𝐗𝐗𝐈𝐈 - Le couronnement
Waw, mais regardez-moi ce beau gosse ! Encore mieux que la dernière fois !
Link se rendait réellement compte à quel point Mireille avait des doigts de fée.
Non seulement la tenue lui seyait au centimètre près, mais chacun des articles étaient si simples à enfiler qu'ils n'avaient presque plus rien de cérémonieux.
La jeune servante avait pensé à tout.
Elles vont toutes tomber, je te le garantis !
« Ce n'est pas mon premier but. »
Haha, écoutez-le, quel gentleman ! On verra bien, sur la piste de bal. Au fait, il ouvre à quelle heure, ce bal ?
« Dix-neuf heures, après la cérémonie. »
Ah, je me souviens en effet d'une vieille tradition en Hyrule, qui voulait que chaque bal débute à dix-neuf heures... Bizarre, les traditions, hein ?
« C'est peut-être plus une obligation qu'une tradition : le bal ne doit pas commencer trop tôt, mais pas trop tard. »
C'est pas faux. Et cette fameuse cérémonie ?
« Elle commence à quatorze heures. »
QUOI ?! Elle dure... CINQ HEURES ?! Mais c'est quoi ce couronnement ?!
« En fait, elle n'en dure que quatre, parce que Zelda est consciente que c'est un lourd évènement, alors elle va laisser couler une heures entre le bal et la cérémonie en elle-même pour que les invités se remettent de ces quatre heures. »
Y'a intérêt ! Qui a eu l'idée de faire un truc aussi long ?
Link haussa les épaules :
« Il y a tout un tas de choses à faire, le protocole est vaste. Il faut porter plusieurs couronnes, il faut qu'elle aille dans plusieurs lieux différents... Entre les voyages, les discours, les traditions, la cérémonie vaut bien quatre heures je pense. »
Même si lui-même, il trouvait que cet évènement serait peut-être un peu dur à porter. Heureusement qu'il ne s'agissait pas de se visser sur le siège de la salle de bal durant quatre heures sans interruption...
Il y aura une collation ?
« Tu ne penses qu'à manger ? »
Non. Enfin si. J'espère que ça sera un buffet succulent.
« Tu peux sentir la nourriture que je mange ? »
Évidemment ! Et généralement, si elle te plaît, elle me plaît également ! Et ça va dans l'autre sens : si elle me plaît, elle te plaira aussi ! Donc s'il te plaît, donne-nous le meilleur des repas !
Link s'apprêtait à répondre, quand brusquement une grosse partie de son énergie flamba et se volatilisa instantanément dans l'air.
Il se recroquevilla soudain, essoufflé.
L'esprit était reparti.
Ses allées et ses venues étaient de plus en plus marquées émotionnellement, caractérisées par des pics et des bas d'énergie.
Il était parfois dur de voir s'en aller l'esprit, et de sentir son corps retomber comme une flaque subitement.
Doucement, il porta une main à son cou, bien protégé du regard d'autrui par un col brodé de fil d'or.
Mireille avait vraiment pensé à tout, sans même savoir ce dont Link avait besoin.
De ses mains gantées, il souleva le tissu.
La tache maléfique atteindrait bientôt le lobe de son oreille droite. Il ne lui donnait que quelques jours avant que celle-ci soit totalement noyée.
Que deviendrait sa perception des sons ? Seront-ils modifiés ?
Et dire que la tache continuait de courir sur son torse... que fera-t-il quand elle touchera son cœur ?
Non, Link ne pouvait pas rassasier l'hôte de son bras à sa faim, quelque amis soient-ils. Par peur pour lui-même.
Link devait trouver une solution.
L'horloge de sa chambre indiquait désormais midi quarante. Il ne restait plus qu'une heure et des brouettes avant le début de la cérémonie.
Il n'avait rien à faire. Pas d'entraînement : ce jour avait été proclamé férié en l'honneur de Sa nouvelle Majesté, Zelda.
Zelda. Comment allait-elle ?
Serait-elle heureuse de voir Link, peu de temps avant l'heure fatidique ? Ou préférait-elle n'avoir aucun contact avec l'extérieur, tentant de s'immuniser contre le stress et l'angoisse ?
Link ne savait pas, et hésitait.
Finalement, on décida pour lui : on toqua à sa porte.
Link se détourna du miroir devant lequel il s'habillait, et ouvrit la porte.
« Ah, messire Link ! Wow, je vois que mes vêtements vous vont à merveille ! »
Mireille.
Pas de panier en osier cette fois. Elle était parée d'une jolie robe émeraude, plutôt simple, mais dont la couleur profonde témoignait de son luxe.
« Je voulais vous demander si vous pouviez m'aider, reprit-elle, aussitôt les compliments passés. Il faut que j'apporte des vases avec de gros bouquets dedans — vraiment de très très gros —, mais ils sont lourds et nombreux, et moi, je suis trop jeune pour me faire une sciatique !... »
Les arguments rocambolesques de la jeune fille déclenchèrent chez Link un rire amusé.
« J'arrive, ne vous en faites pas.
— Je savais que vous entendrez ma détresse, Link... Messire Link.
— S'il est si dur pour vous de m'appeler ainsi, gardez Link alors.
— Ah bah parfait. J'aime pas les titres cérémonieux, vous savez.
— J'ai cru comprendre. »
△▲△
Link transporta au moins cinquante vases fleuris, et Mireille n'avait pas menti sur leur poids. Les premiers étaient légers, mais la longueur de la tâche les alourdissaient, et Link devait avouer qu'il avait plus traîné les derniers qu'il ne les avait portés.
Une fois la salle de bal décorée d'un doux éclat printanier, Mireille le remercia grassement à sa façon — « Au moins, vous aurez les biceps à vif, désormais ! Ça va embellir votre costume ! », et se volatilisa, s'envolant vers d'autres occupations qui devaient être absolument terminées avant le début de la cérémonie.
Il restait une petite dizaine de minutes — Link devrait-il aller rejoindre Zelda ?
Il s'était posé la question à chaque fois que son regard croisait l'horloge de la salle de bal, c'est-à-dire plus d'une centaine de fois. Tout en estimant le temps qu'il lui resterait à la fin de cette cargaison de fleurs, il essayait de mettre fin au débat dans sa tête.
Franchement, n'y va pas.
Link sursauta.
Une nouvelle énergie venait d'électriser chacune de ses veines, et son cœur était soudain armé d'un tel carburant qu'il semblait pomper le sang de son propriétaire deux fois plus vite sans rien sentir.
L'esprit venait de se réveiller.
Link balaya vaguement la salle de bal du regard, s'assurant qu'aucun badaud sans but s'y promenait, puis répondit :
« Pourquoi ? »
Je ne sais pas. L'instinct, tu connais ça ?
« Bien entendu, mais... »
Si tu doutes, c'est que tu as l'instinct qui dit oui et la logique qui dit non, ou inversement. Tu es contradiction avec toi-même. Et moi, mon instinct comme ma logique convergent vers la même solution : n'y va pas.
« Mais pourquoi ton instinct et ta logique te dictent ça ? »
Link avait quitté la salle de bal et ses bouquets fleuris, et remontait désormais les couloirs, vides.
Tous les courtisans devaient déjà être en route pour l'évènement, les domestiques étaient sûrement en train d'accueillir les invités et de régler les derniers préparatifs d'urgence, ceux qu'on ne prévoit malheureusement pas sur la liste.
Link devrait peut-être, lui aussi, commencer à se diriger vers les lieux — mais allait-il passer voir Zelda ?
Je pense qu'elle est dans sa bulle de concentration, et qu'elle ne veut pas qu'on la dérange. Elle a toujours été comme ça, tu sais. Allez, va à la cérémonie, et n'en parlons plus.
Link le contredit :
« Ma visite peut avoir l'effet inverse : elle peut voir cette fameuse bulle de stress se dégonfler, pour pouvoir se divertir les idées. »
Oui, mais non.
Link fronça les sourcils.
« Tu clos rapidement un débat, toi. »
Je sais. Mais pas le temps, regarde, tu vas réellement finir par être en retard ! Ça serait vraiment stupide.
Il avait raison. Une petite pendule posée sur une commode indiquait une heure beaucoup trop avancée pour que Link soit encore dans ce corridor à bavarder.
Aussitôt, il fit volte-face sur ses talons, et remonta à nouveau le couloir qu'il venait de parcourir.
Bon. En route pour trois heures de cérémonie !
« Quatre heures. »
Quoi ?!! Roh, j'avais oublié à quel point c'était long... Tu vas pouvoir récupérer de ta nuit perdue, tiens.
Link roula les yeux au plafond.
Évidemment qu'il n'était pas question de manquer qu'une miette de cette cérémonie, peu importe sa longueur.
Et surtout pas pour dormir !
De toute façon, de jour comme de nuit, le sommeil était difficile à trouver.
Link déboucha sur la Cour principale, qui était noire de monde.
Il se souvenait encore de ce grand rassemblement qui avait eu lieu, quelques semaines plus tôt, dans ce même espace. Les cristaux venaient de détruire des villages.
Aujourd'hui, l'ambiance était plus festive, et, par conséquent, les personnes présentes plus nombreuses ; les hommes avaient revêtu leur plus beau costume, avaient passé un peigne et nombreux produits de beauté dans leurs cheveux, ciré leurs chaussures jusqu'à ce qu'elles brillent même sous un temps pluvieux sans soleil.
Quant aux dames, elles avaient multiplié les bijoux, qui scintillaient aux quatre coins de leur corps : au cou, aux oreilles, à leurs doigts, à leurs poignets... Leurs mèches avaient été entrelacées et harmonieusement organisées en de lourdes coiffures compliquées, parfois frisant le ridicule, mais ne perdant pas moins de grandeur et de luxe.
Les sourires régnaient sur la majorité des visages, de grands et lumineux sourires.
Même si cette joie était étouffante par sa complexité, le cœur de Link recevait ce sentiment pétillant comme un grand et doux câlin.
Finalement, lui et Zelda avaient réussi quelque chose pour ce royaume, balafré de toutes parts.
△▲△
Eh bah ! On est bien placé !
En effet, Link n'aurait pu imaginer mieux.
La Grande Salle du Trône regorgeait d'invités, importants ou non.
Partout, des spectateurs frétillant d'excitation patientaient, attendant l'arrivée de Zelda.
Le long de l'allée centrale, de grands sièges en bois massif soutenaient des membres de la famille royale, qui avaient traversé les royaumes pour assister à ce couronnement. Parmi eux, Link reconnut certains de ses cousins et oncles, mais nombreux lui restaient inconnus. Leur regard sérieux mais néanmoins habitué aux circonstances témoignaient de leur expérience dans le domaine royal.
Et Link n'arrivait pas à croire qu'il était assis parmi eux.
Qui avait décidé du plan des chaises, ça, il n'en avait aucune idée, mais on l'avait placé ici, certes un peu en hauteur, un peu en arrière par rapport à certains membres de la famille royale, mais quand-même à quelques sièges de Impa et coincé entre deux lointains cousins germains.
Cette dernière semblait aller un peu mieux. Ses joues avaient repris un peu de couleur, mais on sentait qu'elle avait souffert de sa maladie.
Néanmoins, quand elle vit Link au loin, elle lui fit un petit sourire compatissant, l'air de dire « je vais bien, et toi ? Tu m'en parleras tout à l'heure ».
Link écoutait les conversations gravitant autour de lui, et se rendait compte à quel point Zelda, la chère Zelda qu'il avait appris à connaître durant cette petite année, était bien plus qu'une simple humaine possédant une garde-robe un peu plus fournie que les autres et une tiare sur le haut du front. Elle était une icône, bientôt internationale. Le symbole de millions de personnes, une part de l'histoire d'Hyrule, une descendante des peuples divins.
Sa très chère Zelda, pourtant si humaine.
Sa chère petite et tendre Zelda, qu'il avait envie de prendre dans ses bras, sans étreindre Hyrule tout entière.
De minutes en minutes, le bruit s'amenuisait. Le moment important venait.
Link vit une vieille dame couverte de perles, depuis la rangée devant lui, murmurer à l'oreille de son voisin. Link ne parvint pas à entendre l'information communiquée.
Il laissa courir son regard sur la salle, dévisageant rapidement les invités.
Il aperçut Alphonse Field. Armé d'une tenue élégante rappelant son nouveau statut de médecin, il était posté sur l'un des grands balcons surplombant la cérémonie.
Avait-il remarqué Link ? Ce dernier ne le sut jamais.
Et même si sa place devait valoir de l'or aux yeux de certains, Link ne put s'empêcher de penser que quatre heures de cérémonie auront un impact important sur ses jambes.
Tout à coup, un silence magistral aplatit l'assemblée.
Link, sentant le grand moment venir, détourna la tête.
Un homme plutôt sobrement habillé avançait lentement dans l'allée couverte par le tapis rouge. Un collier scintillait autour de son cou : le collier de la Triforce.
Cet homme devait être le prêtre. Celui qui allait sceller le destin de Zelda à tout jamais dans la roche de l'Histoire.
Link contint son souffle.
Il ne put se retenir d'analyser son expression, dure, froide, neutre, et ses pas, lents, stratégiques, fermes sans être brusques.
Était-ce son tout premier couronnement ?
Après tout, quelle tête, ici, en Hyrule, avait été couronnée récemment ? Personne. La dernière cérémonie de ce type remontait certainement au siècle précédent — et cet homme n'était déjà plus tout jeune.
Link décela un peu de lourdeur dans ses pas. Peut-être que sa tâche le pesait autant que la couronne pèserait sur la tête de Zelda ? Pas qu'il ne sache.
Le prêtre regardait droit devant lui, sans accorder aucune expression et aucun sentiment au public.
C'était certainement ces regards tout aussi scrutateurs que celui de Link qui le poussaient, comme le vent pousserait de son souffle quiconque se mettrait en travers de son chemin.
Il gravit les quelques marches, puis enfin, se tourna droitement vers l'Assemblée.
Tous ceux qui n'avaient jusqu'ici pas pu apercevoir son visage se délectaient désormais de le découvrir. Ses joues tombantes, ses rides au coin de sa bouche, longues comme des sabres. Le râteau de la vie avait ratissé le bas de ses yeux, laissant de petits plis de vieillesse, accentués quand il clignait des paupières.
Et, brisant délicatement l'imposant silence, le chœur, perché dans la voûte des choristes, se mit à chanter.
Leurs voix étaient pures et ravissantes... Alors pourquoi rappelaient-elles beaucoup trop à Link ces chants qui avaient résonné dans les sous-sols de la Cathédrale ?
Les textes n'avaient pourtant rien à voir : l'un scandait le destin funèbre d'Hyrule, et l'autre racontait dans un dialecte oublié de tous comment Hylia, Din, Farore et Nayru avaient fondé ces terres.
Ils étaient même radicalement opposés.
Étrange que Link parviennent à lier les deux dans son esprit...
Un petit picotement désagréable parcourut son bras droit durant un quart de seconde, sans plus de prolongation ni de douleur.
Link était habitué, maintenant. Mais il ne put s'empêcher de se dire que l'esprit dans son bras avait peut-être également ressenti la même chose que lui.
Soudain, un bruit d'étoffe le déconcentra des chants religieux.
Link détourna la tête de la voûte des choristes, et son cœur manqua un battement.
Elle était là.
La tête haute sous sa tiare, Zelda remontait l'allée avec douceur, sa fine taille entourée d'une robe bleu marine.
Elle était d'une élégance et d'une harmonie que peu de femmes pouvaient atteindre, selon Link. Jusqu'ici, il n'avait vu que des femmes mille fois trop maquillées et aux robes certes actuelles mais surprenantes, qui laissaient bien souvent perplexe.
Seule Zelda pouvait autant s'embellir d'une robe et l'embellir tout aussi bien en retour.
Le tissu bleu s'arcboutait au-dessus de ses épaules, et en descendaient des manches de dentelle noire, des torsades et des volutes contre sa peau.
Ainsi insérés dans ces manches, ses bras semblaient être le parfait milieu entre le muscle et la délicatesse.
À son cou était noué une longue traîne sombre, s'étalant au sol sur plus d'un mètre, brodée des signes divins.
Tous ces jeux de couleurs et de teintes, ces motifs et ces formes reflétaient d'abord une élégance simple sans extravagance, mais qui ouvrait sur une beauté lumineuse pour ceux qui ne parvenaient plus à détourner le regard.
Zelda était belle — et particulièrement à cet instant.
Un sombre marmonnement, en provenance de la vieille duchesse mauve, assise à la rangée de devant, finit par tirer Link de sa contemplation :
« Drôle de coiffure. »
Les goûts de Link ne traduisaient visiblement pas du tout ceux de cette femme.
Mais que pouvait-il y faire ?... Voilà un an qu'il était rattaché à Zelda et son être par cette mystérieuse magie sentimentale.
Et, même s'il commençait difficilement à saisir qu'il n'était pas près de s'en dépêtrer, il ne pouvait s'empêcher de trouver ses symptômes agréables.
Du moins, certains de ses symptômes.
△▲△
Trois couronnes étaient passées sur la tête de Zelda. Elle avait déclamé cinq discours sans aucune hésitation ni aucun défaut de sa mémoire, avec sérieux mais passion.
Link s'était demandé si, un jour, il serait aussi bon orateur qu'elle, même s'il n'avait vraiment aucune envie de recommencer l'expérience de s'exprimer en public.
À présent, un homme et deux enfants s'avançaient dans l'allée.
Tout le monde les suivait du regard. Les deux marmots tenaient des bouquets de fleurs, tandis que l'homme soutenait un coussin de velours.
Dessus, reposait la Couronne d'Hyrule.
Elle semblait composée de beaucoup trop de cristaux et pierres précieuses différents pour qu'ils soient tous nommés. Vu les profonds plis qu'elle creusait dans le coussin, son poids devait être relativement important.
Link porta son attention sur Zelda.
Son regard était fixe, posé sur la couronne, qui s'avançait chaque seconde un peu plus d'elle.
Une fois que l'or aura effleuré ses cheveux, elle sera nommée Reine jusqu'à sa perte.
Elle ne pouvait plus reculer, plus renoncer à ce devoir.
Au moins, elle semblait en avoir pleinement conscience.
L'homme s'engageait déjà dans les petites marches.
Il donna avec précaution le coussin au prêtre, avec lequel il échangea un regard grave.
Puis, avec délicatesse, enroulant prudemment ses doigts autour des moulures dorées du diadème, il la décolla du tissu.
Il se tourna.
Il n'interrogea même pas la princesse d'un coup d'œil ; les siens étaient rivés sur le bijou royal.
Zelda bascula le buste, penchant la nuque, offrant le haut de sa tête et sa chevelure courte à l'homme.
Et, sans un bruit, la couronne s'y déposa.
Ses cheveux prirent immédiatement la forme du couvre-chef sans le moindre défaut, sans la moindre mèche rebelle, à croire que ce crâne avait été conçu dès la naissance à porter un tel devoir.
« Zelda. Princesse d'Hyrule. Par la Déesse Hylia, par les déesses fondatrices Din, Farore, Nayru en ma présence, je vous proclame désormais Reine d'Hyrule. »
C'était comme si on avait lancé un signal : après un instant d'abasourdissement, où le public prenait le temps de saisir pleinement l'information, de grands applaudissements explosèrent de toutes parts, des bancs de bois, des balcons, des sièges, du fin fond de la salle jusqu'au plafond.
Sous l'impact, les vitraux de la pièce tremblèrent dans leur carreau, mais ils tirent bon. Ils avaient du connaître mille cérémonies de ce type.
Zelda avait ôté son masque froid et solennel. Désormais, elle tapissait les spectateurs d'un regard réjoui, et d'un doux sourire heureux.
Ses yeux accrochèrent sur Link, un quart de seconde.
Et ce petit quart de seconde fut suffisant pour qu'une atroce douleur se déclenche en lui.
La souffrance poussa Link en déséquilibre. Il se rétablit en plaquant une main un peu trop brutale contre le banc de bois.
Mais quand il reprit le contact visuel de Zelda, il comprit qu'elle avait tout vu.
Ou du moins, tout deviné.
La douleur flambait, et continuait de s'épandre.
Link devait quitter la salle. Tout de suite.
Une marée de convives commençaient doucement à se diriger vers les sorties, discutant de cet évènement émouvant, ou du bal qui arrivait.
Sans plus de précaution, Link descendit les rangées où les bancs en bois l'avait élevé.
Mais nager dans une mer de tissus et dans des arômes assourdissants de parfum n'avait jamais été une mince affaire.
Link pressa sa main gauche contre son bras blessé.
La douleur disjonctait ses idées, les faisait voler en éclats, éclats qui rebondissaient d'un coin à l'autre de sa tête, en une valse du martyr.
Link devait passer.
Pourquoi les gens ne se pressaient-ils pas ?
Il planta sa canine profondément dans sa lèvre inférieure, s'interdisant le moindre cri, le moindre gémissement, la moindre expression de souffrance.
Il devait s'isoler. S'isoler, pour hurler, jusqu'à se déchirer ses les tympans, et peut-être ne plus entendre la douleur.
L'entendait-il ?
Oui, il l'entendait.
La seule chose était qu'il ne pouvait pas la voir.
C'est bon, il était dehors.
Tandis que tout le monde se pressait vers la Cour Principale, Link prit le couloir diamétralement opposé à toute vitesse, tenant son bras cognant pressé contre son torse, lui-même enflammé.
Un début de haine meurtrière remontait, comme un ras-de-marée...
Link poussa une porte au hasard.
Une cour.
Une petite cour, offrant une petite parcelle d'herbe, où était posé un mignon petit kiosque diaphane.
La douleur se calma. Elle se retirait doucement de son corps, revenant sur ses pas, sur les zones envahies, jusqu'à disparaître en un picotement enfumé.
Enfin, Link s'autorisa un soupir.
Allait-il devoir vivre avec ces douleurs aléatoires toute sa vie ?...
... Non, il y avait quelque chose qui se concrétisait. Il le sentait.
Par la souffrance qui était plus vive, et ces évènements-là moins espacés dans le temps.
Link monta les quelques marches éclatantes du bosquet.
Protégé sous le dôme nacré, il posa ses mains sur la rambarde, le regard perdu dans le paysage des lointaines montagnes Piaf.
« Link ! »
Il se détourna.
Zelda dévalait la petite cour, et grimpait dans le kiosque aussi vite que sa robe le lui permettait.
« Tout va bien ? s'enquit-elle, légèrement essoufflée de sa course. Qu'est-ce qui se passe, une nouvelle douleur ? »
Link s'en voulut.
Il s'en voulut que Zelda partage son fardeau.
Il était le seul maudit, et il devait en être ainsi. Il ne devait pas priver Zelda de vivre, parce que lui ne pouvait plus vivre normalement.
La jeune fille reprit :
« Je suis désolée, je voulais arriver plus vite, mais un peintre est arrivé, et a voulu me peindre... Je sais par expérience que ça dure toujours beaucoup trop longtemps, alors je suis allée chercher ma tablette Sheikah, afin qu'il prenne une photo et...
— Ne t'inquiète pas. »
Il sourit :
« Enfin, ne vous inquiétez pas, Reine Zelda.»
Zelda eut un instant de latence.
Puis elle rougit.
« J'ai été comment ? »
Le mot vola de sa bouche :
« Parfaite. »
Zelda répliqua :
« Tu exagères. Tu sais, je me suis trompée à un moment dans mon discours, enfin j'ai énoncé une phrase avant l'autre, j'ai du essayer de faire en sorte que... »
Link ne put s'empêcher d'éclater de rire, coupant Zelda dans ses reproches.
« Quoi ? lâcha-t-elle, vexée.
— Laisse. Disons que tu as été assez bien pour la nouvelle reine d'Hyrule. »
Le visage de Zelda se dérida.
Puis elle sourit, à son tour.
« Merci, Link. »
La douleur revint.
Link sentit ses doigts s'écarter, et se paralyser.
« Ça revient ? » demande Zelda, inquiète.
Silencieusement, Link hocha la tête.
« Tu es tout pâle...
— Je... je crois que je vais aller faire un tour. Je reviendrai pour le bal. »
Une saveur qui lui était trop connue malheureusement remontait déjà à sa bouche...
« J'arrive avec toi.
— Non.
— Bien sûr que si.
— Zelda...
— À cheval ? »
△▲△
La douleur revenait comme des vagues, parfois vaguelettes, parfois tsunamis.
Jamais ça n'avait duré aussi longtemps.
En voulant sortir son cheval, Link se souvint que l'ancienne, Icquiria, était toujours quelque part dans ce dédale de verdure qu'était Hyrule, si elle n'était pas passée dans les contrées voisines.
Désormais, lui était juché sur un cheval à la baie brune, aux côtés de Zelda, montée en amazone à cause de sa robe, sur sa monture habituelle.
La lumière du coucher de Soleil les enveloppait d'imaginaire. Link aurait pu s'attarder plus longuement sur le jeu de couleur des cheveux de Zelda sous les rayons du crépuscule, s'il n'était pas tiraillé toutes les minutes.
Il avait un mauvais pressentiment.
Un très mauvais pressentiment, même.
« Zelda, tu ne devrais pas venir », répéta-t-il pour la cinquième fois depuis qu'il avait quitté le château.
La concernée roula les yeux vers le ciel orangé.
« Tu as un bal juste après, insista Link. Tu ne devrais pas te restreindre pour moi.
— Je ne me restreins pas ! J'avais besoin de me dégourdir également, vois-tu. Nous avons une heure, les gens ne vont pas venir me chercher durant cette pause, étant eux-mêmes assommés par ces quatre heures de cérémonie intensives. »
Elle rajouta, malicieuse :
« Tu vois, tout a été minutieusement calculé. »
Link, en revanche, voyait toujours la petite variable, cette petite lettre inconnue, que Zelda ne semblait pas remarquer dans son calcul qu'elle croyait solide.
N'était-il pas trop prise de tête ?...
Après tout, ils avaient en effet une bonne heure devant eux, avec un paysage ravissant... Ne pas en profiter serait vraiment dommage.
Nouvelle douleur.
Link serra plus fort les rênes. Son cheval hennit.
Zelda se tourna vers lui, inquiète.
Puis, voyant en même temps que Link que la douleur repartait, se re-concentra sur le paysage.
« Il faudrait vraiment, vraiment faire quelque chose, murmura-t-elle. Nous allons pouvoir nous y consacrer pleinement, désormais. Demain, je t'emmène à Akkala. Peut-être que les scientifiques là-bas ont une idée de ce que tu pourrais avoir. Ou les chercheurs d'Elimith aussi. »
Mais au son de sa voix, Link devinait qu'elle pensait comme lui : c'était sans espoir.
Finalement, il tira sur les rênes de son cheval, qui pila net.
« On s'arrête ? »
Sans un mot, Zelda descendit de sa monture, et passa une main sur ses jupons bleus, lissant ce que l'amazone avait plissé.
Le jour se couchait pour de vrai : au loin, les prémices de la nuit faisaient leur apparition. On devait déjà apercevoir la Lune depuis la Cité Gerudo — si toute fois il y en avait une.
Link et Zelda ne s'embêtèrent pas à attacher leurs chevaux. Jugeant qu'ils n'étaient pas assez téméraires pour s'enfuir au loin, ils les laissèrent simplement brouter dans un coin, et se laissèrent tomber contre un arbre.
Une petite pile de rochers mousseux s'élevait à côté d'eux, une drôle de petite pile originale, qui titillait quelque chose dans l'esprit de Link, sans qu'il ne sache quoi.
« Ça va mieux ? fit Zelda.
— Ça se calme.
— C'est la première fois que c'est comme ça ?
— ... Je crois.
— Et la voix ? Elle est là ? »
Non, il n'avait pas ré-entendu la voix depuis.
L'homme habitant son bras était derrière tout ça, Link le savait... Mais il avait de plus en plus de mal à accuser l'esprit, avec qui ses liens se fortifiaient de jour en jour.
Un nouveau pic de douleur recroquevilla Link sur son bras blessé.
Il sentit le regard peiné que Zelda lui accordait.
Il s'en sentit exécrable.
« Tu as l'heure ? » questionna-t-il, essayant d'alléger l'atmosphère.
Zelda lui répondit qu'elle devait bien l'avoir quelque part.
Tandis qu'elle tâtait les endroits de son costume pouvant contenir une montre, Link sortit l'épée de son fourreau, machinalement, et la porta à ses yeux.
Elle s'encrassait. Link se demandait si une épée légendaire pouvait rouiller, ou se détériorer, si son propriétaire n'en prenait pas assez soin.
Non, c'était impossible...
L'Histoire avait bien du connaître un Héros de Légende plus désordonné et bien moins précautionneux que lui.
Ou peut-être pas ?
Il se mit à gratter les rainures d'or, là où la terre semblait s'agglutiner, sans vraiment y penser.
Quand tout d'un coup, un mot, un seul et unique mot, explosa dans son esprit.
La douleur l'étreignit, de son étreinte effroyable, serrant tout son corps.
Tuer.
Link paniqua, quand il se rendit compte que ses mains, ses propres mains, venaient d'empoigner sauvagement le pommeau de l'arme.
Tuer.
Son cœur battait : il se doutait que quelque chose n'allait pas, que quelque chose faisait désordre chez lui.
Mais sa logique, elle, était déjà de l'autre côté du champ de bataille.
Tuer.
« ... Bon, je n'ai visiblement pas de montre, on peut toujours calculer la position du Soleil, Astrid m'avait appris comment faire... Que... Lin—»
Link était debout.
Et brusquement, il bondit.
Les images tourbillonnèrent à ses yeux sans qu'il ne les comprennent réellement.
Les sons, les bruits, les cris, tout devint brumeux et secondaire.
Le besoin était en lui.
Son épée était dans ses mains.
Et Zelda, sous cette épée.
Link cligna des yeux.
La douleur était retombée, la voix meurtrière avait disparu.
Zelda était au sol, ses cheveux blonds éparpillés dans l'herbe.
Et, de son cou, dévalait une goutte de sang.
Ses yeux étaient effarés.
Link venait d'attaquer Zelda.
Et il venait de dérober son sang.
Le temps semblait suspendu, lui-même stupéfait de cet instant, comme s'il s'était arrêté quelques secondes pour prêter attention à cet évènement incongru.
Sous la lame aiguisée, Link sentait la peau tenue de Zelda, qu'il aurait aisément pu trancher s'il avait appuyé un peu plus fort.
Une seconde larme de sang perla le long de sa peau blanche.
« L-Link... »
Il avait la soudaine envie de pleurer.
De noyer son corps et son âme dans les pleurs, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de son être.
De toute façon, qu'en restait-il, de son être ?
Enfin, il retira l'épée du cou de Zelda.
Elle était tachée. Emprunte de deux flaques ocres.
Le sang de Zelda.
Jamais de sa vie il n'avait vu de sang sur son épée plus apeurant et déroutant que celui-là.
Il devait dire quelque chose, mais des excuses ne rimaient plus à rien.
On ne pouvait pas s'excuser d'avoir tenté d'assassiner quelqu'un. Et ce quelqu'un ne pouvait décemment pas le pardonner.
Il s'assit dans l'herbe.
Zelda releva le buste — au moins, elle semblait aller bien.
« ... Pars », lâcha-t-il brusquement.
Zelda ne broncha pas. Elle le fixait.
« Pars », répéta-t-il.
Elle semblait sous le choc.
Une troisième goutte de sang creusa un léger sillon écarlate sur sa peau, descendant jusqu'à sa clavicule, et mourant, épongée par le tissu bleu de sa robe.
Elle ne devait pas en revenir.
« Zelda, je t'en supplie. Pars. Je... »
Sa voix se brisa.
« Je ne sais plus ce que je fais. »
Et c'était ça, le plus dur.
Il ne se dirigeait plus. Toutes ses actions pèseraient désormais sur sa conscience, sans qu'il n'en ait jamais consentie aucune.
Il ne savait pas ce qu'il pouvait faire — et c'était cela dont il avait le plus peur.
Puis, doucement, Zelda rassembla ses genoux contre sa poitrine. Elle arrangea d'une main tremblante le tissu de sa robe contre l'herbe.
Elle avait attendu cent ans.
Pour finalement, recevoir celui qu'elle attendait en manquant de mourir.
Link devait partir.
S'éloigner, trouver une solution. Si toute fois elle existait.
Finalement, il prétexta vouloir chercher de l'eau.
Il tourna les talons, et descendit la petite butte couverte de pelouse, en direction d'une petite rivière, sillonnant non-loin de là.
Une voix le retint :
« Je n'ai pas peur de toi, Link. »
Zelda avait relevé le menton vers lui. Ce dernier tremblait imperceptiblement.
La fatigue et ce qui devait être un mélange de peur et de stress creusaient ses pommettes et le bas de ses yeux.
Enfin, elle articula :
« J'ai peur de cette personne qui te possède, et qui te consume, dissimulée au fin fond de tes yeux. »
Quand Link fut assez loin de l'arbre où Zelda devait encore être en train de récupérer, il vira brutalement vers la gauche, et, s'éloignant de la rivière, prit la direction du Plateau du Prélude.
Parce que, mine de rien, il commençait à saisir ce qui se passait.
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