
- Vu qu'on en est arrivée au stade des confidences...T'avais raison, finis-je par dire.
Devant son air interrogateur, j'ajoutai :
- A propos de Daryl...et de mes sentiments pour lui.
- Oh, répliqua-t-elle, troublée. Et donc ? Tu comptes lui dire ?
- Je n'en sais rien, murmurai-je en pensant à Hana.
- C'est à cause de ta sœur ? s'enquit-elle.
- Entre autres choses, répliquai-je, la gorge nouée. Daryl sait beaucoup de choses sur moi mais...il y a un truc qu'il ignore et...laisse tomber.
- Tu peux me parler Lola, tu le sais ?
- Ouais, marmonnai-je.
- Et je pense que tu peux lui parler aussi. C'est évident qu'il tient énormément à toi, y'a qu'à voir la façon qu'il a de te regarder.
Le silence reprit progressivement sa place pendant que je me perdais à nouveau dans mes pensées. La grande brune déroula la carte sur le volant lorsqu'un rôdeur apparut brusquement au beau milieu de la route.
- Lori, attention ! m'écriai-je en agrippant le tableau de bord.
Mon amie tenta en vain d'éviter le mort-vivant avant de le percuter de plein fouet. Le contrôle du véhicule lui échappa tandis qu'elle fonçait dans la bute bordant le bitume. Brutalement, la voiture décolla. J'accrochai ma ceinture à la hâte, attendant crispée, le choc de l'atterrissage. Puis...plus rien.
***
Les phares clignotaient derrière mes paupières closes, et à en juger par le bruit que j'entendais, une roue continuait de tourner dans le vide. J'entrouvris péniblement les yeux lorsqu'une douleur sourde me vrilla l'épaule droite. Avec un gémissement d'horreur, je réalisai qu'un énorme morceau de verre transperçait ma chair sanguinolente. Merde. Merde. Merde !!!!
- Lola, gémit Lori à côté de moi, ça va ?
- Oui, je crois, grimaçai-je en portant une main sur ma tête qui avait violemment heurté ma vitre.
Du bout des doigts, je constatai qu'une grosse entaille avait fait son apparition sur l'une de mes pommettes, et que mon arcade s'était rouverte. Si ça continuait comme ça, j'allais finir par ressembler à la cousine de Freddy Krueger !
- Et toi ?
Je tournai la tête vers mon amie pour constater qu'à part quelques égratignures, elle était indemne. Un miracle, compte tenu de l'état de la voiture, qui s'était retrouvée couchée sur le côté dans un amas de tôle et de verre brisé.
- Je vais bien...mais ton épaule ! s'écria-t-elle, épouvantée.
- Ça va aller, soufflai-je. Faut pas qu'on reste là, le bruit a dû attirer d'autres rôdeurs.
A peine eus-je terminé ma phrase, que deux cadavres faisaient déjà la queue pour participer à notre « car-crash party ». Une nouvelle fois, leur sens du timing me laissa perplexe. Ils avaient un radar ou quoi ?
Le monstre qui se trouvait face à moi tentait de traverser le pare-brise éclaté à l'aide de son visage, et à entendre ses grognements, se faire arracher des lambeaux de peau à mesure qu'il s'acharnait à avancer, semblait être l'éclate totale.
- Putain de merde ! Lola, on fait quoi ?
- J'en sais rien ! T'as pas un couteau ou autre chose ? demandai-je pendant que le mort-vivant qui m'avait désignée comme plat du jour se faisait joyeusement déchiqueter la mâchoire dans un borborygme humide.
- Non...on est parties tellement vite...je n'ai pas réfléchi.
Bordel ! Il était hors de question de crever ici. Pas comme ça ! Pas au beau milieu de la route ! Je refusais de devenir ce pathétique résidu d'humain grotesque à la figure à moitié dévorée.
Paniquée, je cherchai de quoi me défendre tandis que le claquement caractéristique de ses dents putrides résonnait à mes oreilles. Le rôdeur s'approchait de en plus dans un gargouillis écœurant de chair écorchée. Avec toute l'énergie dont je disposais encore, je refermai ma main sur l'éclat de verre fiché dans mon épaule et, avec un cri de rage, l'arrachai avant de le planter dans le crâne de mon assaillant. A bout de souffle, je tendis mon arme de fortune à Lori, qui se débarrassa du deuxième cadavre.
Après quelques minutes de contorsion douloureuse, nous réussîmes enfin à sortir de l'épave. Je fermai les yeux une seconde, affaiblie par la quantité absurde de sang que j'avais déjà perdu. La douleur, quant à elle, avait disparu. L'adrénaline m'avait totalement anesthésiée.
- Il faut qu'on stoppe l'hémorragie, dit-elle en arrachant un pan de sa chemise pour me confectionner un garrot.
- Ça va aller, j'ai connu pire, grimaçai-je, les deux mains posées sur les genoux pour reprendre mon souffle. Je peux pas croire qu'on se soit barrées comme ça, sans armes et sans rien dire à personne.
- Je suis désolée, c'est de ma faute.
- Laisse tomber Lori, je te rappelle que c'est moi qui ai insisté pour t'accompagner. Toi, tu es sûre que ça va ? Le bébé ?
- Je vais bien, t 'inquiète pas. Et maintenant ?
- Le centre ville est par là, dis-je en me redressant. On continue à pieds.
- Tu vas tenir le coup ? s'inquiéta-t-elle.
- Bien sûr, je suis une ancienne ballerine, la douleur c'est mon credo, plaisantai-je en me mettant en route.
- Les ballerines n'ont pas de trou dans les épaules, remarqua-t-elle avec un haussement de sourcils.
- Non, mais elles dansent des heures en équilibre sur des pointes, crois-moi, ça à côté, c'est rien, tentai-je de relativiser. Et puis, ça ne saigne presque plus.
Je n'avais aucune idée du nombre de kilomètres parcourus. Nous marchions depuis près de deux heures et je sentais mes forces diminuer à mesure que nous avancions. La douleur dans mon épaule s'était réveillée, rendant chaque mouvement délicat. Par chance, nous n'avions pas croisé d'autre rôdeur depuis l'épisode de l'accident. Je m'arrêtai une seconde pour reprendre mon souffle lorsqu'une voiture apparut enfin derrière nous.
- On rentre ! lança Shane en sortant du véhicule.
Putain, si je n'avais pas autant haï ce mec, je lui aurais volontiers rouler une pelle. Je devais l'admettre, pour une fois, sa présence m'emplissait de joie et de soulagement.
- Hors de question, rétorqua Lori, qui continuait d'avancer.
- Ils sont rentrés ! répliqua le flic.
- Comment tu nous as retrouvé ? demandai-je au bord de l'épuisement.
- Daryl, il nous a dit que t'étais venu le voir, répondit Shane en s'adressant à la grande brune.
- Tu dis qu'ils sont rentrés ? Dans ce cas, pourquoi c'est pas Rick qui est venu nous chercher ? s'enquit-elle.
- Disons qu'il a eu un imprévu. Allez, amenez-vous !
***
- C'est qui lui ? demandai-je à Hershel en désignant un jeune homme évanoui sur la table de la salle à manger, une jambe en lambeaux.
Le corps ankylosé, j'étais installée sur le divan dans le salon depuis une trentaine de minutes. Le patriarche avait déjà recousu ma joue et s'attaquait à présent à mon épaule. Je grimaçai tandis qu'il nettoyait la plaie béante, mais par dessus tout, j'appréhendais la réaction de Daryl. Je ne l'avais pas encore vu depuis mon retour, mais d'après ce qu'avait laissé entendre T-Dog, mon ami était furieux.
- Il s'appelle Randall, répondit le fermier en finissant de suturer ma blessure. Rick vous expliquera tout ça demain. Pour le moment, ajouta-t-il avec un sourire emprunt de bienveillance, il faut vous reposer. Vous avez perdu beaucoup de sang.
- Merci Hershel. Je suis contente que vous soyez rentré, dis-je avant de me lever.
- Moi aussi, répliqua-t-il.
Je sortis de la maison, descendis les quelques marches et me figeai un instant en découvrant Daryl qui m'attendait devant ma tente. Son air renfrogné m'indiquait clairement que j'allais passer un sale quart d'heure.
- T'es fière de toi ! lança-t-il en jetant son mégot de cigarette tandis que je m'approchais.
- Écoute, soupirai-je, c'est pas le moment, je suis fatiguée.
- J'crois au contraire que c'est le moment parfait, marmonna-t-il en me bloquant l'accès à la fermeture éclair.
- Tu voulais que je fasse quoi ? m'exclamai-je alors. Je te rappelle que t'as envoyé balader Lori.
- Et alors ? J'en ai peut-être ma claque de devoir aller chercher tout l'monde ! J'suis pas un putain d'coursier !
- Je ne pouvais pas la laisser y aller seule !
- Et t'as failli crever !
- Je vais bien ! J'avais juste besoin de...m'occuper, de ne plus penser à toute cette merde...Putain, on a enterré une gosse ce midi !
- Tu crois que j'le sais pas ?! aboya-t-il. J'ai passé des jours à la chercher. J'ai pris une balle et un carreau pour la retrouver !
- Je sais, me radoucis-je, la gorge soudain nouée.
- Sophia, Merle, Hana...j'ai rien pu faire pour eux ! cria-t-il, hors de lui.
- Mais moi je suis là, repris-je doucement en le forçant à me regarder, je serai morte depuis longtemps sans toi.
- A cause de ton vieux ?
- Ouais, répliquai-je en me frottant les yeux.
- Explique, ordonna-t-il.
- Pas maintenant, je suis épuisée, faut que je dorme.
- Pas avant qu'tu m'aies tout dit.
- Laisse moi passer ! m'écriai-je à bout de nerfs.
- Crache ce putain de morceau ! s'énerva-t-il.
- Ok. Tu veux tout savoir hein ? Mais ça changera quoi ?! En quoi ça va t'aider de savoir que quand t'es venu me chercher pour mon audition, j'étais sur le point de m'ouvrir les veines dans la baignoire parce que mon père était devenu encore plus barge avec la mort d'Hana ?! explosai-je en larmes. Ça change quoi ?! Ça t'avance à quoi de savoir que je suis aussi lâche que ma sœur ? Aussi faible ?
Atterré, il ne répondit rien. Je le bousculai pour qu'il me laisse passer et me tournai vers lui avant d'entrer.
- Tu n'es pas responsable pour Sophia ou pour Merle...ni pour Hana d'ailleurs. C'était son choix et tu n'y peux rien.
Je m'enfermai dans ma tente, à bout de force. Je l'avais fait. Je lui avais dit. Putain. D'un revers de la main, j'essuyai rageusement mes larmes et pestai en accrochant la plaie qu'Hershel venait de recoudre sur ma joue. J'essayai de retirer mon t-shirt couvert de sang mais la douleur de mon épaule était telle que j'étais incapable de lever le bras. Je me laissai tomber sur mon sac de couchage avec un soupir de frustration. Pourquoi avait-il fallu que je tombe amoureuse de lui ? Tout était tellement plus simple avant que ma tête ne soit pleine de ces foutus sentiments !
- Besoin d'aide ?
Je sursautai en entendant sa voix rauque et acquiesçai en silence. Il s'approcha lentement, s'agenouilla devant moi et m'aida à faire glisser le tissu au dessus de ma tête. Je frissonnai lorsque ses doigts effleurèrent par inadvertance la peau dénudée de mon ventre. J'allais crever pour de bon s'il continuait à me tourmenter comme il le faisait depuis quelques temps. Je déglutis, troublée de me sentir aussi vulnérable devant lui. Ses yeux brûlants me détaillèrent un instant, s'arrêtant sur chaque hématome avant de se poser sur le pansement de mon épaule. Mal à l'aise, il attrapa dans mon sac ma veste de sport, glissa mon bras endolori dans une des manches pendant que j'enfilais la deuxième, et doucement, il remonta la fermeture éclair.
- Une chance que t'aies eu cette audition, finit-il par dire.
- Faut croire que le karma voulait que je vois la fin du monde, répliquai-je tristement.
- J'pourrais pas me l'pardonner s'il t'arrivait quelque chose, marmonna-t-il en replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille.
- Tu ne pourras pas toujours me protéger, dis-je en refoulant un sanglot.
- Hana est venue me voir ce jour là, lâcha-t-il finalement en détournant le regard. J'savais pas qu'elle avait prévu de...se pendre, ajouta-t-il devant mon air ahuri. Elle m'a fait promettre de prendre soin d'toi s'il devait lui arriver quelque chose.
Je restai muette, hébétée par son aveu. Pour quelqu'un d'aussi secret et d'aussi peu loquace, se livrer comme il était en train de le faire, devait lui demander un effort surhumain.
- Tu sais, c'était y a 13 ans, on peut dire qu'il y a prescription maintenant, alors...si tu veux te libérer de cette promesse, je ne t'en voudrais pas, murmurai-je.
- Ça fait des années que j'le fais plus pour elle, déclara-t-il en plongeant son regard dans le mien.
Mon cœur s'emballa lorsqu'il prit mon visage entre ses mains. Je n'avais jamais vu une telle expression dans ses prunelles bleues.
- Et tu le fais pour qui alors si ce n'est pas pour Hana ? soufflai-je en me mordant la lèvre inférieure.
Indéchiffrable, il effleura ma pommette meurtrie du bout des doigts avant de passer son pouce sur mes lèvres.
- Faut qu'tu dormes, dit-il en semblant reprendre ses esprits.
- Ouais, articulai-je, encore sonnée par son attitude.
- T'es peut-être pas encore une dure à cuire, mais t'es pas faible, ni lâche. Avec ce que t'as vécu, n'importe qui aurait voulu en finir, grogna-t-il avant de sortir.
L'espace d'une seconde, je m'imaginai lui courant après pour me jeter dans ses bras. Il m'embrasserait et nous aurions une vie merveilleuse, faite de massacres de rôdeurs, de pillages, de fuites et de sexe torride. Je levai les yeux au ciel en imaginant la version apocalyptique improbable de notre couple à la Bonnie and Clyde. Vraiment, je devenais ridicule. Mais comment pouvais-je rester de marbre alors qu'il s'amusait à me tourmenter encore et encore ? Ce n'était pas volontaire, je le savais, mais il me rendait complètement dingue ! Je m'affalai sur mon sac de couchage en étouffant un cri de douleur. Avec toutes ces conneries, j'avais oublié mon épaule en charpie et les bleus qui se comptaient par dizaines sur mon corps meurtri.
***
Les jours défilèrent, semblables les uns aux autres, un peu comme une boucle temporelle dans laquelle j'étais coincée malgré moi. Je me levais, avalais mon petit-déjeuner, m'entraînais au tir du mieux que je pouvais compte tenu de mon épaule en compote, et montais la garde devant la remise avant d'aider à préparer le dîner. Et ça recommençait. Encore et encore.
Rick, Hershel et Glenn nous avaient expliqué que Randall et son groupe les avaient attaqué lors de leur virée au Hatlin's. Le jeune homme s'était gravement blessé en s'empalant sur un portail en fer forgé et ses compagnons l'avaient abandonné, tandis qu'une meute de rôdeurs attirée par les coups de feu avait peu à peu pris possession du centre ville. Dans leur grande bonté, mes trois amis l'avaient arraché (sans mauvais jeu de mot) à son destin funeste pour le ramener à la ferme. Le patriarche l'avait soigné, et depuis, nous le gardions enfermé dans la remise, le surveillant à tour de rôle.
Shane et sa demie mesure légendaire insistaient pour le mettre à mort, Dale temporisait du mieux qu'il le pouvait, quant à moi, j'étais partagée. Randall refusait de nous parler de son groupe. Nous n'avions aucune idée de leur nombre, de leur localisation, ou de leurs intentions.
Le quatrième jour, j'avalais mon bol de porridge affalée devant ma tente, lorsque Daryl arriva. J'avais soigneusement évité de me retrouver seule avec lui depuis le soir de l'accident. Mes émotions m'épuisaient à jouer constamment aux montagnes russes, et je n'étais pas sûre de pouvoir me maîtriser encore longtemps. Si le petit jeu de séduction qui s'était installé malgré nous continuait, j'allais finir par craquer. J'en étais donc venue à la conclusion, que je devais limiter la tentation au maximum...même si cela me coûtait. Cependant, l'adage qui stipulait loin des yeux loin du cœur était une belle connerie quand l'objet de vos tourments se trouvait perpétuellement dans votre champ de vision. A croire qu'il le faisait exprès ! Je ne cessai de penser à cette phrase qu'il avait prononcé sans me donner de réponse. Ce n'était plus pour Hana qu'il prenait soin de moi. Était-ce pour lui ? De nouveau, les montagnes russes.
Je posai mon bol à moitié entamé sur le sol avec un soupir et me levai pour rejoindre les autres.
Observant l'état désastreux des jointures éclatées de mon ami, j'en déduisis que le jeune Randall avait dû passer un mauvais moment.
- Alors ? Tu as pu en tirer quelque chose ? demanda Rick.
- Ouais, grogna le chasseur, ils sont une trentaine, et c'est pas des enfants de cœur. Ils ont des armes automatiques. S'ils se pointent ici, on est tous morts. Et vous les filles, vous passerez un sale quart d'heure.
Lori se crispa à mes côtés, Carl dans ses bras.
- Qu'est-ce-que tu lui as fait ? l'interrogeai-je en désignant ses mains d'un signe de tête.
- On a juste bavardé, éluda-t-il en remettant son arbalète sur son épaule.
- On fait quoi ? s'enquit Carol.
- Personne ne l'approche, ordonna le shérif.
- Et qu'est-ce-qu'on est censé faire de lui ? reprit Lori.
- On a pas le choix. Ce type est une menace, et les menaces, on les élimine.
- Tu veux tuer ce gamin ? s'exclama Dale, horrifié.
- Le sujet est clos. On règle ça aujourd'hui, annonça Rick d'un ton ferme avant de s'éloigner.
Dale s'élança à sa suite, dans l'espoir, sans doute, de le raisonner. De mon côté, je ne savais plus quoi penser. Je restai un moment à contempler la remise, l'esprit embrouillé de nombreuses questions. Tuer des rôdeurs était une chose, tuer des vivants...en était une autre.
***
Je montais la garde depuis environ une heure lorsque Dale vint à ma rencontre. Il me tendit une assiette de petits pois que j'acceptai avec un sourire reconnaissant.
- Merci ! Je commençais à avoir faim, dis-je en m'installant sur une caisse en bois.
- Qu'est-ce-que tu penses de tout ça, Lola ?
Dale, la voix de la raison, notre conscience collective. Par certains aspects, il me rappelait mon grand-père maternel. Sa bienveillance et sa générosité naturelles éclairaient les ténèbres de ce nouveau monde.
- Pour tout te dire, je me sens un peu...dépassée par les événements. On tue les rôdeurs parce qu'on a pas le choix mais là...on parle d'un meurtre, grimaçai-je en reposant mon assiette.
- Il faut ramener les autres à la raison, on ne peut pas tuer ce pauvre gosse juste parce qu'il a de mauvaises fréquentations.
Le doyen n'avait pas tort, au contraire. Ne risquions-nous pas de nous perdre en jouant les bourreaux ? S'engager dans cette voie était dangereux. Nous allions y laisser notre humanité.
- Il faudrait réunir les autres et essayer d'en discuter avec eux, qu'en penses-tu ? demandai-je.
- J'ai essayé de parler à Rick, il ne veut rien entendre. Daryl non plus. Quant à Shane, ce n'est même pas envisageable. Il veut tuer le gosse depuis qu'il est arrivé.
- Ouais...ça t'étonne ?
- Venant de lui, plus rien ne me surprend.
- Tu as parlé à Hershel ?
- Pas encore. Tu crois que tu pourrais en toucher deux mots à Daryl ? Peut-être que toi, il t'écoutera.
- Je vais essayer, répliquai-je avant de me lever, mais tu sais, je le connais bien et y a peu de chance qu'il change d'avis.
- Il ne s'en rend pas encore compte mais son avis compte beaucoup pour Rick, et pour le groupe. Si quelqu'un peut faire pencher la balance, c'est lui.
- Tu veux que j'y aille maintenant ?
- Je te relaye, acquiesça-t-il.
Mes bonnes résolutions planquées dans un coin de ma tête, je m'éloignai en direction de la vieille cheminée pour retrouver mon ami qui bricolait sur la moto de Merle.
- Qu'est-ce-que tu veux, Casse-Noisette ? marmonna-t-il en s'essuyant les mains sur son jean troué.
Ok. Si même sa voix me filait des frissons, mon cas était plus grave que ce que je pensais, songeai-je, agacée. Finalement, passer mon temps à l'éviter avait eut l'effet inverse sur mon état mental. J'avais l'impression d'être une junkie en manque...quelle merde !
- Pourquoi tu crois que je veux absolument quelque chose ? rétorquai-je avec un haussement de sourcils.
- Tu viens d'parler à Jiminy Cricket, j'me trompe ? Si tu viens m'faire la morale, c'est pas la peine, lança-t-il en portant une cigarette à ses lèvres.
- Je ne viens pas te faire la morale, je veux juste qu'on discute.
- Laisse tomber. Rick a raison, on peut pas prendre le risque de garder c'type en vie.
- C'est son point vue et il est défendable, dis-je en haussant les épaules avant de m'asseoir, jambes croisées contre un arbre. Mais Dale n'a pas tort non plus. Si on s'engage là dedans, c'est la porte ouverte à tout. On n'a pas le droit de décider de vie ou de mort. On n'est pas des bourreaux.
- Nous non, mais son groupe oui.
- Ça ne veut pas dire que lui en est un, m'exclamai-je.
Il se laissa tomber près de moi avec un soupir agacé. Songeuse, je regardai ses phalanges abîmées.
- La dernière fois que j'ai vu tes mains dans cet état, c'est quand t'as éclaté la tête de mon ex, remarquai-je.
- Cet enfoiré l'avait mérité, répliqua-t-il en tirant une bouffée de tabac.
- L'ego de ce pauvre Aiden ne s'en est jamais remis, ricanai-je. Je crois même que sa famille et lui ont déménagé en Virginie suite à ça.
- Cette ordure a eu de la chance que j'le bute pas. Tu veux que j'te rappelle ce qu'il t'a fait ?
- Ce qu'il a essayé de me faire, corrigeai-je avec un sourire. Ses testicules doivent avoir un souvenir cuisant de mon genou, ajoutai-je, songeuse.
- J'espère bien, marmonna-t-il. Le groupe de c'type que tu veux défendre, ils ont violé deux gamines sous les yeux de leur père, reprit-il après une hésitation. Et cette merde n'a pas bougé le p'tit doigt. Il est juste resté là, à r'garder.
- Oh, répondis-je un peu secouée par cet aveu.
- Et tu veux encore qu'on l'garde en vie ?
- C'est qu'un gosse, dis-je après quelques secondes.
Daryl ne répondit rien. Il écrasa son mégot et se tourna vers moi avec un demi sourire.
- Quoi ? demandai-je en me sentant rougir.
- T'es trop naïve, c'est pour ça qu't'es un aimant à emmerdes, grommela-t-il.
- Je suis pas un aimant à emmerdes ! m'écriai-je, amusée.
- Tu veux vraiment qu'on cause de c'qui t'es arrivé depuis qu'on s'est barré ? sourcilla-t-il.
- Pas la peine, mes bleus me le rappellent chaque jour, rétorquai-je, boudeuse.
- Fais pas la gueule.
- Je ne fais pas la gueule, dis-je en me levant. Écoute, je ne t'oblige pas à prendre partie pour Dale et moi. Je te demande juste d'y penser, d'accord ?
- J'vais y réfléchir, ok ? répondit-il en se levant également.
- Merci.
En cet instant précis, pour la première fois depuis longtemps, je me sentais bien. En accord avec moi-même, avec mes sentiments pour lui, avec sa présence.
- Bon, je te laisse bricoler, je vais voir si les autres ont besoin d'aide, souris-je.
Il m'attira contre lui pour m'embrasser sur le front, provocant une brusque arythmie dans ma poitrine. Il voulait vraiment ma mort ! Dire qu'à peine deux secondes plus tôt, je me sentais détendue !
- J'aurais dû buter ton vieux quand j'en ai eu l'occasion, marmonna-t-il.
- Pourquoi tu me dis ça maintenant ? bredouillai-je.
- Ça m'rend dingue de savoir qu'il t'a massacré au point que t'aies voulu en finir toi aussi.
- L'important c'est que je sois là, tu crois pas ? Et puis, si ça peut te rassurer, vu l'état dans lequel il était quand je vous ai suivi Merle et toi, ça m'étonnerait qu'il soit encore de ce monde.
- Je supporterai pas de te perdre, dit-il en détournant les yeux.
- Je sais que je suis une catastrophe ambulante, plaisantai-je pour dédramatiser mais je commence à me démerder avec un flingue, alors tu vas devoir me supporter encore un moment.
- Ouais, paraît que t'es devenue la Nemesis des boites de conserves.
- Appelle moi Madame Nemesis s'il te plaît, pouffai-je en retournant vers la ferme.
***
Nous étions tous réunis dans le salon d'Hershel lorsque le soleil entama sa descente dans son écrin azur. T-Dog, Shane et Andrea attendaient bras croisés devant la cheminée, pendant que Maggie et son père, installés sur le canapé, gardaient les yeux baissés. Rick et Lori firent leur apparition en compagnie de Carl. Jugeant que cette réunion n'était pas adaptée pour l'enfant, Beth emmena le petit garçon avec elle à l'étage. Appuyée contre le chambranle de la porte de la salle à manger, je ne cessai d'observer Daryl qui se tenait près de Carol, à quelques mètres de moi.
- Alors, on fait comment ? On vote ? demanda Glenn, que la situation semblait mettre mal à l'aise.
- On peut peut-être commencer par écouter l'avis de chacun et ensuite on décidera de ce qu'on fait, déclara Rick.
- Pour moi, c'est simple, commença Shane.
- On le tue ? C'est ça ? l'interrompit Dale, qui venait de retirer son bob et ne cessait de le maltraiter entre ses doigts. La majorité a déjà décidé visiblement, à quoi bon voter ?
- Dis-moi, qui serait d'accord pour l'épargner ? s'enquit Rick.
- Lola, moi et peut-être Glenn, répliqua le doyen tristement.
- Tu sais, se crispa le jeune asiatique d'un air désolé, je pense que la plupart du temps tu as raison, mais là...
Le visage de Dale s'affaissa sous la déception.
- On pourrait le garder prisonnier ? suggéra Maggie en se tournant vers le shérif.
- Ce serait une bouche supplémentaire à nourrir, marmonna Daryl en évitant soigneusement mon regard.
Je levai les yeux au ciel, déçue. Toute cette réunion n'était qu'une mascarade. Dale avait raison. Leur choix était fait.
- Il pourrait se rendre utile ! reprit ce dernier avec conviction. Il pourrait travailler !
- Hors de question qu'il se balade tout seul ! s'exclama Shane.
- Et si on l'escorte ? proposa l'aînée des Greene pour temporiser.
- Qui se portera volontaire ? demanda son père.
- Moi ! déclarai-je, fermement.
- Dis pas de conneries Casse-Noisette, grogna Daryl.
- Vous le condamnez par association ! m'écriai-je. Ce procès est une vraie blague, il n'est même pas là pour se défendre !
- Hors de question que tu te retrouves seule avec ce type, aboya le chasseur.
- Il a raison, approuva Lori, je ne serai pas tranquille avec lui en liberté dans le coin.
- On ne va pas non plus l'enchaîner et le condamner aux travaux forcés, sourcilla Andrea.
- Imaginez une seconde qu'on l'intègre au groupe, qu'il se barre et rameute tous ses potes ici, on fera quoi ?
- Donc si on suit ton raisonnement Shane, tu veux le tuer pour éviter un truc qu'il ne fera peut-être même pas ? m'insurgeai-je.
- Il s'agit de la vie d'un homme ! renchérit Dale. On dirait que vous avez déjà tous décidé !
- Ça fait des plombes qu'on en parle, ça sert à rien de retourner le problème dans tous les sens, rétorqua l'archer.
Les mains tremblantes, je préférai quitter la pièce. J'entendis le doyen se débattre encore quelques instants, mais avec la psychose qui s'était installée, ce combat était perdu d'avance. Nous n'étions que deux contre le reste du monde. Que pouvions-nous faire ? Je me laissai tomber sur les marches de la maison avec un soupir. Je n'en voulais pas à Daryl, ni aux autres d'ailleurs. Je comprenais leur point de vue, mais perdre notre humanité aussi rapidement m'effrayait. Comment avions-nous pu en arriver là en si peu de temps ? Comment pouvions-nous décider de la vie d'un homme en à peine cinq minutes ? Mon estomac se contracta douloureusement lorsque Dale sortit à son tour, vaincu.
- Andrea s'est ralliée à nous, dit-il platement en se tournant vers moi. Mais ça n'a pas suffit.
- Dale, je suis désolée, murmurai-je.
- Tu n'y peux rien Lola, répliqua-t-il en posant une main sur mon épaule endolorie, tu as fait ce que tu as pu, ajouta-t-il avant de s'éloigner.
***
La nuit était tombée. Affalée sur le sol devant la remise, j'attendais. Daryl arriva quelques minutes plus tard en compagnie de Rick et Shane. Le flic et le shérif déverrouillèrent le cadenas, nous laissant seuls un instant.
- Me regarde pas comme ça Casse-Noisette, marmonna-t-il.
- S'il n'avait pas parlé de cette histoire de viol, tu aurais pris la même décision ? demandai-je.
- Ça n'a rien à voir, dit-il, en s'adossant au mur de bois.
- Non ? Alors, pourquoi ?
- J'te l'ai dit y a des semaines, cracha-t-il, on est pas chez les Bisounours.
- Et je te le redis, j'en suis parfaitement consciente. C'est juste que ça...torturer et tuer des gens, c'est pas toi Daryl, murmurai-je en me levant tandis que Rick et Shane ressortaient avec le prisonnier.
Le chasseur ne répondit rien me scrutant de ses prunelles claires.
- Laisse tomber Lola, intervint Shane en malmenant Randall.
Un bandeau noir sur les yeux, bâillonné et menotté, le jeune homme tremblait de tous ses membres.
- Tu devrais retourner avec les autres, suggéra le shérif en prenant la direction de la grange.
- Désolé, grogna l'archer, en s'éloignant à son tour.
Je pénétrai dans la remise, la gorge nouée. Il avait beau dire le contraire, je savais que cette histoire de viol avait penché dans la balance. Nauséeuse, j'observai les traces de sang séché qui avaient éclaboussé le sol lorsque le chasseur avait battu le jeune homme. Finalement, étions-nous meilleurs que ce fameux groupe que mes amis redoutaient tant ?
A ma grande surprise, Daryl revint à peine quelques minutes plus tard en compagnie du prisonnier qu'il attacha de nouveau. Devant mon air interrogateur, il me fit signe de le suivre à l'extérieur.
- Changement de plan. Le gosse s'est pointé.
- Carl ? m'exclamai-je, à voix basse.
- Ouais. On le garde en vie pour l'instant, dit-il en allumant une cigarette.
- C'est la bonne décision, répliquai-je avec un sourire.
- Espérons, grommela le chasseur avant de se tourner vers moi avec un regard emprunt de tendresse. Tu m'en veux ?
- Bien sûr que non, soupirai-je. On ne peut pas toujours être d'accord sur tout.
- Ça va, ton épaule ? finit-il par demander.
- On va dire que ça s'améliore, et toi ? l'interrogeai-je en indiquant son flanc.
- Ça s'améliore.
Je remontai la fermeture éclair de ma veste de sport en frissonnant lorsqu'un un cri de détresse retentit.
- C'est Dale ! m'écriai-je.
Sans perdre une seconde, nous nous élançâmes en direction des hurlements. Daryl me précéda et je le vis matraquer le crâne d'un rôdeur.
- Rick !!!! Par ici !!! hurla mon ami à l'attention de nos compagnons qui déjà accouraient.
J'approchai, le souffle court. Un frisson me parcourut la colonne vertébrale tandis que la bile remontait dans ma gorge. Une mare de sang, des entrailles...c'était une véritable boucherie.
- Regarde pas, ordonna le chasseur en me serrant contre lui, regarde pas Lola.
Je fondis en larmes en distinguant avec horreur le corps de Dale étendu au milieu du champ, la cage thoracique grande ouverte exposant ses organes vitaux à la clarté de la lune.
A suivre...
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