𝐗𝐗𝐈 - Rumeurs et tourments
Link le savait : il s'était passé quelque chose.
Depuis qu'il était entré dans les vestiaires, on entendait presque les mouches voler. Pas un bavardage — alors que tout le château devait être au comble de l'excitation avec les festivités qui arrivaient —, pas un chuchotis, rien du tout.
Et il savait qu'il était la cause de ce silence.
Le garde aux cheveux gingembre avait bravé l'humiliation et la honte, et était revenu ce matin-là à l'entraînement. Sa plume était droite comme un i sur son heaume, aucun petit filament n'en ressortait.
Même ceux qui l'avaient chaudement félicité pour le combat de la veille demeuraient silencieux, et envoyaient même à leur capitaine des regards méfiants.
Quel type de rumeur avait bien pu circuler, entre hier et aujourd'hui ?
Link n'osa vérifier aucune des hypothèses lui venant à l'esprit.
Après tout, à quoi bon ?... Allait-il vraiment tapoter l'épaule d'un de ses gardes, et demander pourquoi plus personne ne semblait vouloir lui adresser la parole ?...
Non, bien sûr que non.
Intérieurement, il priait pour que la voix ne revienne pas.
Mais c'était cette même voix qui était si amusante avec lui...
Était-il victime d'une quelconque maladie mentale pour s'attacher à cette présence qui lui faisait pourtant du mal ?...
Mais la présence ne revint pas, et ce, durant tout l'exercice.
Link sentait chacun de ses gestes épiés, chacun de ses mots hachés, disséqués, analysés, interprétés, de la manière la plus suspicieuse qui soit.
Si bien qu'à la fin, avoir été capitaine avait été l'activité la plus épuisante de ces deux heures d'entraînement, outre les exercices de tir qu'il avait donné à ses officiers.
Il remonta dans sa chambre, portant avec son armure le poids des regards.
Une fois dans sa chambre, il se posta devant le miroir.
Peut-être avait-il quelque chose, au visage, qui attirait l'œil ?
Une petite tache, une petite rougeur ?
Non, pourtant, il n'avait rien... Rien de visible du dehors de son casque.
Pourquoi se mentait-il à lui-même ? Il savait parfaitement que la raison de ce silence obséquieux était la réaction des gardes sur ce qu'il avait fait la veille.
Enfin, plutôt ce que la présence lui avait dicté de faire.
Mais n'était-ce pas à peu près la même chose, malheureusement ?...
Link retira son armure, sa tunique désormais impeccable, puis le petit haut gris qu'il portait aujourd'hui.
La tache maléfique continuait de ramper sur son corps, avait commencé à grignoter stratégiquement son torse, et remontait presque jusqu'à la moitié de son cou...
Dissimuler tout ceci n'était pas une mince affaire. Il fallait bénir les saisons hivernales qui arrivaient : au moins, il n'était pas difficile de prétendre avoir froid pour s'emmitoufler sous des couches et des couches de tissus protectrices.
Mais Link ne pouvait désormais plus s'en contenter.
Ses douleurs étaient de plus en plus courantes. Ses excès de folie également.
Et la tache ne s'arrêterait pas là. Elle irait jusqu'au sommet de son crâne, s'il le fallait.
Mais était-ce vraiment là l'œuvre de la présence habitant dans son bras ?...
Oui, évidemment. Link ne pouvait l'innocenter, peu importe son amitié avec elle.
Le mystère durait depuis trop longtemps.
△▲△
« Tu ne dors quand-même pas beaucoup, mon p'tit gars. »
Link fit la moue.
Daruk insistait :
« Si si, vraiment ! Tu sais quelle heure il est, là ?
— Pas vraiment.
— Tu devrais. Il est trois heures. »
Link avait compté sur le froid de la nuit pour apaiser ses tensions et ses inquiétudes, refroidir sa peau et détendre son cœur, mais la température semblait le transpercer sans calmer quoi que ce soit.
Daruk, ou du moins sa forme spectrale, appuyait le bas de son dos contre la rambarde. Au moins, son poids désormais inexistant ne mettait pas en danger la barrière de pierre.
« D'après les autres, reprit Daruk, tu dors de moins en moins. On te voit souvent ici. »
Link ne répondit pas.
Il scrutait les ténèbres, le paysage sans fond et sans fin, qui s'étalait au-delà de ce balcon cadré de lilas mauves.
Que cherchait-il, dans le noir de la nuit ? Il ne le savait même plus.
« Il y a quelque chose qui te tracasse ? »
Évidemment. Son être n'était qu'anxiété et souci, particulièrement depuis ces derniers temps.
Le défunt chef des Gorons poursuivit :
« Il faut en parler, tu sais. Faut pas garder des trucs trop lourds sur le cœur, ça l'abîme, et après, on vit moins longtemps. »
Link réprima un petit rire sarcastique.
Il avait plus d'un siècle, désormais. Qualifier sa vie de courte était un mensonge, ou au mieux ironique.
« C'est bizarre, reprit le Goron, tu allais bien, pourtant. Tu allais mieux.
— Mieux ? »
Link se détacha enfin du paysage, et se tourna vers Daruk.
« Mieux par rapport à quoi ?
— Bah, par rapport à avant.
— Avant quoi ?
— Avant ta mort. »
Ce dernier mot réussit à annihiler à lui-seul toutes les bulles de pensées gravitant dans la tête de Link.
« Comment ça ? »
Daruk semblait fier d'avoir enfin réussi à détourner son vieil ami de ses sombres occupations.
Il expliqua :
« Avant, c'était dur à déceler, mais on comprenait que quelque chose n'allait pas. Le sourire était rare chez toi, enfin je parle du véritable sourire, pas le poli que tu pouvais adresser parfois. Tu étais soucieux, ça se voyait, tout comme la Princesse, vous étiez vraiment de paire — vous auriez du vous entendre dès le début avec un tel point commun. »
Link cligna des yeux.
Ainsi donc, son ancienne personne connaissait de sombres jours ?...
... Maintenant que Daruk lui révélait ceci, il était vrai que dans ce morne sentiment qui l'habitait à cet instant, il y avait une espèce de reconnaissance étrange...
Comme s'il avait rêvé, ou déjà ressenti cette émotion d'angoisse, et qu'il la retrouvait, mais après trop d'années pour savoir à quand exactement remontait cette rencontre.
« ... Est-ce possible de retrouver peu à peu ses anciens traits ?... » fit Link à lui-même.
Les fantômes avaient l'ouï fine.
Daruk eut un instant de réflexion, creusant davantage les plis qui barraient son front.
« Hum... C'est compliqué. Déjà que ta situation n'est pas courante, je ne sais pas où tu pourrais trouver une telle réponse, sinon par toi-même.
— Tout seul, je n'y arriverais pas, le contredit Link, je n'ai aucun souvenir de mon ancienne personne, ni de ce que j'ai pu faire. Enfin, c'est vague, très vague... J'ai juste une vague reconnaissance, mais je ne sais même pas si je peux vraiment m'avancer sur sa fiabilité.
— Je vois. »
Daruk soupira lourdement, ces informations continuaient de peser sur son âme.
« ... T'es quand-même un drôle de bonhomme, finit-il par lâcher. Et ça, je l'ai su dès l'instant où je t'ai vu.
— C'est un compliment ?
— En tout cas, pas un dénigrement. »
La fin de ses mots n'atteignit pas Link, qui, déjà, était reparti dans son train de pensées mouvementées.
Se pouvait-il qu'il soit voué à retrouver son ancienne personne ? Peut-être était-ce la vie au château, et non dans la nature, qui le ramenait inconsciemment vers elle ?
Ou alors, se trompait-il totalement ?
Était-il si différent de sa version antérieure ? Et d'ailleurs, aimait-il l'actuelle ? Aimerait-il la troquer contre la précédente ?...
Le mieux était certainement d'accepter ce qui adviendrait, sans plus de requestionnement.
Link s'étonna de cette pensée subitement sage, parmi son flot de tourments.
Peut-être la fatigue et le sommeil finissaient par apaiser les âmes — en tout cas, bien plus qu'un simple vent frisquet.
« Demain, c'est le couronnement », déclara Link, sans même comprendre lui-même la raison véritable de cette déclaration.
Daruk acquiesça.
« Oui, je crois que c'était Urbosa qui me l'avait dit. Il paraîtrait même que tu voudrais inviter la princesse ?
— On ne vous cache rien, les rumeurs circulent vite, releva le jeune homme.
— Tu sais, nous ne sommes pas censés être ici, nous autres fantômes. Tant qu'on est encore là, autant s'informer. »
Daruk se décolla enfin de la balustrade, et parcourut rapidement les dalles du balcon, pensif :
« La dernière fois que j'ai valsé, c'était avec ma sœur, je crois... c'était il y a si longtemps... »
Il s'arrêta devant une longue et fine tornade de lilas mauves, descendant en cascade le long de la colonne de la terrasse.
Il tapota les petits et doux pétales qui se déployaient de leur cœur, de ses épais doigts potelés.
Une petite fleur se décrocha net sous l'impact. Daruk s'arrêta immédiatement.
« ... Quoi que tu aies vécu, Link, la vie reste courte. Et tu l'écourtes davantage en polluant ton esprit ainsi. »
Link baissa les paupières.
Puis, doucement, les recouvra de sa paume.
Parce qu'il ne savait pas comment faire pour arrêter.
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