𝐗𝐕𝐈𝐈𝐈 - Les Piafs du Nord

Déjà le pic des Piafs ?

Link avait passé tout son trajet à ressasser son discours chez les Gerudos. Il en était encore si honteux qu'il s'était demandé à un instant s'il ne quitterait pas le désert au beau milieu de la nuit, n'assumant plus ses mots.

Mais le froid polaire l'avait remis à sa place : il était suicidaire de traverser le désert et ses contrées sableuses à ces heures tardives et dans ces températures glaciaires.

Il était donc reparti le lendemain, et rien, autour de lui, ne réussit à le détourner de ses pensées.

Et ce n'était pas sa nouvelle monture, Tourniquet, qui allait le perturber. Ce cheval était d'un silence et d'une autonomie pratique, mais dérangeante parfois. Pas un renâcle, pas un soupir plus bruyant, rien du tout.

Et soudain, comme de par magie, le pic des Piafs était apparu à l'horizon sans crier gare.

Maintenant que Link avait été drainé à la réalité, il commençait à ressentir le froid des lieux, et les sons environnant revenaient percuter ses oreilles.

Son cheval, lui, ne se délectait absolument pas du paysage, qui était pourtant plutôt inhabituel. Las, les paupières basses, il gardait le regard braqué devant lui.

C'était sûr : Link regrettait Icquiria.

Il talonna la monture, et elle se remit en route sans aucune résistance.

Link se demandait où il irait déclamer son texte.

Et surtout, Link se demandait quel texte il allait déclamer.

Il ne voulait pas que son opinion se dérobe de nouveau. Il ne voulait pas effrayer la population, et lui-même au passage.

Et qu'avait dit l'aubergiste, ce jour où Link était sorti dans la citadelle ? Que les Piafs étaient méfiants. Méfiants envers les Hyliens.

Link ne savait pas exactement pourquoi. Il savait simplement que lui-même avait bien du mal à supporter le comportement de Revali, même mort.

Peut-être les Hyliens et les Piafs étaient deux types d'esprits qui ne pouvaient vivre ensemble ?...

Mais pourquoi ne l'avaient-ils pas jeté dehors, ce jour où Link était allé délivrer leur village de Vah'Medoh ?...

Certainement parce qu'ils n'avaient pas d'autres choix. Il fallait chasser cette créature divine, pilotée par cette Ombre du Mal.

Ça y était, Link était au pied du Pic des Piafs.

Un grand escalier tournoyait autour de la roche, qui s'étirait en longueur. Des passerelles de bois étaient bordées par des petites cabanes, décorées de peintures nordiques, et agrémentées de petits moulins à vent. Ces derniers tournoyaient sur eux-mêmes, dans un sifflement agréable, mais qui pouvait rapidement devenir nasillard.

Tourniquet s'arrêta immédiatement : il avait compris que le voyage se terminait ici.

À peine Link eut touché le sol qu'il entendit un léger ronflement s'envoler des naseaux du cheval et de ses commissures.

Au moins, Tourniquet n'allait pas s'enfuir.

Et puis, ce n'était pas comme s'il avait un tempérament particulièrement aventureux. À force de servir, Tourniquet accomplissait les tâches avant même qu'elles ne soient données, parce que tous ses cavaliers donnaient toujours les mêmes.

Il avait un air si las.

« Hé ! Un étranger ! »

Link fit volte-face, se sentant visé par l'exclamation.

Descendaient quatre à quatre le dernier escalier quittant le village trois petits oiseaux au petit bec en trompette et aux plumes bleues, vertes et mauves.

L'un d'eux, celui pourvu de plumes mauves, le pointait du doigt.

Cette petite voix devait lui appartenir.

Link esquissa doucement un sourire.

« Vous venez chez nous ? s'étonna alors le petit Piaf vert, voyant que le Héros de Légende s'approchait. Vous êtes invité ? »

Link hocha la tête.

« Qu'est-ce que vous venez faire ici ? Il n'y a vraiment pas grand-chose, soupira le même enfant. Vraiment, vous allez vous ennuyer... »

Seul, le jeune Piaf aux sombres ailes bleues ne parlait pas. Il braquait sur Link un regard ahuri, stupéfait, et légèrement curieux.

« Vous devriez aller à l'entraînement de vol, reprit le Piaf vert. Là, c'est sûr, c'est beaucoup mieux.

— Le Prodige Revali y allait souvent, renchérit le mauve. Donc si vous voulez devenir un véritable héros, vous pouvez prendre ce chemin ! »

Soudain, le Piaf bleu ouvrit le bec, et laissa échapper à ses camarades, sur un ton légèrement accusateur :

« Mais c'est le Héros de Légende !... »

Perplexes, les deux enfants se tournèrent vers lui.

« Le quoi ? fit le Piaf vert, sans comprendre. C'est son prénom ?

— Mais vous ne voyez pas son épée ? tempêta le petit Piaf à voix basse, jetant de petits coups d'œil qu'il devait penser discrets à Link. C'est l'épée de Légende, celle du Héros de Légende !

— Mais c'est quoi, le Héros de Légende ? Encore un truc qui sort d'un livre ? »

Link aurait bien aimé profiter de ce débat enfantin pour passer son chemin, mais malheureusement, le petit groupe d'amis prenait tout le passage, et ne semblait pas vouloir bouger.

« Vous ne connaissez pas le Héros de Légende ? articula le Piaf. Mais enfin, vous vivez dans une grotte ?

— Tout comme on ne connaissait pas le mot « oblatif », ni le mot « thaumaturge », répliqua le Piaf vert.

— Eh bien lui, il l'est, thaumaturge : c'est lui qui a posé Vah'Medoh ! C'est mes parents qui me l'ont dit. Enfin... ma mère.

— Mais t'es bête ou quoi ? s'énerva brusquement le mauve. Ceux qui ont posé Vah'Medoh, ce sont Telba et Link ! »

Link eut un mouvement de sursaut à l'entente de son prénom.

Puis il se retint de rire.

Le Piaf bleu semblait exaspéré.

« Mais c'est Link ! chuchota-t-il avec véhémence. Link est le Héros de Légende !

— Hein ? Mais de quelle légende ? »

Ce fut enfin au tour du petit Piaf bleu de rester dubitatif.

Il cligna des yeux quelques secondes, avant de hausser les épaules.

« Je ne sais pas. Mais il est important, et c'est tout ce qui compte ! »

Soudain, d'un même mouvement, les trois enfants se détournèrent vers le jeune homme, qui écoutait d'une oreille attentive les propos de chacun depuis le début, tout en jetant un œil de temps à autre à Tourniquet, qui semblait bel et bien endormi.

« Vous êtes vraiment un héros de légende ? questionna le Piaf mauve. Ou c'est Tibi qui nous fait marcher ?

— C'est déjà arrivé, affirma le Piaf vert. Une fois, il a voulu nous faire croire que les tortues avaient des ailes si on leur donnait des myrtilles, car elles possèdent des molécules compatibles avec les organes des tortues ou je ne sais pas quoi... »

Le prénommé Tibi vit soudain ses joues plumées prendre une teinte plus claire, honteux.

« C'est mon père qui me l'avait dit ! » cria-t-il.

Et, sur ce, il déplia ses ailes d'un geste vif, et, trois battements plus tard, était déjà hors de portée.

Link le regarda faire, sans trop savoir s'il devait refermer sa main sur ces bras plumés afin de retenir le petit, et dissiper tout mal entendu.

Mais il n'avait plus vraiment le temps.

« Il est tout le temps comme ça, ces temps-ci, soupira le Piaf vert. Il s'énerve pour un rien.

— Par contre, il a toujours été donneur de leçons, et pas du tout humble de ses connaissances, fit son ami. Et c'est vrai que vous êtes un héros, alors ? »

Le petit Tibi venait de disparaître sur la dernière passerelle du village, à plus de trente mètres au-dessus de leur tête.

Link redescendit son regard sur les deux bambins, gazouillant de curiosité, le dévisageant avec de grands yeux méfiants.

Il acquiesça.

« Oui.

— Mais de quelle légende ? Elle est connue ? »

Link réfléchit.

« ... Elle l'a été. »

Il rajouta :

« Il y a cent ans, on ne parlait que de ça. »

Les jeunes Piafs le dévisagèrent, cherchant le mensonge et la moquerie sur le visage de Link.

« Mais c'était il y a cent ans, fit l'un d'entre eux, sans comprendre. C'était il y a longtemps.

— Trop longtemps, affirma l'autre. C'est normal qu'on ne la connaisse pas.

— Et elle parlait de quoi, cette légende ? »

De quoi parlait la Légende ?

Même après une annihilation totale de ses souvenirs, c'était presque s'il pouvait la réciter par cœur, mot pour mot, dans n'importe quelle situation.

... Mais pourquoi ne le faisait-il pas, alors ?

Animé par sa soudaine idée, Link déclara :

« Patientez un peu, et je vous raconterai tout. Je suis ici en voyage afin de motiver les populations à l'armée. Je vais faire un discours d'ici quelques minutes, dans votre village, et je vous parlerai de cette fameuse Légende.

— Cool ! s'extasia le Piaf mauve.

— C'est long ? s'inquiéta le vert.

— Je peux vous faire une version simplifiée, si vous préférez.

— Mais arrête ! s'écria le mauve, se tournant vers son ami. Il faut connaître tous les détails de l'histoire ! Souviens-toi ce qu'a dit Tibi : les versions simplifiées, c'est toujours bête, alors que la véritable histoire est toujours géniale ! »

Le Piaf vert semblait peu convaincu.

Il ronchonna :

« Si ça dure une heure, comme les cours de madame Pitirolle...

— Ça ne durera pas une heure, assura immédiatement Link. Au grand maximum, vingt minutes. Et encore !

— Vingt minutes ? »

Le petit Piaf vert eut un instant de réflexion, puis finit par déclarer que cet horaire lui convenait.

« C'est où ?

— C'est quand ?

— Je vais parler à votre chef, répondit Link. Il va me montrer où je vais me raconter. D'ici une dizaine de minutes, peut-être. »

Les deux petits piaillèrent :

« Cool ! »

Link ne savait pas exactement comment prendre cette nouvelle.

Devait-il être offensé que la génération suivante ne connaisse pas la Légende qui a forgé ces terres et tout leur passé ?...

Pourquoi cette chose aussi fondamentale s'était-elle perdue ?

Même le jeune Tibi, que ses amis qualifiaient comme rempli de savoir, ne semblait pas connaître la véritable raison de la Légende, ni en quoi Link impactait celle-ci.

Ou alors, peut-être était le sens normal des choses, que la Légende était parvenue à un point où elle ne pouvait que disparaître des esprits, et qu'on ne pouvait blâmer les jeunesses futures de ne pas la connaître.

Pensif, Link remonta les escaliers.

« Oh, Link ! Vous voici ! »

Le jeune homme sursauta.

Un grand oiseau blanc au regard d'aigle venait de sortir d'une des cabanes, et marchait vers lui à grandes enjambées, tendant devant lui une main grande ouverte.

Link la lui serra.

Il s'agissait de Teba. Valeureux Piaf, qui, malgré sa méfiance, avait accepté de faire équipe avec Link contre Ganon, et l'avait fait monter jusqu'à la créature divine Vah'Medoh.

Même si sa salutation était bien neutre et sans cérémonie, le jeune homme sentait que le Piaf était heureux de le voir.

« Comment allez-vous ? reprit-il. Le voyage s'est bien passé ? »

Link eut à peine le temps de saisir le sens de la question que deux petites voix s'écrièrent :

« Monsieur Teba, monsieur Teba ! »

Les deux petits oiseaux de tout à l'heure déboulaient sur la passerelle de bois à toute vitesse.

« Monsieur Teba, vous êtes au courant que ce monsieur-là, dit le Piaf mauve en pointant Link des plumes, c'est le Héros de Légende !

— Ouais, et il a une épée ! »

Teba dévisagea un court instant Link, d'un air légèrement suspicieux.

« Oui, répondit-il lentement, flairant un piège qui n'avait pourtant pas lieu d'être. Oui, je sais qu'il est le Héros de Légende. Pourquoi, les enfants ?

— Mais de quelle légende ? »

À nouveau, Teba fixa le voyageur, cherchant la moquerie ou l'entourloupe.

« ... De la Légende des Déesses fondatrices... Enfin, je crois. Je ne sais plus exactement. »

Eh bien, pensa Link, au moins, son discours n'attirerait pas que les plus petits.

« Je raconterai cette légende durant mon discours, assura Link en direction de Teba. Si vous voulez venir. »

Teba opina du chef.

« Oui, je viendrai. Parce que... j'ai envie de m'enrôler dans le corps de garde d'Hyrule. »

Link accueillit la nouvelle avec surprise.

« De quoi ? interrogèrent les deux enfants d'une même voix. C'est quoi, le corps d'Hyrule ?

— Bon, rien n'est encore officiel, poursuivit Teba, ignorant les questions des deux petits Piafs. Il faudrait encore que je m'entraîne, que je prépare mes bagages, que je dise au revoir à mon peuple, car je ne reviendrai pas avant l'hiver prochain je pense... Mais j'aimerais beaucoup. »

Il avait baissé la voix sur ses derniers propos, comme par honte de les avoir énoncés.

Et, même si Link ne portait pas particulièrement le peuple Piaf dans son cœur, et n'avait pas commencé son amitié avec Teba sur la meilleure des bases, il était heureux, heureux de savoir qu'il allait avoir bientôt, peut-être, ce brave Piaf dans ses officiers.

« Vous comprenez, reprit-il à toute vitesse, il faut s'unir devant la nouvelle menace du royaume, et puis j'en ai assez que le peuple Piaf reste chez lui, dans ses montagnes impraticables... Alors qu'avant, les peuples se mélangeaient si facilement, la Calamité a emporté avec elle tous nos liens sociaux. Il faut les rétablir. Et puis, je m'ennuie un peu, ici. »

Peu importait les raisons pour lesquelles il venait. L'important était qu'il venait.

« Je comprends, répondit Link. Vous avez raison. »

Les coin du bec de Teba se tirèrent en un sourire.

« Quand est votre représentation ?

— Il faut que j'aille me manifester auprès de Kaï, votre chef.

— Oh, je vois. Évidemment. Il est dans sa hutte. Vous arrivez à point, je crois : il vient tout juste de se réveiller de sa sieste. »

Les deux petits Piafs observaient les deux adultes d'un œil curieux, mais sans oser interrompre leurs propos par des questions qu'ils jugeaient eux-mêmes futiles et sans intérêt.

Link adressa alors aux trois un salut de tête, avant de poursuivre son ascension du village jusqu'à la hutte du chef.

△▲△

Le village n'était pas bien grand.

Pas d'estrade pour le discours de Link, une simple petite cabane, habituellement une boutique de vêtements, mais fermée pour l'occasion.

On avait installé de petits coussins partout, pour que les plus jeunes comme les plus âgés puissent tenir durant le discours.

Aussi, on avait descendu quelques rideaux, afin que les vents glacials ne viennent pas déranger l'orateur.

Link préféra cette estrade à toutes celles qu'il eut rencontrées durant son voyage, et de loin.

Il reconnut le jeune Tibi dans son auditoire. Renfrogné, mais avide de savoir, il s'était assis dans un petit coin de la pièce, ni à l'arrière, ni complètement à l'avant, afin qu'il puisse profiter un maximum de la prestation sans être exposé.

Ses deux amis, de l'autre côté de la pièce, lui jetaient de petits regards en coin.

Ils devaient se demander s'ils allaient rejoindre leur camarade et sa mauvaise humeur.

Finalement, ils ne bougèrent pas : tous les autres coussins étaient déjà pris.

La rumeur de sa représentation avait filé dans tout le village : enfants, parents, frères et sœurs, amis ou amours s'étaient retrouvés, et attendaient patiemment l'histoire de cette fameuse Légende, que personne ne semblait connaître exactement.

Link ne savait pas comment commencer la séance, ni comment elle allait se dérouler. Il avait peur d'oublier une information importante dans son récit, et de perdre son public.

« ... Bonjour à tous. Je suis Link, l'actuel capitaine de la garde d'Hyrule, et le Héros de Légende. »

Les deux becs des deux petits oiseaux se fendirent en un sourire entendu et attendu.

Tibi, lui, se contenta de se pencher en avant. Il espérait certainement ainsi pouvoir capter les moindres détails de ses paroles.

Link balaya l'assemblée du regard.

Puis questionna :

« Dites-moi, qui, ici, a déjà entendu parler de la Légende ? »

Quelques mains plumées se levèrent, appartenant principalement aux adultes et aux anciens.

Ceci confirma les pensées de Link : c'était une minorité.

« C'est un conte pour enfants, non ? fit une dame, assise dans les premières rangées.

— Ce n'est pas un conte, protesta Link. C'est une Légende. »

Et, emporté dans son élan, il se mit à raconter.

△▲△

Les regards avaient changé, les esprits s'étaient ouverts.

De tous les villages que Link avait parcouru ces derniers jours, le village Piaf avait été le plus réceptif.

Dire qu'il avait redouté ce passage plus qu'autre chose...

Désormais, naissait l'admiration d'une nouvelle chose : celle du passé et des légendes.

Le discours avait finalement dépassé les vingt minutes : les spectateurs, d'abord les jeunes, puis les vieux, avaient questionné Link dans le moindre détail, demandant de quel manière tel évènement s'était fait, ou dans quel ordre chronologique.

Finalement, il n'avait que très peu parlé de l'armée. La simple Légende en elle-même avait réussi à appâter nombre de gens.

Tu vois, je te l'avais dit !

Link eut un soubresaut, se détourna, avant de se rendre compte du détenteur de cette voix.

Je t'avais dit qu'il ne fallait pas parler de l'armée directement. Maintenant, le peuple Piaf est en pleine remise en question !

Link voulut lui répondre, mais la foule se pressait autour de lui, quittant la petite hutte dans laquelle ils avaient appris comment Hylia avait forgé leurs terres et leur avenir.

Soudain, on tira sur la manche du jeune homme.

Sa manche droite.

« Monsieur le Héros de Légende ! piaillait le petit Piaf mauve. C'était trop bien ! »

Le jeune homme se dégagea brusquement.

Le petit oiseau écarquilla de grands yeux effarés, esquissant un mouvement de recul.

« Pardon... Je vous ai fait mal ? »

Link s'en voulut immédiatement d'avoir agi ainsi.

Honteux, il vérifia tout de même que la petite aile malicieuse et innocente de l'enfant n'avait pas laissé à découvert sa blessure maléfique.

Par chance, ce n'était pas le cas.

« Non, pas du tout, tu m'as surpris, répondit Link, du ton le plus doux et le plus apaisant qu'il puisse prendre.

— Pardon, réitéra l'enfant. C'est que, c'était trop bien ! Moi aussi, je veux être un Héros de Légende, plus tard ! »

Link étouffa un petit rire narquois.

« Je ne sais pas si ça te plairait bien longtemps, tu sais. »

Le petit enfant répliqua, bombant le torse :

« Bien sûr que si ! Je serai fort, et je sauverai Hyrule — et une Princesse, en plus ! »

Dans certains cas, c'est la Princesse qui sauve le Héros...

...Zelda...

Link serait de retour, dans un temps relativement court.

Il était grand temps de la retrouver.

Le jeune homme salua les Piafs, et ces derniers semblaient avoir ôté, pour la plupart, leurs défensives envers les étrangers. Ils avaient redécouvert que tout être et toute chose, sur cette Terre, était lié et semblable, et ce, par les mains divines d'Hylia.

Link dévala les escaliers à la hâte, sous les « au revoir ! » chaleureux qui s'élevaient tout autour de lui.

Son voyage se terminait par un point d'honneur.

De loin, Link aperçut Tourniquet. Il n'avait pas bougé, et semblait encore plongé dans son sommeil, droit dans ses quatre sabots, le cou légèrement penché en avant, laissant sa crinière recouvrir ses yeux clos.

Alors, on est d'accord que j'avais raison !

« Oui, tu avais raison », sourit Link, tout en se hissant sur le dos de Tourniquet, qui se réveilla au quart de tour.

Ah, incroyable, tu es d'accord avec moi ! Note pour plus tard : tu es drôlement sympathique, quand tu voyages.

« Juste trop fatigué pour argumenter ou m'énerver. »

Peut-être, aussi. Tu aurais vu tes cernes ! Même du béton ne pourrait pas recouvrir ces abîmes.

« C'est gentil, merci. »

Doucement, Link se mit en route vers l'Est. Sur sa gauche, à plusieurs kilomètres de là, s'élevaient la chaîne de montagnes Hébra, transperçant les nuages de leurs cimes enneigées.

Ça a l'air sympa, là-bas. À gauche.

« Ça l'est, à condition d'avoir un minimum de vêtements chauds. »

Ça, j'imagine... J'ai entendu dire que l'on faisait de la descente en bouclier. C'est vrai ?

Link acquiesça :

« J'en ai même déjà fait. »

Sérieusement ? Incroyable ! Ce serait tellement bien ! Faudra que tu me montres ça, un de ces quatre.

« Un autre jour, alors. Là, notre mission est de rejoindre Zelda. »

Il y eut un petit silence.

Quand soudain, un sanglot vint résonner à ses oreilles...

« Quoi ? »

Nan, rien. Tu m'amuses.

« Tu pleures ? »

Quoi ? Moi ? Un esprit qui pleure ?

« Mais alors, qu'est-ce que... »

Link détourna le regard, et, sentant l'intention de son cavalier disparaître de la route, Tourniquet s'arrêta.

En contre-bas, au pied de la pente qui élevait le sentier de Link, se tenait une masse ocre informe et tremblante.

Il cligna des yeux.

C'était une Piaf.

...Elle est blessée ?

Sans répondre, Link quitta à la hâte de sa monture, et descendit à grandes enjambées la pente.

Il s'arrêta soudain net à quelques mètres de la Piaf.

Il sentait une drôle d'aura planer autour d'elle. Il devina rapidement qu'elle n'était pas blessée — du moins, pas physiquement.

Il n'eut le temps de se décider que la Piaf, alertée par sa présence, se détourna.

Ses yeux avaient la même couleur de son pelage.

« Oh, un visiteur, fit-elle, reniflant, et passant son aile sur ses larmes. Ne t'inquiète pas, je vais bien. »

Elle se releva, quittant sa position assise, et quand elle fut debout, Link distingua derrière elle une pierre, s'élevant sur la pelouse.

Une tombe.

« C'est mon mari, expliqua la jeune femme, interceptant son regard. Enfin... c'était. »

Elle croisa les bras, et descendit le bec vers sa poitrine :

« Cela fait presque un an qu'il est parti... »

Elle eut une courte pause.

« ... Si seulement il pouvait revenir... »

Link baissa le nez.

Car lui, il était revenu.

Et pourquoi l'avait-on préféré à cet homme Piaf ? Parce que son nom était gravé dans la Légende. Parce qu'il possédait cette Épée qui, il y a cent ans, faisait tourner les regards.

Parce que, aux yeux du monde et de la Déesse Hylia, il était un Héros.

La jeune Piaf devait penser la même chose. Elle devait maudire Zelda d'avoir usé le sanctuaire de la renaissance pour un homme qui n'était pas censé mourir, et qui, au contraire, était censé gagner.

« ... Vous savez... »

Link s'humecta les lèvres, se blâmant déjà d'avoir laissé passer ses pensées à voix haute.

La Piaf se détourna doucement vers lui.

« Oui ? »

Le jeune homme eut un soupir. Il ne pouvait plus reculer.

« ... Parfois, renaître, c'est continuer d'endurer le mal qui nous a mené jusqu'à la mort... »

La Piaf cligna des yeux.

Puis elle sourit.

« Vous avez raison, je pense. »

Elle couvrit Link d'un regard chaleureux et amical, qui le rassura immédiatement : ses paroles n'avaient pas été vides d'intérêt.

« Merci. Bon, il faut que j'aille rejoindre mon fils. J'espère qu'il s'est bien amusé, à la représentation de cet homme, Link... Il s'appelle Tibi... »

△▲△

« Ah, revoici notre bon vieux Tourniquet !... Le voyage fut agréable, monsieur ? »

Link hocha la tête.

L'aubergiste griffonnait à toute vitesse sur son épais registre de cuir que son cheval était bien revenu.

De derrière lui surgit une jeune fille, portant le tablier de l'établissement du relai. Elle donna une petite caresse au cheval, et commença à le débrider.

Link la regarda faire distraitement.

Il pensait à Icquiria. Que devait faire sa jument, au crépuscule du jour ? Avait-elle retrouvé son ami étalon ? Était-ce typique de son espèce que de rêver de ce genre de chose ?

... Parfois, être un humain naïf était agréable.

« Vous voulez une chambre, peut-être ? fit l'aubergiste, terminant de remplir les dernières formalités. Il est tard, la nuit tombe vite en cette saison...

— Non, ne vous en faites pas. »

L'homme fronça les sourcils.

« Vous venez du château d'Hyrule, pourtant, non ? »

Link acquiesça.

« Eh bien, permettez-moi de vous faire remarquer que ce n'est pas tout près. C'est... une bonne trotte. »

Il insista :

« Vous êtes sûr que...

Sûr. »

L'aubergiste le dévisagea, rempli d'interrogations.

Puis, Link sentit son regard s'accrocher à l'Épée, pendant dans son dos.

Il finit par sourire, avant de se replonger dans son registre.

« Très bien, je vois... Bon, eh bien, Tourniquet est désormais de retour. »

Derrière Link, l'écuyère avait terminé de retirer le matériel de Tourniquet. Déposant soigneusement l'équipement dans une caisse, elle guida la monture vers les stalles, où patientaient d'autres montures.

Link le suivit du regard.

« Un problème, messire ? »

Il se détourna de nouveau vers l'aubergiste, qui avait manifestement suivi son regard.

« ... Dites... Tourniquet...

— Qu'a-t-il ?

—... Il ne faudrait pas mieux le libérer ? »

Link savait qu'il venait d'énoncer une bêtise.

En d'autres termes, il venait de demander à un commerçant d'arrêter son commerce.

Mais il avait voyagé avec lui deux ou trois jours, et ça avait été suffisant pour qu'il comprenne que Tourniquet n'était pas un cheval épanoui.

Mais l'aubergiste n'en sembla pas offensé. Même, il se pencha par-dessus son comptoir, et observa Tourniquet rentrer dans sa stalle, en compagnie de sa collègue.

« ... Tourniquet est un drôle de cheval, finit-il par dire. Ça, je suis d'accord avec vous. Figurez-vous que j'ai déjà songé à le relâcher, parce que nombre de mes clients me rapportaient la même chose que vous : Tourniquet n'a pas l'air heureux. Puis, je me suis ravisé.

— Pourquoi ? » voulut savoir le jeune homme.

La réponse le stupéfia :

« Parce que Tourniquet adore la vie à l'auberge. »

Link fronça les sourcils, tandis que l'aubergiste continuait :

« À l'auberge, en compagnie de ses semblables, il n'est plus le même animal, vraiment. Il court partout, est surexcité, asperge mes collègues et moi-même de son bonheur... Vraiment, il adore sa vie ici. Et, dès qu'il s'éloigne de cette vie-là, pour partir sur les routes avec des inconnus, il s'ennuie. Je pense qu'il attend patiemment et docilement que le temps passe, que le voyage se termine, afin qu'il puisse revenir avec ses aimés. »

Tourniquet était désormais hors de vue.

L'aubergiste éclata de rire :

« Quelle psychologie, c'est incroyable, hein ? »

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