𝐗𝐈𝐗 - Doux retour
Le château.
Link n'arrivait pas à croire qu'il se rapprochait de lui, et que bientôt, il pourrait fouler ses longs couloirs à nouveau.
Pourtant, il avait toujours l'impression que ce sentiment n'était qu'un mirage, et que jamais il ne pourrait atteindre le palais d'Hyrule. Peut-être qu'il allait reculer tandis qu'il avançait, de sorte à ce que leur route ne se croisent jamais, ou alors soudainement disparaître dans les recoins de la nuit.
Si bien que quand enfin, Link se retrouva face aux grands battants de fer renfermant le château, il dut caresser les lourdes poignées pour en saisir leur réalité.
Link, tu te souviens de ma promesse ?
Oui.
Et il arrivait.
Il déboucha sur le Grand Hall.
La plupart des chandeliers avaient été soufflés. Seul demeurait le gigantesque lustre au-dessus de sa tête, véritable rescapé de la Calamité, qui était allumé tout le jour et toute la nuit.
Un peu déboussolé, Link balayait les environs du regard, environs qu'il avait eu l'habitude de voir sous le jour.
Il dut identifier les lieux durant une bonne trentaine de secondes pour se situer dans le château, et pour trouver le chemin à prendre.
Il s'élança dans les grands escaliers, prenant tout de même garde à ne pas réveiller tous les courtisans du château et tous ses rongeurs par des bruits de pas trop précipités.
Il vira dans un couloir, avant de tomber nez à nez avec un visage juvénile et amusé.
« Tiens tiens ! Monsieur Link ! »
Tiens tiens, Mireille.
Link s'étonna de croiser ce visage qu'il n'avait pas eu l'occasion de voir pendant cette semaine.
Toujours affublée de son inlassable robe mirabelle, Mireille semblait avoir du pain sur la planche : une salade de tissus colorés débordait de son panier d'osier qu'elle tenait sous le bras.
« Je suppose que vous êtes rentré, fit-elle. Enfin ! Vous avez passé de bonnes vacances, je présume ?
— Si on peut parler de vacances.
— Bien sûr que oui ! Enfin peut-être pas. Vous montez ? Parce que je peux vous redonner deux ou trois petits linges pro-
— Je viens chercher Zelda » déclara subitement Link.
Mireille releva son nez en trompette des divers vêtements s'entassant dans son panier.
« Zelda ? Elle est dans sa chambre. Vous pouvez aller la rejoindre, je crois qu'elle me l'a assez répété ! »
Elle s'esclaffa :
« Je pense qu'à ce niveau, elle vous aurait même accepté dans son bain ! »
Link chassa les aigres mots de Mireille en quelques battements de paupières furtifs. Sacrée Mireille.
Il la remercia tout de même.
« Mais pas de quoi ! » minauda-t-elle.
Il passa rapidement son chemin. Il ne voulait plus être victime des facéties de la jeune servante.
Il remonta les escaliers quatre à quatre.
C'était étrange, de parcourir le château à ses heures de sommeil, alors qu'il y a à peine une heure, Link était encore sur les routes.
C'était presque s'il était vigilant.
Les bienfaits du chez-soi n'opéraient jamais immédiatement, et surtout pas après une semaine d'absence.
Il se souvenait encore de lui, il y a quelques mois, mémorisant le château et ses nombreux recoins, essayant d'adopter ce qui serait désormais sa nouvelle maison.
Zelda.
Comment allait-elle ?
Personne, jusqu'ici, ne semblait particulièrement épouvanté par la situation, alors cette dernière devait être bonne.
Mais combien savait que Zelda s'enfermait dans son étude, et abreuvait ses joues en les inondant de larmes de tristesse ?
À cette image, Link pressa le pas, et avala d'une grande enjambée cinq marches d'un coup.
Il était difficile d'être discret et à la fois pressé.
Enfin, Link déboucha sur le long corridor menant jusqu'aux appartements de Zelda.
Il inspira profondément, se redonnant un semblant d'air après son ascension, puis traversa le couloir.
Arrivé aux portes massives de sa chambre, il prit une nouvelle inspiration, considérant que la précédente n'était pas suffisante.
Puis il toqua.
Deux petits coups.
Il se rendit soudain compte que la porte était en fait ouverte, ostensiblement entrebâillée. Pas assez pour qu'un courant d'air vicieux puisse s'y faufiler, mais suffisant pour faire comprendre à Link qu'il était attendu.
Alors, doucement, il la poussa.
Un petit feu de cheminée l'accueillit, crépitant dans son foyer de pierre, propageant son agréable chaleur et son ardente lumière.
Sur la table de chevet, une petite chandelle se consumait, brillante, telle une jeune étoile sur le bois vernis.
Et, dans le lit aux beaux draps écarlates, calée sur un grand oreiller, se tenait Zelda.
Endormie.
Sa tête avait roulé, et le livre qu'elle était en train de lire s'était échappé de ses mains, et demeurait ouvert sur les couvertures.
Elle n'avait pas changé.
Link sentit soudain tout son être se vider de toute la pression qu'il possédait, puis se remplir d'un joie inexplicable.
Zelda était là.
Pas de doute que c'était elle : son nez droit, ses grands yeux, ses narines légèrement évasées, ses longs sourcils. Il avait cherché ce visage pendant si longtemps, et rien ne manquait — sauf sa conscience, effectivement.
La chaleur du feu permit à Link de se rendre compte non seulement qu'il était glacé, mais qu'en plus il n'était peut-être pas censé être là.
Que pouvait-il bien faire dans la chambre de son amie endormie ? La réveiller était au-dessus de ses forces.
Mais d'un côté, cela lui permettait d'observer, car son regard se découvrait être assoiffé de ce visage harmonieux.
Durant de longues minutes, Link se délecta de ses traits.
La flamme de la chandelle, dansant et tournoyant sur elle-même avec ardeur, entraînait dans sa valse les ombres de son visage.
Ce n'était finalement pas en apercevant les remparts du château ou en parcourant ses longs couloirs que Link s'était senti chez lui.
C'était en retrouvant sa chère et tendre amie.
Et ce fut à ce moment qu'il découvrit qu'une véritable maison n'était pas faite que de pierres ou que de briques.
Et que, parfois, une présence réchauffait mieux qu'un ardent brasier.
Link se rendit compte qu'il la regardait un peu plus que de raison.
Il essaya de porter son attention ailleurs.
Il aperçut le livre, entrouvert sur les draps.
Machinalement, sans vraiment y penser, il traversa la chambre.
Plus il se rapprochait de Zelda, plus il avait l'impression de pénétrer dans l'univers fragile et délicat du sommeil.
La moindre brusquerie briserait cette agréable et douillette cloison qui la séparait du reste du monde.
Quand il arriva à son chevet, Link bloqua son souffle, et tendit la main vers le livre.
Le bruit ténu des pages effleurées lui provoquèrent un énorme frisson, mais par chance, Zelda ne se réveilla pas.
Il souleva l'ouvrage des couvertures avec la plus lente des douceurs, le refermant avec précaution.
Enfin, il le déposa sur la table de chevet, décalant prudemment la bougie.
C'est bon, il avait terminé sa tâche. Il pouvait partir, maintenant. Plus rien ne devrait le retenir...
Il s'attarda tout de même un petit moment sur la belle couverture du livre, ornées de grandes lettres calligraphiées d'or...
« Ce sont les études portant sur la théorie d'un royaume où pourraient habiter nos alter-egos. »
Link eut un sursaut, manquant de faire tomber le livre par terre.
Il se détourna.
Zelda s'était réveillée. Elle braquait ses yeux cette fois grands ouverts sur lui, son visage baignant dans un semi-sourire amusé.
« Link... murmura-t-elle. Tu es venu... »
Link sentait son torse se gonfler de l'envie de la saisir dans ses bras, juste pour recouvrir son cœur un peu trop démuni.
Puis il se rendit soudain compte que c'était certainement lui qui l'avait réveillée.
« Pardon, lâcha Link immédiatement, reposant le livre sur la table de chevet. Je ne voulais pas...
— Ne t'inquiète pas, c'est tout pardonné. Tu as bien fait. Cela fait longtemps que tu es là ?
— Cinq minutes, tout au plus. »
Zelda hocha la tête.
Puis décolla le buste de son oreiller :
« Vas-y, installe-toi, et raconte-moi. J'imagine que tu n'as pas beaucoup dormi, vu tes cernes. »
Link haussa vaguement les épaules, prenant place sur le rebord du lit.
L'esprit de son bras avait soulevé ce même détail.
« Très étonnant de ta part, sourit Zelda. Allez, raconte !... Hé ! Mais tu as quoi, au front ? »
Elle pointa du doigt la partie droite du front de Link.
Ce dernier dut l'effleurer et ressentir un léger picotement pour se souvenir de sa chute, lors de son premier jour de voyage.
« Je suis tombé.
— Bravo, gros malin ! En quoi faisant ?
— En poursuivant un lézar Ignifus. »
Zelda étouffa un rire.
« Il n'y a que toi pour faire ça. Fais voir. »
Link inclina la tête vers l'avant, tandis que Zelda se penchait, et soulevait ses cheveux d'une main.
« Hum. Pas trop grave » identifia-t-elle.
Link vit ses yeux analystes fouiller sa blessure, détaillant chacune de ses nuances et de ses caractéristiques.
Ce regard l'avait manqué.
Finalement, il ne regrettait plus tant que ça de l'avoir réveillée.
Zelda relâcha la touffe de cheveux blonds qu'elle maintenait, et la rabattit soigneusement sur son front, l'égalisant maladroitement avec le reste de sa chevelure.
« Alors, raconte-moi tout ! J'ai tout mon temps, tu peux y aller. Tu es allé chez les Gorons en premier, n'est-ce pas ? »
Link acquiesça, et commença le récit de son voyage.
Zelda écoutait, les yeux, les oreilles et l'esprit grands ouverts.
Ce qui était amusant, c'était que Zelda ne demeurait jamais bien longtemps spectatrice d'un récit. Dès qu'elle le pouvait, elle interrompait le narrateur, demandait des précisions, réagissait, ou devinait et complétait la fin de l'action.
Ainsi, à chaque aventure qu'il lui partageait, Link avait un peu l'impression que Zelda en avait fait partie.
Parfois, il se coupait dans ses mots, juste pour cligner des yeux, et essayer de persuader son esprit qu'elle était là, juste à côté de lui.
« Tout va bien ? » s'inquiétait alors Zelda.
Link relevait le nez, et souriait.
« Oui, ne t'inquiète pas. »
Mais quand il commença à décrire son passage chez les Zoras, il sentit que Zelda décrochait. Ses paupières se faisaient plus basses. Son dos reposait davantage sur les coussins derrière elle que sur son bassin, et, quand elle fermait les yeux, de bonnes secondes s'écoulaient avant qu'elle ne les rouvre.
Mais rien à faire : dès que Link se stoppait dans son histoire, elle se réveillait, et lui exigeait de poursuivre.
« Tu n'es pas obligée de tout écouter, tu sais, releva-t-il. Je peux te le raconter demain.
— Non non ! Je ne dors pas, tu sais. »
Link ne voulut lutter davantage, et il se contenta de sourire, heureux que ce caractère têtu plein de déni soit encore et toujours là.
Mais, quand enfin, Link acheva son récit par son passage dans la ville Piaf, Zelda avait disparu dans le monde des songes.
Son menton reposait presque contre son épaule, ses yeux étaient clos, et sa respiration, somnolente.
Link eut un petit sourire.
Même si elle n'avait pas tenu bien longtemps... il était content de l'avoir vue.
Doucement, il se pencha.
Et souffla sur la chandelle.
La flamme mourut instantanément, et une dernière larme de cire perla le long de la cierge.
Link ne se rendait pas compte à quel point cette simple bougie participait à la luminosité de la pièce : aussitôt, il se retrouva dans une pénombre à laquelle le feu de cheminé ne pouvait rien faire.
Il se tourna une dernière fois vers Zelda.
Soudain, une bûche roula bruyamment dans l'âtre.
Link tourna la tête vers la cheminée.
C'était la plus grosse bûche qui venait de se fendre en deux. Ses débris étouffaient doucement le feu, et n'importe qui aurait compris qu'il agonisait, sa gorge remplie de cendres et de braises.
Link s'apprêta à se lever pour changer le triste destin de ces flammes, quand soudain, une pression s'empara de son poignet.
« Reste. »
La main de Zelda était agrippée à son poignet, d'une manière étonnamment ferme, pour quelqu'un d'endormi.
Link leva le regard.
La dernière fois que Zelda lui avait pris la main, c'était ce jour, aux écuries, alors que les cristaux venaient de ravager pour la première fois Cocorico.
Il avait oublié leur doux contact gelé, qui secouait l'épiderme jusqu'à la racine des cheveux.
Link devina l'ombre du regard endormi de Zelda le traverser.
Il sentit l'étreinte autour de son poignet se relâcher légèrement.
Il patienta quelques secondes, avant de tenter à nouveau de se lever, mais la main le ragrippa tout aussi sec.
« Reste. S'il te plaît. »
Ses yeux étaient déjà un peu plus ouverts.
« ...Tu peux dormir ici, tu sais... »
Du menton, elle désigna la seconde partie du lit.
Il la dévisagea, ne sachant que penser.
Il y eut un instant de flottement.
Puis Zelda murmura d'une voix éteinte :
« C'est que, une semaine sans ta présence... C'était long... »
Link sourit.
Car il n'en avait pas pensé moins.
Alors il délia doucement la main de son poignet, et saisit le col de sa tunique azure.
Tandis que Zelda vagabondait entre sommeil et conscience, il retira ses bottes, défit sa ceinture et quitta ses nombreux équipements.
Puis, désormais vêtu d'un simple haut blanc et de son pantalon de toile brune, il fit le tour du lit.
Il avait le torse noué.
Était-ce réellement sa personne qui attrapait les draps du lit de Zelda, afin de s'y glisser ?
Il fallait croire que oui.
C'est bon, il y était.
Le lit était plutôt confortable, bien qu'il ne vit pas tant de différences entre celui-ci et celui de sa chambre.
Mais après avoir passé la semaine à poser son dos sur les surfaces les plus agréables qu'il puisse trouver sur son chemin, cette couche était un luxe.
Il tourna la tête vers Zelda.
Mais elle s'était déjà rendormie, la joue pressée contre son oreiller.
La douce chaleur des draps commençait peu à peu à détendre les muscles verrouillés de Link. Le souffle du feu conservait un bruit de fond.
Link bascula de nouveau la tête, le regard rivé vers le plafond.
Il repensait à la semaine. Il avait perdu sa jument. Il avait découvert une hostilité entre le peuple Gorons et le peuple Zoras. Des cristaux avaient manqué de le percuter — était-ce bien il y a seulement quatre jours ?
Dans son récit, il n'avait pas expliqué tous les détails de son voyage. Il avait passé sous silence toutes ces petites choses capables de ramener la tristesse et la mélancolie.
Avait-il bien fait ?
Peut-être.
Peut-être pas.
«... Link... »
Link tourna la tête.
Des prunelles émeraudes scintillaient dans l'obscurité, sous la douce lumière lunaire.
« ... Dors, s'il te plaît. »
Était-ce le charme magique ?
Cette formule que Link attendait depuis le début ?
Puisque ces yeux verts et ce sourire atténué de sommeil furent la dernière chose qu'il eut vue.
△▲△
Zelda se réveilla.
Le sommeil retirait-il la rationalité et la crainte du jour ?
Elle n'avait pas senti, durant son sommeil, la main de Link se poser sur sa hanche, ni son propre bras se nicher à sa taille.
Son front était pressé contre le tissu blanc de son haut, dans une mi-étreinte.
Link dormait.
D'aussi loin que Zelda puisse se souvenir, elle n'avait jamais vu Link endormi.
Le sommeil avait ôté le masque qu'il revêtait si souvent le jour. Son visage avait quitté toute tension, aucun de ses traits n'étaient tenus par une quelconque émotion indéchiffrable.
Zelda sourit.
Elle ferma les yeux, humant cette délicate et singulière odeur qui l'enivrait...
Mais quand elle les rouvrit, son regard accrocha à quelque chose.
À sa clavicule, à la naissance de son cou, une étrange tache contrastait avec le reste de sa peau.
Zelda tourna la tête, et se rendit compte que la main posée sur sa hanche était peinte d'un étrange vert profond.
La blessure.
Elle avait continué de grandir.
Déglutissant péniblement, Zelda souleva délicatement le col du haut de Link, y glissant un œil.
Cela confirma ses soupçons : la tache maléfique prenait désormais tout son bras.
Pourquoi Link ne lui avait-il rien dit ? Attendait-il réellement la mort au tournant ?...
Zelda reposa le col, puis passa lentement ses doigts sur sa clavicule contaminée.
Elle eut l'impression de faire courir ses doigts sur la vieille écorce d'un chêne centenaire.
Link avait parlé d'une présence, d'une voix qui l'habitait, et discutait avec lui.
Qui pouvait-elle bien être ?... Zelda en avait un désagréable sentiment.
Link grogna dans son sommeil.
Aussitôt, Zelda retira ses doigts de sa blessure, comme si son épiderme l'avait brûlée.
Disparu, le visage neutre. Le front de Link était désormais barré de quelques rides discrètes, mais creusées si délicatement...
Alors, prudemment, Zelda s'approcha.
Elle se hissa jusqu'à la hauteur du visage de Link.
Et, doucement, elle déposa un baiser sur le bas de sa joue.
Un baiser dont Link n'en aura jamais conscience, et aucun souvenir.
Les rides tourmentées disparurent, annihilées par un fin sourire qui se redressait peu à peu sur ses lèvres.
Avait-il senti la douce caresse du bécot à travers ses songes ? Nul ne le savait...
Zelda sourit à son tour.
Parce que Link, elle ne voulait vraiment, vraiment, vraiment pas le perdre.
Pas à nouveau.
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